Guy Maddin : « Les films perdus ont souvent eu une fin tragique, la plupart n’ont pas trouvé de lieu pour reposer en paix »

À l’occasion de sa venue à Paris en juin dernier pour une masterclass organisée par ED Distribution à l’Espace St-Michel, nous avons posé quelques questions à Guy Maddin sur son travail et le rapport étroit qu’il entretient avec la forme courte. Il nous a répondu avec la ferveur et la franchise qui le caractérisent et en a profité pour nous livrer les clés du grand projet de « Spiritismes » qu’il a mené ces derniers jours au Centre Pompidou.

Format Court : Pourriez-vous nous décrire votre vision du cinéma ?

Guy Maddin : Mon approche du cinéma a toujours été liée à l’intime. J’ai su, lorsque que j’ai commencé à faire des films, que je serais en décalage avec les autres réalisateurs. Je ne me voyais pas faire des films avec une image très léchée et sophistiquée, je me vois plutôt comme un artisan dans son établi. Je me suis dit que ma seule chance de me démarquer était de me consacrer à un cinéma plus primitif, presque enfantin, voire surréaliste. N’étant pas un réalisateur très expérimenté, je pensais qu’il fallait impérativement que mes films soient très personnels afin que ce côté surréaliste vienne de mon coeur, de mes rêves ou du plus profond de ma mémoire. Très tôt, j’ai décidé de faire un cinéma personnel aussi pour éviter d’être taxé de « arty » ou de « branleur ».

Qu’est-ce que représente le court métrage pour vous ?

G.M. : Pour beaucoup de réalisateurs, le court métrage est juste une étape, un passeport pour faire des longs métrages. C’est l’occasion de prouver à des investisseurs, à des producteurs et à eux-mêmes qu’ils peuvent faire un long métrage. Une fois le passage au long métrage réalisé, ils arrêtent le court métrage. Je trouve cette attitude assez irrespectueuse. Le court métrage devrait être perçu et reçu par le public comme le sont les nouvelles en littérature. Il est d’ailleurs communément admis que les écrivains alternent entre romans et nouvelles. Je ne sais pas pourquoi il en est ainsi, en tout cas je me sens proche de cette conception de l’histoire courte.

Pour moi, certaines histoires, certaines impressions que l’on veut faire passer ont seulement besoin de quelques minutes. Vouloir étirer artificiellement cette durée me paraît ridicule. De mon point de vue, le court métrage est un bon moyen pour garder la main entre deux longs métrages : après plusieurs années sans faire de films, je me sens un peu rouillé, j’oublie comment réaliser ou diriger mes acteurs. Sur un long métrage, l’ambiance est souvent électrique les premiers jours. Si je fais un court métrage, je peux retrouver mes marques dès les premiers instants du tournage. Parfois, il m’arrive aussi de faire des court métrages seulement parce que je me sens seul ou parce que je n’ai pas vu mes amis depuis longtemps. Quand j’ai dix bouteilles de tequila en stock, mille films en tête et la maison de ma mère pour le weekend, je me dis : “Faisons un film !”. J’espère personnellement ne jamais arrêter de faire des courts métrages.

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Vous avez réalisé une trentaine de courts métrages et vous continuez d’en faire en parallèle de vos longs métrages. Où en sont vos projets ?

G.M. :J’ai terminé mon dixième long métrage, “Keyhole (Ulysse, souviens-toi !)”. Mon projet actuel (“Spiritismes”) me permet de réaliser de nombreux courts métrages. J’ai fait beaucoup de recherches dans de vieux magazines du début du XXème siècle et en particulier les anecdotes concernant la multitude de films perdus, par exemple le premier film d’Alfred Hitchcock.

Je pensais récemment à tous ces films perdus, je lisais leurs titres et certains m’intriguaient beaucoup. Certains avaient mêmes été nominés à l’Académie des Oscars et pourtant, ils avaient disparu ! Et pourquoi ? Parce que les studios avaient jeté les bobines au feu pour allumer leur barbecue ou dans l’océan pour faire de la place aux prochains films dans les cinémas. C’est vraiment quelque chose de tragique. Quelques années après, les studios ont cessé de faire cela et ont laissé les films se désintégrer peu à peu pour devenir une sorte de vinaigre visqueux. Les films perdus ont donc souvent eu une fin tragique et la plupart n’ont pas trouvé de lieu pour reposer en paix. Cette pensée m’a hanté pendant longtemps et j’ai commencé à imaginer ces films comme des âmes égarées qui hantent le cinéma. J’ai compris alors que la seule façon pour moi de voir ces films serait de les refaire moi-même, d’en faire ma propre version. J’ai déjà réalisé certains films qui sont en fait des remakes secrets. Je reprends des éléments narratifs ou des personnages que j’arrange à ma sauce. Par exemple, mon film « The Heart of the World » est un remake secret d’un film que je croyais perdu, « La fin du monde » d’Abel Gance, mais qui l’était seulement en partie.

