Synopsis : Et si la fameuse arche biblique, dernier refuge de l’humanité et du règne animal lors du grand déluge, n’était pas un simple acte d’intervention divine mais plutôt un programme de réinsertion professionnelle minutieusement planifié ?
Genre : Animation
Durée : 24’
Pays : France
Année : 2024
Réalisation : Mili Pecherer
Scénario : Mili Pecherer, Adrien Dupuis-Hepner
Musique : Beila Unger
Son : Hugo Debrie
Production : Mili Pecherer, Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme
« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux » écrit Marcel Proust dans son célèbre roman À la recherche du temps perdu. Nous ne serons pas les derniers de notre espèce (France) correspond à cette idée : un dernier voyage apocalyptique sur une arche de Noé moderne qui nous fait ouvrir les yeux. Ce court-métrage d’animation brillant, innovant et disruptif de l’israélienne Mili Pecherer est présenté cette année dans la sélection des courts en compétition de la Berlinale.
Dans le livre de la Genèse, il est écrit : « Pour moi, je vais faire venir le déluge, les eaux, sur la terre pour détruire toute créature ayant souffle de vie sous le ciel; tout ce qui est sur la terre périra.” Ici, pas de Dieu ou de grande parole annonciatrice : on voit seulement le bateau accueillir les animaux avant que la terre ne soit submergée par l’eau. Le court-métrage commence par une aube rosée avec la présence d’un bateau à terre, on s’enfonce dans notre siège à la rumeur d’animaux au loin. Une fois le “déluge” passé, il semble faire nuit sans cesse. L’animation savamment travaillée confère de façon saisissante une solitude tremblotante sur le navire, ressemblant de près ou de loin à une sombre retraite thérapeutique pour des gens perdus qui chercheraient un sens à leur vie.
Le spectateur reste bloqué à un étage du bateau, dénommé le “Département des purs”, se voulant productif et utile – sans doute assez ironique au vu de l’unique présence d’animaux de ferme et d’une femme. On devient rapidement témoins des discussions en entendant les vaches mugir, les cochons couiner, les poulets caquetter, grâce aux sous-titres proposés. Cela fait curieusement écho à un autre court de la sélection berlinoise Les animaux vont mieux de Nathan Ghali (France), où une mystérieuse communauté d’animaux a décidé de vivre en autarcie dans le sous-sol d’une église. Là aussi, le langage des animaux est conservé et traduit par un sous-titrage, offrant une nouvelle perspective du langage au spectateur.
Dans Nous ne serons pas les derniers de notre espèce, le mythe est renversé. Il n’y a pas de colombe annonçant la paix, comme sur l’arche de Noé, mais un pigeon annonçant à la femme qu’elle doit effectuer sa mission en quarante jours, même si elle ne la comprend pas. La femme doit donc obéir et travailler. Elle discute avec ses collègues, les animaux, dont le corbeau, un personnage singulier : il ne travaille pas et boit tout le café, en partageant sa vision pessimiste et nihiliste du monde, qu’il souhaite voir périr. Le travail de la femme – sans issue possible – est aliénant en ce qu’il lui fait croire qu’il y a une issue, même si elle se sent toujours aussi perdue – et qu’elle perd sa liberté… Elle travaille pour un but et un chef qu’elle ne connaît pas et dont elle ne reçoit que les ordres par intermittence. Cette espèce de patron, ou dieu qui dicte ses commandements à partir des hauts parleurs, donne cette sensation malaisante de contrôle et de surveillance propre aux dystopies.
Tout au long du visionnage du court, de nouvelles questions se soulèvent. Quoi de mieux qu’utiliser la fin du monde comme prétexte pour critiquer notre monde actuel ? Même si la terre est engloutie, le système continue d’avoir un pouvoir sur les derniers restants. Cette arche de Noé moderne illustre cette perte de sens, notamment en suggérant l’exploitation par le travail caractéristique d’une société capitaliste. Plusieurs fois, un oiseau répète que les heures supplémentaires de la femme seront payées davantage, et que le frigo sera enfin rempli. N’y aurait-il pas une pointe d’ironie de parler de salaire quand c’est la fin du monde au dehors ? La femme, qui semble chercher un sens au commencement, finit par suivre les ordres et construire ce qu’elle a à construire : une sorte de tour en vestige d’une civilisation perdue.
La reprise burlesque, quoique dramatique du célèbre épisode biblique, nous invite à regarder autrement le monde d’aujourd’hui et nous interroge sur l’idée de la survie de l’espèce humaine. À l’image d’une fable désenchantée, le court-métrage nous fait finalement peut-être espère que nous serons les derniers de notre espèce.
Dans Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry écrit qu’”on est de son enfance comme on est d’un pays”, signifiant le caractère fondamental de l’enfance pour définir qui nous sommes en tant qu’individus. En d’autres termes, notre enfance est une partie intégrante de notre identité, tout comme là d’où on vient. Cette année, entre fiction et documentaire, la Berlinale nous ramène à cette époque un peu éloignée en nous faisant goûter avec nostalgie à cette innocence perdue.
« Re Tian Wu Hou »
Re Tian Wu Hou (Remains of the Hot Day) est un court métrage signé Wenqian Zhang qui met en scène Qi, une petite fille habitant avec la famille d’origine de sa mère depuis que son père travaille dans une zone économique spéciale de Shenzhen et retourne rarement à la maison. L’action se concentre sur une journée dont on peut deviner la chaleur dehors, jour de vide et de vacances chez une petite-fille, autour duquel les personnages familiaux gravitent. Wenqian Zhang avait déjà réalisé un court documentaire, A long journey home, au sujet de son retour chez lui, dans sa famille en Chine. Le film de cette cohabitation renouvelée a probablement influencé la création de ce nouveau court.
Ce dernier commence avec un plan fixe sur le sol d’une chambre, le terrain de jeux favori des enfants. Une petite fille y chantonne et joue, rejointe rapidement par sa petite sœur. Dans la cuisine, la grand-mère prépare des mets, et un enfant pleure dans son cou. De l’intérieur, on entend sensiblement les bruits de pluie, de rails, la ventilation ou la rumeur du monde dehors. Soudainement, le Mambo no. 5 (A Little Bit of…) de Lou Bega résonne dans la pièce, et on voit la petite fille endormie sur le sol. La musique, l’image simple et saisissante nous donne déjà un goût de nostalgie dans la bouche, mais ça ne s’arrête pas là.
Sans vraiment suivre de fil rouge, Remains of the Hot Day nous raconte une histoire de famille avec ses différents personnages, observés de près ou de loin par la petite fille. Des détails : un miroir dans lequel se reflète le corps abîmé du père se reflète, probablement frappé par les personnes qu’il a licenciées. Au fond de la cour, la mère parle de choses mystérieuses avec un inconnu. Tous deux sont montrés comme des observateurs ni invités ni importants. Et puis la grand-mère à l’intérieur, figure chaleureuse et consolatrice du foyer.
Dans ce court, on apprécie tout particulièrement la place du sol, nous offrant une nouvelle perspective, à hauteur d’yeux d’un enfant. L’enfant qui observe, derrière le coin dans le porte ou dans un reflet, le spectacle des grandes personnes. On traîne dans le salon, ou en-dessous de la table pendant un repas et puis enfin, on entend l’orage qui se prépare après la chaude journée de l’été. Cela ressemble à une ode au temps qui passe lentement pour un enfant qui s’ennuie, un jour de vacances comme les autres dans une maison calme.
« Kaalkapje »
Chez la réalisatrice belge Marthe Peters, l’ode à l’enfance est plus brutale, certainement plus crue quant à son innocence et à ses joies. Dans son court-métrage documentaire Kaalkapje (Baldilocks), la réalisatrice reprend les images de la caméra de son père pour revenir sur son passé d’enfant atteinte du cancer. Ces images sont combinées avec de nouvelles images et une voix-off d’enfant, un parti-pris aussi surprenant que touchant. En effet, cette voix d’enfant nous fait entendre la perspective d’adulte de la réalisatrice sur cette période de sa vie, créant un décalage tout à fait particulier.
On est directement plongé dans ses souvenirs avec la présence d’une infirmière à ses côtés, puis on l’accompagne sur sa chaise haute. Elle semble ne pas avoir conscience de la caméra et sourit à l’objectif, à son père.
Il ne s’agit pas seulement de nous montrer un enfant souriant soumis à des traitements quotidiens. Avec des gros plans sur la peau malaxée, pétrie puis palpée, on comprend que certains soins continuent et que l’attention est toujours maintenue. Des mains qui frictionnent une sorte de purée jaune, une craie grasse qui gribouille sur la feuille : un jaune maladif, prenant, un soin des détails que la réalisatrice vient incorporer au montage. On ne voit pas son visage d’aujourd’hui, seulement ce corps massé, la nuque, les cheveux : un spectre sur ce qu’elle est devenue, sur un corps avec des séquelles mais encore fort.
Kaalkapje, cela veut dire “tête chauve” en flamand. Le père de Marthe la surnomme ainsi en riant. Ces images aussi tragiques que dédramatisantes nous offrent un spectacle intime de l’enfance. Ce spectacle est doublé du regard analytique de la réalisatrice, qui revient sur ces années de sa vie.
En fiction comme en documentaire, ces deux courts nous montrent d’une manière à la fois douce et percutante ces moments d’enfance, simples, difficiles, étranges, chauds ou froids, teintés d’une lumière jaune toute particulière, et on sort du cinéma contents d’être revenus en arrière.
La Mécaniques des fluides, César 2024 du meilleur court métrage documentaire, est un film magnétique et un essai cinématographique atypique. Entre captures d’écrans et animations 3D, c’est un récit hybride aussi bien immersif qu’hypnotique. Le film débute avec une lettre de suicide trouvée sur un forum Reddit, d’un incel, une communauté formé principalement d’hommes, involontairement célibataires et réunis par une haine commune des femme, nommé Anathematic. La réalisatrice, Gala Hernández López, tente de lui répondre et développe une réflexion énigmatique autour des relations numériques et de l’impact des algorithmes dans nos rapports amoureux. Dans cet entretien, elle revient sur les origines du film, ses projets futurs et la perception de sa propre pratique.
Cinéma du réel 2023 (c) Léa Rener
Format Court : Comment le film s’inscrit-il dans vos travaux de recherche ?
Gala Hernández López : J’ai fait La Mécanique des fluides dans le cadre de ma thèse de doctorat en recherche-création, à l’université Paris 8, qui porte sur la capture d’écran comme geste médiatique et son utilisation dans l’art et le cinéma post-internet, par différent.e.s artistes. Le film s’inscrit dans cette démarche de recherche-création, c’est-à-dire interroger par la pratique des hypothèses théoriques afin de les peaufiner, de les mettre à l’épreuve. Il fallait que dans ce cadre, je fasse un film qui utilise les captures d’écrans entre autres (parce qu’il n y a pas que ça dans le film). C’est un film financé en partie par l’EUR ArTeC qui est une école universitaire de recherche et un petit peu par Paris 8, puis par le CNC.
Ce film a-t-il pu vous aider à avancer dans votre thèse ?
GHL : Oui, parce que la mise en pratique de mon objet de recherche fait que je me suis confrontée à des questions précises auxquelles je ne me serais jamais confrontée. Quels logiciels utiliser, comment les paramétrer ? Qu’est-ce que c’est exactement une capture? Quel est le geste concret de capturer, à quel moment je commence, à quel moment j’arrête la capture ? Qu’est-ce que je suis en train de capturer concrètement ? Plein de choses qui se posent que, je pense, j’aurais un peu survolées si j’avais fait un manuscrit uniquement théorique. Puis aussi, au-delà de ces questions plus précises, pourquoi avons-nous besoin de la capture, à quoi sert-elle ? Qu’est-ce qu’elle vient capturer que d’autres moyens de prises de vues ne peuvent pas obtenir ? Cette spécificité de la capture d’écran, je pense que je l’ai comprise ou appréhendée beaucoup mieux en réalisant le film.
Et dans cette dynamique, comment s’est articulée l’écriture du film ?
GHL : Je devais faire un film, ça je le savais dès le départ. J’avais proposé quelques idées, pendant mon parcours de thèse, de films que je ne réaliserais peut-être jamais. À un moment donné, j’avais pensé à en faire un sur les collapsologues et Doomsday Preppers, une communauté d’hommes et de femmes qui se préparent pour la fin du monde. Je pense que finalement, le sujet du film s’est imposé dans le sens où celui dont j’avais envie de parler, dont je sentais que j’étais touchée personnellement, était de partir de mon expérience intime des écrans et d’internet. À ce moment-là de ma vie, quand j’ai commencé à écrire le film, c’était notamment les applis de rencontres que j’utilisais énormément. Je me suis dit que je pouvais faire converger mes intérêts théoriques de recherche avec mes préoccupations intimes, personnelles. Petit à petit, ça a évolué, les incels sont apparus, Anathematic aussi, mais tout ça est venu plus tard. Au départ, c’était vraiment un film sur Tinder que je voulais faire.
« La Mécaniques des fluides »
La rencontre avec la lettre de suicide d’Anathematic (personnage central du film ndrl) est donc arrivée bien plus tard ?
GHL : Au départ, j’avais fait des entretiens avec pleins d’utilisateurs d’applis de rencontres pour faire une sorte de terrain ethnographique. J’avais mis une publication sur mes réseaux sociaux en disant que je recherchais des utilisateurs d’applis de rencontres pour participer à un projet de recherche. J’ai commencé à faire des entretiens où je posais toujours les même questions que j’enregistrais. Je pensais que j’allais faire quelque chose avec ces vidéos mais finalement, lorsque je les regardais, je me disais que ce n’était pas très intéressant cinématographiquement. Je me questionnais sur comment donner une forme plus narrative et plus intéressante d’un point de vue dramaturgique au film. En parlant avec mes amis, en réfléchissant beaucoup, je me suis rendue compte que j’avais besoin de fictionnaliser ou en tout cas d’appliquer des codes de fiction avec un personnage, un objectif, quelque chose de l’ordre de la mise en récit conventionnelle pour que le film prenne une forme plus intéressante. Je n’avais pas envie de faire un reportage sur les applis de rencontre. En même temps, je ne voulais pas être le personnage, faire une auto-ethnographie, me mettre au centre complètement (même si je le suis un peu), je n’avais pas envie de raconter mon histoire. En cherchant un personnage et un récit pour mettre tout ça en ordre, je suis tombée sur les incels, qui, pour moi, incarnaient un peu toutes les questions sur lesquelles je voulais parler par rapport aux applis de rencontres. Je voulais évoquer la solitude connectée, comment le numérique nous a atomisés, a fragilisé nos manières de créer des relations, nos manières de tomber amoureux, nos affects. Je trouvais que les incels étaient une bonne porte d’entrée pour parler de ces questions-là, justement, par rapport à ce qui fait leur identité qui est le célibat, la solitude, … . Quand j’ai commencé à faire des recherches sur la communauté incel, je suis tombée sur Anathematic et sur sa lettre, je me suis dit que c’était une bonne idée de lui répondre et d’en faire un film.
Par rapport au travail de la capture d’écran et des images d’archives, quel était le processus de traitement de tout ce matériel ?
