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N comme La Nuit américaine d’Angélique

Fiche technique

Synopsis : En allant voir La Nuit américaine de François Truffaut, Angélique découvre qu’on peut inventer sa vie. Se prendre pour Nathalie Baye, obtenir l’admiration de son père, choisir un métier incompréhensible, autant de perspectives ouvertes par ce film. Il faudra quelques années à la jeune fille pour comprendre que le cinéma ne règle pas tous les problèmes bien qu’il ouvre au grand plaisir d’être enfin libre.

Genre : Animation

Durée : 7’30 »

Pays : France

Année : 2013

Réalisation : Joris Clerté, Pierre-Emmanuel Lyet

Scénario : Olivia Rosenthal

Son : Bruno Guéraçague, Martin Chapel

Interprétation : Louise Bourgoin

Production : Senso Films, Donc voilà Productions

Article associé : la critique du film

La Nuit américaine d’Angélique de Joris Clerté et Pierre-Emmanuel Lyet

Un lent fondu du gris au noir, des taches blanches, quelques murmures et accords à la guitare ouvrent « La Nuit américaine d’Angélique », sélectionné en compétition nationale à Clermont-Ferrand cette année. C’est un peu comme si les réalisateurs Joris Clerté et Pierre-Emmanuel Lyet étalaient leurs ingrédients bruts sur un plan de travail avant de préparer une recette.

Dans ce film d’animation de 7’30″, la recette est élaborée et complexe. Suivant le ressenti d’Angélique, devenue scripte après avoir vu « La Nuit américaine » de François Truffaut, les concepts s’enchainent. Le film est une adaptation d’un des récits de l’ouvrage d’Olivia Rosenthal, Ils ne sont pour rien dans mes larmes, paru en 2012 aux éditions Verticales. Reprenant la recherche de l’écrivain sur la réalité sensible et intime du cinéma, le film donne à ce récit une forme… de cinéma justement.

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« Le cinéma amplifie la puissance des drames humains en les redoublant », écrit Olivia Rosenthal. On trouve dans « La Nuit américaine d’Angélique » un dispositif de récit appelant un film, celui de Truffaut, mais le transmettant par un autre, celui de Clerté et Lyet. Alors que l’exercice pourrait donc paraître doublement tautologique, il permet, au contraire, par la limpidité du parcours du récit, de se concentrer sur l’indicible et le sensible.

L’indicible s’exprime ici grâce à une animation minimaliste, un retour à l’une des premières projections, celle des ombres chinoises tout autant que par la présence de l’écran dans l’écran et par la belle voix off de Louise Bourgoin.


Angélique inscrit le souvenir du personnage de la scripte du film de François Truffaut dans son histoire personnelle. Tout au long de son récit, elle donne ses raisons d’aimer le cinéma plus que la vie. Dépassant la simple mécanique d’appropriation d’un film, « La Nuit américaine d’Angélique » réussit à recouper les réflexions de tout cinéphile et au-delà, de tout spectateur ayant eu un film qui l’a un jour influencé dans sa vie.

Dans une scène importante de « La Nuit américaine », Truffaut fait dire à son personnage que « les films avancent comme des trains dans la nuit. » La phrase est au cœur de sa discorde avec Godard, comme on a pu le voir dans le documentaire d’Antoine De Baecque « Deux de la vague ». On peut dire aujourd’hui, qu’avec le film de Clerté et Lyet, le train a trouvé son phare.

Georges Coste

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Paul Wenninger, Prix Format Court au Festival Premiers Plans d’Angers 2014

Après avoir délibéré autour de 22 films d’animation proposés dans la catégorie « Plans Animés » du festival Premiers Plans d’Angers en janvier dernier, le choix du jury Format Court (composé de Amaury Augé, Katia Bayer, Agathe Demanneville, Camille Monin, Xavier Gourdet et Marc-Antoine Vaugeois) s’est arrêté sur le film autrichien « Trespass » (2012), première réalisation de Paul Wenninger.

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Ce chorégraphe et musicien, qui expérimente depuis de nombreuses années différents médiums, s’est dirigé vers le stop-motion et vient de présenter à Angers un film très soigné et très maîtrisé. Dans « Trespass », le réalisateur-interprète fait interagir son propre corps, la caméra et les objets au sein de l’espace filmique pour créer une autre réalité, en parvenant à se détacher, pour quelques minutes, des contraintes du temps et de l’espace. Le film sera projeté le jeudi 10 avril 2014 dans le cadre de la séance Format Court, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).

Découvrez dans ce dossier spécial :

La critique de « Trespass »

L’interview de Paul Wenninger

Love Games de Joung Yumi

Présenté en programme labo L4, à Clermont-Ferrand, le très esthétique Love Games de la coréenne Joung Yumi apporte un petit moment de quiétude tout en volupté retenue, de la délicatesse dans le propos et dans le trait qui ravissent les yeux.

Joung Yumi est une réalisatrice trentenaire dont les films sont sélectionnés par les plus grands festivals de la planète. À chaque essai animé, elle glane des éloges du public et la reconnaissance de ses pairs. Après avoir été sélectionnée dans plus de 50 festivals internationaux dont la prestigieuse Quinzaine des Réalisateurs en 2009 avec son film Dust Kid, puis enchaîné avec Math test qui a également connu une très belle carrière, son Love Games a été présenté notamment à la Berlinale 2013. C’est à Clermont-Ferrand que le film poursuit sa brillante ascension.

Dans Love Games , le parti pris esthétique de la réalisatrice est particulièrement épuré. Il s’agit d’une animation 2D en noir et blanc dénuée de décor. Seule compte l’interaction entre les deux protagonistes, la femme et l’homme qui entrent dans un jeu de séduction. Ici, le seul repère spatial donné est un rectangle tracé en ouverture par la femme, comme un tapis imaginaire qui contraint l’espace et le temps de leur jeu. Un espace ritualisé où les deux individus ne pénètrent qu’après s’être déchaussés, l’une invitant l’autre à l’y rejoindre pour qu’à la fin le jeu s’arrête et que chacun sorte du «tapis».

Dans le rectangle, la femme mène le début de cette danse de couple, elle invite l’homme puis se laisse inviter à jouer. Le duo oeuvre avec délicatesse dans cet échange presque enfantin. Ils se cherchent, s’attirent et se repoussent en toute complicité. À chaque jeu, chacun donne à l’autre des indices sur ses intentions de séduction même si nous ne saurons jamais vraiment de quelle nature est leur relation : un origami se détourne en bouquet de fleurs, un colin-maillard en baiser volé, … .

Dans un rythme doux, les déplacements des corps sont presque chorégraphiés. Ils occupent l’espace intérieur du rectangle comme des danseurs investissent une scène. Leur spectacle est intime mais la réalisatrice nous l’offre comme une boîte à musique qu’on ouvre. À l’intérieur, la danseuse se meut puis s’éteint dès que le couvercle se referme, comme une parenthèse…

Sans mièvrerie, Joung Yumi suspend les quinze minutes de son film dans une bulle où l’on regarde ces personnages tout en retenue. C’est un regard original et doux sur la séduction qu’elle propose. La gentille désuétude qui flotte sur ce rendez-vous poétique gagne en puissance et en modernité par une maîtrise et un style formel très affirmé.

