Guillame Brac : « Mon obsession est d’arriver au mieux à raconter qui sont les gens que je filme »

Réalisateur, producteur ou encore scénariste, Guillaume Brac s’est fait remarquer par ses différents longs-métrages, courts-métrages et moyens-métrages, à la fois de fiction et de documentaire tels À l’abordage (2020) ou Un monde sans femmes (2011). Avec Un pincement au coeur, court-métrage qui était présélectionné aux César 2024, il conte l’histoire de Linda et Irina, deux adolescentes en fin de seconde. Les vacances d’été approchent et Linda doit déménager. Une nouvelle instabilité s’instaure dans le quotidien de ces deux jeunes amies. La force et la beauté de leur lien transparaissent dans ces quelques séquences portées à notre attention par le regard de Guillaume Brac : un récit sur la jeunesse et l’amitié.

Format Court : Comment est né ce projet ? D’où est venue l’idée de vous rapprocher de ces deux protagonistes ?

Guillame Brac : C’est une commande qui m’a été passée par le BAL à Paris qui est un centre d’art qui organise des ateliers dans plein de lycées, de collèges, d’associations partout en France. Ils m’ont proposé d’aller faire un projet dans ce lycée d’Hénin-Beaumont. Ce n’est pas du tout ma décision ni mon idée d’aller filmer ces jeunes filles, c’est parti de cette proposition d’aller travailler avec des jeunes. L’idée était de faire un film. Ils étaient douze treize jeunes qui s’étaient portés volontaires dans ce lycée en seconde, on se voyait tous les quinze jours, le mercredi après-midi, pendant plusieurs mois. Petit à petit, Linda et Irina ont vraiment émergé à mes yeux. Elles me touchaient beaucoup. Je sentais qu’elles avaient une espèce de capacité à mettre les mots sur ce qu’elles ressentaient, sur leurs émotions. Une sorte de générosité dans l’expression de leurs sentiments et une maturité aussi beaucoup plus grande que leurs camarades. Elles sont arrivées au centre du projet. J’ai quand même filmé tout le groupe parce que c’était l’idée, c’était un peu le contrat d’impliquer tout le monde et c’est au montage que j’ai vraiment centré le film sur elles.

Au début, vous comptiez mettre ces rushes de tout le groupe et c’est au montage que vous vous êtes recentré sur ces deux personnages ?

G.B. : J’avais l’intuition que le film serait plus centré sur elles mais je voulais quand même laisser une chance aux autres. Plus le tournage avançait et plus je me rendais compte que c’était avec elles qu’il se passait les choses les plus fortes. Quand j’ai attaqué le montage, je savais quasiment à 100% que le film allait être sur elles et qu’il n’y aurait malheureusement pas la place pour les autres. Ce qui était beau, aussi, c’était de raconter cette relation du début à la fin du film et ça aurait été étrange de voir d’autres jeunes qui n’ont pas vraiment une vraie trajectoire comme elles autour.

Comment avez-vous abordé la caméra pendant le tournage ? Elle est souvent proche avec des cadres fixes mais par moments vous êtes aussi très éloigné des protagonistes ?

G.B. : La caméra a été introduite petit à petit. Comme je le disais, on se voyait tous les quinze jours le mercredi après-midi. Il y avait plusieurs mercredis où on a fait des petits exercices avec la caméra. Je les ai faits travailler sur la question de la sincérité et sur le fait de ne pas avoir peur, même d’être fier de parler de soi et de raconter des choses qui peuvent toucher tout le monde, d’avoir le courage d’assumer ses émotions, même si elles peuvent être négatives ou douloureuses. J’avais donc fait des exercices comme ça, pas mal autour de la question du sentiment amical ou amoureux où chacun, chacune racontait des choses assez personnelles devant tout le monde et devant la caméra. Et puis, il y a eu aussi une étape où je leur ai proposé de filmer eux-mêmes et elles-mêmes leurs camarades. La caméra devenait petit à petit un peu plus familière et rassurante. Sur le tournage, j’ai l’impression que Linda et Irina l’ont vraiment oubliée très vite, elles ne s’en souciaient pas tellement. Et c’est vrai que cette caméra, par ailleurs, bougeait assez peu. Ce qui m’intéressait était de capter des blocs de durée comme si on prélevait de la réalité un moment. Je n’avais pas forcément envie de découpage, parfois, il y en a un peu, mais c’est la plupart du temps un plan séquence. On laissait souvent tourner très longtemps la caméra, on la laissait tourner quinze, vingt, parfois trente minutes ce qui faisait qu’elles rentraient vraiment dans leurs discussions, elles rentraient dans une conversation comme si on n’était pas là, c’était assez troublant. Très souvent, c’était moi qui donnais l’impulsion de départ d’une scène mais très rapidement, c’était elles qui se la réappropriaient et ça devenait un vrai moment entre elles. Je pense que le fait qu’on soit là, que je sois là, peut-être, les poussait aussi à exprimer d’une manière plus fine, plus précise, plus approfondie les choses, à creuser vraiment ce qu’elles avaient à se dire. À chaque fois, c’était des échanges qu’elles auraient pu avoir sans nous.

Et pour cela, diriez-vous que vous vous êtes inspiré d’un certain cinéma direct dans votre vision du documentaire ?

G.B. : Je ne sais pas. Je ne connais pas exactement la définition du cinéma direct. Je ne sais pas si le cinéma direct autorise l’intervention sur le réel. Nous n’étions pas dans une logique de pure captation puisque, comme je le disais, nous prenions le temps d’installer un cadre avec la caméra et d’amorcer une scène où je pouvais leur donner le point de départ (donc pas vraiment en cinéma direct) mais en revanche, après, je n’intervenais plus du tout et la scène s’écrivait devant nous et on re-basculait dans une sorte de captation.

Comment le récit s’est-il construit pendant le tournage ? Est-ce que vous saviez quand vous avez commencé à les rencontrer que Linda allait déménager ?

G.B. : Je l’ai su assez vite. Je me suis aperçu quelques jours avant le tournage que c’était très compliqué entre elles alors même qu’elles me fascinaient. Je trouvais leur amitié très belle, elles se soutenaient énormément. J’ai eu en quelque sorte la mauvaise surprise de me rendre compte qu’elles se fâchaient, qu’à un moment donné, elles ne se parlaient plus du tout. Je me demandais comment je vais filmer leur amitié si elles ne se parlent plus. Elles se sont rabibochées juste avant le tournage et en même temps, on sentait qu’elles en avaient gros sur le coeur et que ça pouvait à tout moment ré-exploser. Ce n’était pas évident comme situation, parce que je ne voulais pas non plus être la cause d’une nouvelle explosion entre elles. Et d’ailleurs, c’est un peu ce qui s’est produit malgré moi au centre commercial où là, devant la caméra, elles se sont dites des choses très dures, ou en tout cas, Irina a dit des choses très dures à son amie Linda. C’est vrai que je me sentais un peu responsable de ça et c’étaient elles qui me rassuraient en me disant : « Mais non, ce n’est pas du tout de votre faute. Cette discussion, on aurait pu l’avoir deux jours avant, deux jours après, ce n’est pas à cause du tournage». Je devais trouver ma place, la place du film au milieu de l’histoire qui était en train de se dérouler. Il ne fallait surtout pas aggraver les problèmes entre elles, ce n’était pas non plus mon rôle de les réconcilier, même si j’en avais très envie. Leur relation a évolué jusqu’à la fin du tournage et il se trouve que la scène du centre commercial est arrivée le dernier jour. C’était assez dur parce que ce n’était pas facile de finir là-dessus. Au montage, j’ai un petit peu réécrit la réalité puisque j’ai inversé la scène du centre commercial et la scène à la plage (qui avait eu lieu la veille ou l’avant-veille) et je crois que j’ai eu raison de faire ça parce que quelques semaines plus tard, elles se sont complètement réconciliées. Par ailleurs, il se trouve que le déménagement de Linda qui était planifié a été annulé. Donc finalement, Linda est restée et leur amitié a pu se poursuivre.

Par rapport à ce que vous disiez précédemment, est-ce que vous aviez l’impression que le tournage devenait un espace de confidence pour elles ?

G.B. : Oui, je pense qu’elles avaient vraiment un grand désir et un grand besoin de parler, de se confier, d’être écoutées et entendues, et moi, je suis arrivé à ce moment-là. Je pense que le tournage leur a fait plus de bien que de mal. J’en suis même sûr d’autant qu’elles étaient extrêmement fières du résultat. Ça les a beaucoup valorisées notamment vis-à-vis de leurs professeurs, de leurs camarades et de leurs familles.

C’était très troublant pour moi. Je n’arrêtais pas de me demander, puis je me posais encore plus la question au montage quand je redécouvrais les rushes : qu’est-ce qui peut pousser des adolescentes à se confier d’une manière aussi généreuse et intime devant quelqu’un comme moi qui avait le triple de leur âge et qu’elles ne connaissaient finalement pas si bien ? C’est très troublant et très mystérieux. Je pense que parfois, on se confie mieux à des gens un peu plus éloignés paradoxalement. À la fois, elles se confiaient l’une à l’autre, étant très proches, mais en même temps, elles se confiaient aussi à moi qui était moins proche. C’est un peu le mystère du documentaire.

On retrouve des aspects documentaires même dans vos films de fiction, comment concevez-vous le cinéma documentaire ?

G.B. : J’ai un statut un peu particulier parce que je passe de la fiction au documentaire et inversement. Je pense que j’ai un rapport assez fictionnel quand je fais du documentaire c’est-à-dire que j’aime bien provoquer des situations, j’aime bien mettre les choses en scène notamment à travers le cadre ou à travers la manière dont les plans sont pensés etc.. Ca reste complètement du documentaire parce que mon obsession est d’arriver au mieux à raconter qui sont les gens que je filme et qu’après en se voyant, ils aient l’impression que quelqu’un les a compris, les a aimés etc… C’est à la fois le réel et à la fois tout autour un cadre plus fictionnel qui peut être un peu moins habituel en documentaire. Il y a tellement de manières différentes d’envisager le documentaire et c’est ça d’ailleurs qui est passionnant. Quand je fais de la fiction, j’ai besoin de m’appuyer sur le réel et d’écrire en partant des gens que je filme comme j’ai pu le faire sur À l’abordage, ou même comme j’ai pu le faire avec par exemple Vincent Macaigne que je connais très bien dans la vie.

Quand j’écris des fictions, j’ai besoin de partir du réel, des lieux, même des gens non professionnels qui viennent enrichir le film. Pour moi, il y a quelque chose de très poreux entre mon rapport à la fiction et mon rapport au documentaire. Un pincement au coeur a une construction narrative qui pourrait presque faire penser à une fiction. D’ailleurs, parfois, des gens voient le film et ont presque l’impression que c’est une fiction alors que pas du tout. Je pense qu’il y a un travail très rigoureux et assez long de montage pour arriver à cette impression de fluidité, on a presque l’impression que ce que l’on voit a été écrit et de fait, cela a été écrit mais au montage.

Avez-vous un nouveau projet en cours ?

G.B. : Oui, j’ai tourné un autre documentaire dont je suis en train de terminer le montage et qui, d’une certaine manière, est une sorte de prolongement d’Un pincement au coeur sauf que c’est d’autres personnages, d’autres protagonistes. Ce n’est pas dans le Nord de la France, c’est dans le Sud de la France et puis, elles ne sont pas en seconde, elles sont en terminale. C’est de nouveau un film sur la question du lien, de l’attachement et aussi comment les amis peuvent devenir une seconde famille pour guérir les blessures de la famille de sang. Ce que l’on sent déjà pas mal dans Un pincement au coeur : que l’une et l’autre vivent dans le manque de leurs pères, qu’elles n’ont pas eu des vies faciles et qu’elles s’accrochent l’une à l’autre pour se réparer. C’est quelque chose que je prolonge dans mon nouveau film.

Propos recueillis par Garance Alegria

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