Azedine Kasri : « Je pense moi-même être un loser merveilleux »

Originaire des Ardennes, Azedine Kasri est un acteur que l’on a pu voir officier chez Kim Chapiron dans La Crème de la crème. Après être passé par la Résidence de la Fémis, il se situe maintenant du côté de la réalisation avec son dernier film Boussa présenté en hors-compétition, dans le programme “Regards d’Afrique”, durant le dernier festival de Clermont-Ferrand. L’aventure d’un couple qui va essayer tant bien que mal de pouvoir s’embrasser dans une Algérie en proie au changement, un récit plein d’espoir dont la genèse nous est partagée ici par son réalisateur.

Format Court : Tu as d’abord étudié en tant qu’acteur pour ensuite rejoindre la Fémis, comment es-tu arrivé à faire ce parcours-là ?

Azedine Kasri : En fait, c’était un long processus. Moi, je suis né et j’ai vécu dans les Ardennes à un endroit où il manquait des structures pour des gens comme moi qui avaient des velléités dans le cinéma. C’est en montant sur Paris dans le cadre de mes études en finance que j’ai commencé à faire des cours de théâtre le soir. D’ailleurs, c’est en voyant des interviews de Tahar Rahim et son parcours que j’ai repéré des similitudes avec le mien et que ça m’a donné envie de passer le cap et de suivre la formation du Laboratoire de l’acteur. C’est grâce à ça que j’ai pu faire des rencontres notamment avec Kim Chapiron. Petit à petit, j’étais frustré d’être cloisonné dans des rôles un peu banlieusards. Moi qui viens du grand Est, j’avais vraiment envie de raconter d’autres histoires. C’est à ce moment-là que je me suis intéressé aux Talents en Court et que j’ai fait la rencontre de la productrice et scénariste Aurélie Cardin qui m’a recommandé la Résidence de la Fémis. Du coup, j’ai passé le concours sans savoir réellement ce qu’était la Fémis et je pense que ça les a séduits.

Qu’est-ce que ça t’a apporté ?

A.K : La Fémis m’a ouvert plein de portes, mais c’est avant tout beaucoup de rencontres, des personnes avec qui je continue de travailler à l’heure actuelle. Je pense notamment à Guillaume Scaillet, un scénariste avec qui j’écris mon projet de long-métrage en ce moment. Et en tant qu’auteur, je pense que ça m’a permis de mettre les mains dans le cambouis, de pratiquer et d’en apprendre plus sur la dramaturgie, la minutie d’un tournage et la complexité de chaque poste.

Si tu pouvais pitcher Boussa, qu’est-ce que tu dirais ?

A.K : C’est un couple de jeunes Algériens qui n’arrivent pas à s’embrasser sur la bouche et qui, au bord du gouffre, vont trouver un subterfuge qui est de s’inscrire à un cours de secourisme pour pouvoir attendre l’exercice du bouche-à-bouche et pouvoir s’embrasser.

Maintenant, que tu es passé derrière la caméra, que gardes-tu de ton passé de comédien ?

A.K : Je pense que ça m’a apporté beaucoup. Rien que de dans la direction d’acteurs sur un tournage, je comprends mes comédiens, je sais comment construire un personnage et comment les accompagner dans la bonne direction. C’était très important dans un film comme Boussa où il fallait toujours dans chaque scène trouver un juste-milieu entre comédie et drame. On a fait un vrai travail sur cela et notamment à travers la langue dans le film, qui est très particulière et importante. Je voulais vraiment travailler sur des sonorités berbères et j’ai eu la chance de travailler avec un acteur franco-algérien (Mourad Boudaoud) qui maîtrisait vraiment cela. Je pense que ce niveau de détail dans la construction du film et de mes personnages, je le tire de mon expérience dans l’actorat.

Comment as-tu été amené à collaborer avec tes comédiens Mourad Boudaoud et Anais Lazizi ?

A.K : Avec Anaïs, on avait fait un casting en Algérie dans ma ville d’origine et c’est vraiment elle qui s’est détachée du lot. La même chose à peu près pour Mourad, mais lui, c’était sur le tard après avoir vu plusieurs profils que je suis tombé sur son travail dans le court-métrage Malabar de Maximilian Badier Rosenthal et que je me suis réellement intéressé à son profil En plus, il écrivait déjà à l’époque, du coup, il avait cette conscience sur le boulot qu’on était en train de livrer, il était toujours là à poser les bonnes questions et à me proposer beaucoup de choses. Pour Anaïs, c’était pareil même si elle avait moins d’expérience que Mourad. Après, on a surtout travaillé avec eux pour qu’il y ait cette alchimie, il fallait rendre ce couple crédible. Sur le plateau, ça été beaucoup de discussion pour déterminer où on pouvait aller avec Mourad et AnaÏs. Personnellement, je me considère plus comme un chef d’orchestre qui dirige plutôt qu’un réalisateur qui a exactement en tête ce qu’il veut.

