Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand

Dans un petit village du sud de la France, Mirales et Dog entretiennent une amitié tumultueuse et routinière. Leur quotidien est bouleversé par la rencontre avec Elsa, une jeune auto-stoppeuse dont Dog tombe amoureux. Mirales est laissé derrière, sans parvenir à rattraper le monde autour de lui. Comment aller de l’avant dans cette France où, comme Jacques Brel le chantait dans “Ces gens-là” : On ne s’en va pas Monsieur, On ne s’en va pas ?

Chien de la casse est le premier long-métrage réalisé par Jean-Baptiste Durand, qui a déjà remporté le Prix du public au Festival Premiers Plans d’Angers 2023 et qui est sorti en salles en avril dernier. Dans ce DVD édité par Blaq Out, figure l’un de ses premiers court-métrages, Il venait de Roumanie (22 min, 2014), ainsi que le court-métrage mi making-of mi documenteur L’Acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension avec le brillant Raphaël Quenard, une co-réalisation de ce dernier avec Hugo David tourné pendant le tournage de Chien de la casse, nommé au César du meilleur court-métrage documentaire 2024.

Chien de la casse, c’est l’histoire d’un triangle amoureux, comme toutes les grandes fictions l’ont dépeint. Mais quand l’histoire est souvent celle des êtres aimés (ici interprétés par Anthony Bajon, dont nous avions parlé dans La Troisième Guerre, et Galatea Bellugi), le film recentre sa perspective sur Mirales, magnifiquement joué par Raphaël Quenard, un beau parleur confus et explosif, jaloux et tendre. Ce chien de la casse, c’est aussi l’animal aimé de Mirales, qui lui donne une raison d’être quand rien n’a de goût. A la fois reflet de l’humanité de son maître et miroir de son animalité, c’est à lui que Mirales se confiera le plus, comme s’il libérait la parole entravée du jeune homme. En commençant directement par une amitié qui se fragmente, Jean-Baptiste Durand développe les envers d’une amitié masculine qui ne dit pas ses mots, dont les protagonistes semblent s’éloigner de manière floue et taciturne. Car Dog et Mirales ne sont pas les reflets d’une même pièce : rares seront leurs moments de complicité. Leurs deux énergies, subtilement confrontées par un jeu d’acteur orageux, ne s’opposent pas mais s’imbriquent mal, comme un rouage cassé.

Quand Mirales dit qu’il n’est pas adapté à l’environnement dans lequel il évolue, qu’il tente de sortir les autres de leur ennui tout en étant coincé dans un quotidien monotone et assez triste (avec une mère dépressive, un ami absent et aucune perspective d’avenir), le décalage émouvant se fait d’autant plus sentir auprès du spectateur, confronté au comportement parfois odieux d’un Mirales baratineur et jaloux. En effet, il ne parvient pas à dire sa souffrance, qui passe par un rejet d’Elsa qu’il voit comme perturbatrice d’un équilibre qu’il pensait maîtriser.

Le réalisateur crée cette émotion étrange dans la dynamique entre Dog et Mirales, où l’on reconnaît à la fois de l’affection, de la toxicité, de la bienveillance et de la jalousie maladive. Par l’art du dialogue, et de son absence, une longue mélancolie se tisse dans cette France des oubliés où la jeunesse s’ennuie, et s’oublie. Des scènes basculent dans de manière imprévisible dans une violence verbale très dure de Mirales envers Dog, qui dira de lui qu’il est “un imbécile heureux, qui n’est même pas heureux”. Dans L’Acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension, disponible sur le DVD et réalisé par Hugo David et Raphaël Quenard, qui traite du processus de création, d’écriture et d’interprétation au cinéma, Jean-Baptiste Durand s’exprime sur la tragédie de n’exister que dans le regard de l’autre à la manière de l’existentialisme de Sartre : dans Chien de la casse, le pathétique du rôle de Raphaël Quenard est celui de n’exister que dans le rejet de l’individu qu’il affectionne le plus au monde, Dog.

Dans cette relation masculine inégale, le réalisateur développe les abîmes d’un personnage pris dans une situation qu’il ne contrôle plus, aussi touchante que déchirante dans un paysage aussi esseulé que lui. Ces thèmes avaient déjà été évoqués dans Il venait de Roumanie où une bande d’amis se remémorent la vie de Clément, un jeune homme taciturne décédé dont la présence hante encore ses proches. Par les récits qu’on fait de lui, par les vidéos qui restent, par sa chambre intouchée, ses répétitions tentent de se réconcilier avec leur mémoire, notamment par les deux protagonistes aux caractères opposés, qui rappellent fortement ceux de Dog et de Mirales. Dans Chien de la casse, Jean-Baptiste Durand pose ce très beau regard sur des relations humaines qui font mal, à la fois fragiles et intouchables, par une mise en scène sobre et juste et par une impressionnante direction d’acteur d’Anthony Bajon et de Raphaël Quenard, dont les personnages imparfaits et incompris tentent néanmoins de recoller les morceaux d’une amitié, d’apparence, qui ne cesse de se briser. Original et poignant, Chien de la casse reste fidèle à lui-même en creusant avec brio une relation circulaire dépareillée et saisissante d’un regard de cinéaste dont on attendra avec impatience les prochaines créations.

Mona Affholder

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