Mathieu Bompoint : « Il faut que Frédérique Bredin, l’actuelle présidente du CNC, reprenne vite conscience que c’est la création de demain qui naît dans le court métrage »

Après Ron Dyens (Sacrebleu Productions), Jean-Christophe Reymond (Kazak Productions) et Emmanuel Chaumet (Ecce Films), Mathieu Bompoint (Mezzanine Films) a remporté l’an passé le prix Procirep du Meilleur Producteur au festival de Clermont-Ferrand. Grâce à ce prix, il a bénéficié de 5000€ à redistribuer dans un ou plusieurs court(s) métrage(s) et d’une carte blanche présentée ces jours-ci au festival de Clermont-Ferrand.

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À la tête de Mezzanine Films créée en 2004, il a produit en dix ans pas moins de 34 courts métrages, 4 longs métrages et 4 documentaires. A l’occasion du festival de Clermont-Ferrand, il nous a parlé de ses choix de programmation liés à sa carte blanche mais également de son métier de producteur, des joies qu’il lui procure, et de son combat au jour le jour pour continuer à collaborer avec des gens dont il aime le travail. Le tout avec un ton des plus bienveillants envers le cinéma et plus particulièrement pour le court métrage.

Peux-tu nous parler de ton parcours de producteur?

J’ai très tôt voulu être producteur, je me sentais l’âme d’un organisateur plutôt que celle d’un réalisateur ou d’un acteur. Quand j’étais petit, je me rendais dans un festival en province où je voyais de nombreux producteurs. À partir de là, je me suis dit que c’était un métier que j’avais envie d’exercer et j’ai par conséquent orienté tout mon parcours pour devenir producteur. Comme je ne connaissais personne dans le cinéma, j’ai décidé de faire une école de commerce (HEC) pensant que ça m’ouvrirait plus de portes. En en sortant, j’ai travaillé six ou sept ans avec Frédérique Dumas à Noé Productions où je me suis formé au développement, à la post-production, au suivi de production des films. J’ai terminé avec elle en produisant un documentaire, « Enquête sur le monde invisible » de Jean-Michel Roux avant de me dire que j’allais créer ma boîte. Il s’est avéré que le faire n’était pas aussi simple que prévu. J’ai donc repris la fabrication et la production exécutive de longs-métrages pour d’autres. Sylvie Pialat créait aussi sa structure (ndlr : Les Films du Worso) et avait besoin de mettre de l’ordre dans tout ce qu’elle était en train de développer. J’ai donc travaillé avec elle pendant trois-quatre ans en parallèle du développement de ma propre boîte. Et puis, les premiers courts métrages sont arrivés, les premières rencontres en festivals jusqu’à arriver à aujourd’hui avec plus de 30 courts métrages et 4 longs métrages produits.

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« Nice »

On remarque en effet que tu es un producteur à la fois de courts et de longs métrages. Comment expliques-tu ces va-et-vient entre le court et le long ?

Il y a des réalisateurs avec qui il faut continuer de travailler en faisant des courts métrages avant de passer au long et il y a des réalisateurs que je croise, avec qui j’ai envie de faire des longs, mais pour lesquels il est intéressant de tester une collaboration grâce aux courts. Le court est un moyen d’expression important et surtout, de crédibilité vis-à-vis de l’expérience aussi bien pour tout un chacun que pour le duo réalisateur/producteur. Je vois mon travail de producteur comme celui d’un accompagnateur, ça me semble donc une évidence d’arriver à travailler sur la durée avec les auteurs. Après, ça ne veut pas dire que nous allons passer toute notre vie ensemble, mais lorsque je commence une collaboration, j’espère toujours que ça va aller loin. En effet, je ne sais jamais à l’avance si ça va fonctionner ; c’est une question de temps, d’expérience et d’atomes crochus. Par exemple, avec Maud Alpi, ça s’est très bien passé depuis le début : on a fait trois courts métrages ensemble (ndlr : « Lucas sur Terre », « Nice » et « Courir »), on vient de tourner un moyen métrage, on a une avance pour un long métrage, donc c’est plutôt positif, mais ça dépend des différents parcours de chacun. Il y a d’autres gens que j’accompagne un temps et qui partent ensuite sous d’autres horizons mais c’est la vie et c’est bien comme ça aussi.

