Maurice’s Bar de Tom Prezman et Tzor Edery

Maurice’s Bar de Tom Prezman et Tzor Edery, présenté à la 22ème fête du cinéma d’animation pour le prix Reynaud, est notre coup de coeur ! Les deux réalisateurs du film de 15 minutes, disponible sur Court-Circuit, ont fait leurs études à la Bezalel Academy of Art and Design, située à Jérusalem. Les deux artistes queer souhaitaient mettre en lumière l’histoire maghrébine, juive et queer, grâce à leur film qui porte le nom d’un patron de bar clandestin « Maurice », traduction française de MoÏse.

« En 1942, dans un train vers nulle part, une ancienne drag queen se remémore une nuit de son passé dans l’un des premiers bar queer de Paris ». Voilà le résumé que l’on trouve dans la brochure du festival, aussi énigmatique que le film lui-même. L’histoire est racontée par une ancienne habituée du bar, une drag queen ayant côtoyé la figure légendaire de celui qu’on ne voit que brièvement : Maurice, juif algérien queer, tenant ce bar clandestin au début du 20ème siècle. Le personnage est avant tout raconté par les autres, la voix off en premier lieu, puis au travers des racontars des habitués qui rivalisent, à son sujet, d’anecdotes dont on ne sait l’exactitude. Finalement, un homme sort du noir, descend un escalier en diva, et laissant tomber son élégant manteau de fourrure, découvre un corps sculpté, dont les nombreux tatouages racontent les aventures. Maurice est queer, assume sa féminité mais fait aussi état d’une masculinité sans équivoque.

Ce portrait s’inspire d’un personnage réel nommé Maurice qui aurait ouvert un bar en 1906 à Paris, mais dont on ne sait rien car « l’histoire l’a effacé ». Faute de plus d’informations, les deux réalisateurs se sont sentis libres d’imaginer tout le reste. Dans le bar de Maurice, les drag queen, les hommes et femmes queer se retrouvent en secret pour se divertir, jouer aux cartes, raconter des anecdotes, rire, défier l’ordre social, se donner du plaisir.. Bref, le bar de Maurice semble une terre « safe » pour les personnes LGBTQ+ et les libres penseurs, un lieu « gay friendly » comme on dirait aujourd’hui.

Pourtant, la morale rôde. Si l’intérieur du bar est gage de liberté car à l’abri des regards, l’extérieur est un espace dangereux. Dans le noir de la nuit, la police et ses chiens enragés guettent les habitué.e.s du bar, matraque en main. Comble de l’ironie, le chef de la police, symbole de la morale religieuse de l’époque, de l’ordre patriarcal, et social en général, reluque les drag depuis l’autre coté de la vitre. Pétri de pulsions qu’il n’assume pas pour celleux qu’il combat et semble haïr, le policier apparaît comme le symbole d’une masculinité étriquée à l’homophobie assumée mais au désir sous-jacent.

L’histoire fait ainsi écho à des réalités que les réalisateurs jugent nécessaire de faire connaître au grand public. Il le font notamment avec un sens de l’humour propre à l’esprit « queer » et un dessin poétique, intemporel. Tom et Tzor ont intégré des techniques de gravure, très à la mode à cette époque, en hommage à Toulouse-Lautrec qui gravait aussi et baignait dans le monde des cabarets. Tzor explique que le design du film n’est pas très réaliste ; les lignes sont courbes et imparfaites. Étant aussi tatoueur, il a utilisé certaines techniques du tatouage pour donner plus de mouvement aux lignes afin de déformer les personnes et les objets, pour leur donner plus de vie et les rendre paradoxalement plus réels. Dans ce réalisme visuel, s’ajoute les voix des personnages, doublé magnifiquement, par de vraies drag queen peut-être ? On entend dans les voix l’humour grinçant, le goût des intrigues sulfureuses, la brisure sous-jacente et le panache de celles qui aiment raconter des histoires et se célébrer à travers elles.

Nous célébrons nous-même ce joli récit qui est né du souci de raconter l’identité queer et l’identité maghrébine et de réconcilier les deux. En effet, la plupart des drag queen du bar sont maghrébines, aux allures orientales et jouent avec l’imaginaire des différentes cultures, empruntant tantôt le charme mystérieux des chanteuses orientales tantôt la luxure des danseuses de cancan françaises.

Maurice’s Bar est un film haut en couleur qui sort du lot tant par son propos que par son animation sensuelle et magnétique. On nous conte si bien l’histoire de ce tenant de bar que l’on croirait l’avoir nous-mêmes connus, et on se remémore « la bonne vieille époque » assis dans le métro, comme si nous étions une drag queen dans un train.

Anouk Ait Ouadda

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