Sacha Feiner : « Les effets spéciaux manuels sur le plateau, en image par image, correspondent à ma culture cinéma : j’avais envie de tester à ma manière des techniques qui ont fait les films que j’aime »

Sacha Feiner et son bras droit, Chloé Morier, nous parlent de leur premier film « Un Monde meilleur » qui a été projeté au dernier Festival européen du film court de Brest après avoir écumé les festivals aux quatre coins du globe et remporté notamment le prix du meilleur réalisateur au HollyShorts Film Festival de Los Angeles.

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Qu’est-ce qui vous a amenés tous les deux à faire des films ?

Sacha : J’ai commencé à étudier la communication et le graphisme dans une école d’art à Bruxelles, La Cambre. Pendant mon cursus, j’ai expérimenté des choses et commencé à mêler le graphisme et d’autres formes. Puis, j’ai fait de petites animations interactives, parallèlement à ce que je bricolais déjà chez moi à l’époque. Je me suis intéressé à l’animation et j’ai fait un stage dans ce domaine.

Par la suite, j’ai montré mon travail de fin d’études aux organisateurs du Festival BIFFF en 2007 et ça leur a plu. Je leur ai proposé de projeter des petits films en avant-programme pendant le festival. Comme c’était très accessible, ils ont accepté. J’ai fait ces avants-programmes trois années d’affilée.

Chloé : Pour ma part, je suis dentiste, donc pas du tout dans le cinéma ! Quand Sacha et moi nous sommes mis en couple, j’ai commencé à lui donner un coup de main sur le Gremlins fan film. Je l’ai aidé le soir ou après le travail à animer les marionnettes, à bouger le fond bleu, etc. Pour ses projets, Sacha fait toujours participer ses proches : son père, son grand-père ou sa grand-mère, en gros tous ceux qui ne peuvent pas dire non !

Puis sur le projet Unsafe, j’ai remplacé au pied levé le co-réalisateur sur les derniers jours de tournage. On s’est rendu compte qu’on aimait bien travailler ensemble, qu’on se complétait bien. Je comprenais rapidement ce que Sacha voulait et j’ai fini par travailler sur chacun de ses projets de façon naturelle. Quand il a eu un dossier de financement pour son film « Un Monde meilleur », il a voulu qu’on travaille ensemble et que je sois son bras droit. Là, ça ne concernait plus les soirs et les weekends. J’ai choisi de faire une pause dans mon travail. Je travaille maintenant à plein temps sur les films de Sacha, je fais un peu de tout.

Sacha : On a fait aussi ensemble les re-takes [ndlr : les prises de vues supplémentaires après tournage] et toutes les maquettes que l’on a construites et filmées ensemble. Chloé m’a aidé, elle a fait tout ce que je n’avais pas eu le temps de faire.

Sacha, qu’est-ce qui t’a donné envie de te mettre au court métrage ?

Sacha : Il s’agit d’une envie que j’ai depuis toujours et je suis à peine en train de m’y frotter vraiment. Au départ, je faisais des films matériellement possibles à mon échelle et qui pouvaient bénéficier d’un minimum de visibilité. Je ne voulais pas me lancer dans un long métrage avec une mini-DV !

Comment s’est passée la transition entre la petite chambre où a été tourné « Unsafe » et le studio où a été tourné « Un Monde meilleur » ?

Sacha : La transition ne s’est pas vraiment faite d’un point de vue matériel. « UnSafe » ne nous a pas permis de véritablement préparer « Un Monde meilleur ». Un producteur avait vu mon travail et avait envie de produire un de mes courts depuis un moment. J’ai écrit ce scénario, mais il n’y avait pas de lien direct si ce n’est dans la thématique.

J’aime bien mettre dans mes films des petites allusions à mes courts précédents. Je fais ça pour moi, ça m’aide à rester cohérent et à savoir ce qui est possible dans ce monde que je continue d’explorer. C’est peut-être aussi grâce à ce parcours-là que « Un Monde Meilleur » possède ce côté artisanal. Les effets spéciaux manuels sur le plateau, en image par image, correspondent à ma culture cinéma : j’avais envie de tester à ma manière des techniques qui ont fait les films que j’aime.

Au générique de tes films, ton nom apparaît souvent. C’est étonnant de voir autant de tâches accomplies par le réalisateur. Comment as-tu pu techniquement apprendre tous ces postes ?

Sacha : À vrai dire, ce sont des postes que j’ai envie de faire moi-même. Tant que c’est à cette échelle-là, c’est faisable. Je me donne les moyens de les faire. Et puis, à chaque fois, il y a un peu d’expérimentation et d’échec avant d’y arriver.

À ce stade, j’aime bien me prouver qu’il y a des choses que j’arrive à faire tout seul. J’en tire plus de satisfaction, et pour un projet comme celui-là, sans beaucoup d’argent, j’ai des scrupules à demander aux autres de travailler pour moi. Finalement, faire moi-même les choses, c’est une solution de facilité.