Pourrais-tu décrire ton travail de producteur ?

J’ai conscience d’accompagner plutôt des auteurs que d’être sur des propositions de cinéma de l’ordre du divertissement. Peut-être que j’en ferai un jour, mais aujourd’hui, je fais plus volontiers attention à essayer de rendre faisables les idées des auteurs avec qui je travaille. Par conséquent, c’est un réel accompagnement. C’est-à-dire que je n’interfère jamais dans leurs histoires en pensant à ce qui va plaire ou ne pas plaire. Bien évidemment, il arrive que je conseille en voyant ce qui faisable ou non, mais on essaie toujours de trouver des solutions. Arrive à un moment où on se pose ces questions parce qu’il faut rester réaliste quant aux moyens qu’on a lorsqu’on fait un court. Je suis plutôt bienveillant en essayant d’être toujours le plus ouvert et positif possible pendant cette période qu’est le développement du scénario. Ce n’est certes pas évident, mais selon moi, c’est toute la différence entre la loi de l’offre et la loi de la demande. Le cinéma d’auteur en l’occurrence est sur la loi de l’offre où l’on propose et le public décide ensuite d’y aller ou non, d’adhérer ou non à cette proposition. Pour la loi de la demande, à l ‘inverse, on essaie de comprendre ce que les gens ont envie de voir et on cherche ensuite quelque chose qui y répond. Ce sont deux approches différentes et dans le court métrage, nous bénéficions encore de cette liberté. Par exemple, en court, la comédie est un genre qui est très délaissé mais lorsqu’il y a de bonnes propositions de comédies dans le court, elles sont loin d’être formatées. C’est la preuve qu’on peut réussir à populariser du cinéma d’auteur même compulsif.

Reconnais-tu que chez Mezzanine Films, il n’y a donc pas de ligne éditoriale à proprement parlé ?

De fait, je n’ai pas un genre prédéfini mais plutôt, des goûts très variés. C’est d’ailleurs ce que j’ai indiqué dans ma note pour accompagner cette carte blanche que je pense que depuis dix ans, on doit commencer à voir se dessiner un peu qui je suis à travers tous les films que j’ai produits. Effectivement, ils sont très variés, mais ça reflète forcément mes goûts et ça dit un peu qui je suis, sans aller jusqu’à dire que je fais ma psychanalyse en produisant des films (rires) ! C’est vrai en tout cas que je n’aime pas dire que j’ai une ligne éditoriale précise. J’ai fait des films sociaux, des films d’horreur fantastique, des films expérimentaux, etc. Tant que j’ai quelque chose à partager avec le porteur de projet, j’estime que j’ai encore à apprendre en tant que producteur et dans mes relations de travail. Qui plus est, je pense que c’est réciproque.

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Peux-tu nous raconter comment s’est passé l’aventure de production de « Todo lo que no puedes dejar atràs » (Tout ce que tu ne peux pas laisser derrière toi), un film de Nicolàs Lasnibat, entièrement tourné au Chili et en langue espagnole présenté en compétition nationale cette année à Clermont-Ferrand ?

