La Saison pourpre de Clémence Bouchereau

Le court-métrage de la réalisatrice française Clémence Bouchereau La Saison pourpre, sélectionné à la Semaine de la Critique, est un film animé qui nous fait suivre une bande d’enfants dans la mangrove.

Un écran d’épingles

Clémence Bouchereau aime varier les techniques d’animation. Ses films précédents (Aux Gambettes gourmandes – 2012, Ride away – 2014 et le très beau Chloé Van Herzeele – 2019) reposaient ainsi sur du sable animé. Si, dans Chloé Van Herzeele, l’animation des grains de sable donnait vie à des pellicules de films, le traitement était tout autre dans Aux Gambettes gourmandes, qui nous racontait les fantasmes de deux client.es d’un restaurant, qui imaginaient leur rencontre. La fluidité des corps et des gestes naissaient des mouvements du sable, dont la labilité faisait apparaitre un bras ici, ou un sein là.

La technique du pinscreen, ou « écran d’épingles », que Clémence Bouchereau utilise pour La Saison pourpre, permet la même fluidité des gestes. Le pinscreen est un écran perforé d’épingles qui dépassent plus ou moins. Eclairées obliquement, ces épingles font apparaitre des zones blanches, grises et noires : plus elles dépassent, plus la zone est sombre. La présence des épingles donne toutefois aux parties blanches une impression de tremblé, de surface crayonnée qui participe d’une impression de flou : le blanc complet n’existe pas.

Ainsi en est-il de La Saison pourpre. Le prétexte narratif est simple : une bande d’enfants, menée par une jeune adolescente, survit seule dans la mangrove. Loin de nous embarquer dans un univers misérable, le film nous présente une bande joyeuse, qui chasse les oies à l’aide d’un arc et les mange en riant. Au fil du temps, les enfants grandissent et atteignent également l’âge de la puberté.

En effet, les corps des enfants entament progressivement leur mue vers l’âge adulte : si les premières images nous montrent le pubis de la jeune fille qui mène le groupe, les suivantes nous présentent plutôt des fragments de corps enfantins, tous semblables dans leur candeur. Ce n’est qu’à la fin du film que l’une des enfants aperçoit un liquide noirâtre entre ses jambes : le court-métrage de Clémence Bouchereau a bien quelque chose du récit initiatique.

La dialectique du visible et de l’invisible

Ce fil narratif minimal permet à la réalisatrice de faire montre des possibles esthétiques du pinscreen. Plus que la survie des enfants, c’est en effet cette technique qui semble le sujet principal du film. Aussi les corps des enfants, font-ils, comme dans Aux Gambettes gourmandes, l’objet d’un traitement particulier : un pied apparaît, tandis que le reste du corps se perd dans le gris clair du reste de l’écran ; plus loin, c’est une tête qui surnage seule, comme si son corps avait disparu.

La maîtrise technique de Clémence Bouchereau rend ce jeu sur l’exhibé et le dissimulé très subtil : grâce à un dégradé de gris, la séparation entre le pied visible et le reste invisible est floue, comme si nous étions dans un rêve où le réel reste confus. La fluidité entre les deux univers du visible et de l’invisible a partie liée avec le thème de la puberté, ou le corps évolue sans solution de continuité et où le désir naît de l’évanescent.

Un élément vient toutefois perturber cet univers onirique. Il s’agit là de l’eau, dont la surface, au contraire du camaïeu dû à la technique du pinscreen, crée une nette séparation entre l’humide et le sec. De fait, les enfants plongent et nagent sans cesse dans cette eau transparente, jouant à faire des bulles et à sauter de la rive. Si des traits relativement nets distinguent clairement l’air de l’eau, c’est surtout au son qu’est dévolu le rôle de de la précision.

La netteté des bruitages de Pierre Sauze s’oppose en effet à l’évanescence du dessin. Le bruit des bulles, le cri des oies ou les bourrasques du vent sont ainsi rendus sans confusion, accompagnant clairement ce que l’on voit à l’écran. La bande son s’y résume, puisque les personnages ne parlent pas. Savent-ils parler ou leur vie sauvage les a-t-elle privés de parole ? Nous ne le saurons pas et, en réalité, peu importe : les sourires et les éclats de rire suffisent à transmettre les émotions.

La Saison pourpre vaut essentiellement pour son jeu de dialectique entre le noir et blanc, entre le visible et l’invisible permis par la technique du pinscreen. La peinture de la relation entre la nature et l’humain induite par l’espace et les personnages vaut essentiellement comme prétexte à cette très belle animation. Le court-métrage s’inscrit dans la continuité de Aux Gambettes gourmandes pour son jeu avec l’évanescence.

Julia Wahl

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