Flóra Anna Buda, Palme d’or du court-métrage 2023

Palme d’or du court-métrage au mois de mai, le film 27 vient de remporter ce weekend le Cristal du court-métrage et le prix de la meilleure musique originale à Annecy. Ce premier film professionnel s’intéresse à la sexualité, aux couleurs, aux incertitudes liées au passage à l’âge adulte. Sa jeune réalisatrice d’origine hongroise, Flóra Anna Buda, s’est installée à Paris. Elle travaille déjà sur son prochain projet en noir et blanc et commence à réfléchir à son premier long-métrage.

Dans cette conversation ayant eu lieu au lendemain de la remise des prix cannois, elle évoque son parcours, ses recherches visuelles, scénaristiques et musicales. Mais aussi la situation économique de son pays, impactant les jeunes, notamment les artistes et l’esprit enfantin que tout artiste devrait garder en tête face à ses projets.

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Format Court : Tu as décidé d’être réalisatrice très tôt, à l’âge de 9 ans. As-tu changé d’avis à certains moments ou ce choix a-t-il toujours été arrêté ?

Flóra Anna Buda : J’ai grandi dans un environnement familial très artistique. J’allais très souvent au cinéma et j’ai été très marquée par certains cinéastes. C’est la raison pour laquelle à cette période, j’ai décidé de faire des films moi aussi. Bien sûr, j’ai changé d’avis plusieurs fois en grandissant mais j’ai fini, presque inconsciemment, par revenir à l’idée originale. Cela m’arrive aussi souvent de revenir à l’idée originale quand j’écris un film. En général, ma première idée est la meilleure.

Tes films sont très différents. Dans ton film d’école, Entropia, il y a très peu de mots prononcés alors que 27 est très bavard. A quoi ressemblent tes scénarios ?

F.A.B : Je dois avouer que mes scénarios ne ressemblent pas à des scénarios professionnels car je mets beaucoup de couleur et d’idées un peu partout sur les côtés (rires) ! J’apprends toujours la bonne manière d’écrire à vrai dire.

Pourquoi as-tu choisi l’Université d’art appliqué Moholy-Nagy de Budapest alors que c’est une école d’art et non une école spécialisée en cinéma ?

F.A.B : C’est une école d’art et de design, mais elle est réputée comme la meilleure école d’art à Budapest. Au départ, j’étais très impressionnée à l’idée d’y aller car l’école est très professionnelle. Il faut passer devant un grand jury pour présenter son travail. Quand j’ai passé le concours, tout s’est bien passé. Il y a 5 années à suivre et la dernière année, nous recevons des fonds pour financer nos travaux de fin d’études. Avant cela, nous devons remettre un petit travail chaque semestre pour rendre compte de nos capacités, c’est un bon moyen de s’entraîner.

Comment est-ce que la mode et le design t’ont-ils aidée dans ton approche du dessin ? Portes-tu une attention particulière aux vêtements des personnages, par exemple ?

F.A.B : Oui, c’est vrai que je fais particulièrement attention à cela. Par exemple, quand je travailléaisdans la mode, j’ai pensé aux cours que j’avais eus sur les tissus. Cela demande beaucoup d’attention car il faut penser à la façon dont le tissu tombe, aux mouvements et aux plis, … C’est la même chose en stop motion, il faut faire beaucoup attention aux détails, notamment aux costumes. Ce qui est interessant avec l’animation, c’est que l’on doit s’occuper de tout à la fois : les lumières, les sons, les décors .. Ma curiosité est pour le coup entièrement satisfaite !

Pour quelle raison as-tu commencé à traiter de la sexualité dans ton film de fin d’études, Entropia ?

F.A.B : C’est un film chaotique avec une histoire complexe car ma vie était plus chaotique aussi à ce moment-là, je pense (rires) ! J’aime toujours le revoir, je crois qu’il dit beaucoup de choses sur moi. Je voulais parler de la sexualité dans la vingtaine et de ce que la restriction de celle-ci peut produire comme effets.

Tes films font penser à des clips à certains moments, ils sont très musicaux, dynamiques et colorés. Comment utilises-tu la couleur pour nourrir tes histoires ?

F.A.B : Dans 27, j’utilise un panel de couleurs très large, avec des tons prononcés pour donner cette énergie punk qu’a le film. Cela me fait penser au prochain projet que je prépare qui est en noir et blanc. Peut-être qu’avec 27, j’ai fait une overdose de couleurs (rires) alors maintenant, je veux passer au noir et blanc. J’évite de me répéter, j’aime voir l’évolution des choses et ma propre évolution dans ce que je fais.

La musique ne fait pas tout dans l’écriture mais c’est vrai que si je trouve les bons musiciens et la bonne musique, cela me donnera des directives sur ce que je veux faire de l’histoire. C’est vrai que certains de mes films ressemblent à des clips mais je ne pense pas que j’aurais l’occasion de dire tout ce que j’ai à dire par le biais d’un clip. Je ne pense pas que cela soit mon format de prédilection mais je suis ouverte à la pratique et à l’exploration, j’aime les expositions, les performances, les installations .. Alors, qui sait ?

Comment s’est passé pour toi le passage de la Hongrie à la France ?

F.A.B : Avant cela, j’étais au Danemark dans une résidence appelée « Open workshop » où je faisais de l’animation, j’y suis restée entre 2020 et 2021. Ensuite, je suis allée à Paris de manière très intuitive. Je n’avais pas reçu de fonds pour mon projet Entropia de la part de l’école, on m’a dit qu’il n’y avait pas de budget pour mon projet bien que je ne demandais pas grand chose. Je ne sais pas si c’est le thème qui a déplu mais j’ai mon idée sur la question. Au même moment, j’ai travaillé comme stagiaire sur un projet d’animation qui s’appelle Symbiosis, je faisais les décors de fond et je travaillais en même temps sur Entropia pendant mon temps libre.

Justement comment as-tu vécu le fait de travailler sur le projet d’une autre personne ?

F.A.B : Nadja Andrasev, la réalisatrice de Symbiosis, est super. Elle aime apporter un peu d’elle dans ses projets et encourage ceux qui travaillent dessus à faire de même. Elle fait partie d’un groupe de réalisateurs hongrois très talentueux qui malheureusement ne reçoivent pas les aides financières qu’ils mériteraient d’avoir. Beaucoup de jeunes étudiants n’ont pas les fonds pour développer leurs projets. Les conditions en Hongrie se sont beaucoup dégradées ces dernières années. Le salaire minimum est de 500€ mais, avec l’inflation, les prix sont similaires à ceux de Paris. Les conditions de vie sont critiques, ce qui se passe dans mes films est conforme à cette réalité. Il faut que la situation change car sinon les jeunes finiront par partir. Moi-même j’ai dû prendre la décision de partir, pas seulement de chez mes parents mais d’aller jusqu’à Paris ! Mais partir a été essentiel pour que je puisse pratiquer mon art comme je l’entends.

Pour 27, comment as-tu trouvé le bon équilibre entre la musique et les dialogues ?

F.A.B : J’aime vraiment beaucoup travailler avec la musique. Enfant, j’ai étudié la musique, je jouais de la flûte à bec. Pour 27, je savais exactement ce que je voulais. J’ai fait une liste de tous les éléments que je souhaitais incorporer dans le champ audio. Les couleurs et la musique sont vraiment des choses qui viennent naturellement pour moi, cela parle à l’enfant qui est en moi.

C’est important pour toi de garder un regard d’enfant ?

F.A.B : Oui, je crois que les enfants sont très perspicaces. Ils comprennent tout. Les enfants savent comment créer, et c’est un état d’esprit que les artistes doivent conserver, je pense. La grande question est de savoir comment ne pas perdre cette capacité à créer à partir de rien, sans complexes.

Qu’as-tu trouvé d’essentiel dans le monde de l’animation ?

F.A.B : Je crois qu’il est plus simple d’y transmettre les émotions et comme je suis assez timide, il est plus confortable pour moi de communiquer par le biais du dessin, du son et de tout le reste.

Combien de temps as-tu mis à finir ton film ? Et comment est-ce que la Palme d’or va t’aider à l’avenir ?

F.A.B : Le film a mis 3 ans à se faire. J’ai toujours voulu faire un long-métrage et je pense que la Palme me donnera la confiance pour le réaliser. D’ailleurs, à Cannes, ça a été merveilleux pour moi de monter sur scène et de parler devant la salle car parmi le public, il y avait mes héros d’enfance (Wim Wenders, Aki Kaurismäki) qui m’ont grandement inspirée. Cependant, même si je veux faire un long métrage, j’aime beaucoup la forme courte. Elle m’oblige à concevoir mon message dans un temps réduit. Beaucoup de gens disent que le court est simplement une étape vers la forme longue mais personnellement, je considère la forme courte comme très intime et sensible.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Anouk Ait Ouadda

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