Festival de Clermont-Ferrand 2014

Jusqu’au 8/02, se déroule le festival de Clermont-Ferrand. Pour sa 36ème édition, le festival propose ses traditionnelles sélections de courts en compétition, organise un programme autour du centenaire de la première guerre mondiale, projette des courts avec et autour de Jeanne Moreau (collection Canal +), offre une carte blanche à Mezzanine Films et s’intéresse de près à l’école Tisch School of the Arts.

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    Retrouvez dans notre Focus :

L comme Love games

Fiche technique

Synopsis : Un homme et femme qui s’adonnent à des jeux amoureux. Assis sur un tapis imaginaire dessiné dans l’espace, ils plient et assemblent des pièces du Tangram, jouent au docteur et à l’infirmière, boivent du thé, jouent à cache-cache… Chaque jeu amoureux en entraîne un autre. Les situations stéréotypées se transforment en quelque chose d’unique ─ unique comme l’amour.

Genre : Animation

Durée : 15’

Pays : Corée du sud

Année : 2013

Réalisation : Joung Yumi

Son : SONG Youngho (Chungnam Techno Park)

Musique : Domenico Scarlatti, Sonata K 208 in A major

Production : KIM Kihyun

Article associé : la critique du film

Soirée Format Court, spéciale Court Métrange, jeudi 13 février, à 20h30, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème)

Après trois Prix Format Court remis au festival Court Métrange (Rennes) et au vu des dix ans de la manifestation, nous organisons notre prochaine projection Format Court aux couleurs du Festival, le 13 février prochain, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Découvrez lors de cette séance spéciale un aperçu de ce qui fait la force de Court Métrange, avec une sélection de films de fiction et d’animation étranges, insolites, aux formes bizarres et débridées, qui repoussent les limites du réel et laissent le spectateur hagard, perdu dans une sorte de rêve éveillé. Prenez goût à cet imaginaire fort et laissez-vous porter par ce florilège de courts issu d’un des plus intéressants festivals européens de cinéma fantastique, en présence de Cédric Courtoux (programmateur), Olivier Calmel (« L’Art des Thanatier ») et Renaud Bajeux (« Peau de chien »).

Programmation

Fuga de Juan Antonio Espigares, animation, 15’, 2012, Espagne,  Andale Films. Prix Format Court au festival Court Métrange 2013, Meilleur film d’animation au Festival de Sitges 2013

Syn. : Sara vient d’arriver au conservatoire de Ste Cécile et découvre qu’il y a plusieurs façons d’interpréter le prisme à travers lequel elle perçoit sa réalité et son talent.

Articles associée : la critique du film, l’interview du réalisateur 

L’Art des Thanatier de David Le Bozec, animation, 14’26, 2012, France, Butterfly Productions. Prix du Meilleur Film d’Animation au Festival International du Court Métrage de Drama (Grèce)En présence du compositeur Olivier Calmel et de la productrice, Pauline Seigland

Syn. : Au XVIIIe siècle, Prosper Thanatier, dernier né d’une longue lignée de bourreaux, exerce avec passion son métier qu’il considère comme un art. A l’aube de la Révolution, il se voit forcé d’abandonner ses outils et son savoir faire ancestral, au profit d’une toute nouvelle machine d’exécution. Privé de son ancien art de vivre, Prosper ne s’adapte pas au « progrès », et refuse de voir son rôle d’exécuteur relégué à une simple machine…

Comme des lapins de Osman Cerfon, animation, 8’, 2012, France, Je Suis Bien Content. Grand prix au Festival national du film d’animation de Bruz 2013 (France)

Syn. : Comme des lapins est le second volet des Chroniques de la poisse. L’homme à la tête de poisson poursuit sa balade mélancolique dans une fête foraine, distribuant au hasard ses bulles de malheur. Ainsi que son titre le suggère, il y est beaucoup question de lapins, mais que cela ne vous fasse pas oublier les corbeaux. Et si vous voyez dans ce film un portrait sordide d’une humanité mal barrée, c’est sans doute que vous avez l’esprit mal tourné.

Article associé : la critique du film

Un monde meilleur de Sacha Feiner, fiction, 23’30, 2012, Belgique, Suisse, France, Anga Productions, Panache Productions, Rita Productions. Prix du meilleur réalisateur au Festival Hollyshorts 2013 (Etats-Unis)

Syn. : Henry, citoyen zélé d’un état dictatorial impitoyable dont il suit les lois à la lettre, assiste du jour au lendemain à la transformation de ce monde froid en une étendue idyllique et caricaturale de champs verdoyants, chantants et libres..

Article associé : l’interview des réalisateurs

Peau de chien de Nicolas Jacquet, animation, 13’20, 2012, France, Joseph Productions. Prix Beaumarchais du festival Court Métrange 2013. En présence du compositeur Renaud Bajeux

Syn. : Pour échapper à une fin violente et certaine, un chien errant vole le manteau d’un mort. En le posant sur ses épaules, le chien disparaît et se dissimule dans la vie de son ancien propriétaire. Une étrange métamorphose s’opère, où le chien se change en homme. Il prend pour un jour la place de cet étranger et finira par rejoindre son destin.

The Heart of The World de Guy Maddin. Expérimental, 6’19 », Canada. Prix FIPRESCI et Prix du Meilleur court métrage au Festival de Miami 2001

Syn. : Anna, scientifique travaillant pour l’Etat, découvre que le cœur du monde est sur le point d’avoir une attaque…

Article associé : l’interview du réalisateur

En pratique

► Séance : Jeudi 13 février 2014, à 20h30

► Durée du programme : 70′

► Adresse : Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris

► Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Epée), BUS 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon)

► Entrée : 6,50 €

► Réservations vivement conseillées : soireesformatcourt@gmail.com

Pour faire la guerre de Cosme Castro et Léa Forest

Cela pourrait commencer comme un film d’Eric Rohmer, « Le rayon vert » par exemple. Sept cousins autour d’une table. Une discussion banale qui vire à la dispute. « Pour faire la guerre » présenté la semaine passée à Angers, dans le programme « Figures libres », commence ainsi, avec ce sens rare du dialogue, de la justesse. Premier court de Léa Forest et Cosme Castro, le film est un terrain de jeu au grand air pour ses sept acteurs tous étonnants – dont les réalisateurs eux-mêmes.

Cosme Castro et Léa Forest auraient pu filmer une « cousinade », ces fameuses réunions anxiogènes où l’on reprend contact avec des cousins éloignés ou volontairement oubliés. Mais leur film évite fort heureusement cette option généalogique et glisse vers un récit mélancolique puissant.