« Odilon Redon » est aussi un remake d’un autre film d’Abel Gance « La Roue ». Celui-là n’était pas du tout perdu mais tourner ce film a été un exercice très intéressant pour moi. Il existe maintenant seulement une version de 4 minutes du film de 4 heures d’Abel Gance. J’ai des centaines de titres de films perdus, j’aimerais pouvoir un jour réunir l’argent nécessaire pour pouvoir tourner un film par jour pendant un an puis les mettre sur internet pour organiser des sortes de « séances » à heures fixes. Lors de ces projections, les films se mêleraient les uns aux autres, les esprits errants contenus dans ces films perdus se mettraient alors à se parler.

Vous avez fait un film sur Odilon Redon. Quel est votre rapport à la poésie symbolique ?

G.M. : Odilon Redon est connu pour être un symboliste. J’ai toujours aimé les artistes symbolistes même si je n’ai jamais su à quoi cela était lié. La BBC m’a proposé de faire un film de 4 minutes sur un artiste de mon choix. J’ai su immédiatement que je voulais faire ce film sur Odilon Redon. J’ai repensé aux illustrations qu’il avait réalisées pour une édition d’Edgar Allan Poe. La plupart de ses dessins sont presque exclusivement faits en noir et blanc. Moi-même, j’ai travaillé aussi presque uniquement en noir et blanc. J’aime la magie qui entoure ce type d’image et je suis du genre à ne pas changer d’avis. Je n’avais pas fait beaucoup de recherches même si je connaissais le travail de Redon. J’avais lu quelque part qu’il aimait beaucoup les films d’Abel Gance. Je me suis servi de cela pour lâchement emprunter la structure du film « La Roue », à savoir un triangle amoureux : un père, son fils et au milieu une jeune orpheline recueillie après une catastrophe ferroviaire.

De quelle façon montez-vous vos films ?

G.M. : Lorsque je travaillais en 2002 sur « Et les lâches s’agenouillent », je pensais le monter comme tous mes films précédents. Le tournage a commencé, les prises se sont succédé mais inconsciemment, je cherchais autre chose.

Pour la première fois, j’ai « dérushé » avec mon monteur sur un ordinateur. Sur les vieux bancs de montage, lorsque l’on accélère la vitesse de lecture, les images s’enchaînent plus vite alors que sur les ordinateurs, on ne voit pas toutes les images, on saute d’images en images, entre chaque saute quelques secondes d’image sont enlevées. Du coup avec ce système, il nous est arrivé plusieurs fois de rater la prise que nous cherchions. Après plusieurs jours de multiples allers-retours à la recherche de la bonne séquence, je me suis rendu compte que j’aimais cette sensation. Cela m’a fait penser au fonctionnement de la mémoire et à la façon dont nous pouvons nous souvenir de certaines choses.

Souvent, lorsqu’on essaye de revivre un bon souvenir, on a envie d’aller au plus vite auprès de celui-ci. Mais on se rend compte qu’en allant trop vite vers ce souvenir, le plaisir s’amenuise. Alors on ralentit et on essaye à nouveau de se remémorer mais cette fois-ci, un peu plus doucement, jusqu’à trouver la bonne vitesse. Lorsque les conditions sont réunies, on a alors envie de s’y attarder, de rester un moment avant de repartir ensuite vers un autre souvenir.

En parcourant les rushes de mon film, je me suis rendu compte que je me remémorais mes souvenirs préférés un peu de la même façon. « Et les lâches s’agenouillent » est d’ailleurs basé entièrement sur des souvenirs personnels, c’était donc pour moi la meilleur approche possible pour monter le film. Nous avons intégré au montage notre recherche des rushes, en adaptant la vitesse de l’image. En quelque sorte, nous avons fait monter ce film comme on se remémore un souvenir.

Pensez-vous que le court métrage est le format le plus approprié pour raconter des histoires qui ne sont pas narratives ?

G.M. : Les réalisateurs de courts métrages peuvent développer dans leurs films des univers parfois plus subtils et moins narratifs que dans la plupart des longs métrages. La simple raison est que le public a besoin d’une narration pour pouvoir regarder un long métrage jusqu’au bout. Soyons réalistes, le public peut plus facilement supporter un film qui n’est pas narratif quand il est relativement court, mais je pense que l’esprit humain finit par trouver une structure au film d’une façon ou d’une autre, même lorsqu’il n’y en a pas. C’est comme si notre cerveau insistait pour trouver une voie logique à tout ce qui se présentait à lui. En tout cas, même si on ne comprend pas l’intrigue, au moins avec un court métrage, la frustration ne sera que de courte durée.

Lorsque j’ai commencé à faire des films, j’étais considéré par beaucoup comme étant un réalisateur expérimental et pourtant, je regardais beaucoup de films commerciaux, chose que je continue à faire d’ailleurs. J’aime aussi les films à l’intrigue bien ficelée, ce qui ne m’empêche pas de voir ensuite 8 heures de films expérimentaux.

Propos recueillis par Julien Savès et Julien Beaunay. Traduction : Julien Beaunay

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