Les courts de Venise, entre animation et questions de société

À Venise, la Biennale bat son plein jusqu’à ce samedi 9 septembre. Au programme de la section cinéma, la compétition, bien sûr, les classiques, aussi, mais surtout ses Orizzonti (« Horizons ») qui présente, à côté de dix-huit longs-métrages, treize courts-métrages.

Place aux questions de société

La sélection 2023 accorde une place importante aux questions de société. Area Boy, par exemple, du réalisateur britannique Iggy London, présente un personnage d’adolescent en proie au doute. Avec sa très belle scène de baptême par submersion complète, ce film aborde les questions de dysphorie de genre et des relations adolescentes, mais aussi la place du religieux. Le poids des injonctions faites aux femmes et des narcotrafiquants dans la Colombie des années 1990 apparaissent pour leur part dans Bogotá Story, du réalisateur colombien Esteban Pedraza.

La situation des immigrés traverse également de nombreux films. A côté de Sentimental Stories, de la réalisatrice roumaine Xandra Popescu, sur les conditions de vie de travailleuses immigrées en Allemagne, A Short Trip, du réalisateur albanais Erenik Beqiri, nous présente un couple albanais dont la femme est prête à contracter un mariage blanc pour pouvoir rester en France. La misère du couple comme des aspirants au mariage, prêts à épouser une inconnue pour quelques euros, est au cœur de l’écriture du film.

Le poids du regard des hommes sur le corps des femmes apparaît en filigrane dans Sea Salt, de Leila Basma, également parcouru par la question migrante : Nayla, une adolescente de dix-sept ans, subit les remarques de son frère, qui trouve son short trop court. A travers cette relation fraternelle difficile, le film nous montre l’attirance paradoxale du lointain sur la jeunesse libanaise. La jeune fille est en effet confrontée à un dilemme : suivre son frère au Canada, où la vie est sans doute moins compliquée qu’au Liban, ou rester à Beyrouth près de ses amis et, surtout, de son amoureux secret, et échapper ainsi à ce frère pour le moins envahissant.

C’est toutefois Cross My Heart and Hope to Die, de la réalisatrice philippine Sam Manacsa, qui retient l’attention parmi tous ces films de société. Sa peinture de la vie humble et répétitive de Mila, une modeste employée de bureau, doit beaucoup à son travail de l’espace et de la profondeur de champ. Les murs et les plafonds étouffants, la création de lieux hermétiquement clos et le travail de la lumière reproduisent une atmosphère asphyxiante qui extrait le court-métrage du seul film à sujet pour l’orienter vers quelque chose de beaucoup plus singulier.

Un coup de projecteur sur l’animation

Film politique et film d’animation tout à la fois, The Meatseller, de la réalisatrice italienne Margherita Giusti, nous fait suivre le parcours vers l’Europe d’une jeune Nigériane, Selinna, qui rêve de devenir bouchère. Un parcours chaotique, difficile et semé d’obstacles, retransmis par la simplicité d’un dessin qui joue de l’opposition du rouge de la viande au noir et blanc des contrées traversées.

Le beau In the Shadow of the Cypress, des réalisateurs iraniens Hossein Molayemi et Shirin Sohani, nous embarque dans un univers moins déterminé, fait de pêche au cachalot, de nostalgie et de mélancolie. Les couleurs pastel du début cèdent la place à des couleurs plus franches, qui parviennent à créer un univers étrange et paradoxal, conjointement inquiétant et rassurant.

Un peu d’humour, peut-être, avec Wanted to wonder, de la réalisatrice néerlandaise Nina Gantz, parodie des shows TV pour enfants. Des marionnettes, filmées en stop-motion, répondent avec un enthousiasme un peu forcé aux questions existentielles de leurs jeunes téléspectateurs (par exemple : « Peux-tu dire à Maman que les rollers ne sont pas dangereux ? »). Surtout, plus que les marionnettes, c’est le show lui-même qui devient le personnage principal du film. Aussi découvrons-nous l’envers du décor, des coulisses sombres et glauques, aux antipodes de la joie factice de l’émission de télé. L’humour du début a cédé sa place à un univers inquiétant, qui transforme la parodie en une satire acerbe de la société.

La sélection de Venise ne brille donc pas par son optimisme, mais est sans doute à l’image du monde contemporain. On y observe une certaine unité de ton et de thèmes, qui parle des angoisses d’une époque où les uns et les autres peinent à trouver leur place.

Julia Wahl

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