GHL : Le film est composé de plein de régimes d’images différents : des captures d’écrans de Twitch, de livestreams, de Google Earth, de Google Maps, de Google Street View et de différents sites. Il y a des animations 3D que l’on a faites pour le film, que l’on a créées nous-même (deux séquences concrètement). Il y a des vidéos que l’on a téléchargées de YouTube, ainsi que quelques extraits de films de cinéma, de fictions et des archives un peu plus anciennes que l’on a aussi trouvées sur internet. J’avais écrit une première version de la voix off lorsque j’avais lu la lettre d’Anathematic. Je m’étais lancée dans une sorte de réponse de manière un peu intuitive, ce qui a fait que 80% de la voix off était déjà écrite dès le départ. Ensuite, on a commencé à monter à partir de cette voix off qui était une sorte de squelette qui faisait une structure du film, qu’après on a remaniée, restructurée. Une grande partie du film était donc déjà là. Pendant que le monteur montait d’après mes instructions et la voix off, moi je continuais à rechercher des images. J’en trouvais qui me plaisaient, qui me touchaient, … . Parfois, il arrivait aussi que j’invente des séquences ou que j’écrive une partie de la voix off pour inclure des images que j’avais trouvées en faisant des recherches sur YouTube ou autres. Je pouvais aussi trouver des textes, des posts de incels que j’aimais bien et que j’avais envie d’inclure, comme par exemple des poèmes.
Il y a une forme de saturation visuelle, informationnelle, hypnotique. Je cherchais à ce que ça aille vite et à un peu assommer le spectateur avec ce flux d’images, de voix et de discours, que ce soit immersif comme expérience.
« For Here Am I Sitting In A Tin Can Far Above The World »
La Mécanique des fluides est le premier volet d’une série de films, le deuxième (For Here Am I Sitting In A Tin Can Far Above The World, 2024) aura sa première mondiale à la Berlinale (Forum Expanded). Que pouvez-vous dire sur ce projet ?
GHL : C’est une trilogie de films où je m’intéresse à différentes communautés virtuelles qui ont un lien plus ou moins direct à des technologies spécifiques. Ce qui m’intéresse, c’est de sonder les imaginaires qui circulent au sein de ces communautés, les symboles, les récits, en fait les fictions et les croyances que ces personnes partagent. Il y a les incels et leur lien avec les applications de rencontres et avec les algorithmes YouTube, toutes ces questions que je me posais dans La Mécanique. Dans le deuxième film, je parle d’une autre communauté : les extropiens. Elle n’existe plus aujourd’hui, mais c’est une des premières communautés virtuelles qui a existé. Je parle des débuts d’internet quand la manière de créer des communautés se passait à travers des mailing lists. On est à la fin des années 80, au début des années 90, à la Silicon Valley, en Californie. C’est également une communauté principalement masculine qui se caractérise par des croyances transhumanistes : c’est-à-dire qui croit à l’amélioration, l’optimisation de l’être humain par la technologie, le progrès et la science. Ils s’intéressent donc à des questions comme la colonisation de l’espace, l’immortalité, les nano-technologies, l’ingénierie génétique, la cryogénisation, la lutte contre le vieillissement, l’intelligence artificielle, toutes sortes de questions liées un peu à l’univers de la science-fiction. Des gens très techno-optimistes qui misent beaucoup sur l’avenir. Ces gens-là, même si la communauté n’existe plus telle quelle, sont encore en vie et beaucoup d’entre eux occupent des postes importants dans des grandes entreprises à la Silicon Valley. Par exemple, le fondateur des extropiens est le CEO de Alcor, qui est la plus grande entreprise de cryogénisation active aujourd’hui dans le monde. Je m’intéresse à cette communauté et à toute cette série de discours qui circulait à l’intérieur et plus concrètement, à un personnage qui s’appelle Hal Finney qui a été une personne importante dans la communauté et qui est aujourd’hui cryogénisé (en attente d’être réanimé ou éveillé lorsque la science le permettra). Je parle de cette personne qui est un personnage réel, historique et qui a été aussi le premier à recevoir dans l’histoire des bitcoins une transaction de bitcoins de la part de son créateur Satoshi Nakamoto. Je traite donc beaucoup des liens entre les cryptomonnaies, les extropiens et la cryogénisation.
Et sur quoi portera le troisième volet ?
GHL : Le troisième volet, que je suis en train de tourner en ce moment, est sur la communauté crypto en Espagne. Encore une fois, ce sont des communautés toujours principalement composées d’hommes qui sont très enthousiastes vis-à-vis des cryptomonnaies et des promesses d’avenir que ces technologies leur offrent. Je fais également le rapprochement historique entre la crise financière de 2008 et le moment présent.
« La Mécaniques des fluides »
Dans vos prochains projets, souhaitez-vous continuer à travailler l’essai cinématographique en vous approchant du documentaire tout en essayant de le réinventer ?
GHL : C’est une question qui me traverse beaucoup en ce moment. J’ai été contactée par la SCAM qui m’avait demandé d’écrire un texte pour une série d’articles qui s’appelle « Comment transposer le réel ? ». Je me suis vraiment posée la question : « est-ce que je considère mes films comme du documentaire ? » C’est vrai que je ne suis pas particulièrement attachée à la distinction fiction/documentaire. Je pense qu’idéalement, à l’avenir, j’aimerais bien arriver à trouver une forme et une poésie singulière qui m’appartiennent et qui puissent peut-être se passer de ce genre d’étiquette. En tout cas, je pense que je vais toujours avoir un point de départ documentaire parce que j’ai vraiment du mal à imaginer des projets complètement de fiction qui viennent du néant, qui surgissent totalement d’une construction imaginaire. J’ai du mal personnellement avec cette démarche qui, en plus, ne m’intéresse pas trop. Mais après, tout en ayant un point de départ documentaire, je me pose la question de comment m’éloigner de ce réel, comment lui donner une forme, un récit avec des éléments de fiction en n’ayant pas peur de le manipuler, de le transformer et de jouer avec cette matière réelle ? Je pense que c’est ça qui m’intéresse.
Ce 2 janvier 2024, le premier tour des votes s’est ouvert aux votants des César. Il se clôturera le 23 janvier prochain. Le lendemain, ce sera l’annonce des nominations. Le 1er février, ce sera au tour du second tour de votes de s’ouvrir avant de se clôturer le 23 février et que la 49è cérémonie des César ait lieu. D’ici là, Format Court vous propose de revenir sur ses coups de coeur du côté des courts en lice.
Originaire des Ardennes, Azedine Kasri est un acteur que l’on a pu voir officier chez Kim Chapiron dans La Crème de la crème. Après être passé par la Résidence de la Fémis, il se situe maintenant du côté de la réalisation avec son dernier film Boussa présenté en hors-compétition, dans le programme “Regards d’Afrique”, durant le dernier festival de Clermont-Ferrand. L’aventure d’un couple qui va essayer tant bien que mal de pouvoir s’embrasser dans une Algérie en proie au changement, un récit plein d’espoir dont la genèse nous est partagée ici par son réalisateur.
Format Court : Tu as d’abord étudié en tant qu’acteur pour ensuite rejoindre la Fémis, comment es-tu arrivé à faire ce parcours-là ?
Azedine Kasri : En fait, c’était un long processus. Moi, je suis né et j’ai vécu dans les Ardennes à un endroit où il manquait des structures pour des gens comme moi qui avaient des velléités dans le cinéma. C’est en montant sur Paris dans le cadre de mes études en finance que j’ai commencé à faire des cours de théâtre le soir. D’ailleurs, c’est en voyant des interviews de Tahar Rahim et son parcours que j’ai repéré des similitudes avec le mien et que ça m’a donné envie de passer le cap et de suivre la formation du Laboratoire de l’acteur. C’est grâce à ça que j’ai pu faire des rencontres notamment avec Kim Chapiron. Petit à petit, j’étais frustré d’être cloisonné dans des rôles un peu banlieusards. Moi qui viens du grand Est, j’avais vraiment envie de raconter d’autres histoires. C’est à ce moment-là que je me suis intéressé aux Talents en Court et que j’ai fait la rencontre de la productrice et scénariste Aurélie Cardin qui m’a recommandé la Résidence de la Fémis. Du coup, j’ai passé le concours sans savoir réellement ce qu’était la Fémis et je pense que ça les a séduits.
Qu’est-ce que ça t’a apporté ?
A.K : La Fémis m’a ouvert plein de portes, mais c’est avant tout beaucoup de rencontres, des personnes avec qui je continue de travailler à l’heure actuelle. Je pense notamment à Guillaume Scaillet, un scénariste avec qui j’écris mon projet de long-métrage en ce moment. Et en tant qu’auteur, je pense que ça m’a permis de mettre les mains dans le cambouis, de pratiquer et d’en apprendre plus sur la dramaturgie, la minutie d’un tournage et la complexité de chaque poste.
Si tu pouvais pitcher Boussa, qu’est-ce que tu dirais ?
A.K : C’est un couple de jeunes Algériens qui n’arrivent pas à s’embrasser sur la bouche et qui, au bord du gouffre, vont trouver un subterfuge qui est de s’inscrire à un cours de secourisme pour pouvoir attendre l’exercice du bouche-à-bouche et pouvoir s’embrasser.
Maintenant, que tu es passé derrière la caméra, que gardes-tu de ton passé de comédien ?
A.K : Je pense que ça m’a apporté beaucoup. Rien que de dans la direction d’acteurs sur un tournage, je comprends mes comédiens, je sais comment construire un personnage et comment les accompagner dans la bonne direction. C’était très important dans un film comme Boussa où il fallait toujours dans chaque scène trouver un juste-milieu entre comédie et drame. On a fait un vrai travail sur cela et notamment à travers la langue dans le film, qui est très particulière et importante. Je voulais vraiment travailler sur des sonorités berbères et j’ai eu la chance de travailler avec un acteur franco-algérien (Mourad Boudaoud) qui maîtrisait vraiment cela. Je pense que ce niveau de détail dans la construction du film et de mes personnages, je le tire de mon expérience dans l’actorat.
Comment as-tu été amené à collaborer avec tes comédiens Mourad Boudaoud et Anais Lazizi ?
A.K : Avec Anaïs, on avait fait un casting en Algérie dans ma ville d’origine et c’est vraiment elle qui s’est détachée du lot. La même chose à peu près pour Mourad, mais lui, c’était sur le tard après avoir vu plusieurs profils que je suis tombé sur son travail dans le court-métrage Malabar de Maximilian Badier Rosenthal et que je me suis réellement intéressé à son profil En plus, il écrivait déjà à l’époque, du coup, il avait cette conscience sur le boulot qu’on était en train de livrer, il était toujours là à poser les bonnes questions et à me proposer beaucoup de choses. Pour Anaïs, c’était pareil même si elle avait moins d’expérience que Mourad. Après, on a surtout travaillé avec eux pour qu’il y ait cette alchimie, il fallait rendre ce couple crédible. Sur le plateau, ça été beaucoup de discussion pour déterminer où on pouvait aller avec Mourad et AnaÏs. Personnellement, je me considère plus comme un chef d’orchestre qui dirige plutôt qu’un réalisateur qui a exactement en tête ce qu’il veut.
Est-ce important de traiter ce genre de sujet via l’humour ?
A.K : Oui évidemment, il est vrai que j’ai pu faire entre autres avec mon film de fin d’études Timoura des œuvres qui lorgnent plus du côté du drame, mais moi, je suis avant tout un fervent défenseur de la comédie et notamment de la comédie italienne qui m’a beaucoup inspiré pour Boussa. J’ai vraiment baigné dedans et je voulais vraiment faire une comédie italienne sauce algérienne. Mais en fait, je pense que c’est surtout parce qu’on était arrivé à un moment où l’Algérie était en pleine révolution et qu’il y avait beaucoup d’espoir quant à celle-ci. Je voulais que cet espoir se retranscrive dans mon film via un dénouement heureux comme un appel à la paix. Je trouvais cela intéressant de traiter ces sujets via l’humour, là où on a l’habitude au Maghreb et au Moyen-Orient de le faire via le drame et la tragédie.
Avec Boussa et tes anciens films, comme 507 heures, tu développes l’archétype du loser merveilleux. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce type de personnages ?
A.K : En fait, je pense être moi-même un loser merveilleux. A l’origine, ce qui m’intéressait, c’était de m’écrire des rôles en tant que comédien. Au final, je suis passé derrière la caméra, je joue toujours, mais moins et j’ai gardé ce type de personnages en phase avec ma personnalité. C’est ce coté un peu Pierre Richard, mais aussi Patrick Dewaere dont je suis fan absolu qui me plaît pas mal. Et écrire, ça m’a vraiment aidé en tant qu’acteur à savoir ce que je pouvais jouer ou pas.
Tu es originaire d’Algérie sans vraiment y avoir vécu, comment as-tu abordé la création du film ?
A.K : En fait, même si mes parents ont quitté l’Algérie très vite, je suis quand même très attaché à ce pays. J’ai eu la chance d’avoir toujours de la famille qui y habitait et de pouvoir y aller une grande partie de mes étés. Et c’est durant ces vacances que je me suis dis que je voulais faire du cinéma en Algérie tellement c’est un pays riche et paradoxal. C’est aussi pour son côté paradoxal que j’ai décidé de faire de Boussa une comédie. L’envie de faire le film, c’était aussi de pouvoir renouer avec mes racines et de rattraper le temps. Ce n’était pas par problème d’identité, mais une vraie envie de parler de ce pays.
Est-ce qu’il y a eu des obstacles dans la vraisemblance du traitement de la société algérienne ?
A.K : En fait, tu as surtout peur, tu te demandes comme les gens vont réagir là-bas, si les autorités vont te laisser faire. Finalement, on s’en est bien sorti en tournant en Algérie, moi qui voulais vraiment pouvoir tourner là-bas et pas en Tunisie ou au Maroc. Je voulais vraiment pouvoir tourner avec des jeunes techniciens algériens et permettre à plus de personnes de se former. Et je pense qu’on a eu finalement plus de problèmes administratifs au niveau de la production française qu’algérienne.
Comment s’est passée la recherche de production ?
A.K : Je me souviens que mon premier contact avec 2Horloges la production algérienne s’est fait à un moment où j’étais encore étudiant à la Fémis et que je travaillais sur Timoura. Ils nous avaient aidés pour toute la partie administrative et je leur avais promis de revenir vers eux avec un projet plus produit et c’est ce que j’ai fait. Ma première rencontre avec Bien ou Bien Productions s’est faite lorsque j’ai participé aux Talents en Court et que j’ai eu l’occasion de présenter mon film au producteur Zangro. Ce qui est amusant, c’est que je connaissais déjà Maïmouna Doucouré, dont ils avaient produit le premier film, lors de notre formation commune au Laboratoire de l’acteur.
Es-tu optimiste quant à l’évolution du cinéma algérien ?
A.K : Je ne veux qu’être optimiste. Bien sûr qu’il est compliqué de faire des films en Algérie, on ne va pas se mentir. Mais je pense qu’il y a quand même des actions qui ont fait qu’il y a eu des Assises du cinéma. On m’a laissé faire, je suis peut-être dans un monde de Bisounours, mais pour moi, on avance. Maintenant, on voit des films comme Omar la fraise de Elias Belkeddar qui émerge et qui parle de sujets comme la drogue ou l’alcool. Après, le nombre de films disponibles diminue aussi en raison de l’obligation de coopérer automatiquement avec une production locale. Mais rien qu’ici a Clermont, on peut voir qu’il y a déjà plusieurs films qui ont réussi à faire leur chemin jusqu’en compétition nationale.
Synopsis : Partir ou rester ? Le réalisateur Denis Do nous entraîne dans une quête existentielle à travers les générations d’une seule et même famille, secouée par 200 ans d’histoire en Chine. Une chronique familiale profondément humaniste.