Avec une énergie jouissive et une apparente simplicité, ils font retomber en enfance sept adultes pas tout à fait sevrés. Après une fin de déjeuner un peu tendue, la découverte d’une valise emplie de déguisements apaise temporairement les nerfs et entraine le groupe à pratiquer leur jeu favori d’antan : faire la guerre. On fabrique des cabanes, on élabore deux camps, ça court, ça crie et la guerre fictive devient vite plus menaçante, plus changeante. Le jeu n’est plus drôle et malgré les moustaches dessinées au feutre noir, les garçons et les filles ne roulent plus des mécaniques.

On sent chez Léa Forest et Cosme Castro ce goût absolu pour le jeu – celui de l’acteur –, cet amour des visages de cinéma, de la troupe de saltimbanques dont ils font partie (on se souvient notamment de Cosme Castro dans « C’est plutôt genre Johnny Walker » et « Robert Mitchum est mort » d’Olivier Babinet).

Loin de la pose ou de la posture, plus proche de l’improvisation et du naturalisme, le jeune duo étonne et touche juste. C’est un autre jeune duo – de producteurs cette fois-ci, Punchline Cinema, qui accompagne les auteurs. Comme quoi, à deux on est plus forts.

Amaury Augé

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P comme Pour faire la guerre

Fiche technique

Synopsis : 7 cousins se retrouvent pour un dernier séjour dans la maison de leur enfance. Alors qu’ils s’ennuient, ils retrouvent la malle conservant les costumes avec lesquels ils se déguisaient pour jouer quand ils étaient enfants. Ils décident de lancer une partie de « Pour faire la Guerre » une dernière fois, le temps d’un après midi…

Genre : Fiction

Durée : 28’

Pays : France

Année : 2013

Réalisation : Cosme Castro, Léa Forest

Scénario : Cosme Castro, Léa Forest, Delphine Eliet

Image , Balthazar Lab

Montage : Cosme Castro

Son : Thomas Vivance

Interprétation : Bastien Bouillon, Cosme Castro, Léa Forest, Clara Hedouin, Mathias Pradenas, Paul Renoult, Justine Bachelet

Production : Punchline cInema

Article associé : la critique du film

Trespass de Paul Wenninger, Prix Format Court au Festival Premiers Plans d’Angers 2014

Après avoir délibéré autour de 22 films d’animation proposés dans la catégorie « Plans Animés » du festival Premiers Plans d’Angers, le choix du jury Format Court (composé de Amaury Augé, Katia Bayer, Agathe Demanneville, Camille Monin, Xavier Gourdet et Marc-Antoine Vaugeois) s’est finalement arrêté sur le film autrichien « Trespass » (2012), première réalisation de Paul Wenninger.

Ce chorégraphe et musicien qui expérimente depuis de nombreuses années différents médiums s’est dirigé vers le stop-motion et vient de présenter à Angers un film très soigné et très maîtrisé. Dans « Trespass », le réalisateur-interprète fait interagir son propre corps, la caméra, et les objets au sein de l’espace filmique pour créer une autre réalité, en parvenant à se détacher, pour quelques minutes, des contraintes du temps et de l’espace.

Le film bénéficie d’un dossier spécial en ligne et sera projeté le 10 avril 2014 dans le cadre des séances Format Court, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).

Trespass, 11′, 2012, Autriche, Sixpack Film

*** Local Caption *** Trespass, , Paul Wenninger, A, 2012, V'12, Kurzfilme

Synopsis : En anglais, « trespass » signifie s’immiscer, mais peut aussi faire allusion à une entrée non autorisée ou, dans le jargon légal, à une « perturbation domestique ». Ce film d’animation joue avec toutes ces significations.

Ilan Klipper : « Un artiste peut ressentir le besoin de s’isoler, de se calfeutrer pour créer comme il l’entend, sans être influencé par des interventions extérieures »

Ilan Klipper a déjà réalisé des longs-métrages documentaires, en duo avec Virgil Vernier (le diptyque sur la police composé de « Flics » et « Commissariat ») ou seul (« Saint-Anne », réalisé au sein de la célèbre institution psychiatrique). Il s’essaye à la fiction avec « Juke-Box », premier court-métrage remarquable et déjà salué dans les festivals. Lauréat du Prix One+One au dernier festival Entrevues de Belfort et plus récemment du Prix des Bibliothécaires lors de la dernière édition du festival Premiers Plans d’Angers, le film a retenu l’attention de Format Court qui est allé à la rencontre de ce jeune réalisateur talentueux.

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Format Court : Comment es-tu arrivé au cinéma ?

Ilan Klipper : J’étais d’abord journaliste à la télévision, je réalisais des petits reportages de treize minutes. J’ai aimé faire ça un temps mais je n’étais pas satisfait, je trouvais à chaque fois le rendu un peu vain. À un moment donné, j’ai eu l’opportunité de réaliser un reportage sur une école de police. J’ai proposé à Virgil Vernier qui commençait lui aussi à réaliser et qui avait du temps libre de venir faire ce reportage avec moi. On s’est retrouvé dans cette école de police où des instructeurs lançaient des grenades et tiraient au taseur sur les élèves. Ils avaient recréé un décor de rue dans l’enceinte de l’établissement et organisé des simulations avec des comédiens. On a décidé d’en faire le cadre de notre premier documentaire, qui est devenu « Flics », un long-métrage de 74 minutes que je considère aujourd’hui comme mon premier film.

On a tourné un second long-métrage, « Commissariat », en quelque sorte la suite du premier film, à l’occasion d’un stage pratique exercé par les élèves que l’on suivait dans « Flics ». Ce long-métrage est devenu autonome, même s’il entretient quelques correspondances avec le précédent opus. Ces deux documentaires ont été remarqués, puis j’ai obtenu l’autorisation de tourner dans un hôpital psychiatrique, à Saint-Anne. J’ai travaillé sur ce projet pendant un an et demi, c’est devenu ma première réalisation solo. Aujourd’hui, je travaille sur un nouveau film documentaire autour des affaires familiales, qui a pour cadre un palais de justice dans une petite ville de province. En parallèle, je développe mes premières fictions.

Il y a un fil conducteur qui apparaît dans chacune de tes réalisations : la récurrence d’espaces clos où des individus sont amenés à se livrer, à exprimer des pensées souvent hors-normes. Tu mets en place des dispositifs où les conventions volent progressivement en éclats, tu guettes l’instant où les choses vont se dérégler. J’ai l’impression que la dimension claustrophobique est importante.

I.K. : C’est très juste. Je suis moi même très claustrophobe, et c’est vrai que dans mes films, on retrouve de manière implicite ou frontale cette thématique de l’enfermement. Je ne l’avais jamais formulée de façon aussi limpide. Ça relèverait presque de quelque chose d’organique, d’inconscient chez moi.

Dans « Juke-Box », tu mets en scène un personnage de chanteur déchu, marginalisé, qui vit seul dans un grand appartement. D’où est venue l’envie de filmer ce personnage ?

