Mathilde Bédouet : « J’aime l’idée que le dessin vit tout seul une fois que je l’ai fait »

Premier film professionnel, Été 96 parle de la découverte de l’individualité du jeune Paul, le temps d’un été sur une île du Finistère. Court d’animation réalisée en rotoscopie, il est issu de l’imaginaire de Mathilde Bédouet, une jeune réalisatrice passée par les Arts Décoratifs, l’illustration, le dessin de presse et le clip. César du meilleur court d’animation 2024, il mêle souvenirs personnels, espaces vides et explosion de couleurs, dessins et jeu d’acteurs, douceur-insouciance propre à l’enfance et réalité-dureté du monde adulte.

Format Court : Tu as fait les Arts Décos en animation. Comment et pourquoi as-tu choisi ces études?

Mathilde Bédouet : J’ai commencé par une mise à niveau à Olivier de Serres, une école publique qui proposait entre autres, des BTS. J’y ai touché à tout, avant de m’orienter vers les Arts Décos car ils avaient une section animation. J’ai donc refait ma première année là-bas, ce qui m’a permis d’être sûre de vouloir faire du cinéma d’animation. Je me suis dit que si je faisais de l’animation, je saurais faire de l’illustration alors que le contraire n’est pas forcément vrai. A l’école, on a dû faire des illustrations sur des tickets de caisse enroulés : on a vite vu ceux qui étaient motivés par l’animation, et les autres qui ont été découragés par l’exercice. J’étais en contemplation devant les dessins. J’ai failli avoir les Gobelins, j’étais la première sur liste d’attente ! Mais finalement, j’ai aimé l’enseignement aux Arts Décos. Au début, je trouvais qu’il manquait de professionnalisation, mais avec le temps j’ai compris qu’on nous avait appris un certain goût, de par cette non-compréhension de la technique.

Il y a aussi l’idée répandue qu’on sait raconter des histoires individuellement lorsqu’on sort des Arts Décos, quand le travail est plus collectif aux Gobelins.

MB : Oui, aux Arts Décos, je pense qu’il y a ce côté plus “artisan”, on développe notre propre patte. C’est incroyable, on peut faire tout ce qu’on veut avec les ateliers comme de la stop-motion, du fond vert, des salles de tissage…

Quelles sont les techniques qui t’ont le plus intéressée ?

MB : J’ai fait beaucoup de dessin sur papier traditionnel au début. La pâte à modeler n’avait pas marché pour moi (rires) ! J’aime rester sur le papier, avec des crayons. Et puis je me suis mise à la rotoscopie.

Comment travaille-t-on avec le procédé de rotoscopie ?

MB : Pour Été 96, on a fait un tournage avec de vrais acteurs. J’ai imprimé le film à 8 images/seconde sur du papier, que j’ai mis en transparence sur mon bureau, comme un calque. Je dessine ensuite ce qui m’intéresse, j’interprète. J’ai fait plus de 3000 dessins pour le film.

En quoi passer par la réalité est-il pertinent pour raconter une histoire ?

MB : Je trouve ça très intéressant car on ne peut pas inventer les micro mouvements d’acteurs. Cela me permet de faire de l’animation réaliste dans le ressenti, j’aime l’idée qu’il y a une part de jeu que je ne prévois pas. A la base, je voulais me rapprocher du documentaire. Je ne saurai pas expliquer pourquoi j’aime le réalisme, et les acteurs me permettent de raconter quelque chose avec une distance. Je choisis ce que je dessine, j’interprète les couleurs, je simplifie parfois… Je laisse toujours beaucoup de blanc autour, mon style vient de choses que je ne sais pas faire. Comme je ne fais pas de décor, je peux me concentrer sur les personnages. Dans l’animation, j’aime le line-test, quand on voit le mouvement au début d’une scène sans qu’il se finisse : c’est du crayon pur sur fond blanc. Cela me touche beaucoup moins quand les décors sont ajoutés.

Tu as fait de l’illustration, du dessin de presse. As-tu l’impression que cela a nourri ton travail ?

MB : Non, c’était assez cloisonné. A l’école, on nous disait de dessiner tout le temps, ce que je faisais avec tout le monde.

Quand t’es venu le projet d’Été 96 ?

MB : Autour de 2019, le temps de réfléchir, d’avoir les aides, la production… Faire le tournage et finir de tout redessiner, cela m’a pris beaucoup de temps. On aurait pu aller plus vite si on avait embauché plus de gens. En équipe, on s’aide quand on bloque, ce qui est super inspirant. Lors de mes études, certains films d’animation m’ont inspirée comme Les Triplettes de Belleville ou Valse avec Bachir. Au lycée, on ne connaissait pas les courts-métrages d’animation, à part peut-être ceux de Pixar. C’est lors des festivals, comme celui de Clermont-Ferrand, que j’ai découvert le monde du court-métrage d’animation.

Qu’est-ce que le court-métrage t’apporte ?

MB : Dans l’animation, j’aime l’idée que le dessin vit tout seul une fois que je l’ai fait. Tout ce que j’imagine devient autonome. Dans le court, c’est plutôt la narration qui me plaît. J’aime beaucoup lorsqu’on me dit que mon court-métrage rappelle aux gens des souvenirs. Ce qui touche, c’est quand on touche à soi. J’ai du mal à inventer un scénario de nulle part, donc je choisis l’autobiographie. L’idée d’Eté 96 m’est venue en voyant des cassettes vidéos chez mon grand-père : d’abord, j’avais le projet d’en faire des archives documentaires familiales, puis j’y ai rajouté un peu de fiction,… J’ai fait de la fiction sur des souvenirs. On est retrouvés sur les vrais lieux, l’île Callot dans le Finistère. Pour moi, enfant, c’était l’île de la liberté au contraire de Paris où j’ai grandi en faisant attention à tout. J’ai l’image des rochers de l’île très impressionnants où l’on gambadait. Ce sont les enfants du coin qui nous y ont emmenés en bateau. Ils ont escaladé les rochers exactement comme nous avions l’habitude de le faire enfants, ils étaient sur leur terrain de jeu. C’était trop bien de les faire jouer sur un endroit qu’ils connaissaient par cœur, de faire jouer son propre rôle par des acteurs.