Nommé au César du meilleur acteur dans un second rôle pour Chien de la cassede Jean-Baptiste Durand, Anthony Bajon vient de passer à la réalisation avec La Grande Ourse, sélectionné en janvier dernier au festival Paris Courts Devant. Dans ce premier film, une violence sourde s’invite le temps d’un été, dans un camping de vacances dans lequel évoluent l’acteur lui-même, mais aussi Ophélie Bau, Diane Danglard, Marie Colomb, Zinedine Soualem et Marie Bunel.
L’occasion de cette projection nous a permis de faire le point avec l’acteur s’étant fait connaître avec La Prière de Cédric Kahn et bien d’autres films (Tu mérites un amour de Hafsia Herzi, La Troisième Guerre de Giovanni Aloi, Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain, …). Il est rare en entretien de recueillir des mots aussi francs et intimes sur la direction d’acteurs, les désillusions du métier, l’intérêt pour les premiers films et l’absence de plan B. Rencontre.
Format Court : Nous avions rencontré Raphaël Quenard cet été au moment où il présentait son premier court-métrage L’Acteur (co-réalisé avec Hugo David) dans lequel tu fais une courte apparition. Contrairement à lui, tu ne sembles pas avoir fait beaucoup de courts-métrages. Quand tu commences dans le cinéma avec Les Ogres de Léa Fehner, est-ce que le court Azurite de Maud Garnier a lieu au même moment ou tu fais d’abord ce court avant le long ?
Anthony Bajon : Les Ogres est arrivé à un moment où j’avais déjà fait quatre ou cinq courts. Azurite arrive juste avant. Une fois que je fous les pieds sur Les Ogres, qui est la première fois sur un plateau de long-métrage, c’est vrai que je vais beaucoup moins sur les courts, jusqu’au moment où j’y retourne pour un film qui s’appelle Harmony de Céline Gailleurd et Olivier Bohler avec Alma Jodorowsky, Noée Abita et Grégoire Colin. J’y retourne parce que c’est juste après le Covid, que le sujet me plaît et que le casting est fou. C’est un format sur lequel on va moins une fois qu’on a la chance de mettre les pieds sur des longs et de travailler dessus. Je pensais que j’allais continuer encore longtemps à faire des courts, puis j’ai eu la chance de commencer à faire un petit peu de longs-métrages et c’est vrai qu’après, cette idée d’aller sur des courts paraissait moins évidente.
À la base, tu viens du théâtre ?
A.B. : Non. J’ai fait des ateliers du samedi pour les enfants mais c’est tout. À part ça, le seul rôle que j’ai joué était Félix dans Le Père Noël est une ordure dans le théâtre à côté de chez moi à Villeneuve–Saint-Georges. C’est tout. J’ai voulu faire une formation professionnelle après mon bac, c’est ce que m’avait demandé mes parents, mais je n’y suis pas resté…
Et comment tu t’es retrouvé à passer des castings pour des courts-métrages ?
A.B. : Sur internet, il y a un site qui s’appelle Cineaste.org…
C’est amusant, Raphaël en a parlé aussi. Je trouve ça bien de dire que ça a été le commencement.
A.B. : J’attendais la newsletter au point où dès qu’elle arrivait dans ma boîte mail, j’étais comme un dingue. Et si j‘étais occupé avec mes potes, je rentrais chez moi pour être sur mon ordinateur à envoyer tout et n’importe quoi.
Comme des projets payés ou non, des films d’écoles ?
A.B. : Tout, tout, tout ! Rien n’est payé au début, on y va le couteau entre les dents en se disant : « Pourvu qu’on me donne ma chance ».
Qu’est-ce qui t’intéressait au début ? Est-ce que tu étais regardant sur ce à quoi tu répondais ?
A.B. : Tant qu’il n’y avait pas marqué « nudité » à l’écran, moi j’y allais. C’est le seul truc, le seul filtre. On m’aurait dit de jouer une abeille, j’aurais été postuler en disant : “Voilà je m’appelle Anthony Bajon, j’adorerais être avec vous”. Le court-métrage, comme on parle d’accroche et pour beaucoup de gens, c’est une manière d’entrer dans le vrai monde. Mes parents, qui sont ouvriers, n’avaient pas le pognon de me payer une école de cinéma ou quoi que ce soit, je ne viens pas de là. Pour quelqu’un qui veut devenir comédien, le court-métrage est la plus grande école du monde parce qu’il n’y a souvent pas d’argent, que ce sont des gens qui, comme toi, débutent de l’autre côté de la caméra et se cherchent. Il y a des choses pas mal intuitives, on perd du temps. Une fois qu’on arrive sur du long, on voit un gros changement. Pour peu qu’on soit un peu curieux, ce début est hyper formateur. Quand ils cherchaient leurs lumières ou leur cadre, je me mettais sur le côté et je les regardais. Ça a été mon apprentissage et mon école. Ca et mon carnet que j’ai depuis que j’ai l’âge de cinq ans.
Quel est ce carnet ?
A.B. : J’ai un petit carnet où je note, pour moi, ce qu’est un acteur et comment faire carrière. Depuis tout petit, comme mes parents ne pouvaient pas me payer de formation, je me suis dit qu’il fallait que je me débrouille par moi-même. Je le fais en notant des choses, en voyant des films ou des documentaires, en lisant… À l’époque, il n’y avait pas de podcasts, ou en tout cas je n’en avais pas connaissance, et je me suis fait ma petite formation comme ça.
Cinq ans, c’est tôt pour prendre des notes dans un carnet. Tu ne les as jamais jetées ? Est-ce que tu continues toujours à écrire ?
A.B. : Oui. C’est ce que j’ai de plus précieux. Avec maintenant un nouveau chapitre qui est la réalisation et sur lequel j’avais déjà des petites notes en voyant des réalisateurs travailler.
Il t’est arrivé d’être sur un tournage et de prendre des notes pour faire office de mémoire ?
A.B. : Pas avec mon carnet car je ne l’avais pas mais sur mon portable dans mes notes, oui. Comme il y a une espèce d’urgence quand on écrit des notes, dès que je rentrais chez moi, je les retranscrivais avec de meilleurs mots, en mettant au propre avec des changements de couleur et de beaux stylos pour que j’ai envie de remettre le nez dedans, sinon ce n’est pas la peine parce que c’est ce que j’ai de plus précieux par rapport à ce métier et je ne veux le montrer à personne. Ça colle avec ma sensibilité, mon éducation, par là, je veux parler de mon rapport au métier.
Quel est justement ton rapport au métier ?
A.B. : Un rapport qui n’est pas du tout showbiz. En tant qu’acteur, ça m’embêterait un peu qu’on sache tout de moi et que les réalisateurs ne sachent pas comment se projeter.
Tu aimes la nature et prends des photos de bouquetins, à en juger par ton compte Instagram. Quand tu es en préparation et que tu es en attente de jouer, est-ce que ce sont des moments auxquels tu te raccroches ?
A.B. : De toute façon, c’est un métier d’attente. Tu arrives le matin sur le plateau et on te dit qu’il faut être en loge à 6h45, et tu ne tournes pas avant 11h. Et ça tu le sais, avec le maquillage et la coiffure notamment, qu’à un moment donné tu vas attendre une heure et demie dans la loge ou sur le plateau parce que la lumière n’est pas prête, qu’il y a une séquence avant, qu’il y a du retard etc. C’est un métier où tu sais que tu vas attendre, moi, ça ne me dérange pas. Et au-delà de ça, en dehors du plateau, un comédien est là toute la journée à regarder si son agent l’a appelé. Sur le plateau, il y a cette chance d’être un peu moins dans cette attente-là. Dominique Besnehard disait : “Le meilleur moment pour un comédien, c’est quand il voit le nom de son agent s’afficher sur son portable”. L’attente permet de se recentrer sur la raison pour laquelle je veux faire ce métier et de se demander si c’est vraiment viscéral. Il y a des gens qui finalement ne font pas ce métier parce qu’ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas attendre.
« Chien de la casse »
L’attente est aussi fort liée à l’ennui. Est-ce que ça ne dépend pas aussi de notre gestion du temps ?
A.B. : Je viens d’une banlieue, et quand tu grandis dans une cité, ce rapport à l’ennui est très gros. C’est ce qu’on retrouve dans Chien de la casse, même si ce n’est pas l’endroit où j’ai grandi. Il y a ce rapprochement cousin de la province où tu es loin de tout. Tu passes ces moments-là avec tes potes parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. Ces moments d’ennui peuvent être créatifs parce que, quand tu t’emmerdes, pour peu que tu aies un bout de papier, il y a des trucs qui te passent par la tête que tu peux dessiner et noter, que cela soit des paroles de musiques, un poème ou un bout de scénario. En tout cas, c’est ce que mon rapport à l’ennui a eu avec moi parce que je me suis beaucoup ennuyé quand j’étais jeune, Raph [Raphaël Quenard, ndlr] aussi d’ailleurs. Cet aspect-là est formateur, parce que l’ennui crée du vide et le vide force la création ou du moins peut la cultiver. Aujourd’hui, les enfants ont plein de choses à leur disposition qui les occupent tout le temps. Nous-mêmes, du moins beaucoup d’entre nous, avons peur de ce moment où il ne se passe plus rien. Je me suis rendu compte de ça et de cette chance de s’être emmerdé parce que l’on n’avait pas tous ces gadgets-là.
Ce qui est commun aussi, avec Raphaël, c’est que vous êtes tous les deux passés à la réalisation cette année, lui en co-réalisant L’Acteur et toi avec La Grande Ourse.
A.B. : Ce n’est pas vraiment la même chose parce que je travaille sur La Grande Ourse depuis quatre ans et demi. Pour Raph, ça a plus été une opportunité avec Hugo [David, ndlr] qui est venu filmer le making-of de Chien de la casse. Ils se sont très bien entendus, Raphaël a fait des blagues et a proposé de faire un film, ce qui est totalement à son image. Peut-être qu’il y a un truc de plus proactif chez la nouvelle génération parce que très vite on se dit : “Pourquoi pas moi ?”. Il n’y a pas besoin que ce soit un chef d’œuvre. Je peux faire un court et me planter, ça sert aussi à ça et si ça se trouve, il y en aura un deuxième pour lequel je me débrouillerai pour qu’il soit un peu mieux. Comme il y a tellement de monde qui fait ce métier, il y a peut-être aussi une réponse chez certains de se dire que s’ils réalisent, ça leur fait une double-casquette si l’une des deux ne marche plus par la suite.
Est-ce que c’est ton cas également ?
A.B. : Non, mais c’est ce que j’ai déjà pu entendre. À cinq ans, j’ai vu Le Roi lion et je me suis dit que je voulais raconter des histoires, ce qui voulait dire être comédien. Et en fait, très rapidement après, je me suis dit que ça pouvait être de l’autre côté aussi. Et ça s’est vraiment accentué au moment où j’ai commencé à tourner en tant qu’acteur, je me suis dit que si je ne réalisais pas, je ne pourrais pas choisir mes plans, ma lumière, mes comédiennes et comédiens, mon montage, et donc raconter complètement l’histoire.
« Le Roi lion »
Qu’est-ce qui t’intéresse dans Le Roi lion quand tu le vois pour qu’il soit également lié au commencement de tes carnets ?
A.B. : J’ai cinq ans, il y a plein de choses qui se passent et d’émotions qui me traversent. Peut-être que devant le film, j’ai pleuré cinquante fois et rigolé aux éclats cinquante autres fois. J’ai découvert des émotions qui m’ont traversé pour la première fois à ce moment-là. Et quand j’en suis sorti, j’étais complètement bouleversé, comme anesthésié. On est rentré en RER D et j’ai dit à ma mère : ”Je veux faire ça, je veux raconter des histoires”.
Dans ton parcours, qu’est-ce que Les Ogres et La Prière ont apporté ?
A.B. : Les Ogres, c’est vertigineux parce que c’est la première fois que je mets les pieds sur un long-métrage et qu’on me dit que je vais donner la réplique à Adèle Haenel et Marc Barbé. Je suis comme un dingue, je me dis qu’il faut être à la hauteur. C’est incroyable parce que moi, j’y joue juste une seule scène en étant le dindon de la farce. Ce qui est du génie, parce qu’il faut savoir qu’au début j’étais stressé, c’est Léa Fehner [la réalisatrice, ndlr] qui m’a dit de tenter quelque chose en impro. J’ai fait ça une heure, c’était nickel et ils m’ont laissé toute la place possible. Ça a duré une demi-journée et c’était incroyable, c’est le moment où je me suis dit que cette vie-là pouvait être folle. La comparaison avec La Prière peut exister car il y a aussi eu une première fois avec ce film mais en beaucoup plus gros. Le décor et le film sont tout le personnage. C’est le point de vue de mon personnage et le fil rouge est ce qu’il traverse. C’est une première fois alors je travaille comme un acharné pour être à la hauteur, parce que j’ai une chance énorme que Cédric [Kahn, ndlr] me donne.
Comment as-tu perçu l’évolution de passer de personnages de second plan, presque de passage, à ceux qui ont des prénoms et sont crédités au générique ?
A.B. : Les choses prennent du temps, c’est ce qu’il faut retenir. Et heureusement car pour les rôles qu’on me confie et les responsabilités que j’ai sur un plateau, je n’aurais pas été armé pour ça, notamment sans les courts-métrages. J’ai pu y apprendre comment on se comporte sur un plateau, comment on gère l’attente, comment on se débrouille pour tout donner lorsqu’on nous dit « moteur » et « action » alors que ça fait une heure et demie qu’on attend, comment on fait pour aller chercher des émotions etc. Je me suis trouvé une identité avec les courts-métrages. Si tu fais ça sur un long-métrage et qu’on te dit que c’est maintenant, tu n’es pas armé parce que tu n’as pas vécu tout ça et que les fondations n’y sont pas. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir des premiers rôles dans des longs mais ce que je souhaite à tout le monde, même si nous voulons tous aller vite et moi le premier, c’est de prendre son temps, parce que ce métier est vraiment vertigineux et qu’il faut être préparé à écumer les castings ratés. Il faut toujours faire attention aux personnes qui sortent des castings sauvages. Un premier rôle soudain, qui colle souvent à ta sensibilité ou à ton caractère et avec lequel tu es nommé dans la catégorie meilleur espoir aux César, qui t’apporte plein de presse, derrière il y a toute une carrière à construire et si tu n’as pas les bases, tu n’as rien. Tu es mis très, très haut et l’on attend de toi des choses qui ne sont pas à la hauteur de ton statut, qui peuvent te faire tomber.
« La Prière »
Est-ce que ce n’est pas quelque chose que tu as pu vivre avec La Prière ? Est-ce que ça ne t’a pas mis davantage en avant, par les prix reçus notamment, que si tu avais fait des castings ratés ?
A.B. : C’est ce qu’on retient en ne sachant pas à quel point j’ai pédalé en me mangeant des non et des non… Une fois, lorsque j’habitais dans le 91 et que je prenais le RER D pendant une heure, je suis arrivé à un casting et la personne m’a dit en me regardant de haut et bas : “C’est marrant je t’imaginais plus grand et moins gamin”, en finissant par me dire que ça ne servait à rien que je passe le casting car ce ne sera pas moi. J’avais appris quatre scènes, une de plus car j’aimais bien le faire si jamais ils voulaient la voir. Je suis reparti en RER D, en pleurant et en disant à mon père qui m’attendait en rentrant que ça s’était bien passé… Ça m’est arrivé deux fois, et il faut avoir les nerfs solides pour continuer quand on se déplace pour rien sans pouvoir montrer quelque chose et sans être payé.