I.K. : Pendant le tournage de « Saint-Anne », j’ai assisté à des visites à domiciles. Il s’agit de patients au long court qui ne donnent plus de nouvelles à leur médecin, qui disparaissent dans la nature. Le médecin essaye de contacter son patient, sa famille, et en dernier recours il finit par débarquer chez lui avec la police. J’ai essayé de filmer ça dans le cadre de ce documentaire. C’était très intéressant car à chaque fois, on pénétrait dans un univers : les patients avaient retourné leurs appartements, fait des trous dans les murs, construit des installations étranges. Ça c’est finalement révélé impossible à filmer, notamment à cause de la paranoïa des patients qui se méfiaient de la présence de la caméra. Je suis parti de cette expérience pour écrire un scénario de fiction.

Ensuite, est venue ma rencontre avec le chanteur Christophe, par hasard au sortir d’une projection. On a commencé à se fréquenter, on a joué au poker pendant un an, j’allais le voir en concert. À un moment donné, Sabrina (Seyvecou, actrice et compagne d’Ilan Klipper) et Christophe ont manifesté l’envie de travailler ensemble. Je leur ai alors proposé d’adapter le scénario inspiré des visites à domicile pour eux. J’ai réécrit le projet en y ajoutant une dimension artistique qui était fondamentale pour moi car je ne voulais pas tomber dans la redite par rapport à « Saint-Anne ». Je voulais aborder la question de la reconnaissance des artistes qui travaillent mais dont les oeuvres ne sont pas nécessairement reçues ou comprises, ceux qui continuent à créer dans leur coin et se retrouvent marginalisés.

Le film met en scène le rapport étroit entre la folie et la création artistique. Le personnage de Daniel s’est coupé du monde et se retrouve dans un état presque animal, à tourner en rond dans son appartement comme un lion en cage. On sent qu’il travaille à quelque chose, qu’il essaye de composer une chanson de façon très brouillonne. Ce n’est qu’à la fin du film, lors de cette envolée lyrique où, posté derrière ses machines, il donne vie à son morceau de musique que l’on comprend que la création passe par le ressassement, l’isolement voire le rejet du monde extérieur.

I.K. : Tu résumes bien mes intentions, même si pour moi, ça ne traite pas directement de la folie. J’ai voulu filmer un moment d’errance psychique, lorsque tu te lances dans le processus de création et que tu te retrouves dans un état d’incertitude très angoissant. Un artiste peut ressentir le besoin de s’isoler, de se calfeutrer pour créer comme il l’entend, sans être influencé par des interventions extérieures. Je voulais faire de la trajectoire de ce personnage une allégorie de cet état d’errance.

Le fait d’écrire pour Christophe a conditionné beaucoup de choses ?

I.K. : Je voulais faire ce film avec lui pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’il a lui-même connu dans sa carrière de chanteur des moments creux, la traversée du désert. Il comprenait tout à fait le sujet et le personnage. Il a également connu la psychiatrie, il a vécu des moments difficiles où il a failli sombrer. Je me suis dit que son expérience personnelle résonnerait parfaitement avec le sujet du film et en deviendrait même le centre. La possibilité de jouer sur différents niveaux de lectures, de questionner la frontière entre la fiction et le documentaire me plaisait.

Christophe a commencé à apparaître dans des courts-métrages, chez Yann Le Quellec (« Le Quepa sur la Vilni ! ») ou Isabelle Prim (« Déjeuner chez Gertrude Stein »). Dans ces films, les réalisateurs ne montrent de lui que son personnage public, celui qu’il s’est créé depuis des dizaines d’année (costume blanc, lunettes fumées, etc). Dans « Juke-Box », j’ai l’impression qu’il joue pour la première fois, qu’il compose un personnage.

I.K. : C’est drôle, car souvent des spectateurs qui sortent du film pensent que je me suis directement inspiré de lui, ils s’imaginent qu’il vit comme ça aujourd’hui, que c’est un artiste déchu. Alors qu’à la fin du tournage, Christophe est venu me voir pour me dire : « C’est la première fois que je suis comédien »? C’est probablement l’aspect du film dont je suis le plus fier, d’être parvenu à l’amener véritablement dans le jeu. Je lui ai offert son premier rôle.

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Sabrina Seyvecou joue un petit rôle dans le film, mais elle est également créditée au générique en tant que « directrice d’acteur ». Comment s’est déroulée cette collaboration au moment du tournage ?

I.K. : Sabrina et Christophe avaient une relation privilégiée, une envie de travailler ensemble. Il a fallu que je m’insère dedans. Sabrina croyait beaucoup au projet, elle était très investie. Sa contribution lors de la préparation du film était capitale, elle faisait la passerelle entre mes envies et Christophe pour l’aider à construire le personnage en amont. Ça s’est compliqué au moment du tournage où il a fallu trouver le juste dosage entre son travail de coach et ma mise en scène. C’était un fonctionnement assez complexe, mais indispensable.

Après ce documentaire sur les affaires familiales, as-tu d’autres projets de films ?

I.K. : Je travaille actuellement sur deux projets de longs-métrages que j’essaye de développer : un premier sur le mode documentaire centré sur la vie d’adolescents en province, et un autre projet de fiction qui serait dans la continuité thématique de « Juke-Box », focalisé sur un personnage qui ne sortirait que la nuit pour arpentait la capitale et qui ferait des rencontres insolites. Avec Christophe, évidemment, comme premier rôle.

Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois

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J comme Juke-Box

Fiche technique

Synopsis : Daniel est un chanteur qui, après avoir connu son heure de gloire, a plongé dans l’oubli. Il passe ses journées reclus dans son appartement. À force de tourner en rond, il est devenu confus et amer. Connaîtra-t-il de nouveau le succès ? Son obsession frôle la folie…

Genre : Fiction

Durée : 23′

Pays : France

Année : 2013

Réalisation : Ilan Klipper

Scénario : Ilan Klipper, Alicia Harrison

Image : Lazare Pedron

Son : François Meynot

Montage : Nicolas Boucher

Musique : Christophe

Interprétation : Daniel Bevilacqua, Sabrina Seyvecou, Marilyne Canto

Production : Ecce Films

Article associé : l’interview de Ilan Klipper

César 2014, les résultats du premier tour

Le premier tour de vote des César s’est arrêté hier, à minuit. Les résultats sont tombés aujourd’hui après la traditionnelle conférence de presse des César d’annonce des nominations. Voici les sept finalistes « courts » ayant leurs chances à la cérémonie des César, le 28 février prochain. Bouchon ! Nous en avons chroniqué quatre et projeté cinq en salle (le bien trop discret « Marseille la nuit »), dans le cadre de nos soirées Format Court.

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Meilleur Film de Court Métrage

Avant que de tout perdre de Xavier Legrand

Bambi de Sébastien Lifshitz

La fugue de Jean-Bernard Marlin

Les lézards de Vincent Mariette

Marseille la nuit de Marie Monge

Meilleur Film d’Animation

Lettres de femmes de Augusto Zanovello

Mademoiselle Kiki et les Montparnos d’Amélie Harrault

Concours : 10 places à gagner pour la reprise du palmarès court du festival Premiers plans d’Angers mardi 4/2 au Forum des images !

