Sam Manacsa : « Je suis en train de découvrir la façon dont j’ai envie de faire des films »

Réalisatrice philippine de 29 ans, Sam Manacsa a réalisé un court-métrage Cross my heart and hope to die qui a fait sa première en compétition ce mois-ci à Venise. Ce premier film professionnel est un polar suivant une jeune femme intriguée par des coups de fil d’un inconnu, sur son lieu de travail. Le film est l’un de nos coups de coeur du festival cette année. Lors de sujets abordés dans cet entretien-conversation, il est question de Chantal Akerman, Apichatpong Weerasethakul, d’atmosphère plutôt que dialogues, de confiance en soi, d’images statiques et d’impressions de Venise.

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Format Court : Vis-tu de ton métier aux Philippines ?

Sam Manacsa : Je travaille actuellement comme chef déco, c’est mon travail principal. Je ne travaille pas vraiment en tant que réalisatrice. Le premier film que j’ai réalisé était, en fait, mon film de fin d’études, car je suis diplômée en cinéma à l’Université des Philippines. Ce film a été projeté à Clermont-Ferrand l’année d’après. Je n’ai rien fait après parce que je n’étais pas sûre que les choses que j’aimais allaient réellement aboutir, alors j’ai senti que je pourrais faire quelque chose d’autre où je pourrais gagner de l’argent. J’ai décidé de faire de de la décoration puisque c’est dans ce domaine que j’ai fait mon stage et j’ai décidé de poursuivre là-dedans au lieu de réaliser. Je fais principalement des projets commerciaux. Nous nous occupons des décors et des accessoires en général, mais surtout pour les publicités, pas vraiment pour les films.

Quelle est la situation du court-métrage aux Philippines ?

S.M : Ces dernières années, il y a eu davantage de soutien de la part du département des arts du gouvernement. Il existe peu de programmes auxquels on peut postuler et qui peuvent ensuite participer au financement. C’est très minime, on peut y accéder tous les six mois. Même s’il y a beaucoup de films à faire, il n’y a pas vraiment beaucoup d’opportunités. En parallèle, il y a aussi les festivals. Actuellement, il n’y a qu’un seul festival local qui finance des projets et un autre où on soumet son film déjà réalisé.

Le festival finance les courts-métrages ?

S.M : Oui, il y a un festival qui finance des courts-métrages. Il s’appelle QCinema. Mais si l’on pense aux courts métrages aux Philippines, c’est quelque chose que les gens font juste avant de réaliser leurs longs métrages. C’est comme un film d’entraînement. La seule raison pour laquelle les gens veulent continuer à créer des courts-métrages est parce qu’ils les voient comme une passerelle qui leur permet de créer des longs.

Comment ça s’est passé pour ton film ?

S.M : Je n’avais pas vraiment d’idée d’aller vers un long-métrage complet lorsque je l’ai écrit. J’ai vraiment senti que l’histoire correspondait parfaitement au format court, alors j’ai décidé de le faire. J’ai commencé à le développer en 2019 et comme je n’avais vraiment pas beaucoup de financement, j’ai continué à le réécrire jusqu’au début de cette année, puis j’ai décidé de le tourner.

J’ai essayé de solliciter des financements dans le festival dont j’ai parlé. Il y a d’autres financements pour des courts-métrages aux Philippines que j’ai tenté d’avoir, ainsi que d’autres financements pour des courts asiatiques, mais je n’en ai pas vraiment obtenus. C’est pour ça que j’ai, en quelque sorte, arrêté pendant un moment, mais ensuite j’ai été acceptée dans un atelier pour réalisateurs en Thaïlande. C’est à ce moment-là que je suis devenue un peu plus sûre de moi et que j’ai voulu vraiment faire le film.

Parfois, c’est trop compliqué d’attendre.

S.M : Oui, j’ai pensé que si je ne le faisais pas maintenant, j’aurais été capable d’abandonner à nouveau. Et puis, peut-être que j’aurais dû attendre encore une demi-décennie avant de vouloir faire un autre film…

Pourquoi était-il si important pour toi de tourner ce film, de raconter cette histoire ?

S.M : C’est en fait une histoire très proche de moi que j’ai entendu en grandissant, ça m’a vraiment marquée. J’ai décidé de baser librement mon film sur un événement dont on m’a parlé. J’ai imaginé que je pourrais explorer davantage le voyage émotionnel de mon personnage, Mila.

Tu as mentionné la confiance en soi. Comment s’est passé le travail en équipe ?

S.M : J’étais à l’aise avec l’équipe de tournage parce que j’ai tourné avec des amis très proches, avec qui je travaille déjà depuis des années, même sur des projets commerciaux. Ce n’était pas vraiment une sensation nouvelle de me retrouver sur un plateau avec eux. Quand j’ai décidé de tourner, je leur ai déjà dit que c’était avec eux que je voulais travailler. Ma productrice, mon directeur de la photographie, mon chef décorateur sont mes amis.

Peux-tu me parler de la tradition du cinéma philippin ?

S.M : Aux Philippines, les cinémas projettent surtout les films de Hollywood. Beaucoup de grandes sociétés de production sont très orientées vers Hollywood, donc j’ai grandi en regardant ces films-là.

Mais le cinéma, ce n’est pas qu’Hollywood.

S.M : Je n’ai vraiment découvert ce que je voulais faire que deux ans avant d’obtenir mon diplôme. J’avais un cours de cinéma expérimental et le professeur montrait tout ce qui n’avait aucun rapport avec Hollywood, comme du cinéma asiatique intéressant et du cinéma européen. C’est dans ce cadre-là que j’ai pu voir Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce de Chantal Akerman et cela a touché quelque chose en moi.

Tu te souviens de quoi ?

S.M : Je pense au fait de regarder le personnage de Jeanne Dielman, pendant tout ce temps, à l’expérience d’être là avec elle. Je me suis demandée comment capturer ce moment où l’on a envie de rester longtemps avec un personnage. C’est aussi pendant ce court que j’ai pu voir le travail de Apichatpong Weerasethakul. Ce n’est pas exactement le même cinéma, mais les deux réalisateurs aiment rester avec les personnages et prendre leur temps.

Ton film, Cross my heart and hope to die, est plutôt un polar. Souhaites-tu poursuivre dans la voie du film noir ?

S.M : Je sens que je suis en train de découvrir la façon dont j’ai envie de faire des films. J’ai l’impression que mes films sont assez différents, même s’ils se ressemblent avec de longues images statiques. Je sens qu’il existe encore une manière différente de voir mes personnages, mais je suis toujours en train de découvrir le type de concept avec lequel je veux jouer avant d’en créer un autre.

A quoi ressemblent tes scénarios ? Comment était celui-ci, par exemple ?

S.M : J’essaye surtout de décrire l’espace où se trouve le personnage. Le dialogue est la dernière chose que je mets. Je m’intéresse plutôt à l’atmosphère, au mouvement, à l’endroit où se déplacent les personnages qu’à leurs conversations. Je commence toujours par ce qu’ils disent, mais jamais vraiment par le dialogue lui-même. Je passe beaucoup de temps à écrire sur l’espace. C’est quelque chose dont j’essaie de m’inspirer dans les films : plus que les personnages, la façon dont l’espace autour d’eux est construit se répercute dans mes films.

Comment t’es-tu retrouvée à Venise ? As-tu un distributeur ?

S.M : Une fois le montage du film terminé, nous avions encore besoin d’un peu plus d’argent pour terminer la post-production. Ma productrice a décidé de postuler pour une bourse à Singapour. Flavio Armone de Lights On faisait partie du jury. Il nous a envoyé un e-mail demandant s’il pouvait représenter le film, et c’est ainsi que nous avons obtenu un partenariat avec Lights On. Je n’avais pas de grand espoir en termes de diffusion. Je me suis dit : « même si cela n’est pas projeté, ce n’est pas grave, nous trouverons un endroit pour que ma mère puisse le regarder ! ». Finalement, elle ne l’a pas vu car la première a eu lieu à Venise.

Que t’a apporté ce festival ?

S.M : C’est un très grand événement. J’ai pu rencontrer quelques réalisateurs de courts-métrages. C’était intéressant de rencontrer d’autres personnes. Après avoir visionné quelques-uns des projets, certaines personnes ont exprimé leur intérêt à travailler ensemble. Nous avons eu des conversations vraiment intéressantes. Je trouve que les festivals de cette envergure sont bons pour le networking. Il y a des producteurs qui nous ont dit qu’ils aimaient le projet. Ils sont très intéressés au cas où nous aurions un prochain projet, mais malheureusement nous n’en avons pas encore. J’écris toujours, mais j’ai l’impression que c’est trop tôt.

Quel est ton intérêt pour le format court ?

S.M : En ce moment, j’essaie d’écrire un long-métrage, mais c’est assez compliqué. C’est plus facile pour moi d’imaginer comment l’histoire se déroulerait dans un court laps de temps. Je l’envisage comme une histoire, comme un souvenir. Il est donc beaucoup plus facile pour moi d’écrire sur un format court. Je pense que 15 ou 18 minutes suffisent pour les histoires que je raconte.

Quels souvenirs as-tu gardé de tes études ?

S.M : J’ai étudié à l’Université des Philippines à Manille. Je n’avais pas de formation artistique. Mon père était ingénieur, ma mère avait beaucoup de métiers en même temps. Nous aimions beaucoup passer notre temps en famille à regarder des films, mais ce n’était pas vraiment quelque chose qui m’inspirait. Quand je suis allée à l’université, j’ai d’abord étudié la physique. J’ai vite réalisé que n’était pas pour moi.

De quelle manière ?

S.M : C’est assez difficile. Beaucoup d’étudiants là-bas, avant de commencer leurs études de physique, étaient allés dans une école de sciences spécifiques, donc ils avaient cette base en sciences et en mathématiques, ce qui n’était vraiment pas mon cas. J’ai vraiment senti que cela avait des conséquences néfastes sur ma façon de comprendre la physique.

J’ai réalisé que je n’arrivais pas à suivre, alors peut-être qu’il était temps de faire autre chose. J’étais vraiment sur le point d’abandonner mon diplôme. Je passais mon temps de l’autre côté de l’université avec les étudiants en cinéma, parce qu’il y avait une salle où ils projetaient des courts-métrages d’étudiants, des films indépendants de nouveaux réalisateurs. Ce n’était vraiment pas cher, alors quand j’étais frustrée, j’y allais. J’ai trouvé du réconfort en regardant des films pendant une période très difficile de ma vie et je me suis dit que peut-être je pourrais changer et faire du cinéma, sachant simplement que c’était quelque chose dans lequel je me sentais bien J’ai postulé et j’ai été admise. J’aimais beaucoup faire des projets de films avec d’autres étudiants, car nous en faisions beaucoup, alors j’ai décidé de rester. Je n’avais pas vraiment de but, je voulais juste être là, dans le même espace. Quoi qu’il m’arriverait après, j’allais me débrouiller.

Propos recueillis par Katia Bayer 
Retranscription : Bianca Dantas

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