Nicolàs Lasnibat est un Chilien qui vit en France depuis dix ans. Il a fait La fémis et il a besoin de parler de choses qui se sont passées dans son pays. Par chance, le CNC est tout à fait ouvert à l’idée d’aider les courts métrages tournés à l ‘étranger. Nous avons cherché à avoir un peu de financement au Chili, mais il n’y a qu’en France où l’on a cette réelle chance d’avoir autant de financements pour les courts métrages. À un mois du tournage, le seul financement que nous avions trouvé au Chili nous a malheureusement lâché, donc on a dû faire sans. On a pris des décisions à droite, à gauche et on y est arrivé. Ceci étant, je ne suis pas allé au Chili. On avait traduit le scénario pour tout ce qui était de la recherche de financements en France et on a trouvé au Chili, des gens de confiance avec lesquels on a travaillé. Nicolàs avait également déjà un peu travaillé là-bas ce qui facilitait les choses. Disons qu’on a réussi à faire de la production par Skype avec des rendez-vous quotidiens (rires) !

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« Luca sur Terre »

Ce n’est bien sûr pas la première fois que tes films sont sélectionnés en festival mais quel effet ça fait d’être sélectionné à Clermont-Ferrand ?

Je suis à chaque fois super content. Ça avait commencé avec Maud Alpi et « Lucas sur Terre » et ça m’avait déjà fait très plaisir. Depuis, ça ne s’est jamais arrêté. Je trouve que Clermont-Ferrand a en plus cette tendance à suivre les auteurs qui font des courts, à s’intéresser à eux. Ils essaient de résister malgré la pression des lignes éditoriales d’autres festivals. Ils proposent toujours des programmes très variés avec aussi bien des films d’école, de l’animation et tous types de genres différents. Et ça permet ainsi à chaque film d’exister en tant que tel dans leurs programmes plutôt que d’être immédiatement comparé. S’ils créaient des thématiques pour la compétition, ce serait dramatique. Ce sont au contraire des gens bienveillants à l’égard du court métrage. Ils permettent l’assurance que toutes les façons de s’exprimer dans le court métrage seront représentées à Clermont.

Dans le cadre du Prix Procirep du meilleur producteur que tu as reçu l’an passé, tu bénéficiais de 5000€ à redistribuer dans un ou plusieurs court(s) métrage(s). As-tu déjà utilisé cette récompense ?

L’annonce du prix avec les 5000€ est tombée début février et nous avons tourné le film de Nicolás Lasbinat à peu près au même moment avec de l’argent en moins, la somme a donc directement été redistribuée. Du coup, cet argent ne pouvait pas mieux tomber !

Peux-tu nous expliquer tes choix de films dans le cadre de la carte blanche qui accompagne ce Prix ?

Je dois t’avouer que je me suis bien pris la tête avec cette carte blanche (rires) ! L’idée des premières cartes blanches, c’étaient de faire connaître des sociétés de production et leurs films maison, puis avec les années, l’idée n’était plus forcément de montrer leurs films mais aussi ceux qui leur plaisaient. Personnellement, j’ai eu envie de programmer des films qui m’avaient plu, des films que j’avais produits et des films de réalisateurs avec lesquels je vais travailler par la suite et dont les films m’ont marqués. Il y a donc des films très variés. Parmi les films qui m’ont particulièrement marqué, il y a « La peur, petit chasseur » de Laurent Achard, « L’amour existe » de Maurice Pialat ou « Prologue » de Bela Tarr. J’ai même pris un film de Chaplin (« A film Johnnie ») que j’avais choisi d’abord pour le sujet car le cinéma est l’objet même du film. Il s’agit d’un film de 1914, réalisé par quelqu’un d’autre dans lequel on voit déjà le personnage Chaplin qui se dessine. De plus, c’est un court-métrage sur le cinéma qui a aujourd’hui 100 ans et je me suis dit que ce serait l’occasion de le montrer. Je trouvais ça intéressant symboliquement. D’ailleurs, le festival de Clermont-Ferrand l’a repris dans sa séance d’ouverture. Après, j’ai aimé les films d’Estelle Larrivaz (« Notre Père ») et de Jean Denizot (« Mouche ») dont j’ai produit les premiers longs (ndlr : respectivement « Le paradis des bêtes » et « La belle vie »). Ce sont des films qui m’avaient marqué à mes débuts et qui m’ont conforté dans l’envie de travailler avec eux. Ensuite, puisqu’il s’agissait d’une carte blanche spécifiquement clermontoise, j’ai mis le premier film de Maud (ndlr : « Lucas sur Terre ») car c’était le début de mon histoire avec le festival donc j’avais envie de le montrer à nouveau. Après, j’ai tâché qu’il y ait un programme intégralement en 35 mm et un autre en vidéo.