Dans le cadre de notre focus consacré au festival Premiers plans d’Angers, nous avons le plaisir de vous offrir 10 places pour assister à la reprise du palmarès d’une partie des courts primés à Angers le weekend passé. La séance, composée de 5 films, aura lieu le mardi 4 février prochain à 18h30, au Forum des Images.

Pour participer à ce concours, rien de plus simple, répondez à nos deux questions ultra faciles :

– Lequel des 5 films programmés a remporté le Prix Format Court au festival du film francophone du film de Namur ?

– Quel est le nom du film d’animation qui concourait ces jours-ci au César du meilleur film d’animation ?

Clôture du concours : lundi 3 février, 12H

Programmation

Norman de Robbe Vervaeke.  Belgique / 2012 / animation / couleurs / numérique / 10’. Prix de la création musicale – Courts métrages européens et français, films d’écoles

Norman est obnubilé par les gens qui passent dans la rue. Il est obsédé par de petits détails et des habitudes étranges. Nerveux et solitaire, il erre dans la ville. Il faut rester sur ses gardes face aux personnes étranges. Qui sait ce dont elles sont capables ?

Betty’s Blues de Rémi Vandenitte. France-Belgique / 2013 / animation / couleurs / numérique DCP / 11’. Prix du public – Courts métrages français

Un jeune guitariste tente sa chance dans un vieux bar de blues de Louisiane. Il évoque la légende de Blind Boogie Jones, dans la Nouvelle-Orléans des années 1920. Une histoire d’amour et de vengeance.

Lágy Eső (Bruine) de Dénes Nagy. Hongrie / 2013 / fiction / couleurs / numérique DCP / 28’. Grand Prix du jury – Court métrage européen

Dans un village hongrois, Dani, un adolescent élevé dans un orphelinat, tombe amoureux d’une fille de sa classe. Il essaye de se rapprocher d’elle de façon obscène et maladroite. Il ne comprend pas les règles du jeu de l’amour, personne ne lui en a jamais enseigné les règles.

Flocon de neige de Natalia Chernysheva. Russie / 2012 / animation / couleurs & noir et blanc / 5′. Grand Prix du jury – Plans animés

Un petit garçon africain reçoit un flocon de neige dans une lettre envoyée par un ami. Et là, le miracle commence.

Les Jours d’avant de Karim Moussaoui. France – Algérie / 2013 / fiction / couleurs / numérique DCP / 44’. Grand prix du jury – Court métrage français et Prix d’interprétation féminine pour Souhila Malem

Une cité du sud d’Alger, au milieu des années 90. Djaber et Yamina sont voisins mais ne se connaissent pas. Pour l’un comme pour l’autre, il est si difficile de se rencontrer entre filles et garçons qu’ils ont presque cessé d’y rêver. En quelques jours pourtant, ce qui n’était jusque là qu’une violence sourde et lointaine éclate devant eux, modifiant à jamais leurs destins.

Festival de Brest, les plus, les moins

Ce vendredi 31 janvier, le festival de Clermont-Ferrand rouvre ses portes. Avec ses trois sélections, ses cartes blanches et son pays à l’honneur (les États-Unis cette année), le rendez-vous mondial du court voit large. Rien qu’en sélection internationale, plus de 70 titres sont attendus. En comparaison, le festival de Brest, bien moins médiatisé et financé, offre plus de visibilité à un nombre restreint d’élus. À titre d’exemple, 42 films en compétition ont reflété, cette année comme l’année dernière, l’état de la production européenne.

Chaque année, les deux festivals permettent de faire de passionnantes découvertes. Au hasard des programmes, on se souvient ainsi avec enthousiasme des pépites de Clermont (« Tanghi Argentini », « John and Karen », « Deweneti », « Luksus », « Mademoiselle Kiki et les Montparnos », « Andong », « Oh Willy », …) comme celles de Brest (« Dounouia, la vie », « Höstmannen », « Baby », « Moja biedna glowa », « Ünnep » ou « Apele Tac »).

L’évènement clermontois n’ayant pas encore commencé, il nous est à ce stade difficile d’en parler même si quelques films nous sont très familiers (« Subconscient Password », Cristal du court à Annecy, « Lettres de femmes », préselectionné au César du meilleur court d’animation ou « Les Jours d’avant » (Prix Format Court au festival francophone du film de Namur, lauréat du Grand Prix du Jury des courts français à Angers ce weekend).

Nous vous proposons donc de revenir sur les derniers “crû brestois”. L’an passé, nous avions attribué pour la première fois un prix à l’un des films de la compétition européenne. Nous avions ainsi pu véritablement juger la programmation dans son ensemble. Le niveau général de la sélection nous était apparu excellent et certains films magnifiques s’étaient même invités dans nos top 5 de l’année 2012 (« Tiger Boy », « Abgestempelt », « Hiljainen viikko », « Flow », « Prematur » , notre Prix, pour ne citer qu’eux). Notre intérêt s’était par contre considérablement réduit devant les sélections française et Cocote Minute (films très courts). Moins subtiles et originales, elles alimentaient des programmes inférieurs en qualité que leur consoeur européenne.

Bonnes idées

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Cette année, à l’occasion de sa dernière édition, le festival de Brest a cultivé plusieurs bonnes idées. La première : avoir osé une affiche culottée et mis enfin les hommes à poil (voir ci-dessus). La deuxième : avoir installé une table de ping-pong à proximité des salles, faisant la joie des revers festivaliers. La troisième : avoir maintenu le cap sur l’Europe, son vrai fil rouge, via différentes séances permettant de découvrir des festivals (Go Shorts aux Pays-Bas et Vilnius Film Short en Lituanie) et une école de cinéma (E.C.A.M., Madrid). La quatrième : avoir libéré un créneau dans sa grille pour une carte blanche à Format Court (nous permettant entre autres d’offrir un peu de visibilité à de bons films peu montrés en festival (« Tania » , « Solecito » , « Mamembre »).

Violence & famille

Quant à la programmation, le festival a remis à l’honneur les films européens et français et remplacé son programme Cocote Minute par une sélection OVNI (films inclassables au niveau de la forme et du fond). À Format Court, nous nous sommes à nouveau focalisés sur les films d’ailleurs. Sur le papier, les 42 films retenus cette année en compétition étaient supposés refléter “toute la magie du cinéma européen”. Sauf que ladite magie n’a concerné qu’une poignée de films réellement fascinants/fabuleux/décalés (voire les trois en même temps).