Tu as été tenté d’arrêter à cause de ce type de personnes ?
A.B. : Non. Par contre, j’ai beaucoup pleuré. Il y a des moments où je me suis dit : ”C’est bon, j’arrête” mais vingt minutes après, pas plus, je me disais que je n’arrêtais rien. Et puis de toute façon, il n’y avait rien à arrêter parce que rien n’avait commencé. Je me disais que personne ne voulait de moi et j’essayais de voir comment m’organiser. Je n’ai jamais eu de plan B, et même encore aujourd’hui, si tout s’arrête, je suis dans une merde noire.
Est-ce que tu as l’impression qu’il te faut parfois provoquer le désir ?
A.B. : Je ne cherche pas à être vu. Je préfère être dans l’idée que si je ne suis pas en tournage ni en promo, on n’entend pas parler de moi car ça ne sert à rien. Hormis une caméra qui tourne ou un metteur en scène, je n’ai pas à apparaître médiatiquement.
Être médiatisé, ce n’est pas quelque chose que l’on apprend. Comment conçois-tu l’exercice que représente la promotion ?
A.B. : C’est souvent quelque chose avec lequel on n’est pas forcément à l’aise. L’idée d’aller défendre un film, un metteur en scène ou un personnage que l’on a aimé, ça, ça me donne envie. Je ne suis vraiment pas à l’aise lorsqu’on met une caméra devant moi pour me poser des questions et encore moins si elles sont sur moi. Pour un film, je le fais parce que j’ai aimé travailler avec cette personne, ces comédiens, ce personnage, que c’est agréable de défendre quelque chose et ses choix.
La Grande Ourse est ton premier film. À Paris Courts Devant, tu évoquais la pudeur et la violence. Mais c’est aussi un film qui est une expérience de réalisation, d’écriture et de montage. Qu’est-ce que t’a appris cette expérience ?
A.B. : Avec La Grande Ourse, je traite d’un sujet que j’ai vécu sauf que dans la forme il ne s’agit pas de cette violence-là. Pour le reste, la pudeur et l’idée d’une violence envers quelqu’un ne sont pas gratuites car je règle mes comptes avec certaines choses de mon enfance. Comme je suis un peu identifié médiatiquement et que je n’ai pas envie que l’on sache quelle a été mon enfance ni ce qui s’y est passé, je traite un sujet qui est d’actualité, joué par ce personnage féminin [Diane Danglard, ndlr], parce que j’ai l’impression que cette violence dont je parle dans le film touche énormément de personnes. C’est pour ça que je me dis que c’est cette forme de violence-là que je vais traiter. Ça aurait pu en être une autre. Ce film, sur l’aspect cinématographique, m’a appris à quel point c’est un kif de me mettre derrière un combo [retour sur un écran vidéo de l’image filmée, ndlr] et de dire : “Allez action, on y va !”. Très vite après, je me suis dit que j’avais envie de le refaire. Dans l’équipe technique, ce sont tous des gens dont je suis proche et que j’ai pu rencontrer sur les films dans lesquels j’étais acteur. J’ai aussi appris à réaliser. Et je ne dis pas que le prochain film que je vais réaliser, qui est écrit et prévu pour l’année prochaine, sera un grand, grand film ; et même si mon métier reste celui d’être acteur, quel kif de raconter des histoires quand tu aimes les gens qui t’accompagnent !
Est-ce que tu as eu des aides pour faire ce film ?
A.B. : Non. La seule aide que j’ai reçue, c’est Guillaume Canet qui m’a tendu la main là où aucune boîte de production ne m’aidait. L’Adami nous a aussi un peu aidés financièrement avec l’accord que je joue dedans, ce qui s’est fait. Aujourd’hui, j’ai la chance d’être accompagné par Manifest [boîte de distribution, ndlr]. Les gens ne savent pas forcément qu’avoir des aides, c’est compliqué. Là, ça a été le cas avec ce film parce qu’il n’intéressait personne, peut-être à cause du sujet trop casse-gueule ou alors parce qu’on ne voulait pas que ce soit fait par un homme. La réalité, c’est que, de la même manière que lorsque tu veux devenir comédien, tu te dis qu’il ne faut pas lâcher l’affaire. Et si on a pas d’argent, alors on se met à mettre ses propres sous. Je me suis retrouvé à être le principal producteur de mon film. Là, j’ai aussi pu avoir le soutien moral de Guillaume qui a vu le film et qui m’a fait son retour.
Comment as-tu fait la rencontre de Guillaume Canet ?
A.B. : On s’est rencontré sur Au nom de la terre dans lequel on a joué tous les deux Je n’avais pas de producteur et j’étais déjà en train de travailler sur La Grande Ourse à l’époque. Je cherchais des producteurs mais personne ne voulait m’accompagner. A ce moment-là, il m’a souhaité bon courage en me disant de ne rien lâcher. Puis, on s’est recroisé un an et demi après, à l’avant-première d’Au nom de la terre, où il m’a demandé des nouvelles. J’en étais au même point. Il m’a dit de lui envoyer le scénario et qu’il le produirait. Et c’est ce qu’il a fait après en me disant qu’il fallait quand même que je passe par ce côté débrouille. Il m’a laissé apprendre. A côté de ça, il m’a donné des conseils pour mon équipe technique et mon rôle de réalisateur. C’étaient des bons conseils qui ont fait de lui le producteur et le conseiller du film.
« La Grande Ourse »
Les quatre ans et demi consacrés à La Grande Ourse, les déceptions et les moments agréables entourés d’une équipe, t’ont-ils aidé à construire tes rôles en tant que comédien sur d’autres projets ?
A.B. : Je ne pense pas, ou alors ça m’a m’influencé inconsciemment. Mon emploi du temps est fait principalement pour être sur des tournages en tant qu’acteur. Quand j’aurai du temps et de la place pour que les choses puissent se faire, je veux réaliser des films et des longs-métrages. Les longs-métrages viendront s’incorporer naturellement dans mon planning en tant qu’acteur, ils ne le bouleverseront pas. Je n’ai pas attendu La Grande Ourse pour prêter attention aux focales, à la lumière et à la technique de manière générale. Je ne dis pas avoir une connaissance exceptionnelle du plateau ni de la caméra mais ça fait un moment que je m’y intéresse, depuis mes débuts. Et quand je dis oui à un réalisateur me proposant un film, je sais les galères par lesquelles il doit passer pour financer son film et donc qu’on ne tournera pas la semaine prochaine.
Tu as également tourné avec des réalisateurs dont c’était le premier long-métrage, comme Jean-Baptiste Durand avec Chien de la casse. Est-ce qu’à la lecture des scénarios tu portes une attention particulière au fait qu’ils soient proches du court-métrage dans leurs parcours ?
A.B. : Le scénario doit m’intéresser, potentiellement les partenaires de jeu également. C’est vrai qu’il y a un amour particulier pour les réalisateurs et réalisatrices de premiers films parce que c’est le moment où tu joues ta vie en tant que metteur en scène. C’est le premier long et il est unique. Il y en aura d’autres après mais il n’y a qu’un seul premier long avec lequel tu peux te casser la gueule parce que tu n’es pas encore avec une identité claire de cinéaste, ton univers de mise en scène, tes personnages, ta direction etc. Mais c’est très agréable parce qu’il y a aussi cet enthousiasme pour le film qui est très plaisant à vivre en tant que comédien. C’est si bien d’accompagner quelqu’un et de s’accompagner mutuellement puisque ce sont nos débuts à tous les deux.
Qu’est-ce qui déterminera le fait que tu ne parleras plus un jour de tes débuts ? L’âge, l’expérience, les projets ?
A.B. : Je considère que j’en suis encore à mes débuts, comme à l’époque. La différence c’est que je suis un peu moins naïf sur le milieu. Si un jour je deviens prétentieux, j’arrêterai de parler de mes débuts. C’est un métier où l’humilité doit être au centre de tout parce que la remise en question se fait avec l’idée de continuer à réfléchir sur ton métier et la manière d’être bien sur un plateau. Par exemple, je prends toujours mes notes sur chaque plateau en continuant de découvrir des trucs. Parfois ces découvertes se font avec des comédiens de castings sauvages, des réalisateurs faisant leur première fois en long-métrage. C’est un métier où on a la chance d’en apprendre tous les jours, où on fabrique des choses avec des sensibilités différentes, où on croise des gens qui ont vécu des choses et qui veulent les raconter. On s’y rejoint comme un rendez-vous. Si les gens sont curieux et ouverts, a priori, tu peux également leur apprendre des choses sur ce métier ou sur eux-mêmes. A partir du moment où tu dis que tu arrêtes d’apprendre, que tu n’es plus ouvert à la découverte en étant sûr de toi, tu deviens un peu prétentieux et je ne suis pas sûr que ton art devient plus intéressant qu’avant.
Est-ce que tu aurais des conseils pour des jeunes qui commencent dans ce milieu justement ?
A.B. : Oui. Leur dire que vous allez rencontrer beaucoup de gens mais qu’il ne faut pas croire que ces personnes vont être vos amis. C’est un métier où les gens sont très individualistes et où l’on tend la main parfois sans retour. Il y a très peu de personnes qui sont des grands. Pour le citer, Karim Leklou est un très, très grand monsieur et l’un des plus incroyables que j’ai pu rencontrer dans ce milieu. C’est un acteur fou et au-delà de ça, dans la vie, il a une générosité et une humanité qui n’ont pas beaucoup d’égal dans ce métier.
Est-ce qu’il y a encore la possibilité pour les metteurs en scène de courts-métrages de pouvoir tourner avec toi ? Est-ce qu’il t’arrive parfois possible de bloquer face à un scénario ou de faire des suggestions aux auteurs ?
A.B. : Bien sûr, je reçois encore des projets de courts, les étudie et reste toujours ouvert à ça, évidemment. Mais je ne m’autorise pas cette démarche de faire des suggestions. Je me dis que le réalisateur a quelque chose en tête et que je ne vais pas changer les choses même si ma sensibilité colle mieux avec cette fin-là, que cet enjeu-là. Si ça a été écrit comme ça, c’est qu’il trouvera un comédien qui s’identifie à ça et, surtout, qu’il veut le raconter comme ça. Si sur un de mes courts ou longs-métrages, on me dit qu’on me suit à condition de changer ça ici et là, c’est qu’on est pas fait pour travailler ensemble. Il y a un texte qui est étudié, on peut discuter mais on ne va pas le changer parce que ça ne colle pas avec ta sensibilité. Si tu n’y crois pas, tu n’y crois pas, ce n’est pas grave.
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Eliott Witterkerth
Après Funan, récompensé du Cristal du meilleur long-métrage à Annecy en 2018, Denis Do, présente son moyen-métrage d’animation La Forêt de Mademoiselle Tang, nommé aux César 2024. Réalisé en coproduction avec Special Touch Studios et Pictanovo, le film retrace l’histoire d’une famille chinoise qui traverse 200 ans d’histoire. Entre la fresque historique et le récit familial intime, Denis Do rend hommage à ses origines dans un récit humaniste et délicat.
Une fresque familiale et historique
Ce n’est pas si simple de raconter la petite et la grande histoire en même temps. Il faut veiller à ce que l’une ne prenne pas le pas sur l’autre. Dans son film d’animation, Denis Do réussit brillamment à dresser un portait de famille multi-générationnelle sur fond de fresque historique. L’histoire prend racine en 1886 à Swatow, aujourd’hui Shantou, ville du Sud de la Chine dans laquelle vit la famille Tang, composée de menuisiers immigrés du Cambodge. Le récit se tient sur six générations et près de deux siècles d’histoire, au fil desquels nous suivons, de manière elliptique, les grands événements historiques qui marquent la région et impactent la famille. C’est au fil des péripéties qu’un thème récurrent apparaît : celui du départ. Le départ est rêvé, idéalisé, le Cambodge vu comme une terre promise que l’on dit prospère. Pourtant, les membres de la famille Tang ne partent jamais, même quand les Occidentaux contrôlent les navires et empêchent leur commerce, ou quand un typhon détruit la région. Et s’ils partent, c’est en cachette, sans jamais revenir, comme une fuite.
Les Tang ne partent pas, car la famille est résolument ancrée dans la région. Celle-ci, et la forêt environnante, semblent le reflet l’une de l’autre. Comme des racines qui se chevauchent, les destinés humaines et végétales s’entremêlent. Les membres de cette famille tentent de conserver leur environnement pour préserver la mémoire de ceux qui ont vécu là avant eux. On répare les vieux meubles familiaux de la même manière que l’on fait une greffe à un arbre de la forêt. Une grande importance est mise sur les objets qui se transmettent et traversent les âges tandis que les hommes se succèdent au fil des générations. Un meuble de bois, des outils de menuiserie ou des bracelets sont l’héritage familial qui passe de main en main et survit à leurs propriétaires. Alors que les personnages changent souvent à mesure que nous suivons la vie quotidienne des différentes générations de la famille, ce sont ces objets-là qui nous permettent de garder nos repères. Par là, Denis Do évoque le pouvoir de transmission que permettent un lieu et les objets qui le composent.
Et pourtant, le paysage change. Il est étrange ce mélange entre immobilité et mouvement permanent que l’on trouve dans le film. Les personnages vivent dans la même maison durant deux siècles, mais des changements s’opèrent inexorablement ; une usine s’implante à la lisière de la forêt, un frigo s’installe dans la cour de la maison .. Avant de finalement partir du domaine familial, la jeune dernière de la famille inscrit le nom de ses ancêtres sur le tronc de jeunes arbres qu’elle replante dans la forêt. Ceux-ci pousseront avec leurs patronymes gravés dans l’écorce comme s’il s’agissait de leur réincarnation. Malgré le départ, le nom de la famille Tang fera partie de la forêt, la boucle est bouclée.
Un héritage culturel mis en avant
Si Funan était brillamment doublé en français, dans La foret de Mademoiselle Tang c’est en dialecte teochew que les personnages s’expriment. Pourtant, ce choix n’était pas le plus simple. Denis Do confiait, dans un sujet pour Arte, la difficulté à trouver pour le doublage des acteurs et actrices parlant ce dialecte. Il a donc aussi prêté sa voix afin d’incarner les personnages. Malgré tout, le réalisateur a pris soin de mettre en avant la langue locale, mais aussi la musique traditionnelle, qui accompagne poétiquement les balades en forêt, la nourriture et les petites habitudes des habitants du Guangdong. Tous ces détails, accompagnés par les bruits d’ambiance qui rendent l’animation réaliste et très vivante, permettent l’immersion dans l’histoire et la culture de la région. L’attention aux détails est si poussée, que le film d’animation s’apparente un peu à un documentaire historique, dans lequel Denis Do nous enseigne une histoire personnelle, toujours reliée à un esprit de communauté.
Après avoir plutôt filmé l’adolescence dans ses précédents courts-métrages, Léo Fontaine, jeune réalisateur originaire des Yvelines, raconte dansQu’importe la distance, qui était sélectionné en compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand, le trajet d’une mère qui, pour la première fois, va voir son fils au parloir. Ce film, construit comme un road-movie nous tient en haleine jusqu’a la dernière image, point culminant d’une réalisation pleinement maîtrisée. Léo Fontaine raconte pour Format Court ses influences et sa façon de travailler.
Format Court : Tu as plutôt fait des films sur la jeunesse et l’adolescence avant Qu’importe la distance. Qu’est-ce qui a fait que dans celui-ci, tu as plutôt voulu filmer du point de vue d’une femme adulte, d’une mère ?
Léo Fontaine : J’essaye de partir de mon vécu. Dans les films sur l’adolescence, j’ai voulu raconter des parties de ma jeunesse et les questions que je me suis posé à cet âge-là. Il y avait presque une recherche d’étude sur cette partie de ma vie. Le long-métrage Jeunesse, mon amour que je viens de réaliser, ça a été un peu la finalité, ça parle de l’adolescence aussi. Qu’importe la distance, je l’ai fait après le long et il y a quelque chose qui me manque souvent, c’est d’avoir un discours social engagé. Je suis un fan de Ken Loach. Dans mes films d’adolescents, c’était plus des feel good movie, des trucs de potes. L’histoire de Qu’importe la distance, c’est plutôt une découverte. Je n’ai jamais été personnellement touché par la prison mais c’est un sujet que je trouve intéressant, que l’on fantasme beaucoup dans le cinéma. J’ai découvert une association qui s’occupe d’accompagner des mères de prisonniers au parloir et j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet-là. Ça m’a travaillé et je me suis dit que pour ceux qui vivaient la prison de l’extérieur, les accompagnants, ça pouvait être étrange. Ce ne sont quasiment que des femmes, des mères et même si le scénario est tout simple, il y a quelque chose de fort qui se passe derrière et j’ai eu envie d’en parler. Je suis en recherche de ça parfois : trouver des idées fortes pour tenter d’avoir un poids dans la société. Mes films d’adolescents peuvent toucher mais ça ne va pas changer quoi que ce soit. Alors que ce film est le premier dans lequel je me suis engagé d’un point de vue social.
Le film se passe pour moitié dans les transports, qu’est-ce qui a motivé ce choix de réalisation d’en faire un personnage à part entière du film ?
L.F : En rencontrant ces mères ou ces familles de prisonniers, je me suis rendu compte qu’il y avait un sujet de société. Ce sont des personnes qui ont une vraie difficulté à aller voir leurs proches. Quand tu creuses, tu te rends compte qu’il y a des carcans psychologiques qui pèsent, parce qu’il peut y avoir de la honte, de la culpabilité d’avoir un proche enfermé. J’ai réalisé que pour ces personnes-là, le trajet était quelque chose de très important. Le parloir est un endroit où ces familles de prisonniers cachent ce qu’elles vivent pour être disponibles pour la personne qui est enfermée. Il y a des gens qui font trois heures de route, qui peuvent mettre de côté, voire perdre leur travail. Ça, on n’en parle pas. Les parloirs sont des temps très courts, quarante minutes, une heure. Parfois, la famille n’y a pas accès. Il suffit que le détenu ait fait une connerie et qu’il soit bloqué, le visiteur n’est pas au courant. Il y a plein d’éléments, comme ça, que je n’ai pas forcément traité, mais qui sont assez déroutants. Et aussi, ce n’est pas forcément le sujet du film, mais c’est plutôt un constat de la réalité, ce sont pour la plupart, selon les endroits, des personnes issues de l’immigration qui sont concernées. Il peut y avoir la barrière de la langue, la barrière de la compréhension de l’administration. Obtenir une date de parloir peut être une tannée. Et encore plus quand on ne comprend pas vraiment le système dans lequel on évolue. Certaines personnes ont besoin d’assistance et ne l’ont pas forcément. Je me suis dit que le sujet du film, c’était la trajectoire. Après, il y a eu, bien sûr, un traitement scénaristique : essayer de mettre un peu de tension là-dedans. Je me suis dit qu’il fallait que mon héroïne quitte son travail plus tôt (ce qui est une vraie mise en danger personnelle), affronte tous les problèmes de transport, le retard, les contrôleurs. Ce sont des choses qui peuvent arriver, que j’ai entendues et qu’on a aussi scénarisé pour rajouter de la dramaturgie.
Est-ce qu’en préparant le film, tu as regardé ou revu des films se passant dans les transports ?
L.F : Dans tous mes films, quasiment, je filme quelqu’un dans un véhicule en mouvement. Pour ce film, je n’ai pas le souvenir d’avoir vraiment regardé beaucoup de films de road trip, parce que je n’avais pas la sensation d’en faire un. J’ai revu Le Fils de Saul qui est un film très violent où il y a un parti pris de mise en scène d’être collé au personnage tout le temps et où tout se joue en off. Je cherchais avant tout à savoir comment filmer cette maman et comment faire comprendre ce qu’elle vit. C’est un trajet hors du commun. J’avais peur que l’on s’ennuie royalement dans les transports. L’idée, c’était de pouvoir faire des plans-séquences dans le bus et de rester le plus longtemps possible dedans. Il y a eu une recherche de mise en scène sur comment filmer cette femme. Par exemple, on n’a utilisé qu’un seul objectif pendant tout le film. On est en 4/3, c’est toujours la même image. On est tout le temps sur elle. Ça a été réfléchi bien en amont et accentué au montage. Il y avait vraiment cette volonté de créer le portrait de cette femme, peu importe les endroits où on était. Il n’y a pas vraiment eu d’influence de road trip. J’ai plutôt regardé des portraits. Je me suis refait des Andrea Arnold. Elle tire des portraits de femmes qui sont assez époustouflants.
En évoquant tes influences – tu parlais de Ken Loach tout à l’heure – qu’est-ce qui alimente ton cinéma ? Y compris au niveau des courts-métrages qui ont pu t’influencer ?
L.F : J’ai revu Marlon, par exemple de Jessica Palud, qui traite du même sujet, mais à travers le personnage de la fille, jouée par Flavie Delangle. J’ai revu des courts qui traitaient de la prison. J’ai revu Baltringue de Josza Anjembe. Je trouve que dans le court-métrage, finalement, il y a pas mal de films sur la prison. J’en ai revu quelques uns comme ça. Après, moi, je suis nourri par un peu de tout. Je suis un fou de Kurosawa et de Ken Loach. Je revois tous leurs films, tout le temps. Après, j’aime beaucoup le cinéma d’après-guerre italien : Pasolini, Rossellini. Le cinéma de Jim Jarmusch, de Harmony Corinne, de Larry Clark, m’inspire beaucoup. Et en France, la Nouvelle Vague, notamment Eric Rohmer que j’aime beaucoup. Il peut avoir cette façon de travailler en ne faisant qu’une seule prise, sans répétition, ce qui est un parti pris fort. J’adore trouver des partis pris et m’y tenir coûte que coûte. C’est hyper créatif. Je vais m’inspirer du cinéma sans argent aussi. Wong Kar-Wai, par exemple, je trouve ça dingue ce qu’il fait et quand je me renseigne, je réalise qu’il n’y a pas beaucoup d’argent pour certains de ses films. Quand je rencontre un cinéaste, j’aime bien tout regarder. Commencer par le début et voir l’évolution. J’ai fait ça avec Kurosawa et c’était assez impressionnant.
Qu’est-ce que t’apporte la forme du court-métrage ?
L.F : Je trouve ça très intéressant, parce que ça t’enferme, mais positivement, dans une façon de raconter où très vite, l’erreur est beaucoup plus directe que dans le long-métrage. On a moins de temps, donc on doit aller plus à l’essentiel. Ça appelle à la créativité. Ça oblige à faire des choix, toujours, tout le temps. Je pense que j’aurai toujours le besoin d’essayer d’en faire. Et puis, c’est aussi un endroit où, finalement, on n’a pas besoin de grand-chose. Les longs-métrages, on rentre tout de suite dans quelque chose de plus… business. Dans le court-métrage, il y a besoin d’avoir des gens à filmer, une caméra, et un peu de son. C’est comme ça que j’ai commencé. Pour mes premiers films, j’appelais mes potes et on y allait. On avait 2 000 euros et on se débrouillait, personne n’était payé mais tant pis. Le court-métrage m’a permis de fonctionner comme ça et je me suis épanoui là-dedans. C’est un endroit que je trouve très précieux, que je conserve, et que j’espère pouvoir continuer à explorer. En ce moment, j’ai besoin d’avoir plus de temps pour raconter donc forcément, je vais essayer d’aller vers le long. Je regarde beaucoup de courts, mais je ne fouille pas. J’attends de voir les sélections, par exemple des César, de Brest, de Clermont ou de Berlin. Je suis très intrigué de voir quels sont les films mis en avant. Ça me permet de renforcer aussi ma critique. Il y a des films avec lesquels je suis très dur, mais je garde ça pour moi. Le court-métrage me permet d’analyser beaucoup.
Tu reprends souvent les mêmes acteurs dans tes distributions ? Pourquoi ce choix ?
L.F : Quand je constitue mes castings, je travaille avec une responsable de distribution artistique qui s’appelle Anouk Abolnik qui m’aide énormément. Elle a un regard et elle me permet d’avoir du recul sur le travail. Avec elle, on va essayer de créer des rencontres avec les comédiens, beaucoup plus que des castings. C’est une façon différente de travailler. J’ai besoin de créer un lien de confiance fort avec les comédiens parce que je leur donne tout derrière. Tout est fait pour eux en tournage. Je reçois énormément aussi. Je suis dans la notion de famille avec les comédiens et les comédiennes. J’ai besoin de grandir avec eux, de partager la même vision du cinéma. Quand j’écris, je m’inspire de ceux que je connais. Je les appelle souvent. Le long-métrage que j’ai réalisé, c’est pareil, c’est avec des acteurs et des actrices qui sont très importants. C’est comme une lumière qui réconforte de les avoir sur le plateau. Héloïse Volle, qui est venue deux jours pour Qu’importe la distance, pour un rôle très spécial à défendre, sans dialogue, l’a fait avec un grand plaisir. Le fait de l’avoir là, ça me réconfortait et ça me rassurait. Celui qui joue le fils, Yves Batec-Mendy, c’est mon alter ego. Il m’a aidé à écrire ce film. Je l’ai rencontré pour mon film de fin d’études et maintenant il est sur tous mes films. Quand il n’est pas devant la caméra, il est derrière. Avec Sylvia Homawoo, la comédienne, il y a eu une vraie connexion. J’ai essayé de créer un lien fort pour qu’à un moment donné, elle n’ait presque plus besoin de moi. Pour faire la scène de fin où elle voit son fils, qui est quand même fondamentale, je ne l’ai presque pas dirigée. On a répété et on a tourné. J’ai confiance en ça. Parfois, je me dis que j’aurais dû refaire une prise, tirer un peu mais c’est ça, l’apprentissage.
C’est aussi valable avec tous les chefs de poste. Ce sont des gens que je compte comme récurrents dans mon travail, avec qui on est potes et que je vois en dehors du cercle du cinéma. Et ça, c’est un besoin avec mon chef-op, Olivier Ludot, ma scripte, Amandine Derdoukh, mon monteur qui a monté tous mes films. Plus on se connaît, plus c’est simple et plus d’un coup, on va dans la même direction. Il n’y a pas pire que d’être sur un plateau où il n’y a pas une bonne ambiance. Je préfère, même si on fait un film nul, qu’il y ait une bonne énergie sur le plateau. C’est aussi peut-être parce qu’à mes débuts, on a fait des films bénévoles et on n’avait rien à proposer de plus aux équipes qu’un bon moment et une belle expérience. On a gardé cette espèce de leitmotiv. On rappelle les gens avec qui on s’entend bien. C’est précieux. Ma scripte me connaît par cœur. Parfois, elle n’a même pas besoin de moi pour aller voir la chef déco ou même le comédien et lui dire de tenter telle ou telle chose. Elle sait très bien comment je fonctionne et ça, c’est précieux. C’est elle qui a choisi Sylvia, par exemple. On avait le choix entre trois comédiennes. J’hésitais et elle m’a dit : « C’est elle que tu vas choisir ». Elle me connait et elle a eu raison. Il y a donc cette volonté de garder les mêmes équipes pour pouvoir préserver cette confiance. Comme je suis quelqu’un de très arrêté dans mes choix, je suis un peu borné, c’est rassurant de pouvoir compter sur eux.
La musique interpelle beaucoup dans le film, il y en a peu mais elle est remarquable. Est-ce que tu peux nous expliquer comment tu as travaillé ?
L.F : Je suis très content qu’on le remarque parce que c’était un gros sujet pour nous, la musique. On s’est demandé si les gens allaient être touchés. Il y a deux morceaux composés par un compositeur qui s’appelle Côme Ordas et qui fait partie de mon équipe. On a fait mes courts Emma Forever, Les coeurs en chien, celui-ci et le long-métrage ensemble. C’est quelqu’un que j’appelle tout le temps. Il vit à Clermont. Je lui montre mon scénario et on cherche des idées ensemble. Il n’avait pas encore orchestré, il n’avait jamais enregistré de musiciens. On a essayé de voir avec les producteurs si on pouvait décrocher du budget pour la musique, que l’on a finalement pu avoir. Je lui ai proposé la flûte comme instrument parce que pour moi, ça renvoyait aux cours de musique au collège. C’est un rappel à l’enfance. Je me suis dit qu’il fallait absolument que la musique rappelle ce fils que l’on va découvrir à la fin. Avec Côme, on est parti sur la flûte pour cette espèce de musicalité de l’enfance. Il me connait très bien donc il a fait plein de tests. C’était hyper chouette. Il est très fort en propositions et il s’est éclaté. Il a tout composé et on est parti chercher un flûtiste, un italien, que l’on a fait venir et que l’on a enregistré à Clermont dans un studio qui s’appelle Tour du Sud. Je lui laisse très peu de place, il n’y a que deux morceaux mais il comprend et il s’épanouit beaucoup. Je trouve que la musique fait beaucoup de bien dans ce film. J’ai hâte de savoir ce que les spectateurs vont en penser. Avec ce film, on attrape ton cerveau pendant 15 minutes, ça peut donner la nausée à des gens parce que ça bouge beaucoup et la musique est posée. A la fin, c’est l’envolée pour laisser place à l’émotion. Côme vient de la musique digitale. Il adore mêler l’orchestration avec des choses très modernes. On est allé chercher vraiment des notes assez modernes, dans les accords, dans les arrangements.
Tu as évoqué un long que tu as déjà tourné. Est-ce que tu peux nous en parler ? Est-ce que tu as d’autres projets ?
L. F. : J’ai tourné ce long-métrage, il y a deux ans, pendant l’été 2022. Il s’appelle Jeunesse, mon amour. Il dure 70 minutes et sort en salle, sauf gros retournement de situation le 3 avril prochain. C’est l’histoire d’un groupe d’amis de 25-30 ans qui étaient très proches au lycée, qui se sont perdus de vue et qui se retrouvent maintenant à cet âge-là parce que l’un des membres du groupe vend la maison d’enfance de ses parents. C’est dans cette maison que toutes leurs histoires ont eu lieu. C’est vraiment un film qui traite de ce que c’est que de perdre ses amis à partir de 25 ans. C’est triste de se rendre compte que ces personnes-là ne vont plus exister dans notre vie. En même temps, c’est beau de savoir qu’on a tous ces souvenirs et que ça nous a forgé. Le film traite de ce groupe qui se rappelle de tout ça, qui fait un état des lieux. Ça parle d’amour, d’amitié de nostalgie. Il y a 7 comédiens et comédiennes fabuleux. Je suis très heureux qu’il puisse sortir enfin en salle.
En novembre prochain probablement, je partirai tourner un court-métrage en Martinique qui s’appelle Dédé King. C’est un film que j’écris depuis 4-5 ans. Je voulais tourner en Bretagne et faire un film sur mon père. En fait, je me retrouve en Martinique à faire un film dans un endroit où je n’ai jamais mis les pieds avant. C’est la réalité du parcours de financement, on va chercher des aides. Pour l’instant, les guichets tombent, s’ouvrent petit à petit mais on a pas encore assez d’argent pour le faire. J’ai bon espoir, ça peut être un joli court métrage sur le foot qui est ma première passion. A part ça, j’écris un prochain long-métrage que je veux vraiment défendre comme un deuxième long. J’essaie de trouver des résidences pour le faire. J’ai réalisé un premier film très vite, maintenant, j’ai envie de prendre plus de temps, de profiter de la sortie du long, de Qu’importe la distance, de tout ce travail-là pour essayer d’avoir les meilleurs collaborateurs possibles pour exister dans le cinéma.
Voici la deuxième et dernière partie du palmarès officiel du Festival de Clermont-Ferrand, constituée des prix remis par les jurys officiels, étudiants et publics dans chacune des trois compétitions.
Grand prix international : Une orange de Jaffa de Mohammed Almughanni (Pologne, France, Palestine)
Mention spéciale du jury labo : Borj El Mechkouk de Driss Aroussi.
Prix du public international : Coal (Charbon) de Saman Lotfian (Iran)
Prix du public national : Les mystérieuses aventures de Claude Conseil de Marie-Lola Terver et Paul Jousselin (France)
Prix du public labo : Wild Summon de Karni & Saul (Royaume-Uni)
Prix d’interprétation : Amira Chebli dans La Voix des autres de Fatima Kaci (France). Ruzica Hajdari dans Kafana Na Balkanu de Boris Gavrilovic (Allemagne)
Prix du meilleur film européen : 2720 de Basil da Cunha (Portugal, Suisse)
Prix de la meilleure musique originale : Committee (Rozi et Mari Mako) pour le film 27 de Flóra Anna Buda (France, Hongrie)
Prix étudiant international : The medallion de Ruth Hunduma (Royaume-Uni, Ethiopie)
Prix étudiant national : There is no friend’s house (où est mon amie ?) de Abbas Taheri (France, Iran)
Prix étudiant labo : Los rayos de una tormenta de Julio Hernandez Cordon (Mexique).
Mention spéciale du jury étudiant international : The miracle de Nienke Deutz.
Mention spéciale du jury étudiant national : Ici en silence tout hurle d’Akaki Popkhadze.
Mention spéciale du jury étudiant labo : Hito de Stephen Niels Lopez
Connue avant tout pour son travail sensoriel et immersif de la techno, Irène Drésel a marqué avec la bande originale d’À plein temps d’Eric Gravel, ses premiers pas dans la composition musicale de film. Une première incursion, qui lui valut le César 2023 de la meilleure musique, une première pour une femme dans cette catégorie. Membre du comité artistique des César aux côtés de Dominik Moll, Pierre Salvadori, Louis Garell, Frédéric Baillehaiche et Guslagie Malanda, et à présent membre du jury Labo au 46e Festival de Clermont-Ferrand, elle explore son parcours et fait entendre son point de vue sur le format court.
Format Court : D’où est venu votre entrain dans un premier temps pour la musique ?
Irène Dresel : Moi en fait, je viens avant tout de l’image, puisque j’ai étudié aux Beaux-arts et aux Gobelins et pendant longtemps, j’étais attachée aux arts contemporains. J’ai eu besoin de sortir de tout cela pour aller vers quelque chose de plus authentique et de plus spontané. J’avais ce désir-là de faire de la musique techno depuis bien longtemps et c’est pendant une soirée que j’ai fait une rencontre qui m’a poussée vers ce chemin-là. Quelqu’un qui m’a aidé, m’a guidée et c’est comme ça que ça a commencé.
Qu’est-ce qui vous intéresse tellement dans la musique électronique ?
I.D : Je fais de la musique électronique avec des influences techno et c’est toute cette matière qui en gravite autour qui me fascine. Il y a toute une dimension ludique dans la musique techno qui concerne les fréquences basses et cela produit un véritable impact sur le corps. C’est un style de musique que je trouve très physique et qui nous transporte très vite dans une autre dimension.
Vous êtes ensuite passé à la composition de film avec À plein temps. Est-ce que c’était quelque chose qui vous a toujours intéressé ?
I.D : Pas forcément, je suis arrivé sur le projet grâce à la boîte de production Novoprod qui m’a appelée parce que j’avais déjà travaillé avec eux notamment sur de la pub. Quand ils m’ont appelé pour faire cette musique, mon travail dans ce domaine se limitait à un film des années 30, Loulou, de Pabst que j’avais remis en images. Même si je viens de l’image, ce n’est pas quelque chose qui m’intéressait fondamentalement, je me souviens même de mes copains à l’école de photo qui me disait que ma musique leur évoquait vraiment des images de film, mais moi ce qui m’intéressait, c’était juste faire de la techno.
À quel moment êtes-vous arrivée sur le projet ?
I.D : Je suis arrivée deux mois avant la première projection presse, tout le tournage était terminé, il y avait encore quelques ajustements au niveau du montage avec l’ajout de la musique, mais dans l’ensemble tout était fini.
Et comment s’est passée la collaboration avec Éric Gravel ?
I.D : Très bien, c’était un travail de longue haleine sur deux mois assez intensifs, mais j’ai trouvé en Éric un partenaire très professionnel qui ne me laissait jamais dans l’attente de son retour sur mes propositions. Au final, tout cela a été très fluide.
Qu’est-ce qui a différé dans votre façon de concevoir la composition musicale ?
I.D : Quand on travaille sur un film, on répond aux attentes du réalisateur, on est là pour servir le film et toute l’équipe qui est derrière. C’est très différent du travail de composition d’un album ou là, c’est vraiment juste moi et mes goûts. J’étais là pour me coller aux intentions d’Eric Gravel qui avait une idée très précise sur ce film pour la musique de son film. Il voulait une musique très typée années 70 avec des sonorités très ambiantes évitant toutes les percussions comme les kicks et les drum, tout ce que j’utilise dans ma techno, il voulait quelque chose de sous-jacent.
Un an après votre César, quel est votre point de vue sur l’évolution de la place des femmes dans la composition musicale de film ?
I.D : Je vois une certaine évolution, déjà l’année dernière aux César, il y avait eu une sorte de scandale en ce qui concerne les femmes nommées ou récompensées ne serait-ce que dans la catégorie réalisation. Cette année, ce n’est plus pareil, on peut retrouver beaucoup de femmes nommées, même dans la catégorie meilleur musique où on trouve Delphine Malaussena pour Chien de la casse. Je pense que mon César a dû aider à faire comprendre qu’il y avait quelque chose d’anormal, même si le plus important, ce sont les musiques. Après, je pense qu’il y a aussi une sorte de manque de confiance de la part des boîtes de production envers les femmes compositrices. Mais heureusement, ça change.
« À plein temps »
Quels souvenirs gardez-vous de votre expérience dans le comité artistique des César ?
I.D : C’était assez intense, parce qu’il a fallu voir une trentaine de films et c’était surtout assez enrichissant. Cela permet d’avoir une vision d’ensemble sur ce qui se fait aujourd’hui dans le paysage audiovisuel francophone, de voir une nouvelle génération d’auteurs. Après, ce n’était pas ma première expérience, parce que j’ai été jury au festival de la Baule et au festival des Arcs, mais là, c’était plutôt du long-métrage. C’est vrai que quand on en voit une trentaine de films, ça aiguise l’œil et ça permet de voir plus facilement les coutures d’un scénario par exemple.
Vous seriez capable de travailler sur un court-métrage ?
I.D : Ca m’intéresse. Je me vois plus passer directement du côté du long-métrage et réaliser un court, mais je ne pense pas avant 10-15 ans. Je me vois bien n’en réaliser qu’un seul.
Après moi, je suis assez difficile, je ne dis pas très souvent oui à des projets et notamment en ce moment, après le César. Mais je pense que ça dépend de l’idée, de la personne qui est derrière et aussi évidemment de l’image qui sera liée à ma musique. Au final, je suis très attachée à l’image, pour quelqu’un connu pour le son, c’est paradoxal, mais j’y suis sensible.
Quel est votre rapport au court-métrage ?
I.D : Je ne me suis jamais réellement intéressée à ce format, mon premier plongeon dans le monde du court-métrage, c’était grâce aux César et au comité de sélection. Mais personnellement, je ne vois pas tellement de différence entre long et court métrage. Il y a évidemment une différence de temps qui est donnée, mais au final, on les juge de la même façon. En fait, il y a des courts-métrages qui pourraient être des longs, c’est juste un problème de temps et de budget et il y a des longs qui feraient mieux d’être des courts-métrages. Après moi, j’ai du mal avec des films qui s’étirent des fois pour rien et qui dépassent l’heure et demie. Avec le court-métrage, je m’y retrouve.
Qu’est-ce qu’on peut attendre de vos prochains projets ?
I.D : En ce moment, je suis en tournée à la suite de la sortie de mon troisième album et à côté de ça, j’ai des demandes pour des longs-métrages, mais j’essaye de ne pas dire oui à tout parce que j’ai besoin d’être transportée pour faire du bon travail.
Vous pensez que le fait d’avoir remporté un César vous pousse à devoir faire mieux ?
I.D : Non, c’est vraiment à titre personnel que j’essaye de trouver un projet exaltant, Je ne me mets pas de pression quant à mon travail. Je cherche vraiment le coup de cœur.
Prix du meilleur film VR : Empereur de Marion Burger et Ilan J. Cohen (France, Allemagne)
Prix Procirep du producteur de court métrage : Les films Norfolk pour Apnées de Nicolas Panay
Prix du meilleur film documentaire : Incident de Bill Morrison (Etats-Unis).
Prix du meilleur Queer métrage : Entre las sombras arden mundos de Ismael Garcia Ramirez (Colombie). Mention spéciale à Saigon kiss de Hong Anh Nguyên (Vietnam, Australie).
Prix du rire Fernand-Raynaud : Les mystérieuses aventures de Claude Conseil de Marie-Lola Terver et Paul Jousselin (France)
Bourse CNC/talent : Amour noir de Victor Hérault (France)
Prix YouTube du court métrage de fiction : Dragon cop de Mathieu Caillière (France).
Coup de cœur Canal+ Kids : Historien Om Bodri de Stina Wirsen (Suède)
Mention spéciale du jury Canal+ Kids : A mort le bikini ! de Justine Gauthier (Canada)
A l’occasion du 46ème Festival International du court-métrage de Clermont-Ferrand, le 15ème Prix France Télévisions du court-métrage, présidé cette année par le réalisateur Thomas Cailley, a été remis à Julia Kowalski pour son film J’ai vu le visage du diable, produit par Venin Films.
Ce prix est doté par France Télévisions d’une bourse de 5000 euros attribuée à la lauréate, qui bénéficie également d’un préachat pour son prochain film.
Associé à France Télévisions depuis plusieurs années sur ce Prix, UniFrance dote de 500 euros les 2 mentions d’interprétation :
– Mention d’interprétation féminine du Jury attribué à Joséphine de Meaux pour son rôle dans le film Avec l’humanité qui convient de Kacper Checinski (produit par Takami productions)
– Mention d’interprétation masculine du Jury attribué à Okihido Yoshizawa pour son rôle dans le film Oyu d’Atsushi Hirai (produit par MLD Films)
Réalisateur, producteur ou encore scénariste, Guillaume Brac s’est fait remarquer par ses différents longs-métrages, courts-métrages et moyens-métrages, à la fois de fiction et de documentaire tels À l’abordage (2020) ou Un monde sans femmes (2011). AvecUn pincement au coeur, court-métrage qui était présélectionné aux César 2024, il conte l’histoire de Linda et Irina, deux adolescentes en fin de seconde. Les vacances d’été approchent et Linda doit déménager. Une nouvelle instabilité s’instaure dans le quotidien de ces deux jeunes amies. La force et la beauté de leur lien transparaissent dans ces quelques séquences portées à notre attention par le regard de Guillaume Brac : un récit sur la jeunesse et l’amitié.
Format Court : Comment est né ce projet ? D’où est venue l’idée de vous rapprocher de ces deux protagonistes ?
Guillame Brac : C’est une commande qui m’a été passée par le BAL à Paris qui est un centre d’art qui organise des ateliers dans plein de lycées, de collèges, d’associations partout en France. Ils m’ont proposé d’aller faire un projet dans ce lycée d’Hénin-Beaumont. Ce n’est pas du tout ma décision ni mon idée d’aller filmer ces jeunes filles, c’est parti de cette proposition d’aller travailler avec des jeunes. L’idée était de faire un film. Ils étaient douze treize jeunes qui s’étaient portés volontaires dans ce lycée en seconde, on se voyait tous les quinze jours, le mercredi après-midi, pendant plusieurs mois. Petit à petit, Linda et Irina ont vraiment émergé à mes yeux. Elles me touchaient beaucoup. Je sentais qu’elles avaient une espèce de capacité à mettre les mots sur ce qu’elles ressentaient, sur leurs émotions. Une sorte de générosité dans l’expression de leurs sentiments et une maturité aussi beaucoup plus grande que leurs camarades. Elles sont arrivées au centre du projet. J’ai quand même filmé tout le groupe parce que c’était l’idée, c’était un peu le contrat d’impliquer tout le monde et c’est au montage que j’ai vraiment centré le film sur elles.
Au début, vous comptiez mettre ces rushes de tout le groupe et c’est au montage que vous vous êtes recentré sur ces deux personnages ?
G.B. : J’avais l’intuition que le film serait plus centré sur elles mais je voulais quand même laisser une chance aux autres. Plus le tournage avançait et plus je me rendais compte que c’était avec elles qu’il se passait les choses les plus fortes. Quand j’ai attaqué le montage, je savais quasiment à 100% que le film allait être sur elles et qu’il n’y aurait malheureusement pas la place pour les autres. Ce qui était beau, aussi, c’était de raconter cette relation du début à la fin du film et ça aurait été étrange de voir d’autres jeunes qui n’ont pas vraiment une vraie trajectoire comme elles autour.
Comment avez-vous abordé la caméra pendant le tournage ? Elle est souvent proche avec des cadres fixes mais par moments vous êtes aussi très éloigné des protagonistes ?
G.B. : La caméra a été introduite petit à petit. Comme je le disais, on se voyait tous les quinze jours le mercredi après-midi. Il y avait plusieurs mercredis où on a fait des petits exercices avec la caméra. Je les ai faits travailler sur la question de la sincérité et sur le fait de ne pas avoir peur, même d’être fier de parler de soi et de raconter des choses qui peuvent toucher tout le monde, d’avoir le courage d’assumer ses émotions, même si elles peuvent être négatives ou douloureuses. J’avais donc fait des exercices comme ça, pas mal autour de la question du sentiment amical ou amoureux où chacun, chacune racontait des choses assez personnelles devant tout le monde et devant la caméra. Et puis, il y a eu aussi une étape où je leur ai proposé de filmer eux-mêmes et elles-mêmes leurs camarades. La caméra devenait petit à petit un peu plus familière et rassurante. Sur le tournage, j’ai l’impression que Linda et Irina l’ont vraiment oubliée très vite, elles ne s’en souciaient pas tellement. Et c’est vrai que cette caméra, par ailleurs, bougeait assez peu. Ce qui m’intéressait était de capter des blocs de durée comme si on prélevait de la réalité un moment. Je n’avais pas forcément envie de découpage, parfois, il y en a un peu, mais c’est la plupart du temps un plan séquence. On laissait souvent tourner très longtemps la caméra, on la laissait tourner quinze, vingt, parfois trente minutes ce qui faisait qu’elles rentraient vraiment dans leurs discussions, elles rentraient dans une conversation comme si on n’était pas là, c’était assez troublant. Très souvent, c’était moi qui donnais l’impulsion de départ d’une scène mais très rapidement, c’était elles qui se la réappropriaient et ça devenait un vrai moment entre elles. Je pense que le fait qu’on soit là, que je sois là, peut-être, les poussait aussi à exprimer d’une manière plus fine, plus précise, plus approfondie les choses, à creuser vraiment ce qu’elles avaient à se dire. À chaque fois, c’était des échanges qu’elles auraient pu avoir sans nous.
Et pour cela, diriez-vous que vous vous êtes inspiré d’un certain cinéma direct dans votre vision du documentaire ?
G.B. : Je ne sais pas. Je ne connais pas exactement la définition du cinéma direct. Je ne sais pas si le cinéma direct autorise l’intervention sur le réel. Nous n’étions pas dans une logique de pure captation puisque, comme je le disais, nous prenions le temps d’installer un cadre avec la caméra et d’amorcer une scène où je pouvais leur donner le point de départ (donc pas vraiment en cinéma direct) mais en revanche, après, je n’intervenais plus du tout et la scène s’écrivait devant nous et on re-basculait dans une sorte de captation.
Comment le récit s’est-il construit pendant le tournage ? Est-ce que vous saviez quand vous avez commencé à les rencontrer que Linda allait déménager ?
G.B. : Je l’ai su assez vite. Je me suis aperçu quelques jours avant le tournage que c’était très compliqué entre elles alors même qu’elles me fascinaient. Je trouvais leur amitié très belle, elles se soutenaient énormément. J’ai eu en quelque sorte la mauvaise surprise de me rendre compte qu’elles se fâchaient, qu’à un moment donné, elles ne se parlaient plus du tout. Je me demandais comment je vais filmer leur amitié si elles ne se parlent plus. Elles se sont rabibochées juste avant le tournage et en même temps, on sentait qu’elles en avaient gros sur le coeur et que ça pouvait à tout moment ré-exploser. Ce n’était pas évident comme situation, parce que je ne voulais pas non plus être la cause d’une nouvelle explosion entre elles. Et d’ailleurs, c’est un peu ce qui s’est produit malgré moi au centre commercial où là, devant la caméra, elles se sont dites des choses très dures, ou en tout cas, Irina a dit des choses très dures à son amie Linda. C’est vrai que je me sentais un peu responsable de ça et c’étaient elles qui me rassuraient en me disant : « Mais non, ce n’est pas du tout de votre faute. Cette discussion, on aurait pu l’avoir deux jours avant, deux jours après, ce n’est pas à cause du tournage». Je devais trouver ma place, la place du film au milieu de l’histoire qui était en train de se dérouler. Il ne fallait surtout pas aggraver les problèmes entre elles, ce n’était pas non plus mon rôle de les réconcilier, même si j’en avais très envie. Leur relation a évolué jusqu’à la fin du tournage et il se trouve que la scène du centre commercial est arrivée le dernier jour. C’était assez dur parce que ce n’était pas facile de finir là-dessus. Au montage, j’ai un petit peu réécrit la réalité puisque j’ai inversé la scène du centre commercial et la scène à la plage (qui avait eu lieu la veille ou l’avant-veille) et je crois que j’ai eu raison de faire ça parce que quelques semaines plus tard, elles se sont complètement réconciliées. Par ailleurs, il se trouve que le déménagement de Linda qui était planifié a été annulé. Donc finalement, Linda est restée et leur amitié a pu se poursuivre.
Par rapport à ce que vous disiez précédemment, est-ce que vous aviez l’impression que le tournage devenait un espace de confidence pour elles ?
G.B. : Oui, je pense qu’elles avaient vraiment un grand désir et un grand besoin de parler, de se confier, d’être écoutées et entendues, et moi, je suis arrivé à ce moment-là. Je pense que le tournage leur a fait plus de bien que de mal. J’en suis même sûr d’autant qu’elles étaient extrêmement fières du résultat. Ça les a beaucoup valorisées notamment vis-à-vis de leurs professeurs, de leurs camarades et de leurs familles.
C’était très troublant pour moi. Je n’arrêtais pas de me demander, puis je me posais encore plus la question au montage quand je redécouvrais les rushes : qu’est-ce qui peut pousser des adolescentes à se confier d’une manière aussi généreuse et intime devant quelqu’un comme moi qui avait le triple de leur âge et qu’elles ne connaissaient finalement pas si bien ? C’est très troublant et très mystérieux. Je pense que parfois, on se confie mieux à des gens un peu plus éloignés paradoxalement. À la fois, elles se confiaient l’une à l’autre, étant très proches, mais en même temps, elles se confiaient aussi à moi qui était moins proche. C’est un peu le mystère du documentaire.
On retrouve des aspects documentaires même dans vos films de fiction, comment concevez-vous le cinéma documentaire ?
G.B. : J’ai un statut un peu particulier parce que je passe de la fiction au documentaire et inversement. Je pense que j’ai un rapport assez fictionnel quand je fais du documentaire c’est-à-dire que j’aime bien provoquer des situations, j’aime bien mettre les choses en scène notamment à travers le cadre ou à travers la manière dont les plans sont pensés etc.. Ca reste complètement du documentaire parce que mon obsession est d’arriver au mieux à raconter qui sont les gens que je filme et qu’après en se voyant, ils aient l’impression que quelqu’un les a compris, les a aimés etc… C’est à la fois le réel et à la fois tout autour un cadre plus fictionnel qui peut être un peu moins habituel en documentaire. Il y a tellement de manières différentes d’envisager le documentaire et c’est ça d’ailleurs qui est passionnant. Quand je fais de la fiction, j’ai besoin de m’appuyer sur le réel et d’écrire en partant des gens que je filme comme j’ai pu le faire sur À l’abordage, ou même comme j’ai pu le faire avec par exemple Vincent Macaigne que je connais très bien dans la vie.
Quand j’écris des fictions, j’ai besoin de partir du réel, des lieux, même des gens non professionnels qui viennent enrichir le film. Pour moi, il y a quelque chose de très poreux entre mon rapport à la fiction et mon rapport au documentaire. Un pincement au coeur a une construction narrative qui pourrait presque faire penser à une fiction. D’ailleurs, parfois, des gens voient le film et ont presque l’impression que c’est une fiction alors que pas du tout. Je pense qu’il y a un travail très rigoureux et assez long de montage pour arriver à cette impression de fluidité, on a presque l’impression que ce que l’on voit a été écrit et de fait, cela a été écrit mais au montage.
Avez-vous un nouveau projet en cours ?
G.B. : Oui, j’ai tourné un autre documentaire dont je suis en train de terminer le montage et qui, d’une certaine manière, est une sorte de prolongement d’Un pincement au coeur sauf que c’est d’autres personnages, d’autres protagonistes. Ce n’est pas dans le Nord de la France, c’est dans le Sud de la France et puis, elles ne sont pas en seconde, elles sont en terminale. C’est de nouveau un film sur la question du lien, de l’attachement et aussi comment les amis peuvent devenir une seconde famille pour guérir les blessures de la famille de sang. Ce que l’on sent déjà pas mal dans Un pincement au coeur : que l’une et l’autre vivent dans le manque de leurs pères, qu’elles n’ont pas eu des vies faciles et qu’elles s’accrochent l’une à l’autre pour se réparer. C’est quelque chose que je prolonge dans mon nouveau film.
Angélique Daniel est réalisatrice. Cette année, elle présente son premier court-métrage Montréal en deux en compétition nationale (F6) au Festival de Clermont-Ferrand. Ce film raconte, par un procédé original, le partage des différents quartiers de la ville de Montréal, par un couple venant de séparer. Également productrice au sein de sa société Naïka Films, la réalisatrice originaire du Sud-Ouest et ayant vécu une demi-décénnie à Montréal, nous raconte ses choix, ses intentions, ainsi que ses désirs de cinéma.
Format Court : Comment vous est venue l’idée de Montréal en deux ?
Angélique Daniel : Il y a quelques années, après avoir travaillé au sein de différentes sociétés produisant des films de longs-métrages, j’ai eu le désir de fonder ma propre structure et de me consacrer au développement de projets de courts-métrages. À cette période, j’avais deux projets en cours d’écriture et j’échangeais régulièrement avec des amis, auteurs québécois, à qui j’avais demandé de m’envoyer des textes.
Maxime Robin (auteur, metteur en scène, réalisateur et comédien québécois) m’a envoyé Québec en deux. Il s’agissait d’une courte forme écrite pour le théâtre, six pages de dialogue sans une indication, seulement deux personnages, « UN GARÇON » et « UNE FILLE », et sur la page de garde une question : « Qu’est-ce qu’on se dit quand c’est fini ? ».
Je ne connais pas vraiment la ville de Québec, et j’ai immédiatement projeté cette bal(l)ade à Montréal, là où Maxime et moi nous sommes rencontrés. Je lui ai demandé s’il accepterait que nous adaptions le dialogue, que nous le transposions ailleurs pour en faire un court-métrage. Il a été tout de suite enthousiaste.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire de cette façon ?
A.D. : Ce qui m’a intéressée, c’est l’idée d’aborder une histoire d’amour par son envers, c’est-à-dire la rupture et tout ce qui s’y joue : le rejet, la nostalgie, la jalousie, les rancœurs, les souvenirs, l’espoir… Mais si le dialogue entre ce couple défait reflète une expérience commune, il a la particularité de s’attacher à une composante essentielle : la mémoire, et même plus particulièrement la mémoire des lieux. L’intuition de Maxime au moment de l’écriture de Québec en deux était que les lieux que l’on fréquente dans nos parcours amoureux, entre autres, portent les traces invisibles des expériences que l’on y a vécues. L’adapter supposait donc de chercher comment renouer, grâce au cinéma, avec cette charge émotive que nous leur conférons. Se demander comment chacun de nous, à sa façon, « traverse » ces lieux, les habite, et observer comment on se les approprie. C’est la raison pour laquelle, très tôt, l’idée de travailler à partir d’images documentaires de Montréal aux quatre saisons s’est imposée. Pas besoin de comédiens à l’image, pas de mise en scène. Faire le pari d’une fiction qui se déploierait au moment du montage à travers les voix, les images de la ville et ses saisons. Cette approche m’offrait une grande liberté, à toutes les étapes de la fabrication de ce film. La ville devenait ainsi un inépuisable terrain de jeu, traversé par mille et une histoires venant nourrir la fiction de ce couple qui n’en est plus un, que l’on ne voit jamais, mais que l’on projette partout.
Comment s’est passée la connexion avec les acteurs-rices qui sont les voix téléphoniques du film, notamment Tiphaine Raffier, également réalisatrice de courts-métrages ?
A.D. : La rencontre avec Tiphaine s’est faite tardivement, presque accidentellement. Cela faisait un moment que je travaillais sur le montage du film et je patinais complètement. Emilie (mon associée au sein de Naïka Films) a insisté pour que je rencontre Tiphaine et lorsqu’elle s’est prêtée à une première lecture avec Toby Andris Cayouette, j’ai eu l’impression de redécouvrir le dialogue, de l’entendre pour la première fois. Tiphaine est une personne brillante, d’une grande finesse et d’une grande générosité. Nous nous sommes donné rendez-vous au studio quelques jours plus tard et avons enregistré le dialogue en un soir, dans une atmosphère joyeuse. Concernant Toby, je l’ai rencontré à Paris à l’occasion de ce projet. À l’instar de Tiphaine, Toby a plusieurs casquettes : c’est un musicien, un compositeur, et il a également réalisé plusieurs courts-métrages dont trois en Géorgie ces dernières années. Il est très talentueux. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec eux, qu’ils me prêtent leur voix pour incarner ce « GARÇON » et cette « FILLE ».
Vous filmez Montréal, ses quartiers, ses habitants, qu’est-ce qui pour vous fait de cette ville, une ville de cinéma ?
A.D. : J’ai vécu à Montréal pendant presque cinq ans et il est évident que je n’aurais pas pu faire ce film sans cette expérience-là. Dans mon esprit, et encore aujourd’hui dans mon imaginaire, Montréal est lié au cinéma, à mon rapport au cinéma dans le sens où c’est là que j’y ai fait mes études. Mon parcours au sein de l’Université de Montréal m’a permis de croiser des professeurs, des chargés de cours, des étudiants qui tous ont nourri mon désir de cinéma. Quand je remets les pieds à Montréal, c’est avec tout cela que je renoue et je suis heureuse que mon premier court-métrage puisse être accueilli comme un hommage à cette ville. Il y a aussi une réalité : Montréal nous offre à chaque saison un visage différent, les lieux se transforment, et pour une personne qui a grandi dans une ville du Sud-Ouest de la France, il y a une véritable fascination, une curiosité intarissable à l’égard de ces mouvements et un réel plaisir à les observer.
Avez-vous eu des influences particulières, notamment cinématographiques, pour faire ce film ?
A.D. : Je me souviens qu’avant de partir pour la première session de tournage, me revenait souvent en tête L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais ou du moins, les souvenirs un peu épars que j’en avais… Il m’est arrivé de repenser parfois à La Jetée de Chris Marker. Entre deux sessions de tournage, je regardais Les amoureux de Montréal de Jacques Giraldeau, un long-métrage documentaire de 1992.
Je ne sais pas si on peut parler d’influences, mais ce sont des films qui m’ont accompagnée. Appréhender les différentes sessions de tournage de Montréal en deux n’a pu se faire sans penser au cinéma direct de la fin des années 50 – début des années 60 au Québec et à des cinéastes comme Claude Jutra, Gilles Groulx ou encore Michel Brault. Les livres ont été importants également : la lecture de Beaux Rivages et les mots de Nina Bouraoui m’ont souvent portée. Ils ont été si importants qu’ils ouvrent ce film d’ailleurs. Là où Beaux Rivages offre « la radiographie d’une séparation », Montréal en deux a vraiment été pensé comme la tentative d’une « cartographie sensible » de la ville.
C’est votre premier film en tant que productrice avec votre société Naïka Films, comment vous sentez-vous avec cette casquette de productrice ? Est-ce que vous envisagez de développer d’autres projets ?
A.D. : Assumer la production d’un film, qu’il soit de long ou de court-métrage, est une expérience à la fois exaltante et d’une grande exigence. Si le désir de poursuivre sur la voie de la réalisation est présent, celui de la production ne l’est pas moins. En revanche, je ne crois pas que je réitèrerai celle de la double casquette, ou en tout cas pas comme seule productrice. La relation réalisateur.trice / producteur.trice est bien trop précieuse, et je suis très attachée à la rencontre, qu’il s’agisse de celle avec un auteur ou avec un sujet. La perspective d’accompagner des auteurs dans leurs projets de film et de m’y immerger me plaît. C’est d’une certaine façon ce que je fais aujourd’hui, ce qui occupe la grande partie de mon temps. Au-delà de la dichotomie « réalisation » / « production » je crois que ce qui me passionne, c’est la pratique du cinéma du point de vue de sa fabrication, de ce qu’elle met en jeu.
Quels sont vos autres projets en écriture, tournage ou développement ?
A.D. : Actuellement, je travaille à la mise en production d’un projet de premier long-métrage auquel je me consacre à travers une autre structure que la mienne, et pour laquelle je me consacre depuis quelques années. C’est un projet qui me tient beaucoup à cœur. J’ai également un projet, personnel cette fois, qui me fait renouer avec l’écriture et dont j’ignore encore la forme qu’il peut prendre. Mais réinvestir le champ de l’écriture m’apporte beaucoup, j’y trouve une forme d’équilibre.
