Diplômée de l’École Sam Spiegel de Jérusalem et réalisatrice de « Anna », court métrage ayant obtenu de nombreux prix dont le Prix Format court au Festival de films d’écoles de Tel Aviv, Or Sinai, aime approcher l’univers de la solitude et de la féminité, deux entités qu’elle mêle avec délicatesse et sensibilité dans ses différentes réalisations.
Si le cinéma israélien d’aujourd’hui n’hésite plus à traiter de sujets brûlants, il peut également être plus intimiste, plus personnel. Les réalisateurs racontent des histoires qui leur sont proches ou mettent en scène des personnages simples et modestes en proie à des questionnements de la vie de tous les jours. Les films de la jeune réalisatrice israélienne Or Sinai, n’échappent pas à ce constat. Qu’ils soient documentaires ou de fiction, ils dressent tous un portrait réaliste de femmes seules et fragiles qui puisent dans leur quotidien les forces nécessaires pour continuer leur chemin. Le plus souvent quittées par leur homme, les héroïnes de Sinaï sont des mères qui se sont sacrifiées pour leur enfant, des femmes en quête d’amour, des êtres marqués par la solitude et l’abandon.
Avant « Anna » et la consécration au Festival de Cannes où elle reçoit le Premier Prix de la Cinéfondation, Or Sinai a réalisé un court métrage de fiction, « Two » (2011) et de documentaire « Violetta mi vida » (2012), tous trois tournés dans le cadre de ses études à la Sam Spiegel School de Jérusalem. Si « Anna » est très certainement le plus abouti, on peut déjà deviner dans les deux premiers des thèmes communs tels que la féminité, la solitude et le sacrifice maternel. On pressent aussi son envie d’être au plus près de ses personnages et d’instaurer des temps morts, des moments silencieux et contemplatifs où elle s’interroge sur la manière de traiter l’éphémère. Profondément mélancoliques, ses films évoluent dans un huis-clos relationnel entre une mère et sa fille (« Two » et « Violeta mi vida ») ou son fils « Anna ». Si dans « Two », à l’instar du titre, les deux personnages ont autant d’importance, on admet qu’au fur et à mesure de sa courte filmographie, elle choisit de se détacher de l’enfant pour se focaliser sur la mère. Ainsi « Anna » n’est-il pas le résultat réussi de cette approche ?
En apparence « Two » aborde la relation mère-fille puisque le film met en scène une mère et son adolescente de 16 ans. Persuadée que le père va les rejoindre pour célébrer l’anniversaire de sa fille, la mère organise un pique-nique en plein air. Mais le père ne vient jamais. Dans le fond, le film traite davantage du désespoir d’une mère seule, abandonnée et encore amoureuse. Elle s’accroche à des illusions et de faux espoirs qui l’empêchent de se (re)construire et d’avancer. Elle reste figée dans une situation inextricable et se sert de sa fille pour arriver à ses fins, non par machiavélisme mais par chagrin. Comme pour faire écho à la solitude d’une mère, « Violeta mi vida », tourné l’année d’après, est un court métrage documentaire qui s’attache à dépeindre le quotidien de Deborah.
Une argentine ayant quitté sa terre natale avec sa fille Violeta pour s’installer en Israël où cette dernière pourra bénéficier des soins spécifiques à sa maladie des os. Le sacrifice est dès lors double dans ce cas : à celui de quitter son pays et ses deux grands fils s’ajoute celui d’élever seule sa fille. Terre promise à juste titre, Israël apparaît comme l’Eldorado de tous les possibles. Sauf que la réalité est quelque peu différente et c’est comme femme de ménage et vivant dans un petit appartement que Déborah réussit à offrir une vie meilleure à sa fille qui aura sa Bat-Mitzvah (= pendant féminin de la Bar Mitzvah) comme toutes les jeunes files de son âge, faut-il dépenser deux mois de salaire et travailler dur pour y accéder. Un sacrifice qui a porté ses fruits cependant puisque l’on peut lire dans les intertitres de fin qu’alors que Violeta poursuit ses études au Département audiovisuel de l’Ecole d’arts, Deborah quant à elle s’est inscrite dans un cours de décoration intérieure. Mère et fille ont ici trouvé les moyens pour s’émanciper d’un cadre qui ne leur permettait pas de s’épanouir pleinement. Pour terminer la comparaison, « Anna » est un retour à la fiction pour parler de la solitude d’une mère, d’une femme en quête d’affection.
Au-delà des relations familiales, intergénérationnelles, Or Sinai parle avant tout des frontières réelles et métaphoriques qu’une femme doit traverser pour se construire. et s’épanouir dans l’acceptation de ses choix. Ses barrières, il lui faut les briser en tissant les liens entre un passé douloureux et un futur prometteur.
Au terme de près de 10 jours de festival, Cinemed a fait connaître son palmarès ce weekend. Côté courts, voici les films primés, avec la part belle au film roumain « Écrit/Non écrit » d’Adrian Silisteanu.
Grand prix du court métrage, Prix Canal +, Mention Prix jeune public : Écrit/Non écrit d’Adrian Silisteanu (Roumanie, 2016)
Mention : Un été chaud et sec de Sherif El Bendary (Égypte/Allemagne, 2015)
Prix du public : Timecode de Juanjo Giménez (Espagne, 2016)
Prix jeune public : Bêlons d’El Mehdi Azzam (Maroc/France, 2016)
Mention Prix jeune public : Écrit/Non écrit d’Adrian Silisteanu (Roumanie, 2016)
Prix Canal + : Écrit/Non écrit d’Adrian Silisteanu (Roumanie, 2016) & L’Échappée d’Hamid Saïdji, Jonathan Mason (Algérie/France/États-Unis, 2015)
Tourné en seulement trois heures à Madrid par David González Rudíez (Bilbao, 1980), « 5 segundos » est un court-métrage d’une durée de près de trois minutes et demie qui raconte comment un homme prépare une surprise à sa femme afin de lui présenter ses excuses pour son étrange comportement survenu quelques jours auparavant. Ce court-métrage minimaliste, sélectionné au Festival Court Métrange 2016, joue avec le suspense et la paranoïa à travers une réflexion sur la violence de genre et la confiance au sein du couple. Grâce à une excellente utilisation de la voix-off et de l’off screen, le réalisateur nous confronte à trois minutes de réelle détresse émotionnelle.
Le désir de diriger un couple d’acteurs, avec lesquels González Rudíez avait déjà travaillé précédemment, la longueur imposée par le festival online Notodofilmfest (3:30 minutes maximum) et la réalisation d’un scénario au coût abordable ont été les ingrédients à l’origine de ce film zéro budget. En réalité, David González Rudíez loue l’efficacité du projet à l’heure d’en aborder un nouveau : « 5 segundos » repose sur deux acteurs, un seul lieu de tournage (chez l’actrice), une paire de lampes Ikea, une caméra et un microphone. Dans une production aussi simple, ce qui compte finalement est la contrainte de durée et le matériel disponible.
Le film repose sur l’idée de la surprise, les yeux bandés de la jeune femme permettent de donner vie à « l’inquiétante étrangeté », une situation aussi familiale que sinistre. Le spectateur se retrouve confronté à l’angoisse et à l’incertitude de la protagoniste en premier plan, car comme elle, il ne voit pas ce qui se passe autour d’elle. Le sentiment de tension est très vite palpable dès que l’on quitte la sphère de la surprise romantique d’un homme à sa femme, l’attente d’un cadeau de réconciliation suite à leur dispute, se basant sur une seule règle : la promesse de ne pas ouvrir pas les yeux pendant les derniers préparatifs. À partir de ce-moment, la surprise va se transformer en désarroi et la femme va passer de l’étonnement à l’inquiétude. L’impuissance va petit à petit s’installer au vu des questions persistantes de l’homme, de quelques bruits de tiroirs et des silences volontaires qui vont contribuer à mettre en lumière les angoisses de la jeune femme et l’empathie du spectateur.
