Charlotte Abramow. Le sens de l’image

Jurée des formats courts au Champs-Elysées Film Festival en juin dernier, la photographe et réalisatrice Charlotte Abramow, s’est fait connaître par son travail photo, ses couvertures de magazines et ses clips, notamment pour sa compatriote Angèle. Elle revient sur son parcours, son lien à l’image, son regard sur les femmes et sa curiosité pour les vraies et belles personnes, issues du quotidien.

© Capucine Henry

Format Court : Comment t’es-tu retrouvée à passer par les Gobelins ? Qu’y as-tu appris ?

Charlotte Abramow : Avant l’école, j’étais autodidacte. Je travaillais avec mon petit appareil photo en lumière naturelle mais je ne savais pas du tout gérer la lumière artificielle et je me rendais compte que ça limitait ma créativité. Je m’étais renseignée sur les écoles en Belgique, je n’avais pas spécialement envie de faire une école d’art, j’avais vraiment une envie technique. Je savais que les Gobelins faisaient de la préparation au terrain. J’avais été au stand des Gobelins aux Rencontres d’Arles, j’avais aussi bien accroché avec des professeurs qui y étaient présents. Du coup, ça a été évident de faire cette école et j’ai pu la faire après moult péripéties. Il fallait un Bac +2. Je faisais déjà de la photo au lycée, je me suis demandée ce que j’allais faire après. J’ai essayé d’étudier à l’ULB (Université libre de Bruxelles) en histoire de l’art. J’ai tenu 3 mois. Je n’ai pas été au bout, j’ai tenté un dossier de dérogation qui est passé et j’ai réussi le concours d’entrée des Gobelins. Je suis arrivée en 2013. Ca a été assez intense parce que je suis passée d’une photographie un peu plus lifestyle à la vraie page blanche du studio, ça m’a ouvert une nouvelle voix. J’ai fait beaucoup de studio. C’était très intéressant de composer à partir de « rien » et de voir tout ce qu’on peut apporter dans l’image de manière très précise dans un environnement neutre.

Tu as commencé très jeune. Qu’est-ce qui t’a introduit à la photo?

C.A : Mes parents m’avaient donné un appareil photo jetable quand j’étais petite. Je crois que ma mère faisait aussi beaucoup de photos de famille, j’aimais bien l’idée de « collecter des souvenirs ». Je n’avais pas du tout une vision artistique de la photo, mes parents n’avaient pas forcément de connaissances en la matière. Entre les magazines de mode et Google images, j’ai fini par tomber sur des photographes comme Paolo Roversi ou Peter Lindbergh. J’étais fascinée. Tout de suite, c’est devenu une obsession. J’ai commencé vraiment vers 13-14 ans. Je faisais des petites photos de chats, de fleurs, de canettes de Red Bull, de Converse, de mégots de cigarettes, de mon quotidien que je mettais sur mon blog. Vers mes 16 ans, je shootais mes copines et des filles d’autres lycées que je ne connaissais pas forcément, des parents voyaient mes photos sur ma page Facebook. La rédactrice en chef du magazine Elle Belgique a découvert mon travail et m’a proposé une première série, puis une couverture. C’était chouette parce que j’étais vraiment jeune, ça m’a donné de la confiance pour en faire quelque chose de plus professionnel. Je savais que j’allais vivre à Paris, c’était un peu acté dans ma tête. Ça fait 10 ans maintenant que j’y suis.

Pourquoi fallait-il passer par Paris ?

C.A : En termes de mode, même de magazines, il n’y a pas beaucoup d’opportunités à Bruxelles. Je pense que maintenant je pourrais faire le chemin inverse, je peux avoir un plus grand atelier à Bruxelles, je suis plus installée, mais quand tu démarres, tu as besoin de construire ta patte.

Tu as fait Le Cri défendu, un court pour Arte dans la série des courts-métrages réalisés par des femmes. En venant du monde des shootings en studio, comment cette étape s’est-elle passée ?

C.A : Ça a commencé d’abord par les clips, avec ceux d’Angèle. J’ai abordé mon premier clip (La loi de Murphy) comme une suite de photos, puisque c’est une série de plans fixes. Comme je peux raconter des histoires à travers une série de photos, je peux aussi mettre en forme une séquence d’images qui deviennent une vidéo avec de la musique. Je me suis formée avec le clips et puis, je suis arrivée au court. Finalement, pour ce projet, j’ai gardé un peu cet esprit assez découpé que m’apportait le texte de l’écrivaine Jo Güstin, qui était déjà très théâtral. Son texte est presque un poème. Ça m’a tout de suite inspirée. En fait, je « prémonte » les films dans ma tête avant de les tourner, ce qui me donne une idée très précise de ce que je veux faire. C’est ma manière de travailler jusqu’à maintenant et ça a marché aussi sur ce court-là.

