Nos coups de cœur dans la compétition Labo du Festival de Clermont-Ferrand

La 46e édition du festival du court-métrage de Clermont-Ferrand vient de s’ouvrir. En parallèle des compétitions nationales et internationales, le Labo a pour but depuis plus de 20 ans de mettre en avant un format beaucoup plus expérimental. Face à une programmation aussi stimulante et variée, nous vous livrons les films qui nous surprennent, touchent et bouleversent le plus.

De son titre « L’immémoire » qui lui est accolé par le festival, la compétition Labo et les films qui la composent montre un devoir de mémoire, un ancrage social qui se traduit par une expérimentation et une recherche visuelle. C’est toutefois le cas du documentaire Incident (L3) réalisé par l’Américain Bill Morrison. Le film reconstitue via des caméras de surveillance et embarqué l’assassinat en 2018 de Harith “Snoop” Augustus par la police de Chicago. Le film prend le parti pris de traiter cet événement par l’accumulation des points de vues via l’utilisation du split screen. De sa juxtaposition des plans, le film devient un immense montage alterné entre protestation de la foule et discours auto-rassurant des policiers. De la simplicité de son régime de mise en scène émane la puissance d’un film qui nous plonge au cœur d’un milieu policier.

Passé par le long-métrage indépendant américain, Bill Morrison revient ici au format court en mettant au cœur de son dispositif le motif du found footage. En utilisant des images aussi fortes que le corps gisant de Snoop, le film évoque évidemment tout une imagerie qui résonne très fort avec un passé américain ségrégationniste ainsi que l’assassinat de George Floyd en 2020. Des images choquantes et encore très sensibles à traiter à l’heure actuelle.

Un choc, c’est ce que propose aussi le visionnage de 512X512  réalisé par Arthur Chopin. Ce film français expérimental (L1) d’une vingtaine de minutes nous raconte le processus de documentation d’un internaute et son utilisation de l’Intelligence Artificielle dans la recherche de la reproduction du visage de Francine Descartes, la fille de René Descartes. En parlant d’IA, le film traite de la place actuelle de ce dernier et de son évolution dans notre société. Une société d’images dont nous ne pourrions bientôt plus faire confiance. Le film joue sur le visible et l’invisible, sur notre croyance et notre rapport aux images, de même qu’il joue sur la perception de l’Intelligence Artificielle envers les humains et ceci via les portraits et les nues qu’elle peut créer.

C’est ainsi que le film tombe dans le vertigineux et dans l’horreur, notamment dans une scène où tout ce qui nous est montré, nous semble vraisemblable, jusqu’à ce qu’une voix surgisse pour nous dire que rien ne l’est. Ce moment de vertige est sublimé par une mise en scène et un montage tout en abstraction, tout en retrait. Et ceci, même dans l’utilisation sporadique de la voix off.

Un motif que nous entendons aussi dans Misérables Miracles (L2) du japonais Ryo Orikasa. Adapté librement des travaux du peintre et écrivain surréaliste Henri Michaux, le film explore les limites de la poésie via l’animation. Le film nous livre un travail sensoriel et expérimental autour du mouvement, de par l’animation de ce texte qui prend appui sur les peintures et écrits d’Henri Michaux et sur l’esthétique chaotique qui en émane. En tant que spectateurs, nous sommes ici comme prisonniers d’un esprit malade où les textes animés se déploient devant nous comme un trip hallucinogène.

Une émulation créative qui passe avant tout par un travail sur le son, par un entremêlement de voix-off qui nous fait nous plonger dans cette expérience immersive. Une voix profonde et graveleuse qui nous provient d’un Denis Lavant formidable qui réussit dans son interprétation à mettre l’emphase sur la folie de son narrateur.

Une folie que l’on peut retrouver dans Hito (Phillipines, L1), réalisé par Stephen Niels Lopez. Nous suivons Jani, une fille de 14 ans qui vit dans une dystopie loufoque dénuée d’empathie où elle va se battre pour sa liberté contre une bande de criminelles à la recherche de son amie Kiefer, le poisson-chat. Au milieu d’une sélection Labo quoique angoissante, Hito nous surprend de par sa bizarrerie et son inventivité. En plaçant sa narration dans cette dystopie colorée où les poissons parlent et les chiens hypnotisent, le film nous réjouit et joue avec son spectateur, quant à notre perception de l’univers et du personnage de Jani.

Le film se livre comme une œuvre kitsch et brouillonne qui va piocher dans plusieurs influences comme le cinéma des sœurs Wachowski ou encore dans la culture manga. Un kitsch acide qui cache derrière sa dystopie une certaine anxiété envers le nucléaire et les nouvelles technologies. Un film non moins sans confusion et sans approximation, mais avec une inventivité et un entrain tels que cela nous fait avoir de la sympathie pour ce dernier.

Avec sa 46e édition, le Festival de Clermont nous montre de par sa catégorie le Labo, une pluridisciplinarité et une inventivité folles. Explorant, allant de l’animation au documentaire, du numérique à l’argentique et de l’artisanat à l’IA. Après plus de 20 ans, cette catégorie ainsi que les films qui la composent sont à l’image de leur époque : fouillis, oppressant, mais aussi réjouissant.

Dylan Librati

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