Tu as commencé par la réalisation de clips musicaux. Quels avantages et difficultés as-tu rencontré ?

MB : Au début, lorsque je faisais des clips, je n’écoutais pas les paroles mais le rythme. J’avais des flashs que j’essayais de lier à une histoire. Je trouve que le clip permet une liberté folle parce qu’on n’est pas obligés de raconter une histoire, on peut divaguer. L’inconvénient, c’est d’avoir des commanditaires, mais j’ai eu beaucoup de liberté à cause du manque de budget. Avec des labels plus importants, il y a des contraintes artistiques plus importantes j’imagine. Avec le clip ou le long-métrage, je pense que la question essentielle est de savoir quelle est la durée dont j’ai besoin pour raconter une histoire. J’ai horreur des films où l’on se dit : “Tiens, j’aurais bien enlevé 20 minutes ” (rires) !

L’Heure de l’été, la boîte de production qui t’a accompagnée, n’a pas l’habitude de faire de l’animation. Comment votre collaboration a-t-elle débuté ?

MB : Ça a commencé avec Ninon Chapuis, une amie d’enfance que j’ai retrouvée. Elle est venue me voir pour développer des univers qu’elle aimait, je lui ai montré les images de mes cassettes, c’était assez intime. J’aimais le grain des images, mais j’ai petit à petit abandonné les images d’archives pour faire de l’animation. Ninon a très bien compris mon travail, ça a été très simple. La production m’a trouvé des gens pour le tournage, là où j’avais le plus besoin d’aide.

Qu’est-ce qui détermine ton envie de mettre autant de couleurs dans ton travail ?

MB : Bonne question (rires) ! Je travaillais beaucoup en noir et blanc, puis j’ai switché sans vraiment savoir pourquoi.

Dans les crédits, tu remercies Faber-Castell, la marque de crayons de couleur.

MB : Oui, ils nous ont sponsorisé en nous fournissant des crayons. On a passé un an à leur écrire, ils étaient débordés mais au final ils étaient très contents de nous aider. A la différence des personnes sur leur ordinateur, j’ai un budget de consommables énormes, avec les crayons, les feuilles, les taille-crayons, les gommes, l’impression… J’usais environ une dizaine de crayons par semaine, ce qui est énorme sur le long terme.

As-tu été tentée de travailler sur ordinateur ?

MB : J’ai déjà travaillé avec deux animateurs en Bretagne que je n’avais jamais vus, et avec qui cela s’est très bien passé. Je leur envoyais des cartons avec les dessins et des indications : sur papier, ça marchait très bien. J’en ai marre de l’ordinateur, le crayon me manque par rapport au stylet. Gagner du temps ne m’intéresse pas, j’adore dessiner chaque dessin.

Que ressens-tu quand tu dessines ?

MB : Du calme, de l’apaisement, presque comme une sorte de méditation. Je passe toujours beaucoup de temps à chercher les premières images, les couleurs et le style des personnages. Mais quand j’ai l’idée en tête, je peux en dessiner des dizaines à la suite. Si je m’attelle au long-métrage, j’en aurai pour 7 ans minimum (rires) !

Quels sont tes projets pour le futur ?

MB : On a eu une aide du CNC, on va bientôt déposer une demande de soutien en région. L’histoire que je veux raconter dans mon prochain court-métrage sera plus longue, aux alentours de 20 min, avec des adolescents cette fois-ci, toujours avec de la rotoscopie. Certaines techniques vont changer, je vais adopter d’autres méthodes de tournage dans la direction d’acteurs par exemple. Diriger des adolescents est un défi plus conséquent, que je maîtrise moins mais qui m’excite beaucoup. Je trouve l’énergie d’une équipe technique très inspirante et très surprenante.

Avec Été 96, tu as des archives et des souvenirs personnels, des images de tournage, et du dessin. Que fais-tu des images de plateau ?

MB : Pour moi, c’est du matériel qui m’aide au travail final, mais le plus important est le mélange à la fin. J’aimais qu’on rigole d’une scène mais qu’on réalise en même temps le mal-être et la solitude d’un enfant. Je parle beaucoup des transitions, de ces moments flottants où l’on se constitue face aux autres.

Le comité de présélection des César 2024 a choisi ton film parmi d’autres. Comment l’as-tu vécu ?

MB : C’était une grande surprise et une énorme joie. Avec Ninon, on s’est dit que faire les choses avec le cœur a fini par payer. Mais je me dis que je n’ai pas vraiment de contrôle dessus. C’est super encourageant, on se dit qu’il n’y a pas que ses parents qui regardent le film ! Le film bouge et touche des gens. Il y a tellement d’énergie que ça me donne beaucoup de force et de confiance pour en refaire un. J’ai mis longtemps à me considérer comme réalisatrice, après avoir été un peu lâchée dans la nature. Avec les César et la sélection au Festival de Clermont-Ferrand que j’aime beaucoup, ça me donne du courage pour me lancer encore plus loin.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Mona Affholder

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