Comment appréhendez-vous la forme du court-métrage ? Est-ce que vous en regardez ?
A.D. : Le court-métrage m’a toujours inspiré l’image d’un « laboratoire », un lieu d’expérimentation en quelque sorte où l’on éprouve ses premières envies, ses premières idées, où l’on s’y confronte. Il m’inspire aussi un sentiment de grande liberté, en partie attachée à son économie qui peut s’avérer très précaire et qui pousse à être toujours plus créatif, plus imaginatif, et qui nous encourage sans cesse à recomposer.
Il y a quelques années je regardais pas mal de courts-métrages et je me rendais régulièrement dans les festivals. J’aime voir des courts en salle. J’ai un goût tout particulier pour les courts-métrages d’animation (et pour l’animation en générale), ainsi que pour les courts expérimentaux qui questionnent autant qu’ils racontent. Le court demeure un lieu de création et de réflexion essentiel pour le cinéma.
Quel est votre sentiment d’être en sélection nationale au Festival de Clermont-Ferrand ?
A.D. : J’éprouve une grande joie et j’aurais adoré partager cette aventure avec les personnes qui ont collaboré à la fabrication de ce film. Je pense immédiatement à Sandy Pujol Latour, la monteuse image, qui prépare actuellement son premier court-métrage en Corse en tant que réalisatrice. C’est un crève-cœur de ne pas partager ce moment avec elle qui, en plus d’être une collaboratrice hors pair, est aussi une amie de longue date.
C’est la même chose avec Cédric Martinez, le chef opérateur, qui est en ce moment en Norvège et que je connais depuis bientôt 25 ans…
Ce projet de court-métrage m’aura offert de rencontrer Patrick Avakian (H1000), un promeneur écoutant pour reprendre l’expression de Michel Chion. Patrick est un amoureux des montagnes et propose depuis des années des randonnées sonores. Déambuler à ses côtés au sein de la ville (qui est tout sauf son environnement naturel !) a été une expérience enrichissante, et il faut absolument aller découvrir ses balades radiophoniques. La collaboration avec Thomas Huguet (monteur son, mixeur, en charge de la création sonore) m’a également beaucoup apporté et m’a permis d’explorer de nombreuses pistes quant à l’appréhension du son. Enfin, les deux comédiens ne pourront pas davantage se joindre à moi et c’est un vrai regret (Toby Andris Cayouette achève actuellement son prochain court-métrage à Tbilissi). Néanmoins, j’ai la chance de partager les premiers jours du festival avec Maxime qui fait le déplacement de Québec pour accompagner les premières projections publiques de Montréal en deux.
J’ai le sentiment d’une page qui se tourne et d’une bulle dont je m’extrais avec nostalgie. Mais au-delà de ce qui concerne la sélection de Montréal en deux en compétition nationale, Clermont-Ferrand, c’est surtout la possibilité de voir des centaines de courts venus d’horizons si divers, d’être confrontée à une multitude de regards et d’avoir la chance de rencontrer et d’échanger avec ces « regards ».
Le Festival de Clermont-Ferrand a débuté le 2 février. La plus importante manifestation cinématographique mondiale consacrée au court-métrage comme aime à le rappeler les organisateurs, propose une 46ème compétition nationale, autant que le nombre d’éditions au compteur. Celle-ci recense 45 films, mêlant animation, expérimental, fiction et documentaire, qui concourront pour se partager 6 prix.
La sélection fait la part belle à diverses formes de récit. Avec une réelle diversité de genres et d’esthétiques, la sélection nationale réserve de belles projections aux spectateurs du festival. Parmi nos coups de coeur, Montréal en deux de la réalisatrice Angélique Daniel, qui filme Montréal, ses rues, ses marchés, ses quartiers. Pas d’acteurs à l’image, simplement des gens qui marchent, patinent, jouent de la musique, se promènent, font leur courses, superposant sur ces images un dialogue au téléphone entre un homme et une femme, que l’on comprend avoir été en couple, discutant de comment se partager la ville après leur séparation pour qu’ils ne se croisent pas. La discussion évoque les souvenirs d’une relation, les endroits où ils ont pu vivre des moments ensemble. Il y est question de mémoire, de mystère, de souvenirs, de secrets, de centres d’intérêt propres à l’un ou à l’autre.
La forme proposée dans ce film est vraiment originale. Le mélange entre fiction et réalité prend ici tout son épanouissement car comme dans un documentaire, nous voyons des images réelles du quotidien des Montréalais tandis que le dialogue entre l’homme et la femme nous rappelle que nous sommes bien dans une fiction. Les images comme des cartes postales de la ville nous font voyager à travers l’histoire de ce couple, nous éclairant sur leur vécu, leur histoire. La discussion téléphonique devient l’occasion de se rappeler, de se remémorer.
Il est souvent question de départ et de retour dans cette sélection. Comme dans Rentrons de Nasser Bessalah où le réalisateur raconte l’histoire de deux jeunes adultes qui, chacun pour des raisons propres, échafaudent un plan pour quitter l’Algérie et sa Kabylie, et rejoindre la France. L’un, joué par Zine-Eddine Benyache pour aller voir sa mère en train de mourir et l’autre, interprété par Melha Bedia, pour quitter un père autoritaire. Le film va raconter leur errance, leurs déconvenues et leur relation. Peut-être que ces pérégrinations leur permettront de mieux se comprendre et se connaitre.
Ce thème du retour est aussi le point de départ du film de Yohann Kouam, Après l’aurore. Le film débute, dans un train provenant de Berlin et arrivant en France, par la conversation téléphonique d’un homme avec sa copine restée dans la capitale allemande. S’ensuivent les retrouvailles avec ses soeurs, sa mère et ses amis restés au quartier qui le questionnent sur sa vie en Allemagne, ses amours et son manque, voire son absence de nouvelles qu’il aurait pu donner. Il apprend que le père d’un de ses amis est mort. Il s’aperçoit alors que la distance et le manque participent à l’éloignement des proches. Le film tourné en pellicule raconte le parcours de deux autres personnages vivant dans le même quartier mais qui ne se connaissent pas. Un jeune garçon, Hamza, est poussé par son groupe d’amis de retrouver, dans le but de se venger, celui qui l’a sérieusement amoché dans une bagarre. On suit également la tranche de vie d’une entraîneuse de basket qui aurait pu faire carrière mais qui, arrêtée dans son envol par une blessure, s’occupe de jeunes qu’elle entraine et cherche à faire des rencontres via des applications dédiées. Chacun dans sa trajectoire est lié par l’endroit où il vit et surtout par le fait que pour tous les trois, le soleil se lèvera le lendemain. Ce moment, point culminant et magnifique final du film, nous rappelle que quoi qu’il se passe, la terre continue de tourner pour tout le monde. Le réalisateur, très influencé par la photographie, nous plonge dans une esthétique soignée pour tracer le parcours de ces trois personnages. Le grain de la pellicule et le travail de la lumière font magnifiquement exister ce quartier où les destins et les parcours de vie se croisent, s’emmêlent et se démêlent.
Un cinéma plus « social » prend sa place également dans la sélection, comme dans le remarquable Avec l’humanité qui convient de Kacper Checinski. L’action se passe dans un Pôle Emploi, qui est confronté à la menace d’une chômeuse désespérée planifiant de venir se suicider à l’agence. Le film, porté de bout en bout par une poignante et touchante Joséphine De Meaux, nous rappelle que le cinéma est aussi le refuge pour aborder les parts plus sombres de notre société.
Cette atmosphère pesante, on la retrouve aussi dans Qu’importe la distance de Léo Fontaine. Le film très maîtrisé du jeune réalisateur, nous montre, comme une fable, le parcours d’une mère allant voir son fils au parloir pour la première fois. Le parcours, semé d’embuches de cette femme, nous fait voyager à travers les nombreuses péripéties qui entravent le chemin des familles devant aller rencontrer leur proches en prison.
Magnifiquement interprétée par Sylvia Homawoo, l’actrice est présente dans presque tous les plans du court-métrage, filmée en gros plan par une caméra qui ne la quitte pas. Le spectateur se trouve au plus proche de ses émotions et de ce qu’elle vit lors de son périple. Le film, extrêmement bien documenté, est le fruit d’une enquête du réalisateur, notamment auprès d’associations s’occupant d’épauler et guider des familles de détenus. Le cinéaste, déjà auteur de 4 court-métrages, nous fait vivre ce parcours par une mise en scène et un sens du montage qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière scène. La musique, composée pour l’occasion par Côme Ordas, arrive comme un contrepoint poétique, faisant de ce voyage un conte initiatique.
La 46e édition du festival du court-métrage de Clermont-Ferrand vient de s’ouvrir. En parallèle des compétitions nationales et internationales, le Labo a pour but depuis plus de 20 ans de mettre en avant un format beaucoup plus expérimental. Face à une programmation aussi stimulante et variée, nous vous livrons les films qui nous surprennent, touchent et bouleversent le plus.
De son titre « L’immémoire » qui lui est accolé par le festival, la compétition Labo et les films qui la composent montre un devoir de mémoire, un ancrage social qui se traduit par une expérimentation et une recherche visuelle. C’est toutefois le cas du documentaire Incident (L3) réalisé par l’Américain Bill Morrison. Le film reconstitue via des caméras de surveillance et embarqué l’assassinat en 2018 de Harith “Snoop” Augustus par la police de Chicago. Le film prend le parti pris de traiter cet événement par l’accumulation des points de vues via l’utilisation du split screen. De sa juxtaposition des plans, le film devient un immense montage alterné entre protestation de la foule et discours auto-rassurant des policiers. De la simplicité de son régime de mise en scène émane la puissance d’un film qui nous plonge au cœur d’un milieu policier.
Passé par le long-métrage indépendant américain, Bill Morrison revient ici au format court en mettant au cœur de son dispositif le motif du found footage. En utilisant des images aussi fortes que le corps gisant de Snoop, le film évoque évidemment tout une imagerie qui résonne très fort avec un passé américain ségrégationniste ainsi que l’assassinat de George Floyd en 2020. Des images choquantes et encore très sensibles à traiter à l’heure actuelle.
Un choc, c’est ce que propose aussi le visionnage de 512X512 réalisé par Arthur Chopin. Ce film français expérimental (L1) d’une vingtaine de minutes nous raconte le processus de documentation d’un internaute et son utilisation de l’Intelligence Artificielle dans la recherche de la reproduction du visage de Francine Descartes, la fille de René Descartes. En parlant d’IA, le film traite de la place actuelle de ce dernier et de son évolution dans notre société. Une société d’images dont nous ne pourrions bientôt plus faire confiance. Le film joue sur le visible et l’invisible, sur notre croyance et notre rapport aux images, de même qu’il joue sur la perception de l’Intelligence Artificielle envers les humains et ceci via les portraits et les nues qu’elle peut créer.
C’est ainsi que le film tombe dans le vertigineux et dans l’horreur, notamment dans une scène où tout ce qui nous est montré, nous semble vraisemblable, jusqu’à ce qu’une voix surgisse pour nous dire que rien ne l’est. Ce moment de vertige est sublimé par une mise en scène et un montage tout en abstraction, tout en retrait. Et ceci, même dans l’utilisation sporadique de la voix off.
Un motif que nous entendons aussi dans Misérables Miracles (L2) du japonais Ryo Orikasa. Adapté librement des travaux du peintre et écrivain surréaliste Henri Michaux, le film explore les limites de la poésie via l’animation. Le film nous livre un travail sensoriel et expérimental autour du mouvement, de par l’animation de ce texte qui prend appui sur les peintures et écrits d’Henri Michaux et sur l’esthétique chaotique qui en émane. En tant que spectateurs, nous sommes ici comme prisonniers d’un esprit malade où les textes animés se déploient devant nous comme un trip hallucinogène.
Une émulation créative qui passe avant tout par un travail sur le son, par un entremêlement de voix-off qui nous fait nous plonger dans cette expérience immersive. Une voix profonde et graveleuse qui nous provient d’un Denis Lavant formidable qui réussit dans son interprétation à mettre l’emphase sur la folie de son narrateur.
Une folie que l’on peut retrouver dans Hito (Phillipines, L1), réalisé par Stephen Niels Lopez. Nous suivons Jani, une fille de 14 ans qui vit dans une dystopie loufoque dénuée d’empathie où elle va se battre pour sa liberté contre une bande de criminelles à la recherche de son amie Kiefer, le poisson-chat. Au milieu d’une sélection Labo quoique angoissante, Hito nous surprend de par sa bizarrerie et son inventivité. En plaçant sa narration dans cette dystopie colorée où les poissons parlent et les chiens hypnotisent, le film nous réjouit et joue avec son spectateur, quant à notre perception de l’univers et du personnage de Jani.
Le film se livre comme une œuvre kitsch et brouillonne qui va piocher dans plusieurs influences comme le cinéma des sœurs Wachowski ou encore dans la culture manga. Un kitsch acide qui cache derrière sa dystopie une certaine anxiété envers le nucléaire et les nouvelles technologies. Un film non moins sans confusion et sans approximation, mais avec une inventivité et un entrain tels que cela nous fait avoir de la sympathie pour ce dernier.
Avec sa 46e édition, le Festival de Clermont nous montre de par sa catégorie le Labo, une pluridisciplinarité et une inventivité folles. Explorant, allant de l’animation au documentaire, du numérique à l’argentique et de l’artisanat à l’IA. Après plus de 20 ans, cette catégorie ainsi que les films qui la composent sont à l’image de leur époque : fouillis, oppressant, mais aussi réjouissant.
Ce vendredi 2 février, s’est ouverte la 46ème édition du Festival du court métrage de Clermont-Ferrand. L’affiche signée par l’illustratrice américaine Stacey Rozich, convie les mondes, la couleur, le fantastique et la déambulation.
Jusqu’au 10 février, le festival se déclinera entre compétitions (internationale, nationale, labo), thématiques (insoumises, Eur♀Visions) et hors-compétitions (Pop-Up, Regards d’Afrique).
🌟 Notre équipe sera présente pendant le festival et vous tiendra au courant de ses coups de coeur.
Il y a un mois, nous vous annoncions les 45 titres des courts présélectionnés aux Oscars 2024. Il y a quelques jours, les nominations des votants de l’Académie se sont fait connaître. Un tiers des films (15 donc) reste en lice pour l’Oscar du meilleur court-métrage de fiction, d’animation et documentaire. Le p’tit bonus : 2 de ces films sont visibles sur la Toile, via cette actu.
Et pour la suite ? À l’issue du deuxième tour de vote qui aura lieu du 22 au 27 février, les prix seront remis pendant la cérémonie des Oscars, le 10 mars prochain. On en reparlera.
Meilleur court métrage de fiction
The After, de Misan Harriman
Invincible, de Vincent René-Lortie
Knight of Fortune, de Lasse Lyskjær Noer
Red, White and Blue, de Nazrin Choudhury
Henry Sugar, de Wes Anderson
Meilleur court métrage d’animation
Letter to a Pig, de Tal Kantor
Ninety-Five Senses, de Jared Hess et Jerusha Hess
Pachyderme, de Stéphanie Clément
Our Uniform, de Yegane Moghaddam
War Is Over ! Inspired by the Music of John & Yoko, de Dave Mullins
Meilleur court métrage documentaire
The ABCs of Book Banning, de Trish Adlesic, Nazenet Habtezghi et Sheila Nevins
The Barber of Little Rock, de John Hoffman, Christine Turner
Island in Between, de S. Leo Chiang
The Last Repair Shop, de Kris Bowers et Ben Proudfoot