Le réalisateur David González Rudíez, qui a obtenu le Prix du Meilleur Réalisateur à la 13º édition du Festival Notodofilmfest, est un touche-à-tout depuis 16 ans en tant que réalisateur, scénariste, monteur, cadreur et producteur (Rojocamaleón Productions).
Auteur de nombreux courts primés en festival, ce réalisateur espagnol cherche à continuer à faire ce qu’il aime : à être heureux et à joindre les deux bouts. Attiré au départ par les premiers travaux de Tarantino ou « El Mariachi » de Robert Rodríguez, il prouve qu’avec peu de moyens, il est possible de faire un bon film.
En tant que créateur, il s’intéresse particulièrement à l’ambiguïté et aux films non linéaires. Avec « 5 segundos », son spectateur se retrouve en effet obligé de combler les ellipses, ce qui le rend complice et co-auteur du film. Son court joue sur les nuances de la psychologique humaine, grâce à la combinaison de premiers plans, d’un personnage désorienté et de bruits mystérieux. « 5 segundos » peut être considéré comme un brève histoire de terreur quotidienne, comme un moment d’angoisse distillé
en quelque minutes, à la mise en scène austère et efficace, ne laissant le spectateur ni indifférent ni très tranquille.
Ces films récents, sélectionnés et primé pour la plupart en festival (TIFF, FNC, Annecy, Anima, …) sont visibles sur le site internet de l’ONF ONF.ca et sur sa chaîne YouTube, dans le cadre de la 10e édition du festival en ligne Animez-vous!, ayant débuté le 17 octobre et se terminant le 31 octobre prochain.
Il vous reste quelques jours donc pour découvrir cette excellente sélection de courts en ligne réunissant des auteurs en devenir et des maîtres du genre tels que Theodore Ushev (« Manifeste de sang », « 3e page à partir du soleil »), Chris Landreth (« Jeu de l’inconscient »), mais aussi Félix Dufour-Laperrière (« Le jour nous écoute »), Luc Chamberland (« Le dominion de Seth », « La mort de Kao Kuk », « La magnifique machine ») et Randall Lloyd Okita (« Des ondes et des ombres »).
Ces 25 films, très différents dans leurs techniques, narrations et durées (de 1 à 42 minutes), empruntent pour certains à la comédie (« Histoires de bus »), à l’hommage à la BD indépendante (« Le dominion de Seth »), à l’expérimental et à la danse (« Coda »). D’autres sont des ovnis visuels et hallucinatoires (« Jeu de l’inconscient », Cristal d’Annecy 2013), des films poétiques et émouvants sur la mémoire et l’identité (« Des ondes et des ombres ») ou encore des expérimentations d’une minute (« Lui », « Manifeste de sang », « Fyoog », « OVNI », « Petit big bang », « Tête-Mêle », « Poupons », « La soupe du jour »), …
On ne peut que vous inviter à vous balader sur le site dédié (Animez-vous!) ou sur les portails associés à ce projet (ONF.ca, YouTube), à découvrir ces films et à les partager autour de vous. Vous avez jusqu’au 31 octobre pour vous animer et faire le plein de bons films canadiens !
Frères ennemis de Yacine Balah, fiction, France, 22′, Boogieman productions
Synopsis : France, 1958, des soldats français cherchent le jeune Messaoud, un renégat FLN “porteur de valise”. Messaoud échappe de justesse à une perquisition de l’armée française. Il parvient à se réfugier dans un baraquement à la lisière d’une forêt où il rencontre Belkacem, un algérien comme lui mais qui refuse de prendre part au conflit. Belkacem accueille Massoud, mais leurs points de vue sur la guerre divergent radicalement tandis qu’au dehors les soldats français se rapprochent…
Première fiction réalisée par Yacine Balah, « Frères ennemis » retrace la rencontre entre un membre du Front de Libération National Algérien et d’un Harki en France à la fin des années 50.
Une traque, une rencontre. Deux hommes aux convictions à priori diamétralement opposées se confrontent, s’affrontent avant de partager un ultime tournant de leurs vies. D’une minute à l’autre, ceux qui ne se connaissaient pas vont partager un instant déterminant pour leurs avenirs.
Pour la 6ème année consécutive, Format Court vient d’attribuer un Prix au sein de la compétition internationale du Festival Court Métrange, à Rennes, le festival de genre fantastique et insolite. Samedi 22 octobre 2016, lors de la clôture du festival, le Jury Format Court (composé de Marie Veyret, Adriana Baradri, Gary Delépine & Sarah Escamilla) a choisi de décerner son prix au film d’école « Manoman » de Simon Cartwright parmi les 40 films sélectionnés.
En sortant d’une séance de thérapie, Glen expulse hors de son corps son double primitif, un jumeau préhistorique sauvage qui l’entraine dans une folle nuit très psychédélique. Par sa technique d’animation qui sert une mise en scène inspirés, par des plans très expressifs, qui usent de maquettes, marionnettes 3D, et par ce récit initiatique sincère et inattendu, le film de Simon Cartwight joue d’un parfait équilibre entre fantastique et psychologie. C’est cette force visuelle et cette énergie primale complémentaires et parfaitement dosées que le Jury salue par ce prix.
Le court-métrage primé fera l’objet d’un dossier spécial en ligne et sera programmé lors d’une prochaine séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur bénéficiera également d’un DCP pour un prochain court doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Manoman de Simon Cartwright (Animation, 10’, 2015, Royaume-Uni, NTFS – National Film and Television School)
Synopsis : En assistant à son cours de cri primal, Glen libère quelque chose d’illimité du plus profond de lui-même.
Pour sa séance d’octobre, Short Screens met le cap sur les défis surmontés par les personnes en situation de handicap et vous propose une série de courts métrages documentaires, expérimentaux, d’animation ou encore de fiction qui posent un regard multiple sur leur combat de tous les jours. Un choix d’œuvres audiovisuelles tantôt compatissantes, tantôt grinçantes, tantôt absurdes qui fait subtilement rimer handicap et « handy-cap ».
Rendez-vous le jeudi 27 octobre à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€
Scrapbook de Mike Hoolboom, Canada, 2015, documentaire, 19’
Broadview developmental Center, Ohio, un hôpital psychiatrique filmé en 1967 par Jeffrey Paull. Cinquante ans plus tard, Donna Washington, autiste et pensionnaire de cet hôpital à l’époque, raconte sa propre histoire à partir de photos et de bouts de films qui la mettent en scène.
Prends-moi de Anaïs Barbeau-Lavalette et André Turpin, Canada, 2014, fiction, 10’
Dans un centre d’hébergement et de soins pour handicapés, un soignant se voit confronté à une tâche qu’il ressent comme bien embarrassante.
Veronika de Mark Michel, Allemagne, 2011, docu-animation, 6’30″
« Le Sable est une métaphore évidente puisque je ne suis pas stable. Parfois je me sens comme cela, comme si je tombais en mille morceaux ». Une incursion perceptrice et compatissante dans le monde caché d’une adolescente souffrant d’autisme et handicaps multiples.
La fourmi de Jonas d’Adesky, Belgique, 2016, fiction, 13. Avant-première en présence du réalisateur
Léopold se rêve comédien de théâtre. Sous ses yeux, la ville se transforme en une scène dont les passants sont des partenaires de jeu. Jusqu’au jour où un groupe de jeunes se méprend sur ses intentions et le tabasse. Tanja, une jeune femme qui passait par là, découvre Léopold inconscient et décide de le ramener chez lui…
Frida Kahlo’s Corset de Liz Crow, Royaume-Uni, 2000, expérimental, 9’10″
Frida Kahlo’s Corset est un film expérimental sur la transformation vécue par Frida Kahlo, artiste peintre mexicaine qui a dû porter des corsets orthopédiques en raison de son handicap. Le film s’inspire des mots de Kahlo elle-même et de son style esthétique vif, et réfute l’image d’une vie marquée par la tragédie et la souffrance.
Mompelaar de Wim Reygaert & Marc Roels, Belgique, 2008, fiction, 21’40″
Lubbert est un jeune homme réservé qui vit avec une mère dominatrice dans une petite maison. Une promenade matinale dans l’arrière-pays flamand est troublée par la rencontre irréelle avec d’hallucinants habitants de la région.
Cousin de Adam Eliott, Australie, 1998, animation, 4’29″
Un narrateur se souvient d’un petit garçon du même âge que lui, atteint de paralysie cérébrale depuis la naissance. Il raconte leurs aventures d’enfants.
Le 38ème Festival Cinemed (21-29 octobre 2016) démarre demain à Montpellier. Pour la première fois, Format Court couvrira la manifestation mettant en avant le cinéma méditerranéen (avec comme affiche cette année, le visuel de « Renaître » de Jean-François Ravagnan, Prix Format Court au Festival International du Film Francophone de Namur 2015). Voici en guise d’avant-programme les courts retenus en compétition.
La Bête de Miroslav Sikavica, Croatie
Un été chaud et sec de Har Gaf Saifan, Sherif El Bendary, Égypte / Allemagne
Timecode de Juanjo Giménez, Espagne
Bêlons de El Mehdi Azzam, France/Maroc
Journal animé de Donato Sansone, Francep
Migration de Jenny Sylvaine, Philippe Vu, France
Tunisie 2045 de Ted Hardy-Carnac, France
L’Échappée de Hamid Saïdji, Jonathan Mason, France/Algérie/USA
Mare Nostrum de Rana Kazkaz, Anas Khalaf, France/Syrie
Young Fish de Chrisanthos Margins, Grèce
Santé de Sabrine Khoury, Israël Anna de Or Sinai, Israël Le Silence de Ali Asgari, Farnoosh Samadi, Italie/France
Le Fusil, le Chacal, le Loup et le Gamin de Oualid Mouaness, Liban
Submarine de Mounia Akl, Liban
Hyménée de Violaine Bellet, Maroc/France
La pierre de Salomon de Ramzi Maqdisi, Palestine / Espagne Import de Ena Sendijarevic, Pays-Bas
Une jeune femme de Simão Cayatte, Portugal
Écrit/Non écrit de Adrian Silisteanu, Roumanie
Un après-midi bien rempli de Martin Turk, Slovénie/Croatie
On est bien comme ça de Mehdi M. Barsaoui, Tunisie
Le Fils de Aytaç Uzun, Turquie/Hongrie
À l’occasion de la 13ème édition du festival Court Métrange (19-23 octobre), nous avons demandé à Steven Pravong, son co-directeur, de nous proposer son propre film de la semaine, choisi parmi les 40 courts-métrages sélectionnés en compétition internationale. Il a retenu « Chainsaw » de David Dinetz et Dylan Trussel, un court qui en dit long.
Horreur, 10′, Etats-Unis, 2015, Culprit Creative
Synopsis : En pleine dispute, un couple pénètre dans une maison hantée autour de laquelle rôde un fou qui vient de s’échapper de l’asile. Ce soir-là ils décident de mettre un terme à leur relation.
Plusieurs aspects de « Chainsaw » nous intéressent et si certains d’entre eux ne sont pas pleinement à l’avantage des créateurs, les lignes parfois critiques qui suivent ne doivent pas occulter le plaisir certain qu’on y a goûté.
Tout d’abord, « Chainsaw » réussit le pari difficile de comprimer les joies du film d’exploitation dans un court fulgurant dans lequel se télescopent le vrai et le faux, le réel et la magie (assurément noire) d’un spectacle forain, dans une réalisation maîtrisée. La photographie, irréprochable, oppose les couleurs vives et saturées apportées par le décor principal à la noirceur profonde de ses coulisses ou de la nuit. Dès la séquence introductive, les mouvements d’appareil, d’une élégante douceur, nous aspirent dans le récit, nous préparant efficacement à l’agitation à venir. Laquelle nous est annoncée par l’irruption du générique qui laisse peu de doutes sur le genre auquel nous sommes confrontés. Après quelques mentions qui entrecoupent l’arrivée d’un personnage inquiétant dans une fête foraine américaine typique, le titre s’affiche : « Chainsaw » envahit l’espace de l’écran (dans un choix de lettrage monumental). Et les lancinantes mélodies de carrousels sont soudainement couvertes par la pétarade motorisée de l’objet en question. Le show (car il en est ici toujours question) va bientôt commencer.
Dans un hommage permanent rendu au genre, « Chainsaw » recourt aux figures archétypales en usage, mettant en scène un couple de teens réglementaire (un blondinet à l’arrogance pénible et sa petite amie effarouchée) séduit par une attraction. Le duo va rencontrer des difficultés de communication avec l’employé d’une « maison des horreurs » qui apporte beaucoup de conscience dans son travail (en l’occurrence, le colosse mutique présenté en introduction). Le cadre référentiel est définitivement posé. Le spectateur, devenu complice du réalisateur, met ce dernier au défi de le surprendre avec une recette à laquelle il a déjà maintes fois goûté (une cascade de films à l’ambiance et /ou aux personnages similaires se croisent dans sa mémoire ravivée).
Le contexte est donc cet univers forain qui nous renvoie inévitablement vers certaines origines du fantastique : lieu où artifices de mise en scène et effets spéciaux étaient expérimentés sur un public encore ébahi par un artisanat habile. Où certaines baraques abritaient des Freaks aux difformités réelles ou fabriquées. Espaces où le public, pour quelques pièces, s’autorisait des émois indignes, renouant avec des terreurs enfantines ou satisfaisant des appétits adultes par quelque show érotique (en un temps où l’Internet et d’autres plateformes n’existaient pas encore).
La fête foraine est (bien entendu) un cadre dans lequel le cinématographe lui-même dut se réfugier à ses débuts. À un moment-clef du récit, son dispositif est rappelé par une plaisante mise en abyme : une paroi de verre en évoque inévitablement l’écran, tissant une frontière entre des spectateurs amusés (plongés dans l’obscurité) et le lieu de l’action (vivement éclairé). « Chainsaw » cite (le fait-il consciemment ?) les territoires de jeu de Méliès l’enchanteur qui mêlait ingénieusement spectacle vivant et art cinématographique, cherchant peut-être à renouer avec une alchimie d’antan.
Le diabolique du récit, dans une économie de minutes parfaitement réglées, travestit la réalité des personnages principaux en une fiction éprouvante. Ils auraient dû en être les bénéficiaires (ils ont même payé pour) mais se retrouvent, à leur corps défendant (et à la résistance faillible) dans une situation tout autre. Dans ce jeu de dupes, le voyeurisme morbide change de camp et la réalisation modifie habilement les points de vue du spectateur dont l’identification va permuter. À ceci s’ajoutent une ironie et un humour qui ne font pas déshonneur au genre filmique défendu par « Chainsaw ». Ces ingrédients, bien dosés, lui épargnent un pesant statut de parodie.
« Chainsaw » est une très honnête récréation Gore (aux accents de Splatter) conçue pour être consommée sur place. Pas plus. Pas moins (et les auteurs ne sont pas portés par d’autres ambitions). Par ailleurs, un petit twist scénaristique bien inspiré permet de le distinguer de la profusion de courts qui reprennent (sans les renouveler) les codes d’un genre qui fait -décidément- long feu.
« Pas plus. Pas moins »
Ce constat nous inspire, malgré nous, différentes réflexions sur le producteur-même de « Chainsaw » : Eli Roth. Ce dernier ne pourrait s’offusquer d’être mis en lumière tant son omniprésence pèse massivement sur « Chainsaw » : son nom frappe (littéralement) la surface de l’écran dans le pré comme dans le post-générique à la manière d’une violente estampille. Il est le label « pur gore » supposé rassurer le spectateur sur l’origine contrôlée du film. Les réalisateurs biologiques s’effacent presque des mémoires, engloutis dans l’ombre trop profonde de leur producteur (le fait que leurs noms soient annoncés en toute fin n’arrange pas les choses). Un syndrome d’Henri Sellick, comme pourrait le décréter un institut médico-légal cinématographique après autopsie.
Directeur artistique, le prodige du Massachussetts l’est probablement sur « Chainsaw » -officiellement ou non- tant le traitement efficace porte sa griffe jusqu’au découpage (sans jeu de mots). La photographie implacablement léchée et le soin maniaque apportée aux lumières semble être l’œuvre d’Antonio Quercia, signataire de l’image des deux derniers longs-métrages de Roth : « Green Inferno » et « Knock, Knock ». Coïncidence, ce « lissage » visuel, d’une aseptisation déroutante (jusqu’à l’incongruité), marque un tournant dans la production de Roth. Dans la communauté des fans comme chez les critiques, les deux œuvres en question ont engendré des doutes sur l’inspiration du jeune maître et sa constance qualitative.
Aurait-on été un peu vite en besogne en désignant le jeune Eli (passionné de bandes horrifiques depuis l’enfance, amateur de violence graphique et adepte forcené du politiquement incorrect) comme le futur maître du Gore ou du thriller horrifique ? Les derniers films de Roth semblent à chaque fois portés par une idée (bonne en l’occurrence) mais qui peine à se déployer au-delà. Des productions qu’il s’avère imprudent de creuser en profondeur tant on risque d’en exhumer les lacunes : un discours de fond mince comme un filet de carpaccio ou involontairement douteux, des effets spectaculaires mais superficiels et des scénarii peu innovants. En termes clairs, Eli Roth vouerait au genre une passion sincère mais serait incapable de l’honorer autrement qu’en offrant, des films du patrimoine, que de pâles décalques … consommables sur place. Pas plus. Pas moins.
Allons, allons !
Eli Roth n’a que quarante-quatre printemps au compteur et à Court Métrange, même taquinés par quelques doutes, on se garderait bien de sanctionner sa carrière par un blâme infâmant au nom de ses deux derniers films (qui ne sont pas si dégénérés qu’on voudrait le dénoncer).
Nous estimons qu’il dispose encore de ressources et des moyens de trancher la langue de ses détracteurs. Nous attendons d’un œil ferme mais bienveillant son remake d’un Justicier dans la ville (choix de film réactionnaire, ô combien provocateur, qui lui sied à merveille).
Tout comme nous sommes curieux de découvrir les futures œuvres des co-réalisateurs de « Chainsaw » (mince, comment s’appellent-ils déjà, ah, oui) : David Dinetz et Dylan Trussel.
Pierre Etaix est parti vendredi matin, a-t-on appris. Quelle tristesse. Nous l’avions rencontré au Festival de Vendôme en 2010, il y a près de 6 ans. Gentil, poli, souriant, élégant, il avait raconté ses souvenirs, son lien au court-métrage, au gag, à Tati, à Keaton, au music-hall, au cirque avant de présenter avec humour « Le Grand Amour » devant un parterre composé de nombreux jeunes conquis par ce vieux monsieur, petit enfant aimant la scène comme personne.
Il faut replonger dans ses propres souvenirs, se rappeler de la surprise inattendue procurée par « Le Grand Amour » découvert par hasard dans une salle quasi vide des Champs-Elysées et de « Yoyo » vu le lendemain au même endroit, à l’occasion de la sortie en salles de l’intégrale Etaix. De fait, d’autres associations d’idées surgissent : une silhouette mince, une générosité d’interviewé, un beau visage, un génie de l’humour, un souci du détail sonore et visuel.
Clown, comique visuel, Pierre Etaix a joué ou est apparu dans les films des autres (« Pickpocket » de Bresson, « Les clowns » de Fellini, « Max mon amour » d’Oshima, …) et dans les siens, travaillé avec Jacques Tati (il a dessiné, a créé des gags et été assistant-réalisateur sur « Mon oncle »), joué avec les sons, et développé un cinéma poétique teinté de burlesque (à moins que ce ne soit l’inverse) dont l’exploitation s’est étonnement interrompue dans les années 1990.
Pour de sombres raisons juridiques, les films d’Etaix n’ont en effet pas pu être vus pendant 20 ans. Au moment de leur restauration et de leur ressortie il y a 6 ans, Pierre Etaix eu une nouvelle vie. On l’a découvert ou redécouvert, selon l’âge, la génération, la cinéphilie. Il y a eu les longs-métrages (« Le Soupirant », « Le Grand Amour », « Yoyo », « Pays de Cocagne », « Tant qu’on a la santé »). Il y a eu aussi les courts-métrages ( « Rupture », « Heureux anniversaire », « En pleine forme »).
Le dernier représentant de l’humour burlesque était un poète, avait travaillé dur pour apprendre à fabriquer son personnage de dandy, observait son environnement, façonnait ses gags à partir du réel, cherchait avant tout à faire rire, autant au niveau visuel que sonore. Pour lui, le court était une fin en soi, et non un tremplin vers le long.
Ses trois courts ( « Rupture », « Heureux anniversaire », « En pleine forme »), projetés avant ses longs et disponibles sur son coffret, étaient réellement des films à part, portés par des gags précis et réussis, un sens du rythme et de la poésie hors du commun, et un interprète (Pierre Etaix) fantastique.
Dans « Rupture », un jeune homme est quitté par sa fiancée, il se décide à lui signifier sa propre rupture par voie postale, aventure plus complexe qu’il n’y paraît tant la maladresse et les objets environnants l’en empêchent. Dans « Heureux anniversaire », un homme éprouve bien des difficultés pour rentrer chez lui pour son anniversaire de mariage, tant les personnages et situations croisant son chemin le retardent pour rejoindre son domicile. Dans « En pleine forme », l’homme tente le lien social dans un camping bondé et doit aussi composer avec les caprices du hasard.
À plusieurs reprises, nous avons diffusé en salle ou en ligne ces courts-métrages dans le cadre de nos séances au Studio des Ursulines ou à l’occasion du Jour le plus court. Nous avions invité Pierre Etaix à venir présenter ses films, mais il ne se déplaçait plus pour les accompagner, il se concentrait sur d’autres projets.
Il nous reste le souvenir de cette rencontre à Vendôme, son sourire, les émotions procurées par ses films et trois images : sa mine défaite, chapeau sur la tête, fleur à la main dans « « Heureux anniversaire », ses timbres avalés/retrouvés/perdus dans « Rupture » et son sucre au café pris dans « En pleine forme ». Clown blanc, burlesque et libre.
Film de fin d’études de Or Sinai, jeune réalisatrice israélienne, « Anna » a obtenu cette année le Premier Prix à la Cinéfondation (section réservée aux films d’écoles à Cannes), le Prix Format Court au Festival de films d’écoles de Tel Aviv et une Mention spéciale au Festival de Toronto. Ce court métrage qui sera présenté au prochain Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier est un portrait de femme esseulée (interprété par Evgenia Dodina, magnifique) cherchant à combler son ennui dans un monde où l’homme est une denrée rare.
Anna a une vie banale. Mère célibataire, cette quadragénaire partage ses journées entre son fils et son travail. Rien de particulier, des habitudes, des vêtements à coudre à l’extérieur, d’autres à ranger chez soi. Classique. Elle ne s’appartient plus, son ex-mari est parti avec une autre (qu’on devine plus jeune, plus fraîche), il ne lui reste plus que ses repères, son fils et sa télé. Un jour comme un autre, l’enfant préfère rester chez son père et sa belle-mère, Anna est désemparée. Il ne lui reste plus qu’à rentrer chez elle. Presque par hasard, alors que l’ennui, ce vieil intime, la guette, elle redécouvre son corps, sa féminité qu’elle pensait avoir laissés il y a longtemps au vestiaire avec sa casquette jaune et son bleu de travail. Anna se décide alors de combler – un tant soit peu – sa solitude. Elle part chercher un peu d’attention et de tendresse, projet plus simple en théorie qu’en pratique.
Face à sa demande, les hommes ne savent pas comment réagir. Quand Anna propose à un homme de la rejoindre chez elle après le travail, celui-ci ne comprend pas le message implicite. Quand elle porte une robe trop moulante, on lui demande si elle se rend au bal. Quand elle se montre très, trop directe face à un plombier qui lui plaît, celui-ci l’invite à se trouver un hobby.
Cherchant à assouvir son désir et à combler sa solitude, Anna erre, s’égare, tâtonne. Timide, maladroite, paumée, attachante, elle se redécouvre petit à petit femme, ce que filme adroitement Or Sinai, sortant de l’école Sam Spiegel de Jérusalem.
Avec humour, émotion et simplicité, la réalisatrice ne lâche jamais son personnage, filmé de manière discrète et pudique. Evgenia Dodina, comédienne israélienne d’origine russe, très connue dans son pays, apporte beaucoup à son personnage, autant dans ses tentatives – ratées – de séduction que dans ses moments de solitude, l’expression de son désir et sa peur de l’abandon. Or Sinai la saisit dans son intimité avec justesse et bienveillance. « Anna » pourrait être un énième portrait de femme seule. Sa réalisatrice-scénariste va plus loin, elle l’enrichit, l’agrémente de détails (un chien pouilleux comme réconfort, un sourire qui met du temps à se dessiner, un repas déprimant devant la télé). La nuit, le vide, la peur, la timidité, l’audace, l’espoir sont autant d’indices qui font aussi la différence de ce film d’école à la mise en scène très soignée.
Synopsis : Par une chaude journée d’été, pour la première fois depuis des années Anna se retrouve inopinément seule, sans son fils. La voilà donc partie pour une errance dans les rues de sa petite ville dans le désert, à la recherche d’un homme qui lui donnerait une caresse, même pour un bref instant.
Genre : Fiction
Durée : 24′
Pays : Israël
Année : 2015
Réalisation : Or Sinai
Scénario : Or Sinai
Image : Saar Mizrahi
Montage : Noy Barak
Musique : Ran Bagno
Interprétation : Evgenia Dodina, Alon Dahan, Miki Leon, Dany Brusovany
Ce jeudi 13 octobre, Format Court vous invite au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) à assister à sa soirée de rentrée, composée de cinq films français et étrangers (Belgique, Italie, Roumanie, Israël) sélectionnés et primés en festival (Clermont-Ferrand, Angers, Cannes, Silhouette, Annecy, …).
Pour l’occasion, pas moins de 5 réalisateurs et réalisatrices (dont deux lauréats de Prix Format Court) seront présents pour accompagner cette toute première projection de l’année organisée avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International et du Centre Wallonie-Bruxelles à Paris et du service culturel de l’Ambassade d’Israël en France : Léa Mysius et Paul Guilhaume (« L’Île jaune »), Donato Sansone (« Journal animé »), Sacha Feiner (« Dernière Porte au sud ») et Or Sinai (« Anna »).
En guise de bonus, nous vous proposons également de découvrir une exposition de dessins et croquis préparatoires relative au film d’animation « Dernière porte au sud » de Sacha Feiner.
En pratique
– Projection : 20h30, accueil : 20h
– Infos, programmation : ici !
– Durée de la séance : 81′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
– Event Facebook !
– Entrée : 6,50 €
– Réservations vivement recommandées :soireesformatcourt@gmail.com
Récompensé du Prix Format Court au 24ème festival Le Court en dit long, « Dernière porte au sud » est un film d’animation de Sacha Feiner, adapté de la bande dessinée éponyme de Philippe Foerster.
Le réalisateur belge a fait ses études de graphisme et de communication à l’école d’art de la Cambre à Bruxelles. À la sortie de son premier film professionnel, « Un monde Meilleur », il bénéficie déjà d’une belle communauté de fans grâce notamment au « Gremlins fan Film » qui le fait connaître sur la toile.
Perfectionniste et travailleur, il prend le parti de s’approprier presque toutes les étapes de la production de ses films et s’impose ainsi comme un réalisateur multitâche qui cultive un univers très singulier.
Dans la tête d’un enfant
Avec « Dernière porte au sud », Sacha Feiner a voulu retranscrire le sentiment d’effroi ressenti lorsqu’il a découvert cette petite histoire à un âge très jeune, peut-être trop jeune. Enfermés dans un manoir immense, un enfant et sa tête siamoise un peu bizarre n’assimilent le monde qu’à ce lieu fait de pièces reliées par des couloirs et d’étages reliés par des escaliers. Un jour, ils aperçoivent une lumière étrange et décident d’explorer le monde pour en trouver le bout. Dès lors, le point de vue de l’enfant guide le film tout entier.
Tout passe par son regard innocent et naïf. Ainsi, sa mère est constamment montrée par des contre-plongées vertigineuses accentuant sa silhouette longiligne et ses traits saillants. Le même procédé est utilisé pour présenter le père ou comme dit le garçon, le créateur qui n’existe qu’à travers une vieille peinture. La vision de ce père au regard terrifiant est soulignée par une fumée mystérieuse et un lent traveling avant comme pour amplifier le ‘dark side’ du personnage. Aux visions disproportionnées des parents, se superposent celle du manoir. Un manoir qui semble dépourvu d’une entrée comme d’une sortie laissant croire à un espace infini. Les couloirs et les étages qui emplissent ce lieu sombre forment un champ de jeu labyrinthique pour le garçon.
Pour mieux montrer encore l’histoire à travers le prisme de l’enfance, Sacha Feiner met à profit l’apparence du jeune garçon. Sa petite taille et cette tête ronde surprenante contrastent fortement avec les corps de ses parents et permettent une mise en relief radicale du manoir, rendant perceptible l’immensité du lieu. On peut également noter, la voix-off, très souvent redondante -puisqu’elle explique ce que l’on voit à l’image- comme une autre astuce avec laquelle le réalisateur réussit à nous faire adopter le point de vue de l’enfant. Il parvient à nous faire partager ses questionnements, ses doutes et surtout ses peurs. On découvre, en même temps que lui, l’univers sombre et hautement étrange qu’entretient le film.
Lorsque l’enfant trouve l’arme du créateur, il reproduit naïvement mais de façon logique le suicide du père enclenchant, dès lors, la mort de son innocence. Sur le toit du manoir, Feiner redonne à l’image du film, jusqu’ici en noir et blanc, des couleurs vives et flamboyantes et finit de tuer les illusions du garçon. Dans la tête d’un enfant, la mort n’est pas triste, la mort est belle et grande. La couleur redessine pour lui, le bout du monde tant de fois rêvé. Et si l’histoire empreinte au mythe de la caverne sa philosophie sur le passage de l’ignorance à la connaissance, le film réinvente, modernise ce mythe pour en faire une fable poétique et touchante.
Le réalisateur a su retranscrire avec humilité son affection pour ce petit personnage grâce, notamment, à une attention particulière du détail et une présence presque totale dans toutes les phases de la construction de son film. En optant pour une technique qui consiste à animer des marionnettes en temps réel devant un fond vert, puis de les incruster dans un décor miniaturisé, Sacha Feiner n’a pas choisi la facilité mais est parvenu, néanmoins, à toucher du doigt le bout du monde de Foerster. Il nous livre, par un humour noir que sous-tend l’esthétique fantastique proche de la tendance expressionniste, une fable universelle où l’ascension vers le savoir est un combat de tous les jours. C’est en mêlant l’enfance et l’innocence à l’étrange qu’il déclenche chez nous un attachement réel pour ce petit garçon. Avec cette adaptation, il prouve une fois de plus sa capacité à rendre hommage à ses maîtres spirituels.
Synopsis : Un enfant et sa deuxième tête sont enfermés dans un manoir immense. Un jour ils aperçoivent une lumière étrange et décident d’explorer le monde pour en trouver le bout.
Île Courts, le Festival International du Court Métrage de Maurice, aura lieu du 11 au 15 octobre 2016. L’an passé, Format Court découvrait ce jeune festival sympathique en lien direct avec le ciné de l’Océan indien.
Cette année et pour la première fois, Format Court bénéficie d’une carte blanche à l’occasion de la 9ème édition du festival. Conçu par Katia Bayer, ce programme riche de 5 films repérés en festivals, comprenant quatre films d’écoles dont deux Prix Format Court, offrira aux étudiants de l’université de Maurice l’opportunité de découvrir, le mardi 12 octobre 2016, le travail de talentueux jeunes réalisateurs et réalisatrices français, anglais, allemand et israélien.
Programmation
In uns das universum de Lisa Krane. Fiction, 29′, 2015, Allemagne, Kunsthochschule für Medien Köln. Prix Format Court au festival de Villeurbanne 2015
Synopsis : Un deuxième cœur a poussé dans la poitrine de Li. Alors que les spécialistes s’approprient son corps en examinant la plus infime molécule, Li refuse de considérer qu’elle est malade.
La route du bout du monde d’Anaïs la Berre et Lucille Prin. Fiction, 13’40, 2015, France, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3. Premier prix du jury, concours Arte 2015 de courts métrages de fictions d’écoles
Synopsis : Un photographe est envoyé en Patagonie pour faire un reportage sur des pêcheurs mais se retrouve confronté à une région étrangement vide, qui le renvoie à ses propres questionnements. Sa rencontre avec Carlos va bousculer son regard de photographe…
In other words de Tal Kantor. Animation, 5′, Israël, 2015, Bezalel Academy of Arts and Design. En sélection au Festival d’Annecy 2016
Synopsis : Un homme se remémore une occasion ratée de communiquer avec sa fille. Leur courte rencontre des années plus tard ébranle son monde et ôte tout sens à ses mots.
Marseille la nuit de Marie Monge. Fiction, 42′, 2013, France, 10:15 Productions. Préselectionné au César 2014 du Meilleur Film de Court Métrage
Synopsis : Élias et Teddy ont toujours été amis. À vingt-cinq ans, ils traînent, dealent un peu et s’imaginent les rois de leur tout petit monde. Et puis un jour, c’est sûr, ils quitteront Limoges pour Marseille et deviendront des hommes. Un jour. Simplement un soir, lors d’une énième fête, leur rencontre avec Mona va précipiter les choses.
Mr Madila or The Colour of Nothing de Rory Waudby-Tolley. Animation, 8′, 2015, Royaume-Uni, Royal College of Art. Prix Format Court au Festival d’Angers 2016
Pour la sixième année consécutive (déjà!), Format Court attribuera un prix au 13ème Festival Court Métrange (19-23 octobre 2016), à Rennes. Le Jury Format Court (composé de Marie Veyret, Adriana Baradri, Gary Delépine & Sarah Escamilla) évaluera les 40 films retenus en compétition internationale.
À l’issue du festival, un dossier spécial sera consacré au film primé. Celui-ci sera acheté et diffusé lors d’une séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur bénéficiera également d’un DCP (relatif au film primé ou au prochain dans un délai de deux ans) crée et doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Films en compétition
Jukaï de Lissot Gabrielle, France
Mars 3752 de Samuel Rozenbaum & Nicolas Bianco-Levrin, France
Un ciel bleu presque parfait de Alexandre Claudin Quarxx, France
Quenottes de Pascal Thiebaux, France
Mayday de Sebastien Vanicek, France
Of men and mice de Gonzague Legout, France The reflexion of power de Mihai Grecu, France
Une noce en enfer de Yannick Boireau, Pierre Butet, Magali Garnier, Clémence Maret, France
Train de Olivier Chabalier, France, Croatie
Event horizon de Joséfa Célestin, France, Ecosse
Isabella de Emma Swinton, Angleterre
A coat made dark de Jack O’Shea, Irlande
Blight de Brian Deane, Irlande
Edmond de Nina Gantz, Royaume-Uni
Manoman de Simon Cartwright, Royaume-Uni
Down to the wire de Juan Carlos Mostaza, Espagne
5 secondes de David González Rudiez, Espagne
Disco inferno de Alice Waddington, Espagne
Under the apple tree de Erik van Schaaik, Pays-Bas, Belgique
Spoetnik de Noel Loozen, Pays-Bas
L’œil silencieux de Karim Ouelhaj, Belgique
Belle comme un cœur de Gregory Casares, Suisse
The pimple de Sangeun Won, République tchèque
The beast de Daina O. Pusic, Croatie
The butterfly man de Laura Saimre, Estonie
Island de Riho Unt, Estonie
Reunion de Iddo Soskolne et Janne Reinikainen, Finlande
Escargore de Hilbert Olivert, Nouvelle Zélande
The man who caught a mermaid de Kaitlin Tinker, Australie
Keep going de Geon Kim, Corée du sud
Pokey Pokey de Junjie Zhang, Chine, Honk Kong, Etats-Unis
Böisé de Nicolas Cambier, Etats-Unis
An object at rest de Seth Boyden, Etats-Unis
Chainsaw de David Dinetz et Dylan Trussel, Etats-Unis
The procedure de Calvin Reeder, Etats-Unis
Deer flower de Kangmin Kim, États-Unis, Corée Du Sud
La voce de David Uloth, Canada
Kookie de Justin Harding, Canada
Pyotr 495 de Blake Mawson, Canada
HHL de Alberto Ordaz, Mexique
Pour la 31ème édition du Festival du Film Francophone de Namur, le jury Format Court (composé de Marie Bergeret, Karine Demmou, Zoé Libaut et Adi Chesson) a décidé d’attribuer son prix au film roumain « Une Nuit à Tokoriki » de Roxana Stroe (prod. : UNATC), parmi les 12 films de la compétition internationale. Le film bénéficiera d’un focus personnalisé sur notre site, sera projeté lors d’une prochaine séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) et bénéficiera d’un DCP doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Le film a charmé le jury par son décalage entre une forme théâtrale proche de l’absurde et un fond plus sérieux et engagé. Le jury a particulièrement apprécié la narration épurée, dépourvue de dialogues et portée entièrement par une mise en scène soignée et une bande-son musicale qui replonge son spectateur dans une Roumanie profonde inextricablement figée dans les années 90. Sur ce fond improbable, la réalisatrice parvient à opérer une mise à mal habile et audacieuse du triangle d’amour classique, nous rappelant que la lutte contre les inégalités est loin d’être gagnée.
Synopsis : Dans une discothèque improvisée appelée « Tokoriki », le village entier célèbre le 18ème anniversaire de Geanina. Son petit ami et Alin vont lui donner un cadeau surprenant, un cadeau que personne ne pourra jamais oublier.
Premier (très beau) film, casting sauvage, perles dénichées, rencontre avortée, envie d’authenticité et d’apprentissage, projet porté à bout de quatre bras et d’une campagne Ulule : Romane Gueret et Lise Akoka ont co-réalisé Chasse royale un moyen-métrage né après réflexion et avoir fait la connaissance de deux enfants, un garçon (Corentin) et une fille (Ashley). Le film primé à la dernière Quinzaine et présélectionné aux prochains César, est visible sur la Toile. Discussion à deux voix, entre désirs et frustrations, besoin de tourner rapidement et sentiment de responsabilité.
Avant de vous rencontrer, quels ont été vos parcours?
Romane Gueret : On a des parcours différents. J’ai fait deux ans art d’art plastique, j’y ai découvert la photo. Ça a été mon premier vrai coup de coeur. La fac me semblait être une bonne idée pour m’ouvrir et acquérir une culture cinématographique et de l’image. Je suis allée à Sorbonne Nouvelle qui était essentiellement théorique. Pendant cette année, je suis beaucoup allée au cinéma, j’ai adoré l’analyse de films. C’est à ce moment-là que je me suis dit que je voulais faire de l’image. Très vite, j’ai eu envie d’être sur des tournages, d’apprendre sur le terrain, de bouger, d’être active et d’observer ce qu’il y avait autour de moi. J’ai commencé à la mise en scène, j’étais assistante, j’ai trouvé ça super, je me suis rendue compte que plus j’étais proche du réalisateur, de sa démarche, plus ça me plaisait.
Assez naturellement, j’ai eu envie de faire des petits films, des essais avec des amis, d’apprendre. J’aime l’image et ce que ça raconte. J’ai gardé un lien avec la photo. J’aime beaucoup le travail de Nan Goldin qui fait des portraits de vie et travaille avec des gens qui sont en marge de la société. Elle arrive à embellir les gens qu’on voit peu, qu’on juge et elle bouleverse notre regard. Elle a d’ailleurs fait partie de nos références pour le film. Dans Chasse royale, on a aussi eu envie de rendre palpable cet aspect du réel, de saisir des moments de vie.
Et de ton côté, Lise ?
Lise Akoka : Je me suis tournée vers la psychologie parce que j’étais intéressée par le monde de l’enfance en particulier. Je baigne là-dedans depuis longtemps. En parallèle, j’ai fait plusieurs années de théâtre et j’ai travaillé en tant que comédienne, puis je me suis tournée vers le cinéma, dans le casting et le coaching enfant. Ça a été un déclic assez immédiat. Ça me remplissait beaucoup plus de travailler sur des projets qui me tenaient à coeur, que j’aimais en tant que spectatrice, que je valorisais à une autre place qu’en tant que comédienne. J’ai commencé sur un cinéma d’auteur, en lien avec un certain réalisme social, à la recherche de codes assez naturalistes que j’aimais et ça m’a paru assez évident de mêler le milieu de l’enfance et l’art. J’ai fait quasi que du casting enfant, surtout sauvage (à la sortie des collèges, des écoles, dans les parcs, lors des activités extra-scolaires, …). Les enfants castés par les agences me touchent moins, ils sont emprunts de codes, d’automatismes. On trouve une fraîcheur, quelque chose de sauvage, de brut chez des enfants qui n’ont jamais joué et qui n’ont pas toutes ces projections sur le monde du cinéma.
Que recherche-t-on quand on fait du casting sauvage ? L’authenticité ?
L.A. : Oui, surtout pour un cinéma social. Quand tu décides de filmer certains milieux, certains personnages ne souffrent pas la triche. Un petit parisien issu d’un quartier bobo n’aurait pas pu jouer les rôles principaux d’Angélique ou d’Eddy dans notre film parce qu’il y a un côté marqué chez eux que même le travail ne peut pas transformer.
Comment le projet de Chasse royale est-il apparu ?
R.G. : On s’est retrouvé sur un casting de long-métrage ensemble, j’étais assistante de casting, Lise était directrice de casting. Le réalisateur voulait trouver des perles rares, voir le plus d’enfants possibles pour avoir le choix, on est donc beaucoup allé sur le terrain et on a vu beaucoup d’enfants.
L.A. : On travaillait sur ce projet de long-métrage quand on a fait la rencontre d’une adolescente, Ashley, dans un lycée de la région nommé « Chasse Royale ». On n’avait pas forcément de velléité de réalisation, mais en rentrant le soir du casting, on s’est dit qu’elle était incroyable, on a été autant subjugué par ce qu’elle dégageait, son langage rude, rugueux, sa vulgarité, sa cinégénie, sa force, sa beauté que par ses capacités d’actrice. Plein de choses nous ont vraiment frappées chez elle. Quand tu dis à un enfant de faire de l’impro, quand tu le mets dans une situation de jeu, la plupart du temps, il est coincé, tout est fabriqué. Ashley, elle, est restée elle-même.
En rentrant, on s’est dit qu’on ne pouvait pas laisser cette gamine dans la nature. Elle est dans un petit quartier paumé de Valenciennes, à un endroit où les réalisateurs et directeurs de castings ne vont jamais. Si on ne la fait pas tourner, elle ne tournera jamais. Il ne fallait pas que ce talent soit perdu dans la nature donc qu’est-ce qu’on pouvait faire avec elle ?
R.G. : Il y avait aussi le fait qu’Ashley ne correspondait pas au rôle qu’on nous demandait de trouver là-bas, on savait que le réalisateur n’était pas dans l’attente de ce genre de nature. On s’est retrouvé face à cette question : si ce n’est pas lui, qui va la faire tourner si on est les seules à avoir fait cette rencontre ?
L.A. : On l’a vue devant la grille, elle nous a accrochées. On s’est dit : “on la garde quand même”.
R.G. : On l’a traquée. Elle nous a dit non trois fois avant de venir. Elle nourrissait notre curiosité et notre frustration. Elle nous a beaucoup résisté, mais ça fait partie du casting sauvage d’aller jusqu’au bout et de voir ces enfants jouer. Elle ne va quasi pas à l’école, c’est une rebelle, mais elle est venue au casting. Elle était curieuse de l’expérience. Elle a joué vraiment le jeu au moment de l’impro, on a identifié très vite que ce n’était pas dans sa logique à elle, mais qu’elle avait dû y trouver un goût.
Le ressenti d’Ashley, c’est quoi, au sortir du casting ?
L.A. : On ne sait pas vraiment. Elle a pris plaisir à jouer, ça se traduit aussi par le regard qu’on a porté sur elle. Elle était en échec scolaire, elle avait des difficultés à l’école, en famille. Elle ne connaissait pas un regard bienveillant d’un adulte et d’une réussite, mais elle s’est sentie valorisée.
R.G. : Je pense qu’elle a dû ressentir un déclic qui a en partie motivé la démarche de nous suivre. C’est un enfant qui ne supporte pas les contraintes d’horaires, de rendez-vous. Elle a commencé à nous suivre puis nous a plantées.
L.A. : Pour nous, ça a été comme un échec. C’est une rencontre qui ne s’est pas faite, qui n’a pas abouti. On a eu l’impression de réussir pendant longtemps quelque chose avec elle, mais elle n’a jamais vraiment réussi à sortir de cette posture de résistance. Depuis le début, elle plantait un rendez-vous sur deux, mais on arrivait à chaque fois à la rattraper. Quand le projet de notre film est devenu trop concret, quand on a commencé à être entouré, elle n’est plus venue.
R.G. : À un moment, on ne pouvait plus se permettre de prendre des risques, on a vraiment décidé de faire le film, on était suivies par une production, on avait très peu de temps pour répéter avec les enfants, on avait besoin d’avoir confiance en elle, alors que c’était déjà très compliqué de faire un premier film, avec des enfants.
À Chasse Royale, dans le même lycée qu’Ashley, on avait aussi repéré Corentin lors du casting, il devait avoir un des premiers rôles du long-métrage mais le réalisateur a changé d’avis, ce qui a été une grande frustration pour nous. On commençait déjà à penser faire un film avec Ashley, sans trop savoir comment, on s’est dit aussi que Corentin était un enfant à ne pas laisser dans la nature, à intégrer aussi dans un film, qu’il fallait tourner avec lui. Très vite, nous est venu l’idée qu’il pourrait jouer le rôle du petit frère d’Ashley car il y avait une correspondance physique entre eux.
Il amenait quoi ?
R.G. : Une touche plus légère, il était en demande, plus motivé par le projet, très curieux, ouvert à la rencontre, très en demande. Il oubliait complètement la caméra, il avait une vraie confiance, une vraie candeur. Plus on avançait avec lui, plus il nous proposait des choses. Un vrai dialogue s’installait, on s’est dit qu’on voulait faire quelque chose avec lui. Il vient aussi d’une famille compliquée et on sentait qu’il avait besoin de parler, d’extérioriser des choses qu’il ne pouvait pas faire chez lui. Seulement, il n’a pas pu faire le film non plus.
L.A. : On les a filmés ensemble, au début, c’était compliqué, mais petit à petit, on a réussi à faire des choses avec eux. Ils ont complètement nourri les personnages d’Angélique et Eddhy qui ont repris les rôles initiaux.
Auriez-vous pu passer par le documentaire pour raconter ce que vous avez vu et vécu dans cette région du nord de la France ?
R.G. : On aime le cinéma, on ne voulait pas juste faire un reportage de ce qu’on voyait, on voulait écrire un film, y mettre des scènes qu’on voulait, avec nos interprétations, nos désirs. On avait envie d’images, de travailler sur la direction d’acteurs car cela nous passionnait pendant les castings.
L.A. : La première impulsion a été de voir jouer Ashley et Corentin, ils avaient tous deux un talent inné d’acteurs et on voulait que cela puisse éclore dans le cadre d’une fiction. Quand on a eu cette déconvenue avec les deux, quand ça nous a semblé impossible de retrouver de telles perles de casting, on s’est demandé si le projet pourrait aboutir sans eux.
R.G. : On avait la possibilité d’écrire plein de choses différentes et on a choisi de parler de la non-rencontre. C’est la trame de fond de ce film : on n’a pas réussi, le projet parle de l’échec.
Comment avez-vous rencontré Angélique, la remplaçante d’Ashley ?
R.G. : Grâce au casting sauvage. Il fallait trouver un personnage ressemblant à Ashley, qui soit hermétique, rebelle qui avait cette force à l’image et qui joue bien, ce qui était compliqué.
L.A. : Il y avait eu cet échec avec Ashley peu de temps avant le tournage, on n’y croyait pas forcément vu que le point de départ, c’était aussi ce coup de coeur pour elle, on se demandait si on allait trouver ce talent d’actrice chez quelqu’un d’autre. On n’a pas lâché, le projet nous tenait trop à coeur, on a fait un gros casting dans tous les lycées de la région.
C’était important de rester dans ce coin-là ?
L.A. : Oui, parce que le scénario se basait sur les mots d’Ashley et Corentin et sur le lieu, très ancré socialement. Le coup de coeur était pour ces enfants mais aussi pour ce lieu.
R.G. : C’était aussi l’endroit où on avait posé nos valises et écrit le film. On s’imaginait tourner seulement là-bas.
L.A. : Angélique nous a convaincues très rapidement au casting. Quand on a regardé ce qu’on avait filmé, on s’est rendu compte de sa force et de son talent, de son regard, de ce qu’elle dégageait à l’image.
R.G. : Elle a fort progressé, elle avait soif d’apprendre, elle avait envie de nous connaître, de faire ce film. Le regard qu’on posait sur elle a été un moteur.
L.A. : Elle avait une intelligence de jeu, on a vu tout de suite qu’elle comprenait ce personnage, ce que racontait l’histoire et ce qu’on voulait. On lui a montré des films.
Lesquels ?
L.A. :L’Esquive et La Tête haute. Ça a été déterminant. Quand on répétait, on a vu qu’elle essayait de répéter des choses mais de manière assez fine, ce n’était pas plaqué. Elle avait compris.
Vous avez porté ce projet pendant combien de temps ?
L.A. : Deux ans et demi.
R.G. : Ce film découle de la force des rencontres, on a été accueillies, on nous a laissé pouvoir monter ce projet. Ce film, c’est nous deux, mais c’est aussi collectif : les enfants, leurs parents, …. Le cinéma qu’on aime, c’est un cinéma qui permet les rencontres entre les âges, les différents milieux et classes sociales.
L.A. : On a voulu aller au bout du film, malgré tout ce qui nous est arrivé. Pour nous, le cinéma traduit un mouvement vers l’autre.
R.G. : Ce qui est d’autant plus beau, c’est qu’on a fait ce film pour nous et pour eux: le projet était finalement assez intime. La portée qu’il a aujourd’hui, on ne s’y attendait pas.
L.A. : On s’est permises au fur et à mesure d’être plus ambitieuses, les gens s’intéressaient au projet, on avait des retours positifs sur le scénario, on voulait partager un message.
R.G. : On ne voulait pas qu’il reste dans un fond de tiroir. Quand les choses ont commencé à se préciser, c’était hors de question pour nous que les enfants ne soient pas payés sur notre film (ce sont les seuls à l’avoir été d’ailleurs). C’était important de leur montrer que c’était professionnel, un jeu, une responsabilité. Leur faire signer un contrait était symbolique. Ils devenaient adultes, ils étaient fiers d’être payés pour faire un travail. Il fallait donc un minimum d’argent. On a par exemple soumis à Angélique l’idée que cet argent pourrait lui servir à payer son permis quand elle aurait 18 ans, ce qui lui a permis de se projeter, d’envisager l’avenir.
Comment avez-vous perçu cette première expérience ?
R.G. : Comme c’était une première fois, on a tout essayé, on n’était pas attendues au tournant, on a fait ce qu’on avait envie de faire. Marine Alaric, la productrice (Les Films du Velvet), nous a laissées très libres aussi, c’était l’histoire qu’on voulait raconter, elle nous a suivies et épaulées. C’était un premier film, on avait peur de rien.
Qu’est-ce que l’une apporte à l’autre ?
R.G. : On est très différentes, je pense qu’on est complémentaires. On s’est apporté beaucoup de choses l’une et l’autre, sur ce film, à chaque fois qu’on s’est retrouvé là-bas, c’était vraiment un combat. On nous a fermé beaucoup de portes, c’était très difficile, on a eu beaucoup de mal à faire nos castings, on s’est fort soutenues dans l’énergie et l’envie de faire ce film.
L.A. : Jusqu’à la fin, on a été livrées à nous-mêmes, on a fait quasi tout toutes seules, la production et l’équipe sont arrivées tard, toute la préparation d’un film courant qui se fait normalement en équipe ne s’est pas faite, on était que deux et en plus, loin de chez nous.
Quel a été le partage des tâches sur le tournage ?
R.G. : Au départ, j’avais plus d’envies de mise en scène, d’image, de découpage et Lise avait l’habitude de coacher les enfants, mais on n’avait pas envie d’en rester là et ce projet était là pour nous faire grandir. On a appris à se faire connaître au fur et à mesure et à se faire confiance.
L.A. : Comme tout a pris du temps, on a fini par être très d’accord sur ce qu’on cherchait, on avait la même vision et le même film en tête.
R.G. : Le film est très proche de ce qu’on avait en tête, ça traduit vraiment les émotions et ce qu’on a ressenti là-bas, on a emmené les spectateurs là où on est allé. Le film ne dure qu’une demi-heure, c’est frustrant, car aujourd’hui, on a envie d’aller plus loin, de traiter des aspects supplémentaires, de les développer sur un format long.
Le mode de production (une campagne de financement participatif sur Ulule) a-t-il participé à votre envie de filmer très rapidement ? Est-ce que l’attente des résultats des commissions, surtout quand on n’a jamais rien filmé, vous semblait être un obstacle ?
R.G. : Oui, on était dans un cas de figure très particulier, on ne pouvait que demander une seule région, le Nord-Pas-de-Calais. On avait vraiment l’espoir d’avoir cette aide, mais on ne l’a pas eue. Ça a été une grosse déception.
L.A. : Le CNC nous a proposé de représenter le projet à une autre commission, mais on voulait tourner très vite, les enfants allaient changer et il fallait que le film se fasse vite, ça faisait déjà longtemps que le projet trainait.
R.G. : On a discuté avec la production qui a été d’accord pour nous suivre sans aide, sans argent, dans des conditions plus difficiles, mais personnellement, je trouve qu’elles étaient en adéquation avec le film. Sur le tournage, on n’était pas nombreux, on avait une caméra légère, on nous a prêté beaucoup de choses, Ulule nous a permis d’aller au bout de ce tournage, ça nous a beaucoup aidées. On est de la génération du net, on sait que ça existe, on a un réseau, on est deux, on a notre famille, la production : on a essayé de rallier les gens à notre cause, et ça a pris. Les gains d’Ulule ont quasiment assuré le salaire des enfants.
Votre projet aujourd’hui, c’est de poursuivre ? Un long à deux ?
L.A. : Oui. On souhaite travailler dans la continuité de ce qu’on a amorcé avec Chasse royale, autour de ces enfants et des problématiques qu’on a soulevées. La rencontre ne s’est pas tout à fait faite avec les enfants du début, mais bien avec ceux qui ont suivi. Angélique, qui était déscolarisée, a été admise au lycée de Chasse royale. On a envie de croire que le film a été une ouverture de perspective énorme pour ces enfants et une prise de conscience de leur potentiel artistique et de leur interprétation. La rencontre avec nous, l’équipe de tournage, le regard qui a été posé sur eux, peuvent être des rencontres déterminantes dans une vie. Sans penser qu’on est des sauveurs d’enfants et que ça va changer leurs destins et trajectoires, on se dit que si un petit mouvement a pu se faire, c’est déjà énorme.