Chloé : Sacha a aussi un niveau d’exigence assez élevé, c’est quelqu’un d’assez carré. Pour « Un monde meilleur », on a dû s’entourer d’une équipe parce que la production l’exigeait et voulait que Sacha se mette à travailler en groupe, à collaborer et à déléguer certaines tâches. Cela a été extrêmement difficile, notamment lorsqu’il a fallu confier certains travaux de décoration alors que Sacha avait des idées très claires depuis l’écriture du film. Tout avait déjà été planifié. Ça a été très dur pour lui, la décoration du film ne prenait pas toujours la forme qu’il avait imaginée.

Sacha : Oui, j’ai refait le plafond d’un des décors la nuit précédant le début du tournage parce que ça ne correspondait pas à ce que j’avais demandé. Je suis conscient d’être atteint du syndrome de la « perfectionite aiguë » mais j’ai agi ainsi parce que je savais que c’était possible. Il n’y avait quasiment qu’un seul acteur tout le temps, le plan de travail était bien maîtrisé. C’était donc tout à fait faisable.

Peux-tu nous parler de tes références pour « Un Monde meilleur »? Quels réalisateurs ou quels films ont pu t’inspirer ?

Sacha : Il y a plein de références à ce film et tout cela s’entrecroise plus ou moins : « Brazil » de Terry Gilliam, mais aussi Stanley Kubrick dans mon obsession de vouloir faire des plans bien symétriques, Jacques Tati également avec notamment « Playtime ».

Pour ce film, j’ai eu l’impression de mettre en scène un film d’animation sans référence particulière. Je voyais les personnages comme des marionnettes, c’était très découpé, très fixe, ça s’accordait avec l’univers, mais j’avais l’impression de faire de l’animation avec des acteurs live.

J’ai déjà expérimenté beaucoup de choses dans un univers « orwellien ». Ce qui m’intéressait, avec ce film, c’était de raconter une histoire dans ce genre d’univers mais uniquement en prenant du recul par rapport à mes premiers essais.

La plupart des films de science-fiction qui se passent dans une dictature parlent souvent de l’histoire d’une personne voulant sortir du système et luttant pour en sortir. Ça m’a semblé intéressant d’essayer de faire l’inverse en arrêtant le système et en montrant le parcours de la seule personne voulant y rester. Cela correspond à ce que j’ai le plus envie de montre et de dénoncer dans le monde actuel, c’est ce qui me parle le plus, qui m’inspire, qui me fait réagir et involontairement rire le plus.

On est très surpris des réactions des gens devant le film. Tout le monde ne voit pas le film de la même manière. On a montré « Un Monde meilleur » dans plusieurs festivals en Europe et les gens réagissaient peu et souriaient parfois, sans plus. Aux Etats-Unis, le film a été projeté au festival HollyShorts et les gens l’ont vu complètement différemment. Ils ont ri du début à la fin, comme au cirque, à chaque fois qu’il y avait quelque chose à remarquer. Ils ont vraiment perçu le film de la manière dont je l’avais écris.

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Comment s’est passé le travail avec Vincent Kohler qui joue le personnage de Henry ?

Chloé : Le casting s’est fait assez naturellement puisque Vincent est mon oncle ! Il est acteur en Suisse, il est assez connu dans son pays, il fait beaucoup de spectacles, d’émissions de radio et de télévision. Il est très à l’aise avec l’improvisation et est capable de jouer dans des registres très différents. Avec Sacha, ils se sont très vite trouvés tant humainement qu’artistiquement.

Sacha : Ceux qui ont vu le film disent que le personnage était fait sur mesure pour Vincent. Ça ne correspond pas du tout à ce qu’il fait habituellement dans ses spectacles ou au théâtre. En commençant à écrire le film, je n’avais pas spécialement pensé à lui, puis, au moment du story-board, je me suis rendu compte que c’est lui que je dessinais. Cela s’est fait assez naturellement. Après, il en a bavé, la mise en scène était vraiment au millimètre et je ne l’ai pas épargné. J’ai obtenu ce que je voulais et il était content d’avoir quelqu’un qui savait ce qu’il voulait.

Avez vous des projets en cours ?

Sacha : Nous venons d’obtenir une subvention de la commission du cinéma de Belgique pour un petit projet d’animation. C’est une histoire qu’il n’était pas possible de raconter avec des acteurs, il y aura des décors en cartons et ce sera en noir et blanc.

J’ai aussi un projet plus ambitieux de long métrage dont je viens de commencer l’écriture. Le film va parler des problèmes institutionnels et des mouvements séparatistes belges et de la façon dont un pays si minuscule veut être encore plus petit. Pour évoquer tout le potentiel de destruction que cela véhicule, j’aimerais faire apparaître un monstre géant ! C’est tellement l’inverse du film belge type que cela ne peut qu’intriguer.

Grâce à mon « Gremlins Fan Film », les créateurs des marionnettes originales des Gremlins, Rick Baker et Chris Walas (qui a eu un Oscar pour « La Mouche » de Cronenberg), me soutiennent. Ils sont d’accord pour créer le monstre de mon film. Ces gars étaient mes idoles quand j’étais gosse, maintenant ils m’invitent à déjeuner, grâce à ce petit film que j’ai fait dans ma cave !

Propos recueillis par Julien Beaunay

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