Vincent Fontano : « Je ne fais que poser une question, une douleur, une urgence »

Originaire de La Réunion, Vincent Fontano revient au court métrage avec son deuxième film Sèt Lam, lauréat du prix de l’image au Festival Format Court de 2023. Il est à nouveau présélectionné aux César, après son dernier film Blaké (2021). Dans cette conversation, Vincent Fontano évoque son parcours, ses débuts au théâtre, ses inspirations, et l’envie originelle qui a donné naissance à Sèt Lam. Il aborde également l’évolution démographique de l’île de La Réunion et son impact sur la création de son film.

Format Court : Tu es issu du théâtre, qu’est-ce qui t’a donné envie de passer au cinéma ?

Vincent Fontano : J’ai toujours aimé le cinéma, et je me l’étais toujours interdit parce que je pensais que ce n’était pas pour les gens comme moi. C’était très étrange. Je pensais qu’il fallait faire des écoles, qu’il fallait de l’argent, des codes que je n’avais pas. Et puis c’est en faisant du théâtre que j’ai rencontré de plus en plus d’artistes et c’est comme ça que je me suis autorisé à rêver de ce média. Je crois que ce qui est intéressant, c’est de se mettre dans un endroit dont on ne sait rien et dont on a beaucoup de chose à apprendre, il y avait cette curiosité-là aussi.

Si tu pouvais pitcher Sèt Lam a quelqu’un qui ne l’a pas vu, que dirais-tu ?

VF : Sèt Lam, c’est un film qui parle de comment on prépare ce qui reste après nous, à travers l’histoire d’une grande-mère qui raconte à sa petite-fille une histoire étrange d’un pêcheur qui refuse de mourir. Cette fille est très attentive parce qu’elle sent qu’on ne lui raconte pas cette histoire pour rien.

Tu as créé une compagnie de théâtre du nom de “Ker béton”, d’où t’est venue cette envie ?

VF: Moi, j’ai commencé le théâtre sur un choc esthétique. Je faisais des études de lettres, c’était à un moment très étrange de ma vie ou j’ai découvert le travail de Shakespeare. C’est à ce moment-là que je me suis dit que c’était ça que je voulais faire. J’ai écrit du coup une première pièce que j’ai essayé de monter, le problème, c’est que personne ne voulait la lire, parce que je pense je n’avais pas le physique d’un dramaturge donc peu de gens me prenaient au sérieux. Aussi, à l’époque, ce n’était vraiment pas commun d’écrire une pièce en créole, et moi, je voulais écrire des histoires sur mon île parce que je me disais que personne, sinon, n’allait le faire. Je me suis lancé dans cette compagnie comme ça de façon un peu politique et par nécessité.

On sent dans ton cinéma et dans Sèt Lam une énergie revendicatrice, pour autant considères-tu ton cinéma comme militant

VF : Non, pour le coup, vraiment pas. Je vais te raconter un truc. Il y a quelques années, quand j’étais encore un jeune auteur revendicatif et politisé, j’ai rencontré un grand monsieur du théâtre libanais qui s’appelle Roger Assaf. On a discuté et il m’a dit : “Nous, en tant qu’auteurs, notre premier travail c’est d’être humble, nous ne sommes rien, nous ne sommes pas grand-chose”. Sur le coup, j’étais un peu fâché, et il m’a expliqué qu’en tant qu’auteur, on donne trop nos avis sur tout comme si on avait compris et qu’on devrait plutôt poser des questions que d’essayer d’y répondre. J’envisage mon travail comme celui d’un observateur qui pose des questions. Alors évidemment, il y a un côté politique parce que je suis dans la cité, mais je ne m’autorise pas à dire aux gens comment penser. Je ne vois pas ma légitimité à le faire. Je ne fais que poser une question, une douleur, une urgence. Je la partage et j’espère que quelqu’un trouve un écho là-dedans.

De tes débuts dans le théâtre, qu’est-ce que tu as retenu et transvasé dans le cinéma ?

VF : Je pense, une forme de méthodologie du rapport à ce que tu racontes. Au théâtre, on est sur du temps long, la parole a vraiment le temps de se déployer, dans ses intérêts et ses inconvénients. La parole doit être portée par les comédiens, par la lumière et la mise en scène. Les outils et les croisements que j’ai apportés du théâtre m’aident à porter cette voix au cinéma et de me dire que si ce n’est pas urgent, il vaut mieux que je me taise. C’est cette exigence que j’ai ramenée du théâtre où chaque erreur se paie cher quand tu es face à un public pas très réceptif.

Est-ce que tu as pu retrouver via les festivals que tu as pu faire avec Sèt Lam, le même rapport au public ?

VF: Non, si je suis honnête, c’est un peu différent. Avec Sèt Lam , quand je vais dans un festival, j’arrive avec un objet fini à l’inverse du théâtre où j’arrive avec un objet en mouvement. En même temps, je trouve que dans une salle de cinéma, il y a quelque chose de plus franc. Soit j’y suis soit je n’y suis pas. A l’inverse du théâtre ou le spectateur comme la pièce est en mouvement.

D’où est venu ton envie de faire Sèt Lam ?

VF : D’un chagrin, je venais de perdre ma grand-mère. C’était elle qui m’avait élevé et j’étais à un moment de ma vie où je me suis demandé ce que j’allais faire face à ce vide. Il se trouve que ma grand-mère me préparait à son départ et j’ai trouvé ça beau. Même si cela n’empêche pas la peine et le chagrin. Et je ne sais pas, peut-être pour exorciser ou mettre des mots dessus, j’ai commencé à écrire Sèt Lam . Et cela survient aussi à un moment terrible où je me rends compte que des quartiers, comme celui ddans lequel se passe le film, le quartier des pêcheurs, allaient être rasés. C’était la fin d’une époque. En fait, j’avais l’impression que tout ce qui m’avait construit n’allait plus exister et qu’il allait me rester que de la nostalgie. Sèt Lam est né de ce chagrin-là .

Pour toi, était-ce important de montrer une mythologie, un univers différent de ce qu’on peut voir dans le cinéma français et francophone ?

VF: Oui, forcément, puisque tout mon travail a été de mettre des images sur mon imaginaire. Cela semble évident comme ça, mais ça ne l’est pas, car on est forgé avec d’autres images. Notamment quand on parle de la mort, chacun a un imaginaire très fort, très posé.

Très européen aussi.

VF: Oui, tout à fait. Et moi, j’arrive et je me dis qu’il faut que je construise quelque chose d’autre en accord avec moi et mon vécu. Je voulais aussi parler d’une France à plusieurs milliers de kilomètres de l’Hexagone, avec un imaginaire différent. Et aussi, pendant longtemps, j’avais peur que les gens n’aient pas les clés pour comprendre le film tellement il évoquait des images et une culture différentes. Et j’avais peur aussi que les gens ne fassent pas de pas en avant vers le film parce qu’il vient des Outre-mer à l’instar des films de Weerasethakul. C’est un peu ce que je demande au public français et européen, d’accepter de ne pas avoir les clés et de se plonger dans le film.

Comment le film a-t-il été accueilli à La Réunion ?

VF: Plutôt bien, c’est très étrange parce que j’ai l’impression qu’il sert un peu de valeur patrimoniale. Il y a dans le film des actrices comme Françoise Guimbert, qui interprète la grand-mère et qui est morte récemment. C’était une grande figure de l’île et le film est sa dernière œuvre. Je ne sais pas, j’ai toujours un peu de chagrin avec ce film. Par exemple, le lieu où se déroule tout le début de Sèt Lam est un gallodrome où l’on organisait des combats de coqs. Cet endroit existe depuis au moins le début de l’île et il a été rasé. Donc voilà, le film a été reçu avec joie, mais il cache une peine.

Tu utilises beaucoup dans ton film le motif de la danse. J’y vois une empreinte de la culture afro-américaine, est-ce le cas ?

VF: En réalité, tout cela s’est entremêlé, ça provient de plusieurs sources, notamment de Madagascar avec ses cérémonies malgaches. J’ai pris conscience de cela lorsque j’étais à La Nouvelle-Orléans, où j’ai observé des cortèges funèbres et où j’ai vu à quel point ça dansait. Tout ça s’est croisé, mais je crois que c’est ça qui fait mon île. De ce moment où tout le monde est venu sur l’île avec sa culture.

Pour revenir au cinéma afro-américain, était-ce une inspiration ?

VF : Étrangement, je crois que c’est plutôt le cinéma indien qui m’a inspiré car c’est celui qu’aimait ma grand-mère. Mais oui, le premier plan qui ouvre le film sur ce jeune homme qui court, tu le retrouves dans plusieurs films afro-américains. Et aussi, il y a une inspiration dans le jeu des comédiens dans mon film qui est ancré vers l’étrange. Cette non-fluidité, l’envie d’enlever l’ordinaire du jeu, je la tire du cinéma africain.

Tu as pu travailler en tant qu’acteur et notamment dans ton film Blaké, qu’est que tu en gardes maintenant que tu es passé derrière la caméra ?

VF: Ça m’a permis de savoir ce que ça coûte de jouer, parce que quand on est derrière le combo, on peut ne pas se rendre compte à quel point on peut vite épuiser les comédiens. Jouer m’a vraiment permis de me rendre compte que devant ou derrière la caméra, ce n’est pas la même énergie.

Ton film a été primé au festival Format Court 2023 pour le prix de l’image. Comment as-tu été amené à collaborer avec ton chef opérateur, Vadim Alsayed ?

VF: À l’origine, je devais travailler avec un autre chef opérateur qui a eu un accident de moto. A quelques semaines du tournage, on s’est donc retrouvé sans chef opérateur, et c’est la production qui nous a recommandé Vadim. En fait, moi, j’avais des impératifs pour le tournage en voulant quelqu’un qui travaille vite, parce que je savais qu’avec ce que je voulais faire, je n’avais pas beaucoup de temps. Après, le noir et blanc nous a aidés à pouvoir mettre en place des plans rapidement.

Et le noir et blanc était présent avant l’arrivée de Vadim ?

VF: Ah oui, c’était présent dès le début, et ce qui était fou, c’est que je devais convaincre l’équipe qui n’était pas du tout séduite par le noir et blanc et le format 4:3. Il a fallu que j’organise une réunion pour expliquer pourquoi j’avais choisi cette direction dans une île avec autant de couleurs. Je n’avais pas envie, avec la couleur, d’y mettre une temporalité, et je voulais parler avant tout de l’histoire de ces personnes qui vivent dans cette cité de pêcheurs qui allait être détruite. Formellement, je voulais, via le format 4:3, me concentrer sur les visages et, via le noir et blanc, faire en sorte que le film traverse le temps.

Quel est l’état actuel du cinéma réunionnais, notamment en ce qui concerne les courts métrages ?

VF: C’est très vif chez nous, on a une nouvelle génération qui arrive avec de nouvelles histoires et de nouvelles libertés. Il y a vraiment de tout, de l’efficace en passant par de l’expérimental, je trouve. C’est assez riche en ce moment.

Tu trouves qu’il y a plus d’opportunités qu’au moment où tu as pu commencer ?

VF: Ah oui, maintenant il y a plus de moyens de se former, le réseau est plus solide.

Dans Sèt Lam, tout comme dans ton film précédent Blaké, la thématique du conte est fréquemment abordée. Quelle est, pour toi, l’importance des histoires ?

VF: C’est mon héritage. N’ayant pas de lien très fort avec la famille, j’avais une grand-mère qui m’a inventé toute une cosmogonie. Elle me racontait des histoires de familles de manière tout bonnement invérifiable, en affirmant que mon grand-père avait eu 7 métiers. Mais cela m’a construit, m’a permis de me donner une colonne vertébrale et de comprendre d’où je venais. Donc, pour moi, les contes et les histoires sont extrêmement importants.

Comment s’est déroulée la recherche de financement et la production du film ?

VF: On a mis du temps, ça nous a pris trois ans. J’ai eu la chance d’avoir un producteur (Martin Mauvoisin, Dobro films) qui croyait au projet et qui s’est dit qu’on allait faire les choses bien. Du coup, cela a impliqué de retravailler plusieurs fois le scénario, donc oui, ça a pris du temps. De plus, avec Blaké, j’ai remporté le prix France TV, ce qui a entraîné le préa-chat de mon prochain film, et cela nous a beaucoup aidés.

Et est-ce que le fait que le film soit entièrement en créole n’a pas été un obstacle ?

VF: Non, la question s’est posée pour Blaké et depuis, ce n’est plus une question.

Est-ce que le fait que le film soit présélectionné aux César te permet de refléter ta culture réunionnaise et créole aux yeux du cinéma français ?

VF: Je crois que ce serait présomptueux de dire ça, je fais juste un film et tant mieux si on y trouve de l’écho. C’est ce qui m’a étonné, c’est quand j’ai pitché ce film à mon producteur. Je lui ai dit que s’il s’embarquait dans cette aventure avec moi, il ne devait pas s’attendre à un film qui ferait un carton. Et maintenant, après être allé à Dakar et au Québec, je suis étonné de voir comment les gens trouvent leur place dans ce film et de constater l’écho qu’il suscite chez eux.

Propos recueillis par Dylan Librati

Article associé : la critique du film

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