Retour sur le festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec

Le festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec s’est achevé en novembre dernier. Il accorde une large part au court-métrage, grâce à une compétition et une soirée dédiée. C’est dans ce cinéma historique qu’est le Trianon, ancien café reconverti en salle de projection, qu’a eu lieu la douzième édition du festival. Une édition centrée autour du Liban, marrainée par la réalisatrice franco-libanaise Chloé Mazlo et avec pour parrain d’honneur Costa-Gavras.

Des courts-métrages en compétition

Le court-métrage, au festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec, c’est avant tout une triple compétition, avec pas moins de cinq prix : les Prix de la Meilleure Fiction et du Meilleur Documentaire du Public, les Prix de la Meilleure Fiction et du Meilleur Documentaire du Jury, et enfin le Prix des Lycéens et Lycéennes de Noisy-le-Sec et Romainville. En effet, grâce à des ateliers d’analyse filmique, les élèves des lycées Liberté de Romainville et Olympe de Gouges de Noisy-le-Sec ont pu élire le meilleur film des huit présentés en compétition, composés de 4 fictions et 4 documentaires. Ceux-ci avaient été sélectionnés sur un ensemble de 78 films reçus et 12 présélectionnés.

Nombre de ces films ont accordé une place de choix aux questions liées aux migrations. Elu Meilleur Film de Fiction par le Jury professionnel, La Voix des autres, de Fatima Kaci, met ainsi en scène une interprète de l’OFPRA (Rim) qui se trouve face à un dilemme : sortir de son simple rôle de traductrice en aiguillant les réfugié.es dans leurs demandes, ou se contenter de traduire mot à mot ce qu’ils et elles disent et participer à l’inhumanité de ce système qui enjoint à chacun.e de prouver l’improuvable pour prétendre obtenir le statut de réfugié.e.

L’intérêt du film de Fatima Kaci réside dans cette façon latérale de rendre compte des méandres administratifs qu’est la reconnaissance du statut de réfugié. En effet, en centrant son film, non sur une migrante, mais sur une interprète, la réalisatrice fait un pas de côté vis-à-vis de ce qui est maintenant un genre en soi : le film de migrant.es. Grâce à ce dispositif narratif, nous suivons non pas un, mais plusieurs migrant.es, aux histoires à la fois très proches et très diverses, et découvrons de l’intérieur – ou presque – cette machine à fabriquer des clandestin.es qu’est l’OFPRA et sa difficulté à reconnaître la singularité de chaque parcours.

La caméra suit ainsi durant l’essentiel du film le visage d’Amira Chebli, qui incarne le personnage principal. Avec une grande économie de moyens, la comédienne exprime la volonté et la révolte intérieure de son personnage, bien déterminée à utiliser sa place d’interprète pour aider ces réfugié.es. La mise en scène des entretiens de l’OFPRA évolue ainsi au cours du film : alors qu’ils sont d’abord filmés dans un dispositif qui isole tour à tour le demandeur et l’interprète, ceux.lles-ci sont ensuite filmé.es de face, côte à côte, s’épaulant mutuellement face à une fonctionnaire peu compréhensive.

L’une des réussites du film est également d’accorder une large part à la vie quotidienne de Rim : il commence ainsi par la façade d’un HLM avant de pénétrer dans l’un de ses appartements, celui de l’interprète. Nous la voyons alors trier son linge en même temps qu’elle passe un coup de téléphone professionnel, son métier et sa vie privée empiétant dès le début l’un sur l’autre. A l’instar du personnage de Rama, dans le film Saint-Omer d’Alice Diop, qui s’identifiait à son sujet, Rim peine en effet à se différencier des migrant.es qu’elle accompagne, récusant l’affirmation de l’un de ses collègues : « Ce n’est pas ton histoire ».

Le trouble identitaire, non des migrant.es, mais des enfants d’immigré.es, apparaît pour sa part dans Rentrons, de Nasser Bessalah. Le réalisateur nous emmène en Kabylie, où nous suivons deux jeunes qui semblent s’ennuyer fermement dans ces montagnes éloignées de Paris. Alors que Nouria veut à tout prix rentrer en France pour fuir un père autoritaire sur le point de se remarier, son ami Abdel est suspendu entre son attachement réel pour l’Algérie et sa mère, restée mourante à Paris. Iels échafaudent alors, sans trop y croire, des stratégies pour rentrer en France, à la manière d’enfants qui fantasment un tour du monde loin des adultes.

Le personnage de Nouria, joué par Melha Bedia, est particulièrement intéressant : la jeune femme ne parle ni l’arabe ni le kabyle, ce qui la rend tributaire de son ami, mais marque aussi sa volonté de se distinguer de cette Algérie qui lui paraît pour l’heure trop étouffante. Elle refuse ainsi de faire de son monolinguisme un handicap et le brandit au contraire comme un étendard. Grâce à cette jeune femme qui ne rêve que de Paris, Nasser Bessalah inverse le sens usuel de la notion de retour, qui signifie d’ordinaire le rêve, pour les enfants d’immigré.es, retourner dans le pays de leurs aïeux.

Côté film documentaire, Bye bye Benz Benz, de Jules Rouffio et Mamoun Rtal Bennani, a raflé les deux Prix du Meilleur Film Documentaire (Jury et Public). Les deux réalisateurs sont avant tout photographes : leur projet était initialement de photographier ces « grands taxis » qui sillonnent le Maroc à la manière de petits autobus.

Ce désir s’articule à une réalité politique : le gouvernement marocain a lancé un grand renouvellement des grands taxis, en accordant une importante prime à la casse aux chauffeurs qui se sépareraient de leur antique Mercedes pour une voiture plus moderne.

Pour ce faire, ils ont suivi Kbir, un chauffeur de taxi attaché à sa vieille Mercedes. Les deux photographes filment les éléments symboliques de cette voiture que sont son tableau de bord et sa boîte de vitesse tout en laissant la voix du conducteur emplir l’habitacle de sa nostalgie. Leur caméra se promène aussi par les vitres de la voiture, saisissant les différents espaces du Maroc qui défilent ainsi sous nos yeux, mais aussi les dépotoirs où l’on retrouve çà et là quelques Mercedes désossées. Ce film vaut surtout pour son expression de la nostalgie de Kbir, mais aussi pour la précision de l’image qui témoigne de la patte des photographes.

Du côté du documentaire comme du côté de la fiction, les courts-métrages sélectionnés au Festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec accordent donc une part importante au réel et à la société contemporaine. De façon inattendue, c’est finalement Bye bye Benz Benz, film documentaire doublement primé, qui accorde la plus grande place à la nostalgie et à l’écriture symbolique, signe, peut-être, d’une relative labilité, sinon caducité, des catégories de la fiction et du documentaire.

Julia Wahl

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