Tous les deux primés par le Jury officiel, « Die Schaukel des sargmachers » et « Hvalfjordur » se sont distingués par l’intelligence, la maîtrise et l’émotion qui s’en dégagent. Récompensé du Grand Prix, le premier est un film d’école allemand réalisé par un jeune réalisateur très prometteur, Elmar Imanov. Très pudique, le film évoque le rapport difficile entre un père et son fils sur fond de Azerbaïdjan local. La montagne, les routes difficiles, la solitude, le handicap, la violence, le malaise intergénérationnel sont les clés de ce film dur, intense, profond. « Hvalfjordur », lui, précédemment repéré par notre équipe au mois de mai (le film était en compétition officielle à Cannes où il a remporté une mention spéciale), s’intéresse aussi à la complexité des rapports familiaux (une tendance décidément sociétale et cinématographique) via la relation entre deux frères, dans d’éblouissants décors naturels islandais. Dans son film, Gudmundur Arnar Gudmundsson scrute autant le passage à l’âge adulte, la solitude et l’émotion à l’état pur que les contrastes esthétiques et dramatiques. Le résultat, magistral, a offert au film le Prix européen du Conseil régional de Bretagne.

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Parmi les films repartis bredouilles, on repère deux autres excellentes propositions. Du côté de la Grèce, un film difficile, « 45 Vathmi » de Georgis Grigorakis, évoque le quotidien d’un père de famille au chômage, aidé financièrement par son beau-frère, chauffeur de taxi. Un jour de grosse chaleur, celui-ci lui propose de gagner beaucoup d’argent en échange d’une descente musclée dans un quartier immigré d’Athènes. Loin de la Grèce-carte postale, « 45 Vathmi » n’échappe pas à son actualité (la crise et le mouvement Aube dorée) pour nous parler de torpeur, de lâcheté, de violence crue, de normalité et d’hypocrisie.

Autre film évoquant la violence contemporaine : « Colectia de arome » de Igor Cobileanski, venant de Roumanie et de Moldavie,  projeté ces jours-ci à Clermont. Le film est porté par une bonne idée scénaristique et deux jeunes comédiens très convaincants. Il s’intéresse à deux enfants travaillés par des questions de leur âge (“Qui est le plus fort ? Bruce Lee ou Mike Tyson ?”) mais qui sont incités par leurs propres pères à se battre contre d’autres jeunes pour nourrir leurs familles respectives. À l’instar de son homologue grec, Igor Cobileanski ne juge pas la situation ni ses personnages. La pauvreté marque les protagonistes et leur environnement. La seule porte de sortie est la violence, synonyme d’enrichissement et de survie. Les valeurs humaines, elles, ne comptent plus.

À côté de ces quatre films brillants, deux autres courts vus à Brest, traitant eux aussi de violence, soulèvent des questions tant leur réalisation et/ou leur histoire pose problème.

Commençons par l’espagnol « Aquel no era yo ». Certes, le film de Esteban Crespo concourt pour l’Oscar du meilleur court métrage (avec « Avant que de tout perdre » de Xavier Legrand et trois autres chanceux). Seulement, cette histoire se passant en Afrique, dans une zone de guerre interethnique, provoque un certain malaise. Lorsqu’un couple de médecins espagnols en mission humanitaire est arrêté par une milice d’enfants soldats, dirigée par un Général fou à lier, l’espoir est aussi mince que la tension est palpable. Comment retrouver l’insouciance de la jeunesse quand on est une machine à tuer, âgée de dix ans ? Comment apprendre à pardonner quand on a perdu son double et qu’on a subi un viol ? Comment vivre après la guerre et pourquoi témoigner ? Le film propose ses propres réponses via des flashbacks et le témoignage d’un ex-assassin racontant son histoire à des adolescents de son âge. Parmi les points forts du film, relevons le traitement du mal et de la tension ainsi que les sentiments d’appartenance/d’exclusion à une communauté et de culpabilité/d’acceptation face à la violence. Parmi les points faibles, certaines images insoutenables ne passent pas tout comme le tire-larmes appuyé provoqué par les gros plans et la musique de fin. Dommage.

Autre film du genre pas assez abouti à nos yeux : « Skin » de Cédric Prévost. Dans le métro parisien, à une heure tardive, une jeune femme noire cherche à éviter un homme louche, passablement ivre, au regard hagard. Il la rattrape cependant dans un couloir et lui réclame son portefeuille, en la menaçant d’une arme. S’ensuit un dialogue où il est question de skinheads, d’amour, de fratrie et de crime raciste. Malgré un début réussi, un casting efficace (Fatou N’Diaye, Grégory Givernaud) et une tension ressentie de A à Z, le film ne prend pas. La faute à un simpliste “pardon” peu significatif et un clap de fin survenu trop tôt ou trop tard.

Du côté des comédies

Pour souffler un peu entre ces films durs, Brest a heureusement retenu quelques comédies. Si « Stufe Drei » de Nathan Nill (Allemagne) et « Metube » de Daniel Moshel (Autriche) peuvent passer pour des films sympathiques (le premier confronte un jeune délinquant à un groupe handicapés, le deuxième propose un air d’opéra décalé), deux autres comédies, bien ficelées quoique très différentes, nous ont réellement marqués. En premier lieu, « Misterio », réalisé par un auteur espagnol que nous avions déjà repéré par le passé, Chema Garcia Ibarra, auteur de  « Protoparticulas ». « Misterio » évoque le quotidien plus que banal de Trini, une femme d’âge moyen passionnée par l’exploration de l’espace et les chats (malgré son allergie à ceux-ci). Sa vie bascule le jour où elle apprend que le fils d’une connaissance est en contact étroit avec la Vierge. Complètement décalé, assumant des silences et des plans totalement absurdes, le film dénote par son aspect totalement ubuesque et son invitation au voyage, aussi lointain soit-il. Le film a remporté notre Prix Format Court et a emmené son réalisateur dans de nombreux festivals, en premier lieu à la Berlinale et tout récemment au festival de Sundance.

Dans un tout autre genre comique, isolons « Locked Up », une comédie brève de Bugsy Riverbank Steel. Le film raconte avec un humour de situation sans pareil le braquage d’une banque tournant mal, avec comme originalité celle de coincer ses protagonistes à proximité des lieux de leur méfait et de libérer leur parole de malfrats amateurs. Ping-pong verbal, humour en cascade, nonsense, huis clos : le savoureux « Locked Up » nous ravit et nous renvoie à « Höstmannen », un autre film (suédois) découvert il y a quelques années à Brest, racontant également le quotidien de pauvres minables.

Voilà pour les réussites humoristiques et décalées de Brest. Du côté des comédies recalées vues au festival, mentionnons « La femme qui flottait » de Thibault Lang Wilar, un polar totalement inintéressant sur deux voisins cherchant à faire disparaître une jeune femme inconsciente, retrouvée dans la piscine d’un d’eux. Service minimum des comédiens, chute pas drôle, histoire peu originale : l’ennui est de mise devant ce film censé représenter la France à Brest. L’ennui, c’est ce qu’on retrouve aussi devant « Arbuz », un film d’école polonais de Tato Kotetishvili, évoquant la concurrence entre deux vendeurs de pastèques aux abords d’une route peu fréquentée. Difficile de déterminer la substance de film bien fade, mis à part son énergique lancer de grosses pastèques.

