Wissam Charaf : « Un réalisateur est fait pour réaliser, comme un avion est fait pour voler et non pas rester au sol »

Cinéaste libanais, Wissam Charaf a réalisé un court Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues, sélectionné en compétition à Venise en septembre dernier et qui a remporté une Mention spéciale à Cinemed, il y a un mois. En décembre, il sera l’invité du Poitiers Film Festival pour une rétrospective et un dialogue avec d’autres réalisateurs libanais. 

Auteur de deux longs (Dirty, Difficult, Dangerous – 2022; Tombé du Ciel – 2016) et de nombreux courts, tous produits par Aurora Films, il évoque, dans cet entretien réalisé pendant la Biennale, son initiation au cinéma, certaines de ses rencontres, la production au Liban et ses partis pris en tant que réalisateur.

Format Court : Tu as démarré avec la radio indépendante. As-tu encore des activités dans la presse ?

Wissam Charaf : Oui, je travaille régulièrement pour ARTE, TV 5, France 24, … Le cinéma ne rapporte pas assez. J’ai appris le métier en faisant de la radio indépendante dès mes 16 ans. Je passais de la musique comme animateur sur une radio pirate à Beyrouth en pleine guerre civile. Je ne te raconte pas l’expérience que c’était ! On était une bande de potes, on passait ce qu’on voulait sur un émetteur minuscule : ça allait de The Sisters of Mercy en passant par de la house, Michael Bolton ou Whitney Houston. Chacun avait ses spécialités. Ensuite, la radio a fermé après la guerre, quand il y a eu des lois pour légaliser tout ça Après, je suis passé par la télé. J’ai été caméraman, monteur.. Puis, je suis parti en France.

Tu gardes de bons souvenirs de tes débuts ?

W.C. : Oui, mais ce n’était pas payé et c’était vraiment amateur alors ma mère m’engueulait : « Qu’est-ce que tu vas encore foutre dans cette station (rires) ?! ». Je jouais de la guitare, j’avais les cheveux longs, j’écoutais du rock. À l’époque, on se créait, grâce à la radio, une normalité européenne et occidentale dans un pays de fous.

Comment as-tu fait le pas jusqu’au cinéma ?

W.C. : À la radio, on avait besoin de jingles parce qu’on n’avait pas les moyens d’en reproduire. On avait des potes qui vivaient à New York et qui nous en enregistraient sur cassettes. Mon métier, entre autres, consistait à mettre le nom de notre radio à la place de la radio américaine ! Ça s’appelait « du montage audio ». J’ai appris seul à faire ça. Un copain qui bossait dans une télé en tant que monteur m’a vu faire et m’a dit que ça ressemblait à du montage vidéo. C’est comme ca que j’ai appris à filmer et à monter. En arrivant à Paris, j’ai appris qu’ARTE cherchait des gens sachant tourner et monter. J’ai alors commencer à bosser pour eux. De la radio à Beyrouth à ARTE, comme quoi ! A chaque fois, j’évolue grâce à des rencontres, j’apprends en autodidacte, je n’ai jamais fait un cours technique.

Comment s’est constituée ta cinéphilie ?

W.C. : J’ai commencé comme stagiaire régie avec Danielle Arbid. Elle tournait à Beyrouth son premier court Raddem. À Paris, j’ai continué à bosser avec elle. Dans le même temps, j’ai fait la connaissance de Henri-Jean Debon, un réalisateur français qui était un cinéphile incroyable et qui avait une bibliothèque de films extraordinaire. Chaque semaine, j’emportais cinq cassettes avec moi. J’ai pu faire une formation express en quelques années. Et puis, j’étais à Paris… Cela signifiait l’accès aux salles de cinéma. Les Tsai Ming-liang, Monteiro, Bresson, Dreyer.. C’était fabuleux.

Tu crois que ton cinéma aurait été différent si tu avais suivi une formation ?

W.C. : Bien sûr, sinon j’aurais fait du cinéma comme tout le monde. Et ça aurait été bien, très probablement, mais ça n’aurait pas été mon cinéma. Je ne serais pas à Venise si je faisais des films comme tout le monde, sans vouloir me vanter (rires) ! Je remercie le ciel de m’avoir fait manquer d’argent ! Mes films sont caractérisés par le mélange des genres. C’est dramatique, en même temps un peu burlesque etc.. Ce qui fait que c’est souvent difficile à défendre devant les commissions parce que c’est parfois antinomique dans le ton, les gens se trouvent déconcertés. Et ceux qui doivent investir de l’argent dedans se disent : « Ce pauvre type ne sait pas ce qu’il veut ! « .

Est ce que la difficulté à convaincre les commissions t’a empêché de tourner comme tu voulais ?

W.C. : Oui, évidemment ! Je n’ai tourné que deux longs-métrages à 50 ans, je suis super en retard ! Alors que j’ai commencé à travailler à 16 ans. Mais chaque projet m’a pris dix ans à mettre en place, pour finir par tourner pendant quinze jours au final (rires) ! Cependant, j’apprends de mes erreurs. Avant, je ne présentais qu’un projet et je le défendais jusqu’au bout. Tandis que maintenant je prépare toujours plusieurs projets à présenter. En ce moment, par exemple, j’écris trois longs en même temps.

Ton cinéma s’inscrit dans un registre comique par lequel tu montres le Liban d’une autre façon. Pourquoi ce choix ?

W.C. : Je n’aime pas traiter les choses au premier degré, en tire-larmes, je préfère passer par la comédie. Par exemple pour Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues, l’idée du personnage de Raed est venue d’une anecdote personnelle. J’étais au Liban, je me baladais avec ma famille sur le bord de mer, il y avait des travaux et des gardiens empêchaient les gens d’accéder à l’eau. Je me suis dit que c’était un drôle de concept alors j’ai imaginé cette histoire d’un homme qui interdit aussi aux gens d’aller à la mer.

Tu as tendance à revenir au court métrage, est-ce parce que les longs sont compliqués à faire ?

W.C. : Oui, en un sens. C’est plus facile car ça prend moins de temps et il y a moins d’enjeux d’argent, les commissions comprennent plus les projets extravagants. En règle générale, j’essaye de varier pour continuer de tourner, quoi qu’il arrive. Que ce soit court ou long, j’en tire le même plaisir.

Comment les gens se forment-ils au cinéma au Liban, quels sont les moyens pour faire un film ?

W.C. : On s’en est tellement pris de choses dans la gueule qu’on a forcément beaucoup de choses à raconter ! Pour financer les films, chacun trouve les moyens qu’il peut. Il n’y a pas d’aides, donc tous ceux qui réussissent ont du mérite, c’est certain !

Ce qu’on sent, c’est que beaucoup de gens reviennent au pays.

W.C. : C’est vrai que c’est une habitude au Liban, de se former à l’étranger et de revenir. Aujourd’hui, malheureusement, les gens partent pour toujours. Il y a quelques 10.000 jeunes qui quittent le pays tous les mois. C’est grave. C’est pire que la dévaluation de la monnaie et les coupures d’électricité. La fuite des cerveaux, c’est ce qui conduit à faire un peuple d’abrutis inféodés à des milices de mafieux politico-religieux. C’est terrible. Moi, j’ai fait le choix de rester parce que j’ai vu comment c’était à l’étranger et que j’ai choisi le Liban. Mais peut-être qu’au fond, je suis aussi un peu rassuré par mon passeport français. Je sais que s’il y a besoin, je pourrai partir.

En refaisant des courts-métrages, sens-tu que tu continues à te former ?

W.C. : J’ai toujours l’impression de m’améliorer. C’est l’un des rares métiers où on a l’occasion de pratiquer tous les cinq ans, ça laisse le temps de perdre la main. Un réalisateur est fait pour réaliser, comme un avion est fait pour voler et non pas rester au sol. Je sens qu’avec le temps, mon style évolue. Quand j’ai fait mon premier film (Hizz Ya Wizz) en 2003, il y avait principalement des plans-séquences, ça donnait un certain rendu. Aujourd’hui, je fais différemment mais j’ai parfois l’impression d’avoir regardé trop de mauvais films et de mauvaises séries et de m’être fait pollué. Je me suis surpris un jour à faire des champs-contrechamps à la chaîne. Mon chef opérateur, Martin Rit (par ailleurs réalisateur – La Leçon de guitare), heureusement me ramène toujours à la dure réalité du cinéaste que je suis et des plans qui me ressemblent. Il me dit : « N’oublie pas qui tu es  (rires) ! ».

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription, mise en forme : Anouk Ait Ouadda

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