Garance Kim. L’intimité par le rire

La réalisatrice Garance Kim a reçu le Prix du premier film et le Prix de la jeunesse pour son court-métrage Ville éternelle sélectionné au festival de Pantin, dans lequel elle met en scène une rencontre entre deux jeunes gens interprétés par Martin Jauvat et elle-même. On revient ici sur son parcours et ses motivations qui l’ont entraînée à réaliser son premier film en auto-production, entre ses différentes rencontres, l’importance qu’elle accorde au rire, et la question de la transmission.

ⒸClaire Gaby

Format Court : Avant de réaliser Ville éternelle, tu as occupé différents postes (costumière, actrice, assistante réalisatrice). Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’a amenée à faire du cinéma ?

Garance Kim : Je pense que cela vient beaucoup de mes parents, ils ne travaillent pas dans le cinéma, mais ils m’ont bercé dans le milieu de l’image à travers la photo, la vidéo et le cinéma. Ma mère est une très grande cinéphile et ils m’ont apporté une grande sensibilité. J’ai fait un bac littéraire option cinéma, puis à l’université, j’ai fait un stage sur un tournage en tant qu’assistante mise en scène qui m’a énormément plu. J’ai alors commencé à faire de la mise en scène, j’ai donné des coups de main en costume. Depuis petite, je ne me l’assumais pas, mais j’avais très envie de jouer et tourner. Je pense que c’était un rêve d’enfant, de regarder des films et de me faire des petites pièces de théâtre dans ma chambre.

Qu’est-ce qui t’a inspiré pour écrire le scénario de Ville éternelle ?

G.K : On s’est beaucoup inspiré mutuellement avec Martin (Jauvat). Je voulais que ce soit une rencontre entre deux personnages, on a débuté en sachant qu’on voulait se faire jouer, qu’on n’allait être que deux, car en terme d’ambition, on avait en tête qu’on allait être auto-produit. On a pris plusieurs cafés ensemble où on se racontait beaucoup nos vies amicales, amoureuses, familiales ; c’est parti de là. Avec Martin, on s’est rencontré à la fin d’un tournage sur lequel on participait tous les deux mais où on n’avait aucune scène en commun. On ne s’est rencontré que lors de la fête de fin de tournage, c’était amusant car on participait au projet sans s’être jamais vu, on s’est croisé à cette fête, on a beaucoup sympathisé et on est devenu amis. J’ai le souvenir d’avoir énormément ri, pour moi, le rire est extrêmement important.
En réaction, on a décidé de faire un projet en commun où on se verrait pendant le projet cette fois-ci (rires) !

Vous aviez cette envie d’ajouter des touches comiques au scénario ?

G.K : Oui et finalement, il n’est pas si comique, c’est aussi ce qui m’a plu chez Martin : cet humour incessant et cette manière de réussir à toujours rebondir ; en même temps, il a une grande sensibilité et une profondeur très poétique que j’ai aussi décelées dans ses courts-métrages, notamment Les Vacances à Chelles qui m’a vraiment touché. Cela m’a donné envie de travailler avec lui. Je pense qu’effectivement, cela part du fait d’avoir beaucoup ri ensemble. Le rire débloque beaucoup de choses, une intimité se créée : tu te sens à l’aise, tu comprends l’autre, on peut se dire beaucoup de choses, sans jugement ni méfiance. On retrouve cette idée dans Ville éternelle, les deux personnages sont rapidement amenés a se dire des choses très personnelles. J’ai l’impression que la vie va très vite et qu’il n’y a pas de temps à perdre pour se rencontrer les uns et les autres.

Tu as donc travaillé ton scénario à travers ces discussions ?

G.K : Oui, j’avais cette idée d’une fille qui baraude en solitaire et qui se fait intercepter par quelqu’un. Je voulais que cette rencontre n’aille pas que dans un sens, qu’elle ne change pas quelque chose que pour la jeune femme seulement, mais aussi pour le personnage masculin. Je voulais qu’il y ait une sorte de transmission. L’idée de la marche était importante pour moi. C’est plus simple de discuter et d’être à l’aise en étant en mouvement physique que face à face ou statique.
L’idée de tourner dans le 77 est venue de Martin, il a grandi à Chelles et a fait tous ses films dans ce coin. J’étais ravie car j’avais vu tous ses courts-métrages que j’ai adorés et c’était aussi une occasion de découvrir cet endroit. J’ai grandi plusieurs années dans le 93 à Les Pavillon-Sous-Bois près de Bondy, ce n’est pas du tout la même ambiance urbaine, même en termes d’environnements, de paysages, etc…J’ai aimé l’idée ne pas tourner complètement à la campagne, ou à la montagne, dans un lieu entièrement bucolique ; et de pas rester non plus dans Paris, mais plutôt de retrouver cet espace qui se situe entre les grosses villes et la « rase » campagne. Revenir sur ces lieux qu’on considère comme secondaires, qu’on a longtemps appelé « ville-dortoir ».

Comment s’est passée cette double collaboration avec Martin Jauvat de l’écriture jusqu’au jeu d’acteur sur le tournage ?

G.K : Dans le fait d’être deux, il y a un effet ping-pong : ça rebondit bien de l’un à l’autre, c’est intense et rapide. Il y a aussi des moments où l’un n’est pas forcément du même avis que l’autre. Ce qui est bien, c’est qu’avant de prendre une décision, on parle beaucoup. On pouvait parfois estimer que l’idée de l’autre n’était pas concevable ou pas logique. Cela donnait lieu à des discussions qui allaient au-delà du projet, beaucoup de choses se déployaient là-dedans. Pour moi, c’est de l’enrichissement total quoiqu’il arrive. On arrive forcément à trouver un point d’entente à un moment, il n’y a jamais eu de frustration énorme ou même de mésentente, on a toujours réussi à trouver ce qui nous convenait ensemble. Ce mot « ensemble » je pense qu’il est très important pour nous, dans nos esprits et quoiqu’il arrive on veut que ça marche à plusieurs.

