Raphaël Quenard : « C’est un farfelu de la dernière espèce, l’acteur ! »

Aussi à l’aise dans les films de Quentin Dupieux (Yannick sort ce 2 août) que dans Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand, Sur la branche de Marie Garel-Weiss, Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry, Raphaël Quenard a commencé « tardivement » dans le cinéma à 23 ans après un passage éclair en politique et des débuts avec l’association 1000 Visages. En 2020, Les Mauvais Garçons de Elie Girard, dans lequel il joue, a reçu le César du meilleur court. Un format dans lequel Raphaël Quenard se sent à l’aise. Il vient d’ailleurs de co-réaliser L’acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension avec Hugo David, qui a remporté le Prix France Télévisions du court-métrage aux Champs-Elysées Film Festival 2023.

Le film, co-produit par Insolence Productions, Nouvelle Toile et Lipsum Productions, conçu de façon improvisée sur le tournage de Chien de la casse, s’intéresse à un acteur qui reçoit pour la première fois un rôle important sur un long-métrage. On y retrouve un Raphaël Quenard très en forme, maniant les mots, jouant avec son corps. L’occasion pour nous de rencontrer enfin cet acteur qui nous intrigue depuis un moment. Un acteur lucide, avide de combler ses lacunes en cinéma, reconnaissant pour les rencontres qui l’ont amené sur les plateaux et prêt à venir aussi en aide aux autres en passant par la case production.

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Format Court : On va commencer avec ton expérience sur Les Mauvais Garçons d’Elie Girard. Tu as fait beaucoup de courts-métrages.

Raphaël Quenard : J’ai fait plein de courts bénévoles, auto-produits. Sur Cineaste.org (site d’informations sur le cinéma), je répondais à toutes les offres, comédien, bénévole, tout. J’ai fait beaucoup de courts-métrages pas forcément très aboutis. Parfois, tu tournes et le film n’est jamais monté, ou tu ne le vois jamais, ou tu fais 10 tours de casting alors que ça n’a pas de sens. Après quand on te rappelle après un casting et qu’on te paye pour jouer, c’est carrément extraordinaire !

C’est arrivé quand ça pour toi, dans ton parcours ?

R. Q : C’est arrivé grâce à Emma Benestan (réalisatrice, scénariste, Fragile), elle m’a présenté quelqu’un qui m’a dit : « Raconte-moi une histoire ». Je le fais et il me répond : “Ok, j’ai un rôle pour toi dans une série, 6×52 minutes, sur France 2 : À l’intérieur”. J’ai tourné à Angoulême avec Mylène Demongeot, Béatrice Dalle, Hippolyte Girardot, Noémie Schmidt, Antoine Gouy, Grégoire Leprince-Ringuet… C’était ma première expérience payée. Après, Émilie Noblet, qui était chef op sur L’Amour du risque, m’a permis de faire une autre série, HP, et m’a fait passer plein d’autres castings. Émilie et Emma, elles m’ont trop aidé. Ensuite, l’une des co-autrices de HP, Camille Rosset, a parlé de moi à son copain de l’époque, Elie Girard, qui préparait Les Mauvais Garçons. J’ai rencontré la directrice de casting, Marine Albert, qui après m’a fait faire Mandibules de Quentin Dupieux.

Comme quoi ça tient à pas grand-chose en fait : c’est juste des rencontres. Je ne connais pas beaucoup de gens qui se mettent à répondre à toutes les annonces sur Cineaste.org.

R. Q : Moi après, je suis hyper têtu. La détermination et l’acharnement, c’est un cadeau – je sais pas si c’est du ciel ou de mes parents. Vraiment, je sais que je suis un acharné. Et là, le court-métrage qu’on a fait ensemble L’acteur, on l’a fait seul, on prenait la caméra, Hugo venait dormir dans ma chambre, on tournait des petites conneries. Après j’ai dit : “Vas-y viens, on fait un film”. On a fait un bout à bout, un ours dégueulasse d’une heure et quart. Hugo a dérushé 15 heures d’images pour atterrir aux 25 minutes. Il a fait un travail exceptionnel. Heureusement, on était tous les deux. En plus de ça, je suis trop content parce que c’est une expérience de co-réalisation. J’espère qu’on va faire plein d’autres films ensemble ! On s’engueule et tout hein – bien sûr qu’on s’embrouille ! C’est normal ça, sur un plateau. “Laisse-moi mettre ça, rallonge un peu le plan”. Mais au final, on arrive toujours à déployer les argumentaires qui font qu’on aboutit à quelque chose de convenable pour tous les deux. Plein de gens nous ont aidés. S’ils voient que tu es déterminé, il y en a toujours qui ont du cœur et qui t’aident à la fabrication de ton projet.

Avais-tu déjà eu une expérience de réalisation ?

R. Q : On avait déjà fait un court-métrage collectif au sein de 1000 Visages qui s’appelle Koala en 2017-2018 par là, c’était après L’amour du risque (de Emma Benestan), ma première expérience de jeu quand je suis arrivé à 1000 Visages.

Tu fais encore des courts métrages ?

R. Q : J’ai envie de produire des courts-métrages maintenant. On a monté une boîte de production qui s’appelle Lipsum Productions, c’est vraiment en rapport avec le premier objet cinématographique qui va faire partie du catalogue, à savoir L’acteur (ou la surprenante vertu de l’incompréhension).

C’est le sous-titre ?

R. Q : C’est le titre entier. En gros, le propos de L’acteur c’est de dire : est-ce qu’on a besoin de délivrer un message intelligible pour être compris ? On n’a pas vocation à le faire, tout ça est parodique. Un « lorem ipsum », en informatique, c’est un texte en latin qui veut rien dire. On va faire un autre court-métrage avec un autre ami à moi, avec qui on a déjà fait plein de courts-métrages. Nous, on avait une bande de potes, avec qui on tournait plein de courts-métrages.

Vous aviez un nom ?

R. Q : Non, on n’avait pas de nom, mais par contre, si tu tombes sur nos courts, tu rigoles ! On a fait plein de petits courts-métrages comme ça, tous ensemble. Avec l’un d’entre eux, on va faire quelque chose de bien. On a eu 20.000€ de la ville de Strasbourg. Bac Films nous a accordé leur fonds de soutien. On va essayer de trouver un peu d’argent et de le faire bien. J’ai vraiment envie d’en apprendre davantage sur toute la chaîne de fabrication : comment se construit un film, même être impliqué dans les choix, voir comment ça se passe au montage, avant, à la préparation du film. Tout me passionne dans ce procédé, dans le cinéma.

C’était déjà le cas avant ou pas ?

R. Q : Pas du tout. Moi, j’ai découvert le mot « casting » à 23 ans. Après, j’ai commencé à écrire des courts-métrages quand j’ai découvert le cinéma. J’avais écrit un film pour le Nikon Festival. On l’a tourné. Après, j’ai essayé de faire un autre court-métrage qui n’avait pas marché. Ensuite, on a fait Koala collectivement au sein de 1000 Visages et puis, j’ai écrit un autre court-métrage qui n’a jamais abouti.

Ça ne te désolait pas que les choses ne marchent pas ? Qu’est-ce qui a fait que tu continuais quand même ?

R. Q : Franchement, je ne sais pas et je pense que c’est un bon signe de ne pas savoir. J’ai le sentiment que je n’y suis pas encore arrivé, il faut encore faire des centaines de films. Il y a à faire devant nous, il y a 40 ans de carrière à remplir, d’œuvres les plus qualitatives possibles. Je ne me suis jamais posé la question : « Est-ce que je vais arrêter tout ? » Il y a une petite voix qui me dit : « Il y a un truc à faire ». Une conviction intérieure.

Est-ce que cette conviction est liée au fait que les projets qu’on te soumet sont quand même plus nombreux depuis quelques temps et plus grands ? Quand on voit tes débuts – et c’est le cas pour tout le monde – que ce soient dans des courts et dans des longs, tu joues “le trompettiste”, “le policier”… Tu n’as pas de prénom, pas de personnage.

R. Q : J’avais fait une apparition dans Gagarine (de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh), je suis un trompettiste alors que ça n’avait rien à voir. C’était plutôt le désamianteur que le trompettiste. Le fait de me retrouver dans ce genre de situations, ça ne m’emmerdait pas parce que je me disais :  « C’est pas grave, je suis sur un tournage, j’apprends ! » J’adore, j’ai fait plein de figurations et ça m’a nourri plus qu’un milliard d’autres expériences qui pourraient paraître plus sérieuses. Dans la figuration, tu apprends tellement de trucs, il y a énormément de profils inspirants, il y a trop de choses qui se passent, trop de façons de faire, trop de réalisateurs interlopes qui inspireront peut-être des œuvres plus tard.

J’ai vu que tu étais passé par la politique. Comment ça a pu te nourrir ?

R. Q : Je croyais que c’était du spectacle. J’aimais bien le principe de parler à une audience, j’avais une vision erronée de ce que c’était. Encore maintenant, je porte un regard, je pense un peu trop enfantin sur la politique, et je suis, à l’instar de beaucoup de nos concitoyens, trop vite fasciné par l’éloquence, la verve, le show, la gestuelle d’un gars, les silences, le fait de se manifester au monde, de s’auto-mettre en scène.

Est-ce que tu reconnais une forme de jeu chez les politiciens ?

R. Q : Pour moi, ce sont les plus grands acteurs, parce qu’ils sont les acteurs du réel, et ils arrivent à le porter à un tel niveau ! Je me pose toujours la question – en plus vu le niveau de pouvoir stratosphérique que certains atteignent – comment ils ont fait, par une suite d’expériences, de rencontres, de discussions, pour inspirer autant de respect, de peur, pour s’accaparer d’une certaine façon un pouvoir démentiel, ça je trouve ça fascinant. Parfois, ils en sont arrivés avec des motivations qui sont toutes personnelles, toutes intimes, et juste pour aller, comme tout-à-chacun, trouver un éclat de fierté dans l’œil de leur mère.

Mais ça, je pense que tout le monde le recherche.

R. Q : Bien sûr, bien sûr. On cherche tous la reconnaissance. Que ce soit de nos parents ou des autres.

Qu’est-ce qui s’est passé sur Chien de la casse pour que vous ayez envie avec Hugo de faire L’acteur ?

R. Q : Même au début de Chien de la casse, je ne savais pas qu’on allait faire ce film. C’est le plus beau film qu’on puisse faire parce qu’on ne savait même pas qu’on en tournait un. A la base, Hugo tournait le making-of du film et ça s’est transformé en un court en cours de route.

Ça aurait pu être une forme de journal de bord. Dans quelle mesure, ça t’a fait plaisir de travailler là-dessus ?

R. Q : Moi, j’adore. On en a fait un personnage. C’est un farfelu de la dernière espèce, l’acteur. On avait du mal à tisser une histoire. Comme on ne savait pas l’objectif du personnage, on avait un amas de scènes disparates, sans cohérence. Il a fallu tisser un truc au sein de cet amas hétéroclite.

Pour toi, c’est important de mettre dans la phrase des mots qui font plus que deux syllabes ?!

R. Q : J’espère que ça ne paraît pas trop pédant ou bien cuistre. Franchement, les mots, je te jure, j’aimerais ne pas les utiliser comme un sachant qui veut disperser sa science. Je suis juste un gars qui a un milliard d’interrogations et l’étendue de son ignorance est tellement infinie que j’essaie de combler mes lacunes. La sonorité d’un mot, ça me résonne dans la tête. Il a des petites couleurs avec lui. Lequel tape le plus juste, lequel va avoir un effet comique tandis que le même mot qui est un synonyme parfait ne va rien créer. Par exemple, on peut dire un « énergumène » ou un « hurluberlu ». Si tu dis un « spécimen », ça n’amène rien. Tandis que si tu dis : « qu’est-ce que c’est cet hurluberlu de la dernière espèce ? », je sais pas, il y a un truc qui me paraît plus drôle, plus goûtu.

Qu’est-ce que tu peux faire de ces mots-là à part avoir envie d’écrire des histoires ? Est-ce que tu pourrais partir sur d’autres choses, la poésie, la chanson, par exemple?

R. Q : Bien sûr, bien sûr.

Tu as ton imaginaire et ta curiosité pour les mots, mais en même temps, quand tu te retrouves sur les tournages des autres, tu es un peu cantonné par le texte.

R. Q : Il y a quelque chose d’exceptionnel dans les textes des autres. Par exemple, Quentin Dupieux ou Jeanne Herry sont très attachés à leur texte. Et pour autant, leurs univers sont tellement exceptionnels, leur vision est si affirmée, si précise, si minutieuse, qu’ils savent quelle va être la couleur de leur film. Improviser, ça reviendrait à sortir de leur ton qui est celui qu’ils veulent conférer à leur film. Ca voudrait dire basculer dans un ailleurs qui n’irait pas.

Tu laisses donc tes mots de côté.

R. Q : Sauf si le réalisateur les aime bien. S’il aime bien les propositions, on va essayer de lui en donner.

Dans quelle mesure, toi, tu as envie de faire confiance à des jeunes auteurs qui viennent du court-métrage et qui font leur premier long ?

R. Q : Moi, franchement, si c’est un bon film…! Mon rêve, c’est de faire des classiques. Un classique, un film qui repasse dans 20 ans, un film qui restera dans l’histoire, un intemporel. Si tu crois vraiment en un personnage qui est fort, qui te foudroie, je ne sais quoi, de vérité à son endroit, franchement, moi, j’ai envie de le faire.

C’est quoi un bon classique pour toi ? C’est le film ou le rôle qui t’intéresse ?

R. Q : Parfois l’un et parfois l’autre. Par exemple, dans Boudu sauvé des eaux (de Jean Renoir), ça va être le rôle de Michel Simon, que je trouve exceptionnel, associé à des dialogues de génie. Là, c’est le personnage. Souvent, j’ai l’impression que si le personnage est grandiose, par exemple dans Scarface, que c’est parce qu’il est sous-tendu par un grand film. Et parfois, les personnages, par exemple dans les films de Tarkovsky, même s’ils sont extraordinaires, je suis moins fasciné par eux que par la mise en scène, l’ambiance, l’atmosphère qui est créée. La danse de Satan de Béla Tarr, ça, c’est un film exceptionnel. C’est extraordinaire de voir dans quel mood le réalisateur va réussir à te plonger. C’est magnifique.

Dans quelle mesure tu rattrapes tes lacunes, comme tu dis ?

R. Q : Je vais regarder des films avec avidité. Je vais beaucoup au cinéma. J’ai vu récemment Ne croyez surtout pas que je hurle. Frank Beauvais, le réalisateur, a fait une dépression. Il a vu 400 films en 6 mois. Il a écrit un monologue – mais le film, c’est un délire, c’est une expérience – sur un cocktail d’images des 400 films qu’il avait vus.

Qu’est-ce qui toi t’intéresse en particulier dans la forme du court ?

R. Q : Son côté pardonneur, dans le sens où tu peux laisser libre cours à l’expérience de façon plus clémente que dans le long-métrage. Le long-métrage expérimental, il faut arriver à tenir l’attention du spectateur, ce n’est pas simple.

Récemment, j’ai adoré le court Pacific Club de Valentin Noujaïm, qui mélange plein de trucs (de la danse, du témoignage des images de synthèse, …). Moi, il m’a procuré une émotion notoire.

Est-ce qu’en voyant beaucoup de films et en lisant des scénarios, tu as le sentiment de devenir plus critique ?

R. Q : Ça je pense que ça arrive, à n’importe quel gars – quand bien même il n’aurait pas lu beaucoup de scénarios – il y a un jugement qui s’abat comme un couperet, comme dans la vie, dans une discussion. Par exemple, une fois j’ai refusé un rôle, après quand j’ai vu le résultat, je me suis dit que le cinéaste qui avait fait le film était exceptionnel, qu’il était trop fort. Parfois, tu lis mal, tu lis – je ne sais pas – dans la mauvaise atmosphère, la mauvaise énergie, tu n’es pas dans l’état d’esprit pour recevoir… C’est dur de retranscrire. J’aimerais bien par exemple lire un scénario de Yorgos Lanthimos pour voir si, déjà à ce stade, tu vois la dinguerie que ça va être. Le gars est extraordinaire. Ari Aster aussi ! J’adore des gars comme ça. Ce sont des scénarios réservés à l’élite.

Comment fais-tu avec toute la liberté dont tu as l’air de faire preuve pour fonctionner avec un agent ?

R. Q : Franchement, on s’entend trop bien avec mon agent. On parle, on discute… Moi, je lui dis mon rêve, lui, il le prend en considération. Il a plus d’expérience que moi de ce que réserve le milieu donc il essaie de tracer un petit chemin au sein du Marigot.

Comment le percevais-tu ce milieu, ce fameux milieu avant d’y entrer ?

R. Q : Je peux pas te dire. À la place de regarder les César, je sortais voir les copains, j’allais travailler,… La flânerie. Avant de commencer, franchement, je n’avais pas vu beaucoup de films, mais c’est ce qui cause le complexe que j’ai, que j’essaye de colmater, de gommer. Moi, j’avais vu Le Dîner de cons, et j’étais trop petit, je n’avais même pas compris.

Tu as l’impression quand même que les gens te font ressentir le fait que tu n’as pas vu assez de films, ou c’est juste toi…?

R. Q : Non, c’est plus moi-même. Maintenant, en fait, je me suis vraiment fait piquer par la passion. Je fais même plus genre, même pour discuter avec quelqu’un. Au début, c’est vrai que dans les discussions, quand on t’accable de références, ton ignorance t’apparaît de plus en plus crasse.
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Aurais-tu un conseil pour les jeunes ?

R. Q : Première chose, la détermination. Deuxième chose, l’action ! La fabrication. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est la même chose. Le cinéma, c’est de l’artisanat ! Le réalisateur, il trouve les bons acteurs, place les bons rivets, aux bons endroits et il sort une commode Louis XVI !

Comment est-ce que tu te voyais l’avenir quand tu étais enfant?

R. Q : Quand j’avais trois ans, ma mère m’a demandé ce que je voulais faire plus tard et j’ai répondu : “Président de la République !”

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Agathe Arnaud

Article associé : la critique du film

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