Est-ce que tu penses que quand tu réalises une vidéo, tu envisages autant l’image que l’histoire ? Les Passantes (réalisé pour la Journée Internationale des Droits des Femmes) est extrêmement visuel, par exemple.

C.A : C’est drôle parce que dans Les Passantes, j’ai travaillé la chanson de Georges Brassens de manière un peu particulière. Sur les chansons d’Angèle, j’ai la structure d’une chanson pop qui m’aide à « délimiter » les différentes séquences du clip. Pour Les Passantes, c’était un long tunnel : il n’y avait plus que la voix et la manière dont Brassens dit les mots et les phrases qui me permettent finalement de découper. J’ai découpé vers par vers pour faire cette séquence de tableaux. Ça m’intéresse aussi de prendre certaines images en contre-pied du vers. Par exemple, à un moment, on entend dans la chanson « silhouette fluette » et je mets un gros fessier plein de cellulite ! J’adore l’image et, avec le son et la parole, je peux parfois créer un combo désarçonnant que je trouve intéressant.

En termes d’image, est-ce que tu penses à une idée et après, tu te donnes des moyens pour trouver les modèles ?

C.A : Oui, c’est ça. Même si mon image doit être belle et travaillée, je veux toujours qu’elle ait un sens, qu’elle raconte quelque chose et ne soit pas gratuite, et après, je trouve les personnages correspondants. Ce n’est pas mon truc, les agences de mannequinat.

Tu as envie de vrais gens, en fait.

C.A : Oui. J’ai créé une adresse e-mail de casting. Je poste des annonces et n’importe qui peut m’écrire. Parfois, il y a des personnes que je contacte deux ans après parce qu’elles correspondent à un profil. Après, forcément, quand il y a du jeu en compte, il faut parfois un peu d’expérience. Mais sinon, pour des photos et des clips, ça peut m’arriver de contacter quelqu’un qui n’a jamais rien fait.

Si je comprends bien, tu te crées une sorte de bibliothèque de profils pour des projets à venir.

C.A : C’est ça. J’adore recevoir des visages. J’ai un peu une passion pour les visages. Pendant le Covid, c’était horrible à cause des masques. Quand on les a enlevés, je me suis dit : « Waouh, les gens sont trop beaux ! ».

Tu le penses toujours ?

C.A : Oui. Mais personne ne s’en rend compte, tout le monde se trouve moche. Même les gens qui sont dans les carcans, les mannequins, pensent qu’ils sont moches.

Tu parlais d’une image gratuite. Qu’est-ce que c’est pour toi ?

C.A : C’est difficile à définir, mais c’est juste que j’aime le fait que l’image puisse interroger ou raconter quelque chose. Je me sens moins légitime quand je capte des instants où je me dis : « OK, ma photo est jolie, mais ça va intéresser qui ? » Si j’essaie d’ajouter un message, ça va amener un début de conversation ou de débat. Une image, c’est presque un prétexte, même si j’adore la travailler. J’aime toujours essayer d’amener du sens dans une image.

Justement, dans tes images, on voit que tu travailles avec plusieurs artistes féminines et que tu as ta manière de filmer le corps feminin. On parle beaucoup du female gaze, est-ce important pour toi de trouver une autre manière d’illustrer le corps feminin ?

C.A : Je pense que ça a été assez instinctif, même avant que j’ai des notions féministes ou théoriques. C’est encore plus passionnant d’en comprendre le sens, de l’analyser. Finalement, c’était ma manière naturelle de regarder les femmes. Déjà jeune, ce côté désirable, bonne, je trouvais ça tellement étriqué, complexant et horrible. J’avais envie de montrer qu’il y a plein d’autres voix et que c’est possible d’exister en tant que femme et de se sentir bien, belle et forte.

Cela t’a été transmis par ta famille, la vision de la femme ?

C.A : Je ne sais pas. Ma maman était obèse quand j’étais petite et je ne comprenais pas les regards sur elle. Pour moi, c’était une personne qui avait le droit d’exister en tant que telle comme les autres.

Comment perçois-tu les courts et moyens métrages, as-tu l’habitude d’en voir ?

C.A : Non et je trouve ça hyper triste qu’ils ne soient pas mieux diffusés. Tu peux voir des TikTok, des clips, des films sur Netflix, mais pas des courts aussi facilement. Je suis un peu frustrée parce qu’ils ne sont pas plus accessibles, à part dans les festivals. Dans un court, tu peux avoir une bombe d’informations ou d’émotions toute aussi impactant, ou parfois plus impactant que dans un long. En plus, nous sommes dans une société où les gens sont de moins en moins concentrés. J’ai l’impression qu’ils commencent à se désintéresser même aux clips vidéos, que c’est trop long par rapport à un TikTok de 15 secondes. Je pense que le format court a, peut-être, du coup un avantage à jouer.

Propos recueillis par Katia Bayer et Anouk Ait Ouadda
Retranscription : Bianca Dantas

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *