La forêt de Mademoiselle Tang de Denis Do

Après Funan, récompensé du Cristal du meilleur long-métrage à Annecy en 2018, Denis Do, présente son moyen-métrage d’animation La Forêt de Mademoiselle Tang, nommé aux César 2024. Réalisé en coproduction avec Special Touch Studios et Pictanovo, le film retrace l’histoire d’une famille chinoise qui traverse 200 ans d’histoire. Entre la fresque historique et le récit familial intime, Denis Do rend hommage à ses origines dans un récit humaniste et délicat.

Une fresque familiale et historique

Ce n’est pas si simple de raconter la petite et la grande histoire en même temps. Il faut veiller à ce que l’une ne prenne pas le pas sur l’autre. Dans son film d’animation, Denis Do réussit brillamment à dresser un portait de famille multi-générationnelle sur fond de fresque historique. L’histoire prend racine en 1886 à Swatow, aujourd’hui Shantou, ville du Sud de la Chine dans laquelle vit la famille Tang, composée de menuisiers immigrés du Cambodge. Le récit se tient sur six générations et près de deux siècles d’histoire, au fil desquels nous suivons, de manière elliptique, les grands événements historiques qui marquent la région et impactent la famille. C’est au fil des péripéties qu’un thème récurrent apparaît : celui du départ. Le départ est rêvé, idéalisé, le Cambodge vu comme une terre promise que l’on dit prospère. Pourtant, les membres de la famille Tang ne partent jamais, même quand les Occidentaux contrôlent les navires et empêchent leur commerce, ou quand un typhon détruit la région. Et s’ils partent, c’est en cachette, sans jamais revenir, comme une fuite.

Les Tang ne partent pas, car la famille est résolument ancrée dans la région. Celle-ci, et la forêt environnante, semblent le reflet l’une de l’autre. Comme des racines qui se chevauchent, les destinés humaines et végétales s’entremêlent. Les membres de cette famille tentent de conserver leur environnement pour préserver la mémoire de ceux qui ont vécu là avant eux. On répare les vieux meubles familiaux de la même manière que l’on fait une greffe à un arbre de la forêt. Une grande importance est mise sur les objets qui se transmettent et traversent les âges tandis que les hommes se succèdent au fil des générations. Un meuble de bois, des outils de menuiserie ou des bracelets sont l’héritage familial qui passe de main en main et survit à leurs propriétaires. Alors que les personnages changent souvent à mesure que nous suivons la vie quotidienne des différentes générations de la famille, ce sont ces objets-là qui nous permettent de garder nos repères. Par là, Denis Do évoque le pouvoir de transmission que permettent un lieu et les objets qui le composent.

Et pourtant, le paysage change. Il est étrange ce mélange entre immobilité et mouvement permanent que l’on trouve dans le film. Les personnages vivent dans la même maison durant deux siècles, mais des changements s’opèrent inexorablement ; une usine s’implante à la lisière de la forêt, un frigo s’installe dans la cour de la maison .. Avant de finalement partir du domaine familial, la jeune dernière de la famille inscrit le nom de ses ancêtres sur le tronc de jeunes arbres qu’elle replante dans la forêt. Ceux-ci pousseront avec leurs patronymes gravés dans l’écorce comme s’il s’agissait de leur réincarnation. Malgré le départ, le nom de la famille Tang fera partie de la forêt, la boucle est bouclée.

Un héritage culturel mis en avant

Si Funan était brillamment doublé en français, dans La foret de Mademoiselle Tang c’est en dialecte teochew que les personnages s’expriment. Pourtant, ce choix n’était pas le plus simple. Denis Do confiait, dans un sujet pour Arte, la difficulté à trouver pour le doublage des acteurs et actrices parlant ce dialecte. Il a donc aussi prêté sa voix afin d’incarner les personnages. Malgré tout, le réalisateur a pris soin de mettre en avant la langue locale, mais aussi la musique traditionnelle, qui accompagne poétiquement les balades en forêt, la nourriture et les petites habitudes des habitants du Guangdong. Tous ces détails, accompagnés par les bruits d’ambiance qui rendent l’animation réaliste et très vivante, permettent l’immersion dans l’histoire et la culture de la région. L’attention aux détails est si poussée, que le film d’animation s’apparente un peu à un documentaire historique, dans lequel Denis Do nous enseigne une histoire personnelle, toujours reliée à un esprit de communauté.

Anouk Ait Ouadda

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