Tu avais donc déjà cette idée d’interpréter le rôle plutôt qu’embaucher une actrice : comment as-tu vécu cette expérience de jouer et réaliser en même temps ?

G.K : Oui, c’est sportif, on était une très petite équipe, je mettais aussi en scène, je faisais les plannings, les feuilles de service, etc…Heureusement, on avait un super régisseur mais je devais assumer une partie de la logistique. On avait écrit le scénario pour nous, je n’avais pas à jouer un rôle de composition à l’opposé de moi-même, c’était rassurant, mais à certains moments, après une prise, je devais demander à Vincent, notre chef opérateur : « comment tu m’as trouvé, qu’est-ce que t’en a pensé ? ». Je ne sais pas si j’aurai envie de réitérer l’expérience comme ça (rires) ! Je pense que cela dépend aussi des gens avec qui tu travailles, qui t’entourent, et de ta confiance dans ton projet. Ensuite, tu le sens aussi quand une prise ne fonctionne pas, tu demandes à la refaire.

Combien de temps à duré le tournage ?

G.K : 3 jours avec beaucoup d’heures sup ! […] On a dû découper des journées, sauter des séquences puis y revenir : c’était dur surtout pour l’équipe, c’était du bénévolat, on ne savait pas où ça allait…On a fait le maximum pour que tout le monde se sente bien. C’était très beau parce que plusieurs fois en fin de journée, j’ai proposé à l’équipe d’arrêter, de faire des pauses. Mais malgré la fatigue, tout le monde était motivé et prêt à finir la journée à 23 heures plutôt qu’à 19 heures. Je trouve que c’est important de sentir sur un plateau que tout le monde est présent. Si tu n’es pas sûre, il faut le formuler parce que c’est horrible d’avoir l’impression de traîner les gens derrière toi.

La musique a été composée par Mathilde Poymiro qui a elle-même réalisé un court-métrage, Caillou qui était aussi sélectionné cette année à Pantin. Comment s’est passé cette rencontre ?

G.K : C’est une très belle histoire. On s’est rencontré il y a quelques années grâce à des amis en commun, elle préparait Caillou et finalement elle est venue vers moi car on s’était bien entendu et elle cherchait quelqu’un pour les costumes : j’étais partante. Cela a été une vrai rencontre, très déterminante autant professionnelle que personnelle. Naturellement, elle a suivi ensuite le processus de Ville éternelle, on a abordé la question de la musique comme elle en fait, et c’est très vite paru évident en écoutant ses maquettes qu’elle travaillerait avec nous. C’est comme si on s’invitait l’une et l’autre, sur des postes « différents » de ce qu’on fait d’habitude donc c’est très beau.

Pourquoi le choix d’auto-produire ton court-métrage ?

G.K : Il y avait un peu un sentiment d’urgence. Jusqu’ici, je n’avais pas fait de films, mais j’évolue dans ce milieu, j’ai beaucoup d’ami.es réalisateurs et réalisatrices et j’ai vu le temps passé, le temps qui se distend pour faire des demandes de financement. C’est normal, c’est comme ça, mais je les ai vus parfois perdre un peu confiance à un moment donné, ça revient évidemment mais je pense que ça m’a fait peur. Mes professeurs m’ont toujours dit qu’il fallait commencer à faire par nous-mêmes et ne pas attendre. On a senti que c’était vraiment maintenant qu’on avait envie de parler de cette histoire, et que peut-être d’ici quelques années, quelques mois seulement, ça n’aurait plus trop de sens. Il y a eu le confinement entre temps, qui mine de rien a redéployé cette énergie chez les gens de vouloir créer à nouveau de manière auto-produite s’il fallait, et de ne plus attendre. Ce moment de stand-by nous a notamment permis de réécrire et de modifier beaucoup de choses.

Maintenant que tu as réalisé ton premier court-métrage que prévois-tu pour la suite ? Souhaites-tu continuer dans la réalisation, et si oui, avec des projets de courts ou peut-être un long ?

G.K : J’ai un projet de long que j’ai écrit l’été dernier, mais qui est encore évidemment en écriture. J’ai un projet de court-métrage, qui est d’ailleurs du même procédé que Ville éternelle, que j’ai écrit avec un ami qui est comédien, mais qui n’a jamais mis en scène. Ce projet part aussi d’une rencontre, c’est quelqu’un avec qui j’ai joué sur un court. C’était percutant car c’était la première fois que je jouais avec quelqu’un de beaucoup plus expérimenté que moi, et qui m’a amené à des moments d’improvisation, de jeu et de confiance. On a eu peu de scènes ensemble, j’ai ressenti de la frustration et une envie de jouer davantage avec cette personne. Ce sera un court qu’on aura écrit ensemble et dans lequel on se mettra en scène. Je veux continuer à réaliser, et à jouer. Je veux aussi être derrière la caméra, filmer les gens. Faire un long, ça se déploie sur beaucoup d’années, je pense que c’est important de faire d’autres choses, toujours en tant que réalisatrice. J’aurai peut-être recours à d’autres mediums aussi, de l’ordre du documentaire ou de la docu-fiction. Des choses aussi qui s’approchent plus de la vidéo d’expérimentation. Je ne sais pas encore vraiment mais je réfléchis à faire des choses avec des jeunes, des lycéens notamment. J’aimerais déployer d’autres choses que la fiction uniquement, même si le cinéma demeure ma voie principale.

Propos recueillis par Laure Dion

Article associé : la critique du film

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *