Basile Vuillemin : « J’ai besoin de l’altérité pour me questionner et me remettre en question »

Apparu à l’écran dès son plus jeune âge dans le film Roberto Succo de son parrain aux César, Cédric Kahn, Basile Vuillemin, maintenant diplômé de l’IAD en Belgique, est passé derrière la caméra et nous livre avec Les Silencieux un thriller au cordeau sur un équipage de marins qui, l’histoire d’une nuit, vont voir leur existence être bouleversée. Un film qui, malgré un tournage et une préparation en plein Covid, est à l’heure actuelle présélectionné aux César 2024. À travers cette conversation, Basile Vuillemin nous parle de la genèse de son œuvre ainsi que de son passage de devant à derrière la caméra.

Format Court : Tu viens à l’origine d’une famille de théâtre. Qu’est-ce qui t’a motivé à te tourner vers le cinéma ?

Basile Vuillemin : C’est amusant, je ne me suis jamais réellement posé cette question. J’ai l’impression que cela fait partie de moi depuis mon enfance sans que je ne le sache. Quand j’étais petit, c’était l’un des jeux que je pratiquais avec mes amis, de prendre mon petit caméscope mini-DV et réaliser des parodies, refaire des séquences de films. Sans m’en rendre compte, c’était déjà un pas vers la réalisation dès mon enfance. Mes parents m’ont toujours destiné à une carrière d’acteur depuis que je suis tout petit. A la fin du lycée, j’ai dû réaliser un court-métrage pour un projet personnel et il y a eu une évidence. Je me suis senti beaucoup plus à ma place derrière la caméra, en tant que réalisateur. Ça s’est imposé à moi et c’est ainsi que j’ai voulu ensuite intégré une école de cinéma.

Pour toi, c’était important de passer par une formation pour devenir réalisateur ?

BV : Je pense que, de manière générale, ce n’est pas nécessaire. On peut apprendre en autodidacte. Pour ma part, je sais que cela m’a aidé, car j’avais besoin, à l’époque, d’une structure. C’est un métier laborieux et rigoureux, et je pense que l’école m’a permis d’acquérir ces compétences. Cela m’a également donné l’occasion de rencontrer ma génération de cinéastes et de développer un réseau avec des personnes qui sont actuellement des professionnels du milieu. Je considère que l’école est un peu comme un accélérateur, une promesse de pouvoir réaliser des films de manière plus encadrée.

Si tu pouvais présenter Les Silencieux à quelqu’un qui ne l’a pas vu, que dirais-tu ?

BV : Pour faire court, c’est un huis clos dans lequel nous suivons un équipage de cinq marins le temps d’une nuit qui va littéralement changer leur existence.

Pour revenir sur ton passé en tant qu’acteur, tu as notamment travaillé avec Cédric Kahn dans le film Roberto Succo. Qu’est-ce que cela t’a apporté en tant que jeune acteur ?

BV : J’avais 9 ans à l’époque du tournage de Roberto Succo, et c’est la première fois que je mettais les pieds sur un plateau de cinéma. C’était une expérience totale qui m’a passionné, étonné, bouleversé. Cela est dû notamment à mon rôle, qui était secondaire, mais qui, sur le temps de ces scènes, était vraiment central. En fait, j’interprète un enfant qui est kidnappé avec sa mère par Roberto Succo. Le fait d’être au centre du cadre m’a permis de voir toute une équipe qui se mettait en place tout autour de moi. Cette expérience a dû planter une graine en moi, sur une certaine magie du cinéma. Cependant, je ne pense pas que cela m’ait conditionné dans ma façon de réaliser. J’étais très jeune, et j’en garde avant tout un très bon souvenir de tournage. Je pense que je prendrais maintenant beaucoup de plaisir à voir Cédric travailler sur un plateau et à apprendre de cela, mais avant tout en tant que réalisateur.

D’où est venue ton envie de parler dans Les Silencieux d’un métier aussi peu représenté que celui de pêcheur ?

BV : Premièrement, d’une découverte de ma part, je ne connaissais pas ce milieu et ce métier. C’est en apprenant et en regardant travailler les pêcheurs qu’est née une fascination en moi. C’est de là que je me suis dit qu’il y avait un potentiel cinématographique dans un huis clos en mer, d’autant plus dans un endroit aussi claustrophobique qu’un chalutier. Je me suis dit qu’une situation qui dégénère sur un bateau était une promesse cinématographique adaptée à la forme du court-métrage. Petit à petit, d’autres thématiques ont été ajoutées, comme la thématique autour de l’écologie. Mais l’initiative venait du métier des pêcheurs pour parler de décisions et de dilemmes moraux.

Comment as-tu conçu ta mise en scène dans un espace aussi confiné que ce chalutier ? Et comment s’est passé le tournage ?

BV : C’était l’un des gros enjeux de la conception de ce film, c’était ce décor qui était à la fois un cadeau en termes de beauté visuelle, mais aussi un endroit très hostile pour un tournage. Ce sont des bateaux faits pour protéger les hommes de la mer et pas pour stocker toute une équipe de tournage. On a travaillé avec Olivier Boonjing, mon chef opérateur, pour trouver un découpage qui puisse jouer sur des moments de tension tout en étant relativement pudique pour rester dans l’intimité de ces hommes. Un travail qui a été assez fastidieux parce que le bateau sur lequel on a pu faire les repérages et sur lequel on a basé tout notre découpage nous a lâchés deux jours avant le tournage. Du coup, on a dû tout réinventer la veille du tournage sur un bateau différent.

Le personnage de Jorick est interprété dans ton film par Arieh Worthalter, qui est plus connu pour le long métrage que pour le court. Qu’est-ce qui t’a intéressé chez cet acteur ?

BV : Je trouve qu’Arieh a quelque chose d’incroyable déjà à travers son regard, il y a une force qui s’en dégage. Juste à travers son regard, il a cette capacité à nous raconter beaucoup de choses. Il m’a aussi dit que dans sa vie, il faisait du bateau, et je pense qu’Arieh est vraiment un aventurier. Assez tôt dans le processus d’écriture, son incarnation s’est imposée, nous avions sa référence pour créer le personnage. Il a accepté le film un an et demi avant le tournage, et c’était génial d’avoir un comédien aussi investi. Il arrivait chaque matin avec des suggestions pour les séquences que nous allions tourner, et même si c’était un court métrage, il avait une implication totale dans ce projet. Il essayait toujours d’aller plus loin, et c’était vraiment exaltant d’avoir quelqu’un comme ça sur le plateau.

Est-ce que ton passé en tant qu’acteur a déterminé selon toi tes relations avec ces derniers ?

BV : Je pense que cela fait partie de l’appétit que je peux avoir de les diriger, de savoir combien il est difficile d’être laissé tout seul devant une caméra. Pour moi, c’est l’un des éléments les plus importants, de travailler avec ces comédiens, de chercher avec eux la justesse et d’aller dans l’exploration. Le fait aussi que mes parents soient comédiens a, je pense, aussi conditionné mon rapport avec mes acteurs.

Comment s’est passée la conception du scénario et quelle était l’envie derrière ?

BV : J’ai tout d’abord collaboré avec une scénariste bretonne qui s’appelle Blandine Jet, et on a écrit ce scénario à quatre mains. On discutait pendant des heures pour, au final, écrire en parallèle souvent les mêmes séquences que l’on finissait par échanger pour pouvoir alimenter l’écriture de l’autre. Dans le travail, j’avais besoin de l’altérité, de quelqu’un à qui parler et qui pouvait me permettre de raconter ce qu’il y avait en moi, tout en me questionnant et en me contredisant. Cette collaboration m’a vraiment permis, avec Blandine, de pousser la réflexion. Avec ce film, nous avons vraiment voulu dépasser ce côté social qui nous était donné par son sujet et en faire un vrai objet de cinéma qui agrippe le spectateur.

Tu as pu officier du côté du documentaire à la sortie de l’IAD, est-ce que ça t’a inspiré pour Les Silencieux ?

BV : Je pense que ce que je garde du documentaire pour Les Silencieux, c’est le processus de préparation, notamment pendant l’écriture du scénario et le tournage. Cependant, avec ce film-là, je ne voulais pas être dans un cinéma réalité, je voulais m’approcher plus d’un cinéma spectacle proche du thriller. En piochant dans des éléments du réel pour les accoler à de la fiction, pour parler de la réalité de mes personnages.

Quel a été l’impact de la pandémie sur le film ?

BV : Comme tous les films sortis dans ces années-là, le Covid a vraiment complexifié les choses. Le fait que je sois un réalisateur belge et que le film ait été tourné en France faisait que les déplacements étaient compliqués, ce qui a conditionné la période de casting qui s’est déroulée en grande partie par Zoom. Il y avait aussi la complexité des gestes barrières et des masques dans un endroit déjà assez petit. Cependant, on a eu de la chance pendant la diffusion du film, d’arriver à un moment où les festivals proposaient de plus en plus d’offres en public. Je me sens très chanceux de ne pas avoir eu à projeter mes films via un écran d’ordinateur.

Est-ce que le fait d’avoir un budget plus large a été libérateur pour toi ?

BV : Je ne sais pas si c’était libérateur, mais c’était une étape importante, du moins pour aller ensuite vers le long-métrage. J’ai pu faire plusieurs courts métrages auto-produits, sans budget, et je pense qu’à ce moment-là de ma carrière, j’avais besoin de me confronter à un budget conséquent avec ses responsabilités et ses possibilités. Ce budget nous a offert du temps et nous a permis de prendre notre temps pendant la production et la post-production, de ne pas nous contenter de la première idée.

Propos recueillis par Dylan Librati

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