Drôle de drames

Dernière catégorie de ce reportage brestois : les films dramatiques. Du côté de l’originalité et de la différence, difficile de passer à côté de « Stew and punch » du britannique Simon Ellis. Auteur de nombreux courts, le réalisateur du très remarqué « Soft », Prix du Jury à Sundance en 2008 (chroniqué il y a quelques temps sur notre site), nous propose cette fois un film en “trois actes, trois pièces et trois prises de vues.” Lorsqu’un couple accueille des amis à sa pendaison de crémaillère, le ponche s’invite à la fête et les langues s’autorisent tous les excès. Paré d’une mise en scène très maîtrisée, d’un sens du plan-séquence et de comédiens au jeu très naturel, « Stew and punch » fait partie de nos films préférés vus à Brest.

Dans un tout autre genre, on retrouve « Chefu » de Adrian Sitaru, sélectionné à Indie Lisboa, Rotterdam et Oberhausen. Adrian Sitaru est l’auteur de plusieurs courts à succès. Son dernier projet, « Chefu », illustre la relation entre un fils et sa mère de retour chez elle après quelques jours passés à Bucarest. Pendant son absence, son fils resté seul à la maison a organisé une fête, ce qui a déchaîné les passions des voisins de l’immeuble. Dénonciation, suspicion, rapports de proximité, esprit de famille. Adrian Sitaru prend tout son temps pour croquer ces thèmes avec subtilité et grande intelligence.

Terminons avec nos deux derniers recalés. « Lucas », de l’Espagnol Álex Montoya, évoque l’histoire d’un adolescent cherchant à améliorer son quotidien et à s’intégrer parmi les jeunes de sa classe en acceptant de faire des photos “innocentes” chez un particulier. En voulant explorer les limites de la jeunesse et de l’autonomie, le réalisateur propose un drame tendu ayant trait au voyeurisme, à la pédophilie et à la quête de soi sans grande valeur. Si l’innocence de l’adolescent disparaît au fur et à mesure que le vrai visage de l’adulte surgit, il manque indéniablement de la substance à ce film pourtant shortlisté pour les Goyas (les Oscars espagnols).

Quant à « 216 mois » de Valentin et Frédéric Potier déjà peu apprécié au festival de Grenoble, il cumule toujours de curieuses idées. L’histoire, d’abord, celle d’une chanteuse ventriloque obèse, enceinte en secret de son fils âgé de 18 ans (comprenez 216 mois) et refusant la liberté à ce dernier. Les aberrances scénaristiques, ensuite : la naissance accidentelle de l’enfant, son histoire d’amour, son futur role de père. L’univers visuel, enfin : le cocon dans lequel évolue l’enfant, censé représenter le ventre maternel, souffre d’un manque de crédibilité, faute de moyens peut-être. Dans ce film, les thèmes imaginés (l’emprisonnement, le mensonge, le chantage, l’amour filial et conjugal) ne marchent pas une seule seconde à l’écran. Dommage tant le refus de couper le cordon était une bonne idée de base.

Voilà pour les plus et les moins de Brest. Malgré tout, le festival reste à nos yeux un repaire incontournable de nouveaux auteurs européens. Raison pour laquelle, comme l’an passé, nous organiserons une nouvelle séance autour du festival de Brest, le jeudi 13 mars 2014 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). « Die Schaukel des sargmachers », « Hvalfjordur », « Misterio », « Locked Up » ainsi que « Miniyamba » et « Guillaume le désespéré », seront présentés sur grand écran, en présence de leurs équipes.

Katia Bayer

Clermont-Ferrand 2014 : SRF, Bar des Réalisateurs et débat « Du court au long »

À l’occasion du festival de Clermont-Ferrand, la SRF (Société des Réalisateurs de Films) invite les festivaliers à se rendre au traditionnel Bar des Réalisateurs qui se tiendra du mardi 4 au vendredi 7 février de 18h à 20h à l’Hôtel Océania (82, boulevard François Mitterand, en face de la Maison de la Culture).

Pendant le festival, la SRF organise également un débat le jeudi 6 février à 14h30 à l’espace Forum du Marché du film autour du passage du court au long. Hélier Cisterne (« Vandal ») et Thierry de Peretti (« Les Apaches ») évoqueront les étapes qu’ils ont eu à franchir pour que leur premier long-métrage voie le jour en 2013. Ils témoigneront de leur expérience et échangeront avec les réalisateurs de court-métrage présents. Le débat sera modéré par Frédéric Farrucci, cinéaste élu au Conseil d’Administration de la SRF.

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Festival d’Angers, le palmarès court 2014

La vingt-sixième édition du festival Premiers Plans d’Angers s’est achevée ce weekend lors de la cérémonie de clôture au cours de laquelle le palmarès a révélé les coups de cœur des différents jurys, incluant le tout récent prix Format Court. Voici la liste des films primés, côté courts.

Palmarès

Grand Prix du Jury court-métrage Européen : Lágy Eső (Bruine) de Dénes Nagy, Hongrie (Hongrie)

Prix du Public court-métrage Européen : La lampe au beurre de Yak de Hu Wei (Chine, France)

Grand Prix du Jury court-métrage Français : Les Jours d’avant de Karim Moussaoui (France/Algérie)

Mention spéciale du Jury court-métrage Français : Zakaria de Leyla Bouzid (France)

Prix du Public court-métrage Français :Betty’s Blues de Rémi Vandenitte (France/Belgique)

Prix CCAS court-métrage Français : Ceux qui restent debout de Jan Sitta (France)

Prix des Bibliothécaires court-métrage Français : Juke-Box de Ilan Klipper (France)

Prix d’interprétation féminine court-métrage : Souhila Mallem dans Les Jours d’avant de Karim Moussaoui (France/Algérie)

Prix d’interprétation masculine court-métrage : Hugo Six et Alexis Delaporte, dans Les Brigands d’Antoine Giorgini (France)

Grand Prix du Jury Plans Animés : Flocon de Neige de Natalia Chernysheva (Russie)

Prix Arte Plans Animés : Rabbitland de Ana Nedeljkovic et Nikola Majdak Jr. (Serbie)

Prix Format Court Plans Animés : Trespass de Paul Wenninger (Autriche)

Grand Prix du Jury films d’écoles Européens : The Shirley Temple de Daniela Sherer (Royaume-Uni)

Prix spécial du Jury et Prix des étudiants d’Angers films d’écoles Européens : A Vokte Fjellet (To Guard a Montain) de Izer Aliu (Norvège/Albanie)

Mention spéciale du Jury films d’écoles Européens : Shopping de Vladilen Vierny (France)

Prix du Public films d’écoles Européens : Montenegro de Luiz Stockler (Royaume-Uni)

Prix de la création musicale courts-métrages et films d’écoles : Ruben Gheselle pour Norman de Robbe Vervaeke (Belgique)

Prix du Public à un scénario de court-métrage : Leçon de conduite de Stella Di Tocco et Annarita Zambrano (France)

Betty’s Blues de Rémi Vandenitte

L’histoire du blues sur fond de racisme et de désespoir amoureux. Ces thèmes ne sont pas très gais et pourtant, le réalisateur belge Rémi Vandenitte a de quoi se réjouir en ce début d’année 2014 : son film Betty’s Blues a déjà été sélectionné dans 59 festivals aux quatre coins de la planète (Anima, Annecy…) en plus de figurer parmi les 10 films présélectionnés dans la catégorie animation aux César 2014. Rémi Vandenitte est licencié en illustration aux Beaux-Arts de Bruxelles et en cinéma d’animation à La Cambre et, avec ce premier film post-école, il laisse à penser que sa carrière ne s’arrêtera pas là. Betty’s Blues, co-produit avec la France (Les Films du Nord, les Trois Ours et Lunanime), concourt ces jours-ci au 26e Festival Premiers Plans d’Angers.