Est-ce important de traiter ce genre de sujet via l’humour ?

A.K : Oui évidemment, il est vrai que j’ai pu faire entre autres avec mon film de fin d’études Timoura des œuvres qui lorgnent plus du côté du drame, mais moi, je suis avant tout un fervent défenseur de la comédie et notamment de la comédie italienne qui m’a beaucoup inspiré pour Boussa. J’ai vraiment baigné dedans et je voulais vraiment faire une comédie italienne sauce algérienne. Mais en fait, je pense que c’est surtout parce qu’on était arrivé à un moment où l’Algérie était en pleine révolution et qu’il y avait beaucoup d’espoir quant à celle-ci. Je voulais que cet espoir se retranscrive dans mon film via un dénouement heureux comme un appel à la paix. Je trouvais cela intéressant de traiter ces sujets via l’humour, là où on a l’habitude au Maghreb et au Moyen-Orient de le faire via le drame et la tragédie.

Avec Boussa et tes anciens films, comme 507 heures, tu développes l’archétype du loser merveilleux. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce type de personnages ?

A.K : En fait, je pense être moi-même un loser merveilleux. A l’origine, ce qui m’intéressait, c’était de m’écrire des rôles en tant que comédien. Au final, je suis passé derrière la caméra, je joue toujours, mais moins et j’ai gardé ce type de personnages en phase avec ma personnalité. C’est ce coté un peu Pierre Richard, mais aussi Patrick Dewaere dont je suis fan absolu qui me plaît pas mal. Et écrire, ça m’a vraiment aidé en tant qu’acteur à savoir ce que je pouvais jouer ou pas.

Tu es originaire d’Algérie sans vraiment y avoir vécu, comment as-tu abordé la création du film ?

A.K : En fait, même si mes parents ont quitté l’Algérie très vite, je suis quand même très attaché à ce pays. J’ai eu la chance d’avoir toujours de la famille qui y habitait et de pouvoir y aller une grande partie de mes étés. Et c’est durant ces vacances que je me suis dis que je voulais faire du cinéma en Algérie tellement c’est un pays riche et paradoxal. C’est aussi pour son côté paradoxal que j’ai décidé de faire de Boussa une comédie. L’envie de faire le film, c’était aussi de pouvoir renouer avec mes racines et de rattraper le temps. Ce n’était pas par problème d’identité, mais une vraie envie de parler de ce pays.

Est-ce qu’il y a eu des obstacles dans la vraisemblance du traitement de la société algérienne ?

A.K : En fait, tu as surtout peur, tu te demandes comme les gens vont réagir là-bas, si les autorités vont te laisser faire. Finalement, on s’en est bien sorti en tournant en Algérie, moi qui voulais vraiment pouvoir tourner là-bas et pas en Tunisie ou au Maroc. Je voulais vraiment pouvoir tourner avec des jeunes techniciens algériens et permettre à plus de personnes de se former. Et je pense qu’on a eu finalement plus de problèmes administratifs au niveau de la production française qu’algérienne.

Comment s’est passée la recherche de production ?

A.K : Je me souviens que mon premier contact avec 2Horloges la production algérienne s’est fait à un moment où j’étais encore étudiant à la Fémis et que je travaillais sur Timoura. Ils nous avaient aidés pour toute la partie administrative et je leur avais promis de revenir vers eux avec un projet plus produit et c’est ce que j’ai fait. Ma première rencontre avec Bien ou Bien Productions s’est faite lorsque j’ai participé aux Talents en Court et que j’ai eu l’occasion de présenter mon film au producteur Zangro. Ce qui est amusant, c’est que je connaissais déjà Maïmouna Doucouré, dont ils avaient produit le premier film, lors de notre formation commune au Laboratoire de l’acteur.

Es-tu optimiste quant à l’évolution du cinéma algérien ?

A.K : Je ne veux qu’être optimiste. Bien sûr qu’il est compliqué de faire des films en Algérie, on ne va pas se mentir. Mais je pense qu’il y a quand même des actions qui ont fait qu’il y a eu des Assises du cinéma. On m’a laissé faire, je suis peut-être dans un monde de Bisounours, mais pour moi, on avance. Maintenant, on voit des films comme Omar la fraise de Elias Belkeddar qui émerge et qui parle de sujets comme la drogue ou l’alcool. Après, le nombre de films disponibles diminue aussi en raison de l’obligation de coopérer automatiquement avec une production locale. Mais rien qu’ici a Clermont, on peut voir qu’il y a déjà plusieurs films qui ont réussi à faire leur chemin jusqu’en compétition nationale.

Propos recueillis par Dylan Librati

Article associé : notre reportage « Regards d’Afrique. Regards nouveaux »

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