Dans ce dernier programme, je voulais également composer entre des films qui m’avaient marqué et des films que j’avais produits, essentiellement ceux de l’année dernière (« Le retour » de Yohann Kouam et « Le verrou » de Laurent Laffargue) parce que ce sont des cinéastes dans lesquels je crois et dont je développe d’ailleurs leur long métrage. J’ai aussi mis un moyen métrage (« Vourdalak » de Frédérique Moreau) car c’est toujours compliqué, dans une carte blanche, de mettre des films longs, mais j’avais vraiment envie de montrer la diversité de ce que j’ai produit jusqu’à présent. Par ailleurs, c’est un moyen métrage que j’aime beaucoup, qui est extrêmement libre sur un ton un peu décalé.

Parallèlement à Mezzanine Films, tu es également vice-président au SPI (Syndicat des Producteurs Indépendants). Par conséquent, on te sent concerné par le métier de producteur et sa situation dans le milieu audiovisuel. Peux-tu nous donner ta vision de la profession ?

Lorsque je suis arrivé au SPI, j’ai remarqué que je n’étais pas le seul à galérer. C’est en effet un moyen de créer des liens, de se donner du courage, d’avancer sur nos projets en se disant qu’on n’est pas seul au monde. Au SPI, on a aussi été clairement identifié comme un syndicat qui essayait de défendre les intérêts du court métrage, de la même manière qu’il y a eu une volonté de professionnaliser ce secteur depuis une dizaine d’années en France. Les résultats commencent à se voir aujourd’hui avec les sociétés qui produisent aussi bien du court que du long et qui arrivent à produire des longs différemment. Elles dérangent sûrement encore le paysage audiovisuel français, mais c’est important de défendre un autre point-de-vue là de la production. Ces personnes défendent communément un film avant de penser qu’elles sont assises sur un tas d’or. C’est un peu comme ça que je le vois. A priori, ce qui motive l’ensemble des producteurs du SPI, c’est la création, l’accompagnement d’auteurs et de projets de manière très sincère.

Que penses-tu de la nouvelle présidente du CNC, Frédérique Bredin, lorsqu’on se souvient que son prédécesseur, Éric Garandeau, avait démontré une réelle passion pour le court métrage ?

Il ne faudrait pas, sous prétexte que son prédécesseur était fan de court, qu’elle veuille à tout prix se démarquer en laissant de côté le court. Je ne pense pas qu’elle éprouve un désamour du court métrage mais qu’il ne faut pas qu’elle l’oublie trop longtemps. C’est la première fois que la présidente du CNC ne se déplace pas depuis 7 ou 8 ans à Clermont-Ferrand. Ça se rajoute au fait que parmi les temps forts de 2013, le court métrage n’a même pas été mentionné. Il ne faut pas que ça dure trop longtemps. Il faut qu’elle reprenne vite conscience que c’est la création de demain qui naît là et que le CNC doit y prêter une attention particulière. Bien évidemment, on remarque ce que fait déjà le CNC, mais ça passe aussi par des marques d’affection de la présidente.

Le mot de la fin ?

Un mot pour remercier Format Court. Il y a beaucoup de bénévolat au sein de ce webzine comme c’est fréquemment le cas dans le court métrage en général, mais ça reste important qu’il y ait des gens qui parlent de ce qui se fait dans le court métrage.

Camille Monin

Interview réalisée le lundi 3 février 2014

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