Le film raconte l’histoire d’un jeune guitariste qui tente sa chance dans un vieux bar de blues de Louisiane en chantant la légende de Blind Boogie Jones. Ce dernier était un musicien de la Nouvelle-Orléans des années 20 qui a connu une histoire d’amour puis de vengeance suite à des actes racistes. Pour évoquer le flash-back, ou tout du moins, la plongée dans la légende de Blind Boogie Jones, Rémi Vandenitte a eu l’ingénieuse idée de mettre en place deux techniques différentes : les marionnettes en stop motion pour ce qui est de la vie réelle, du présent du film, et l’animation 2D traditionnelle pour ce qui est du passé ou de la fable racontée. Néanmoins, les deux techniques restent connectées puisqu’elles respectent l’une et l’autre l’univers de la Louisiane, de l’esclavage et du blues : les marionnettes sont brutes et boisées, évoquant la couleur noire de la peau des esclaves ainsi que leur vie laborieuse dans les champs, et l’animation 2D rappelle la linogravure, assez utilisée à cette époque et dans les BD autour de l’histoire de la musique jazz & blues. Si bien que de la pénombre de ce bar où le guitariste entonne sa chanson devant une petite assemblée blasée, on plonge naturellement dans les tristes mésaventures de Blind Boogie Jones, et on passe d’une animation à l’autre sans soubresauts.

Il faut dire que la musique conduit à la perfection les images et les changements d’époque puisque sa propre histoire est évoquée ici: du blues et du boogie de grande qualité nous entraînent tout le film durant. Autrement dit, la musique est à la fois utilisée pour raconter l’histoire et être racontée. Elle accompagne l’intrigue, crée des rebondissements et donne le ton. Par ailleurs, Blind Boogie Jones se sert de cette même musique dans son histoire d’amour puis pour sa vengeance : il vit une romance avec une jeune fille qu’il a attiré par ses rythmes à la guitare, puis après l’avoir perdue à cause d’un groupe du Ku Klux Klan et être devenu aveugle, il hérite d’un don musical venu des limbes qui fait danser absolument tous ceux qui l’écoutent. Sa musique fédère les gens jusqu’à ce qu’il retrouve les blancs esclavagistes coupables de son malheur qui, ne sachant pas danser, vont courir à leur perte en écoutant ces rythmes de blues quasi endiablés. On a donc ici les origines fantasmées du blues en pleine ségrégation américaine : une musique avec un rythme afro et des propos porteurs d’espoirs chantés par des Noirs au cœur d’une histoire tragique, celle de l’esclavage et du racisme.

Rémi Vandenitte parvient littéralement à nous emporter avec son film en mêlant à merveille les aspects techniques et musicaux à la narration artistique. On notera peut-être un petit manque de rythme sur la fin, mais on demeure cependant séduit par ce premier film, qu’on apprécie ou non le blues, qui plus est parce que le réalisateur a su faire de cette histoire cruelle un réel conte musical porteur d’un message universel.

Camille Monin

Premiers Plans 2014

Pour sa 26e édition, le festival Premiers Plans d’Angers fait à nouveau la part belle aux courts-métrages en proposant à ses festivaliers un éventail de sélections riches et variés. Dans la compétition, un programme de premiers courts-métrages français, un autre de premiers courts européens et deux sélections de films issus d’écoles de cinéma nous donnent l’occasion de découvrir un panorama de la jeune création de courts-métrages et de ses auteurs émergents dans toute l’Europe. Pour la première fois cette année, six rédacteurs de Format Court (Amaury Augé, Katia Bayer, Agathe Demanneville, Camille Monin, Xavier Gourdet et Marc-Antoine Vaugeois) composeront un jury qui décernera un prix à un court-métrage de la sélection des Plans Animés. Le lauréat bénéficiera d’un focus en ligne et verra son film projeté lors d’une séance au Studio des Ursulines, à Paris.

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D’autres sélections et programmes parallèles du festival permettent également de faire des (re)découvertes. Hors compétition, les « Figures Libres » mettent en avant des courts-métrages hors normes, souvent trop singuliers pour s’insérer dans la compétition. Du côté des rétrospectives, celle consacré à Lars Von Trier propose de découvrir les courts de ce réalisateur danois de premier ordre, tandis que le programme « Métamorphose » invite à découvrir cinq courts-métrages tournant autour de cette thématique, du très récent « Junior » de Julia Ducourneau au classique « Your Face » de Bill Plymphton. L’occasion de réviser ses classiques et de faire le plein de nouveaux films en ce début d’année !

Marc-Antoine Vaugeois

Retrouvez dans ce focus :

La critique de « Pour faire la guerre » de Cosme Castro et Léa Forest (France)

L’interview de Ilan Klipper, réalisateur de « Juke-Box » (France)

– Concours : 10 places à gagner pour la reprise du palmarès court du festival Premiers plans d’Angers mardi 4/2 au Forum des images !

Festival d’Angers, le palmarès court 2014

La critique de « Betty’s Blues » de Rémi Vandenitte (France, Belgique)

Festival d’Angers, la sélection des courts français et européens, des films d’écoles européens & des figures libres

Nouveau Prix Format Court au festival Premiers Plans d’Angers

Short Screens #34: Prison, Inside Out

Avec son titre évocateur, Short Screens démarre l’année en force en proposant cinq courts documentaires qui bousculent les clichés de l’imaginaire carcéral. Des œuvres éloquentes, issues de la rencontre entre artistes en liberté et artistes en détention, qui explorent chacune à leur manière les recoins de la prison, ce monde caché et habité par des oubliés de la société. En créant des ponts entre l’intérieur et l’extérieur, infime espace de liberté, les films laissent entrevoir un dialogue; tantôt cri tantôt murmure.

En présence de Valérie Vanhoutvinck, Naser Naziri, Ravel Dilua et Maxime Le Hung.

Rendez-vous jeudi 30 janvier 2014 à 19:30, au cinéma Aventure, au 57 Galerie du Centre à 1000 Bruxelles.

Un projet à l’initiative de l’asbl Artatouille et Format Court

PROGRAMMATION:

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