Les femmes d’Or

Diplômée de l’École Sam Spiegel de Jérusalem et réalisatrice de « Anna », court métrage ayant obtenu de nombreux prix dont le Prix Format court au Festival de films d’écoles de Tel Aviv, Or Sinai, aime approcher l’univers de la solitude et de la féminité, deux entités qu’elle mêle avec délicatesse et sensibilité dans ses différentes réalisations.

Si le cinéma israélien d’aujourd’hui n’hésite plus à traiter de sujets brûlants, il peut également être plus intimiste, plus personnel. Les réalisateurs racontent des histoires qui leur sont proches ou mettent en scène des personnages simples et modestes en proie à des questionnements de la vie de tous les jours. Les films de la jeune réalisatrice israélienne Or Sinai, n’échappent pas à ce constat. Qu’ils soient documentaires ou de fiction, ils dressent tous un portrait réaliste de femmes seules et fragiles qui puisent dans leur quotidien les forces nécessaires pour continuer leur chemin. Le plus souvent quittées par leur homme, les héroïnes de Sinaï sont des mères qui se sont sacrifiées pour leur enfant, des femmes en quête d’amour, des êtres marqués par la solitude et l’abandon.

Avant « Anna » et la consécration au Festival de Cannes où elle reçoit le Premier Prix de la Cinéfondation, Or Sinai a réalisé un court métrage de fiction, « Two » (2011) et de documentaire « Violetta mi vida » (2012), tous trois tournés dans le cadre de ses études à la Sam Spiegel School de Jérusalem. Si « Anna » est très certainement le plus abouti, on peut déjà deviner dans les deux premiers des thèmes communs tels que la féminité, la solitude et le sacrifice maternel. On pressent aussi son envie d’être au plus près de ses personnages et d’instaurer des temps morts, des moments silencieux et contemplatifs où elle s’interroge sur la manière de traiter l’éphémère. Profondément mélancoliques, ses films évoluent dans un huis-clos relationnel entre une mère et sa fille (« Two » et « Violeta mi vida ») ou son fils « Anna ». Si dans « Two », à l’instar du titre, les deux personnages ont autant d’importance, on admet qu’au fur et à mesure de sa courte filmographie, elle choisit de se détacher de l’enfant pour se focaliser sur la mère. Ainsi « Anna » n’est-il pas le résultat réussi de cette approche ?

En apparence « Two » aborde la relation mère-fille puisque le film met en scène une mère et son adolescente de 16 ans. Persuadée que le père va les rejoindre pour célébrer l’anniversaire de sa fille, la mère organise un pique-nique en plein air. Mais le père ne vient jamais. Dans le fond, le film traite davantage du désespoir d’une mère seule, abandonnée et encore amoureuse. Elle s’accroche à des illusions et de faux espoirs qui l’empêchent de se (re)construire et d’avancer. Elle reste figée dans une situation inextricable et se sert de sa fille pour arriver à ses fins, non par machiavélisme mais par chagrin. Comme pour faire écho à la solitude d’une mère, « Violeta mi vida », tourné l’année d’après, est un court métrage documentaire qui s’attache à dépeindre le quotidien de Deborah.

Une argentine ayant quitté sa terre natale avec sa fille Violeta pour s’installer en Israël où cette dernière pourra bénéficier des soins spécifiques à sa maladie des os. Le sacrifice est dès lors double dans ce cas : à celui de quitter son pays et ses deux grands fils s’ajoute celui d’élever seule sa fille. Terre promise à juste titre, Israël apparaît comme l’Eldorado de tous les possibles. Sauf que la réalité est quelque peu différente et c’est comme femme de ménage et vivant dans un petit appartement que Déborah réussit à offrir une vie meilleure à sa fille qui aura sa Bat-Mitzvah (= pendant féminin de la Bar Mitzvah) comme toutes les jeunes files de son âge, faut-il dépenser deux mois de salaire et travailler dur pour y accéder. Un sacrifice qui a porté ses fruits cependant puisque l’on peut lire dans les intertitres de fin qu’alors que Violeta poursuit ses études au Département audiovisuel de l’Ecole d’arts, Deborah quant à elle s’est inscrite dans un cours de décoration intérieure. Mère et fille ont ici trouvé les moyens pour s’émanciper d’un cadre qui ne leur permettait pas de s’épanouir pleinement. Pour terminer la comparaison, « Anna » est un retour à la fiction pour parler de la solitude d’une mère, d’une femme en quête d’affection.

Au-delà des relations familiales, intergénérationnelles, Or Sinai parle avant tout des frontières réelles et métaphoriques qu’une femme doit traverser pour se construire. et s’épanouir dans l’acceptation de ses choix. Ses barrières, il lui faut les briser en tissant les liens entre un passé douloureux et un futur prometteur.

Marie Bergeret

Article associé : la critique de « Anna »l’interview d’Or Sinai

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