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Critical Condition de Mila Zhluktenko

Présenté à la Semaine de la Critique cette année à Cannes, le court-métrage Critical Condition s’inspire de la vie de Lev Rebet, écrivain, homme politique et rédacteur en chef de l’Ukrainian Independentist, journal basé à Munich. À partir du destin de cet homme, la réalisatrice, Mila Zhluktenko, interroge celui, plus large, de la diaspora ukrainienne d’hier et d’aujourd’hui.

Tout commence par deux chiens emmenés dans une forêt. Par un sublime noir et blanc 16mm, ces premières images révèlent dès lors une photogaphie, signée Tobias Blickle, résolument moderne. Très vite, cette efficace scène d’introduction prendra une tournure tragique, posant les enjeux du film, et par la même occasion, son contexte politico-historique.

Nous sommes en 1957. Lev Rebet travaille avec ses collègues dans le journal destiné aux Ukrainiens en exil en Allemagne. Pour décrire son quotidien, la réalisatrice prend le parti d’un grand réalisme, très proche du documentaire, forme qu’elle a déjà travaillé à plusieurs reprises avant de se lancer dans cette première fiction. Il en résulte à la fois un ancrage plus direct à l’action, mais aussi, une mise à distance critique vis-à-vis de ces personnages, par la volonté de simple monstration propre à cette forme.

En s’appropriant également des codes du film d’espionnage, dans une ambiance baignée de paranoïa, Mila Zhluktenko en déconstruit les fantasmes. Par une courageuse et surprenante narration, la réalisatrice nous emporte peu à peu dans les courants de l’Histoire. Soudain, la caméra portée laisse place au travelling, métaphore de la fuite, de l’exil, et tout le récit s’allonge, s’étend, pour atteindre une toute autre réalité. La mise en scène passe d’un style à un autre, s’épanouit lors d’une magnifique séquence d’une grande modernité, bercée par l’envoûtante musique de Marja Burchard, où l’on accompagne l’errance nocturne de Lev Rebet, témoin muet de l’Histoire, jusqu’à atteindre, par un montage d’une agréable fluidité, un point qui le dépassera.

En interrogeant des faits propres à l’Histoire de son pays, la réalisatrice effectue un véritable travail de mémoire, par la remise en question du destin actuel du peuple ukrainien parti hier en exil.

Niels Goy

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Ugo Bienvenu : « Il faut faire confiance aux petits dessins, aux petites idées, aux petites choses »

Programmé en séance spéciale dans le cadre de la sélection officielle du Festival de Cannes 2025, Arco, le premier long-métrage de Ugo Bienvenu, sélectionné aussi à Annecy, est un magnifique film d’animation, bourré de détails et de poésie, consacré au croisement des mondes (présent/futur), à l’enfance, aux changements qu’on souhaite tous et qu’on obtient parfois. Ugo Bienvenu a réalisé de nombreux courts et clips et s’est fait connaître également par la BD. Il est également à la tête de la boîte de production Remembers. Rencontre avec un auteur généreux, cash, inspiré et sympa, qui s’interroge et qui nous interroge par la même occasion.

Ugo BIENVENU © Remembers – MountainA

Format Court : Tu es passé par différentes formations. Qu’est-ce qui a déterminé ces choix ?

Ugo Bienvenu : J’ai commencé avec un bac STI Arts appliqués à l’école Estienne, historiquement une école du livre, fondée par les frères Estienne qui étaient des imprimeurs. C’est une école qui forme à tous les métiers du livre. J’y avais 25 heures de dessin par semaine. Ensuite, j’ai poursuivi en DMA illustration, toujours à Estienne. Puis, je suis allé aux Gobelins. Mais le cadre m’a un peu frustré : impossible de faire un film seul. Je ne m’entendais pas très bien artistiquement avec les autres élèves, donc je suis parti à la CalArts (California Institute of the Arts) où j’ai rencontré Benjamin Charbit (réalisateur, scénariste). Quand je suis revenu en France, j’ai dit à mes parents : « Je ne me sens pas prêt pour le monde professionnel ». Du coup, j’ai intégré les Arts décos en tant qu’étudiant-chercheur, en image en temps réel, pendant deux ans. J’y ai aussi commencé à travailler.

Étudiant-chercheur, c’est-à-dire ?

U.B. : On explorait comment générer des images en temps réel. C’était un peu l’ancêtre de l’IA générative. Moi, ça ne m’intéressait pas de coder des trucs de ce genre, je voulais créer des formes de narration interactives, repenser le rapport image/spectateur. C’était un petit groupe de recherche, mais j’ai fini par quitter la formation au bout d’un an et demi.

En parallèle, j’ai fait une formation de production « Animation Sans Frontières ». C’est un programme des Gobelins avec des partenaires en Allemagne, Hongrie et Suède. On apprenait à produire, à financer des films via les systèmes européens. Ça m’a été très utile par la suite. Après les Gobelins, quelqu’un m’a commandé un clip. Je n’avais pas de structure. J’avais besoin d’un stagiaire, qui était Kevin Manach — on travaille encore ensemble. À l’époque, Simon Rouby (avec qui j’avais travaillé sur Adama) m’a mis en contact avec Emmanuel-Alain Raynal. Il venait de créer Miyu Productions, qui ne faisait pas ce qu’on peut appeler de l’animation mais assez vite, on a enchaîné les projets. Je passe les détails mais après plusieurs années difficiles j’ai quitté Miyu, et fondé Remembers Productions (il y a 8-9 ans) avec Félix de Givry. On avait déjà travaillé ensemble sur Tony et les Animaux. On s’entendait bien, on s’est dit qu’on allait lancer notre structure. Le nom de Remembers est venu après pas mal de brainstorming. Mais comme je n’étais pas crédité comme producteur sur mes projets chez Miyu, le CNC n’a pas reconnu mon expérience. Ça nous a posé énormément de problèmes pour le début d’Arco.

Depuis combien temps portes-tu ce projet ?

U.B. : Depuis 5 ans. L’idée m’est venue trois ans après la création de Remembers. Félix m’a dit : « C’est un long métrage, pas un court ». Je l’ai envisagé aussi en BD, même en clip, mais il fallait du mouvement, du cinéma. Il m’a dit que c’était trop grand, que les gens ne verront jamais les arcs-en-ciel de la même manière (j’adore les arcs-en-ciel !), qu’il fallait prendre le projet au sérieux. On est parti sur du long. À l’écriture, les idées te donnent leur format. Le long, le court, le clip, la BD, moi, j’aime tous les formats. J’ai envie de continuer à faire de tout.

Tu travailles beaucoup avec Félix. Quel est votre lien ?

U.B. : On s’est rencontrés sur le tournage d’Eden de Mia Hansen-Løve. Il était l’acteur principal du film. Dès le premier jour, on parlait de nos projets. On a commencé petit, puis, c’est devenu de plus en plus ambitieux. Aujourd’hui, je produis aussi son film.

Dans Arco, comme dans tes courts et clips, comme dans L’Entretien, réalisé pour La 3è Scène pour l’Opéra de Paris, on retrouve le robot Mikki. On le voit partout dans ton travail, même dans tes BD. C’est un personnage qui te suit ?

U.B. : Oui, c’est un peu un double de moi. il évolue aussi, il est légèrement différent à chaque version. J’ai grandi à l’étranger, Je suis arrivé en France quand j’avais 15 ans. Je changeais tous les 3 ans d’endroit. Chaque fois que j’arrivais quelque part, je devais comprendre les codes moraux, sociaux, éthiques d’une société. J’ai toujours observé les sociétés pour m’y adapter. J’analyse tout le temps, j’ai toujours l’impression d’être l’étranger. Mikki aussi est un observateur. Il me permet de dire des choses frontalement, sans être perçu comme un connard. C’est un personnage très pratique pour ça, une sorte de miroir, que je mets en face de nous-mêmes, moi y compris. Mikki est arrivé de manière magique. Le personnage d’Arco, c’est pareil. C’est des apparitions. À un moment, tu ne sais pas pourquoi. Tu fais un trait, deux traits. Et il y a quelque chose qui jaillit. C’est un peu en écho à la manière dont lui-même devient un trait, lorsqu’il franchit le mur de l’avenir. En fait, il faut faire confiance aux petits dessins, aux petites idées, aux petites choses. C’est à nous de les faire grandir, c’est à nous de les arroser tout le matin. Tout naît fragile, c’est à nous de faire attention aux choses, aux êtres. Mikki, pour cela, est utile pour réfléchir à notre monde.

Dans ton film, il y a une petite phrase qui dit que le dessin permet de tout exprimer. Ça m’a parlé…

U.B. : C’est le dessin qui m’a sauvé la vie, plein de fois. C’est le dessin qui m’a tout appris. Il m’a permis d’écrire, de comprendre le réel. Le dessin t’impose d’être à la recherche de toi-même, de te poser des questions et de te regarder en face. C’est très intime. Il faut connaître son intimité pour pouvoir dessiner, je pense. Au début, quand j’étais à l’école, tout mon travail était en noir et blanc, car on me disait que mes couleurs étaient moches, nulles, de mauvais goût. Moi, j’avais vécu au Tchad, au Guatemala, au Mexique. Mes couleurs, c’est le fruit de ces impacts visuels, c’est un mélange de toute ça. Un jour, j’ai dit « merde », et j’ai fait Fog, le clip dans lequel on voit la petite fille d’Arco d’ailleurs. J’ai mis des arc-en-ciel partout. Et là, tout d’un coup, le clip a cartonné. J’ai compris que quand je m’assumais, ça marchait beaucoup mieux. Maintenant, c’est naturel chez moi de mettre plein de couleurs, ça peut être limite moche, je peux assumer mon kitsch. Mais maintenant, vous voyez, je suis dans toutes les marques de luxe et ça détonne un peu. Avant, on me disait : « Ah non, ce n’est pas élégant ». Maintenant, on dirait que ce ne serait pas du réalisme alors que dans mes BD, tout le monde dit que c’est trop réaliste. Chacun son curseur. Pour Arco, j’ai essayé d’arrondir plus le style. J’ai adouci, arrondi mon style. Je voulais que les enfants aient envie de le toucher. Mais j’ai aussi voulu les préparer au monde. Le film parle de l’effondrement, mais sans pessimisme. Il interroge ce qu’on est prêt à abandonner pour que ça change.

Comment le clip et la mode ont-ils influencé ta manière de faire des films ?

U.B. : Le court métrage, c’est très dur à financer en France. Il y a le CNC et pas grand chose. Il y a quelques chaînes qui peuvent t’acheter. C’est très compliqué à monter. Ça prend beaucoup de temps, presque autant qu’un long-métrage en vrai. Je m’en suis rendu compte en faisant de la production. Mes histoires, je les ai fait passer en clip. C’était une manière de faire des films. D’ailleurs, je l’ai répliqué chez Remembers. J’ai dit à des gens que j’avais envie de développer : « Faisons des clips et racontez des histoires. Ça vous mettre le pied à la mise en scène, ça vous fera poser des questions graphiques ». Les financements sont plus rapides, en deux mois, on sait si on peut les faire. Et ça nous permet de travailler la rythmique, de développer une esthétique, un style, d’affirmer un vocabulaire.

Pour Arco, tu as travaillé avec pas mal d’acteurs : Vincent Macaigne, Louis Garrel, Swann Arlaud, Alma Jodorowsky, William Lebghil, Oxmo Puccino, … Comment t’es-tu entouré ?

U.B. : On s’est rencontré sur Eden. On était une petite communauté de jeunes. On est devenu amis. Avec Vincent Macaigne, on est resté en contact, on se croise tout le temps. A chaque fois, on se dit : « Quand est-ce qu’on fait un film ? ». Un jour, je l’ai contacté pour qu’il fasse les 3 méchants, pour qu’on teste sa voix. Et puis, on s’est dit que ce serait cool d’avoir des copains, comme Will et Alma. Swann, que je ne connaissais pas, est arrivé sur le projet. Tout a été très fluide. Pour les enfants, ça a été un peu moins le cas, il fallait trouver les voix, les plus importantes. On a mis deux mois pour le casting.

Dans ton film, la question de l’effondrement est posée de manière assez brutale, les adultes sont très absents.

U.B. : Pour moi, le danger, c’est qu’on rentre dans une ère de l’indifférence. La technologie, c’est super. Tu peux déléguer tout ce que tu veux, mais si tu commences à déléguer les tâches fondamentales, ça commence à devenir problématique. Moi, j’aime bien utiliser la science-fiction pour poser des questions et ne pas donner de leçons. Qu’est-ce qu’on est prêt à abandonner de notre humanité pour avancer ? J’espère que le film pose ces questions. Au financement, par exemple, tout le monde me disait qu’il n’y avait pas d’antagonistes. Je répondais si, c’est le monde dans lequel on vit. Les gens le voyaient pas.

Ce n’est pas étonnant d’entendre ce genre de choses en commission. Comment Natalie Portman s’est retrouvée à coproduire le film ?

U.B. : On a beaucoup préservé le film dans l’écriture. On a payé une animatique avec nos deniers. On a fait 45 minutes d’animation qui permettaient quand même de montrer ce qu’on était en train de faire. On a appelé notre agent américain qui s’occupe de notre partie publicitaire. Il passait à Paris, il est venu au bureau, on lui a montré et il nous a dit : « Ça tombe bien, Sophie (Mas) et Natalie viennent de monter MountainA, je les fais venir ». Elles sont venues la semaine d’après et nous ont demandé de quoi on avait besoin. Moi, on a commencé à me faire confiance quand j’ai fait Marvel, ce qui est complètement débile parce que c’est le truc le plus insignifiant que j’ai fait, mais bizarrement en France, le moment le plus facile, c’est quand tu dis que tu as fait un truc aux États-Unis. On nous a pris sérieux de cette façon. Étonnamment, tous les gens qui nous disaient que notre projet était nul et ne marcherait pas, le lendemain, ils nous disaient que c’était génial ! Sans changer une ligne de dialogue. C’est ça qui est étonnant dans le système français, il faut jouer avec les codes ou avoir un peu d’amnésie.

C’est quoi ta vision du cinéma d’animation ?

U.B. : L’animation, c’est un outil comme un autre. Nous, on a des crayons, d’autres ont des caméras. On transporte des émotions. Il y a des films en prises de vues réelles qui sont beaucoup plus importants que certains films d’animation. En tant que spectateur, je souhaite que le film génère une réaction, des rires, des larmes. Les films auxquels je repense le plus, c’est ceux que j’ai vus enfants : Jumanji, Casper, Bridget Jones, les films de Miyazaki, Dragon Ball Z, … J’adore les films grand public. En France, on parle beaucoup de films d’auteurs et le reste est moins considéré. Moi, j’aime les films pour tout le monde. Princesse Mononoké, je l’ai vu quand j’avais 14 ans, je pense que c’est ce film qui m’a incité à faire du cinéma. Il est dans mon inconscient, il est très présent. Il y a aussi Peter Pan et les grands textes de la Bible. Si tu regardes les grands textes religieux, il y a toujours des châteaux dans le ciel.

Le monde meilleur décrit dans Arco est fondé sur l’acceptation au fond presque fataliste de l’effondrement….

U.B. : J’ai vécu dans des pays en guerre, dans des pays qui étaient en phase de transition. Après les Gilets jaunes et le Covid, tout le monde disait qu’il fallait que les choses changent. D’accord mais qu’est-ce qu’ils sont prêts à abandonner de leur confort pour que les choses changent ? Fondamentalement quand tu poses la question, les gens ne sont pas prêts à abandonner leur confort.

D’ailleurs, dans ton film, c’est l’enfant (Iris) qui pose cette question, et pas un adulte.

U.B. : Oui, c’est elle qui fait le vœu et c’est un vœu pieu. Tout le monde veut ça, moi aussi, je le veux. Mais il faut savoir que le changement, ça coûte cher et que tu vas perdre des choses au passage et qu’il faut être prêt à les perdre. Il n’y a pas de problème mais justement, je crois que nos enfants vont vivre ces trucs-là et je veux leur dire qu’ils doivent être préparés. Moi, Pinocchio, ça m’a aidé dans ma vie. Si tu fais une connerie, tu vas devenir un âne. J’ai cette figure d’âne en tête. Alice, dans Alice au pays des merveilles, dit : « J’aimerais que les choses soient ce qu’elles ne sont pas ». Cette phrase me revient toujours. Si les choses sont ce qu’elles ne sont pas, on vit dans un cauchemar. Du coup, je pense que notre rôle, c’est de préparer nous-mêmes et nos enfants à ce qu’il peut se produire dans nos vies. Par exemple, en lisant Hansel et Gretel, ça te prépare à te perdre dans un bois. Voilà ce que tu peux faire pour t’en sortir, être armé pour ne pas t’effondrer face à la situation. Je trouve que le récit sert à ça et il faut qu’il garde cette fonction de préparation musculaire.

Dans ton quotidien, où est-ce que tu trouves l’émotion ?

U.B. : Dans l’effort et le travail. Je trouve que c’est aussi quelque chose qu’on a oublié. L’effort produit du bonheur : l’effort de la famille, du corps, de la main. C’est ça mon bonheur. Pas les succès exceptionnels, mais les petits moments : en faisant mes dessins tous les matins, en m’attaquant à des problèmes, en avançant. C’est ça qui est beau. Mon bonheur est diffus, il est beau parce qu’il est quotidien. Si ton bonheur est dans l’exceptionnel, alors, tu es triste tout le temps.

Propos recueillis par Katia Bayer et David Khalfa

C comme Critical Condition

Fiche technique

Synopsis : Inspiré de la vie de Lev Rebet, écrivain et rédacteur en chef du journal d’exil Ukrainian Independist basé à Munich, Critical Condition dépeint le destin de la diaspora ukrainienne d’hier et d’aujourd’hui.

Genre : Fiction

Durée : 24′

Pays : Allemagne

Année : 2025

Réalisation : Mila Zhluktenko

Scénario : Mila Zhluktenko

Image : Tobias Blickle

Son : Philip Hutter

Musique : Marja Burchard

Montage : Daniel Asadi Faezi, Mila Zhluktenko

Interprétation : Yevgen Bondarskyy, Oleksandr Pozharskyi, Gustl, Jasper, Ihor Shulha, Vita Smachelyuk, Sebastian Anton, Lisa Moskalenko, Volodymyr Melnyk, Pnema, Valeriia Berezovska, Valeriia Kuzmenko

Production : Filmproduktion

Article associé : la critique du film

Formats Longs : Le Mystérieux Regard du flamant rose de Diego Céspedes

Danse avec les queens

Un chahut dans l’eau, une jeune fille bousculée par une bande de garçons : la séquence qui ouvre Le Mystérieux Regard du flamant rose introduit un récit de corps repoussés, mis à la marge, tenus la tête sous l’eau. Après deux courts-métrages El verano del léon eléctrico (1er prix de la Cinéfondation 2018) et Les Créatures qui fondent au soleil (Semaine de la Critique 2022), Diego Céspedes présente son premier long-métrage cette année dans la sélection Un Certain Regard.

Dans une petite ville minière du désert chilien, au seuil des années 1980, une jeune fille grandit au sein d’une ardente communauté queer qui vit dans un cabaret. Une mystérieuse maladie contamine au fur et à mesure les habitants. On la dit provoquée par le regard, lorsqu’un homme en désire un autre. Récit généreux à la croisée des genres : le western, le road-movie, voire le fantastique, Le Mystérieux Regard du flamant rose endosse l’étoffe d’un film queer entre tragédie et burlesque, d’une liberté de ton débridée, qui emporte autant qu’elle importe. Diego Céspedes dans son premier geste révise notre regard autant que la réflexion sur la marge.

La fraîcheur de la proposition tient autant par son sujet que par une volonté de fluidité à travers les genres, ce que contient de facto l’esthétique queer, et ce, en prenant à bras-le-corps le western, genre de cinéma aussi viriliste et violent qu’attentif à la marge et aux frontières, empreint d’homoérotisme. Les corps des personnages féminins, travestis, sont eux-mêmes des corps frontières, en branle, que l’on tente de circonscrire dans un territoire. L’une des séquences voit d’ailleurs les mineurs du village leur interdire la sortie de leur bicoque. Les vendettas imaginaires ou réelles héritent des duels, tandis que les balades en moto, flingues autour des reins dans les terres poussiéreuses du désert, ont la violence du western et la fluidité du road-movie, véritable catalyseur de désir et d’émancipation.

Le Mystérieux Regard du flamant rose aurait pu s’en tenir à ces deux genres du cinéma, pour penser la marge et ses turbulences, mais par d’étranges séquences souvent nébuleuses, il met un pied dans le film de vampires. La maladie qui se propage est nommée «la peste», tenue comme une calamité, comme une plaie. C’est de toute évidence un écho au sida qui a ancré davantage l’homophobie envers les communautés queer. Cette épidémie qui se propage a tout à voir avec les vampires. Lorsque Nosferatu arrive dans la ville, c’est la peste qu’il sème dans son sillage. Si c’est l’horreur et l’ostracisation que permet l’idée du sida comme peste, c’est, dans le même réflexe, là que se situe l’érotisme hypnotique du film. L’union charnelle devient une dévoration au clair de lune dans une séquence hallucinante qui conjugue l’Eros au Thanatos. Les films de vampires prolifèrent dans leur monstruosité, leur déchéance des corps putréfiés, leur grande mort, autant que dans leur séduction envoûtante, leur sublimation, leur petite mort, celle de l’orgasme. Ce côtoiement du vampirisme dans un geste surnaturel renoue avec l’idée du sang comme substance de vie autant que de mort qui cimente le film. Le sida est une maladie du sang, ses effets sont proches de ceux de la peste : maigreur, traits creusés, sorte de bubons turgescents sur le corps, dépérissement progressif, et surtout la mise au ban des victimes, le cœur du film. Cela n’empêche pas que le sang, autant que la maladie, se vivent dans cette bulle qu’est le cabaret comme une fête, comme une représentation. N’y a-t-il pas une séquence de noces où l’on souhaite la félicité dans « le sang et le sperme » ? Uni ainsi au flot créateur, le sang reprend son statut de fluide de jouissance, d’existence et d’organique. Le film est de tous les instants une célébration de la vie dans ses mouvements les plus digestifs, comme une allégresse rabelaisienne, où l’on se raconte des histoires assis sur les cabinets entre deux flatulences.

Le film de Diego Céspedes se distingue par une intelligence des motifs qui dessinent un cercle bien établi et pensent avec force les échos et les miroitements, sans souligner ses intentions, en restant dans une sorte d’effronterie toujours renouvelée, en constante circulation. Là où il est le plus percutant est certainement dans son effort de repenser le regard, levier qui imprime le titre. Qu’est-ce que le regard ici ? Négativement, son absence est un rejet, une manière d’enraciner l’exclusion. Les mineurs du village se cachent les yeux sur le passage des travestis, car une rumeur veut que ce soit par le regard embrasé pour un autre homme que l’on s’infecte. Le regard comme échange donc, comme promesse érotique autant que pathologique. À l’inverse, la communauté du cabaret est un ensemble de personnes qui se regardent, qui échangent, et s’acceptent. Si elles sont stigmatisées, refusées à la vue, leur art et leur salut tient à la représentation, à leur propre geste de monstration. Le cabaret donne ainsi lieu au spectacle, à la sublimation de leurs corps, par des chansons, des danses, ou même lors d’une très signifiante séquence d’hypnose qui vient exorciser l’homophobie dont elles sont la cible.

Il n’y a rien de plus violent que de perdre la vue. Œdipe se crève les yeux pour ne plus voir son crime, pourtant il se soustrait à la possibilité de contempler les autres et la beauté. Ce geste de la vue empêchée est un motif récurrent du Mystérieux Regard du flamant rose : de la simple menace à l’innommable qui vient déchirer le film, ou encore de ce moment bientôt renversé avec beaucoup d’humour des yeux bandés comme prévention. Sur un mur est inscrit « Je me suis perdu dans ton regard mystérieux ». Cela rappelle l’ensorcellement dont le regard est la matrice, qui rend à la chair son potentiel de lascivité autant que sa perdition. À cette phrase probante répond une des plus belles séquences du film, teintée de magie et de sensualité, dans un ensemble rose à plumes, où le regard devient absorption, où le charnel fraie avec la cruauté, où les corps s’unissent à travers les yeux.

C’est une œuvre sans cesse en oscillation entre tragédie et comédie, qui saisit avec originalité et justesse l’idée des marges et du rejet sur ces communautés. Cela témoigne d’à quel point le cinéma est un lieu pertinent pour la pensée queer en cela qu’elle se conditionne sur l’importance du regard à poser, des yeux à ne pas détourner. Le film de Diego Céspedes allie rigueur théorique et mesure des motifs qui n’excluent jamais la fébrilité et l’audace des séquences.

Le mot flamenco évoque autant le flamant rose que l’impétuosité spectaculaire du style de chant et de danse auquel il donne son nom. On ne cesse d’aimer danser avec ces personnages. On est prêt, comme la maîtresse du cabaret, à imaginer une musique et à la précipiter dans le silence de l’enlacement pour en poursuivre l’ardeur. Les femmes du Mystérieux Regard du flamant rose sont autant des reines du drame que des reines de la trame.

Lou Leoty

Michael Zindel : « La comédie, un laboratoire sans fin »

À Cannes, il présente à la Semaine de la Critique en séance spéciale No skate !, le nouveau film de Guil Sela, dans lequel il joue Isaac, un homme-sandwich inspiré en plein JO estivaux, aux côtés de Cléo (Raïka Hazanavicius). Drôle et curieux, le comédien Michael Zindel (épatant dans Le Dernier des Juifs de Noé Debré) raconte son parcours, ses apprentissages par le court, l’empathie qu’il recherche chez les réalisateurs et ce qui l’intéresse dans l’écriture et la comédie.

© KB

Format Court : Tu es passé par Paris 8 et le Conservatoire Jacques Ibert. Qu’est-ce qui t’a incité à enchaîner ces deux formations-là ?

Michael Zindel : En fait, j’ai commencé par une fac de cinéma à Paris 8. Je voulais à tout prix être scénariste, puis réalisateur. Je me cherchais pas mal. J’ai fait un peu tout ce que je pouvais prendre. J’ai fait de la régie, de la déco, de la perche, des clips, des courts, même pour des rappeurs. À un moment, je ne savais pas trop quoi faire. Une copine m’a poussé à aller au Conservatoire Jacques Ibert, dans le 19ème arrondissement. Et là, ça a été la révélation.

Qu’est-ce qui s’est passé ?

M.Z. : J’ai eu un prof génial, Éric Frey. Il m’a dit : “Tu as fait du cinéma ? Fais un court-métrage !”. Deux semaines plus tard, j’étais en train d’en tourner un. Et j’ai continué. À l’arrache, avec très peu de moyens. Juste pour faire, sans calcul, sans ambition d’avoir mes films en festival. À un moment, aux alentours de 2017, avec un ami, on a mis nos courts sur YouTube, on a pensé que c’était le meilleur moyen de se faire connaître à l’époque. Il y en a un qui a avoisiné les 1500 vues. Ma sœur a dû le voir 1588 fois, ça a dû aider ! Et petit à petit, je me suis mis à tourner dans les courts-métrages de Noé.

Qu’as-tu eu l’impression d’apprendre en faisant ces courts ?

M.Z. : Déjà, que le court, c’est quand même un exercice assez difficile. La moindre seconde en trop, la moindre petite erreur se voit. Dans un long, tu as le temps de rattraper les défauts par d’autres scènes. Et comme j’en ai tourné et monté moi-même, j’ai appris l’importance pour un acteur de proposer des choses variées, de ne jamais faire des mêmes scènes. Tu n’es jamais sûr de ce que va garder le montage donc il faut offrir une vraie palette. Et en même temps, tu te rends compte aussi à quel point la technique, c’est important. J’ai appris sur le tas. Chaque tournage, chaque film m’apprend quelque chose. Et comme j’ai monté mes films, j’ai compris ce que ça fait d’être de l’autre côté.

Comment la rencontre artistique et amicale avec Noé Debré a-t-elle eu lieu ?

M.Z. : Ma cousine a entendu à une soirée qu’il cherchait des jeunes pour jouer une bande de potes. Noé était en train de lancer la production de son deuxième court. Elle lui a dit : “Mon cousin est au Conservatoire, tu devrais le voir, il est marrant.” C’est comme ça que j’ai atterri un peu miraculeusement sur ce casting-là. J’ai fait Une fille moderne avec lui, puis On n’est pas des animaux et enfin Le Dernier des Juifs. Une fille moderne, c’était mon tout premier projet professionnel en tant qu’acteur. C’était structuré, bien produit. C’était impressionnant, sur mes tournages, j’avais l’habitude de tout faire : la mise en scène, la régie, les repas, on n’avait pas de lumière, de budget… Là, sur le tournage, il y avait plein de monde, de matériel. J’avais 22-23 ans. En écoutant Noé parler de son film en festival, j’ai saisi l’importance de penser son film, d’écrire pour ses personnages, d’approfondir l’histoire, de défendre son film.

« Une fille moderne »

Comment as-tu appris à lâcher prise sur tes différents projets ?

M.Z. : C’est là que la confiance avec le réalisateur ou la réalisatrice est essentielle. Quand tu sens que tu es bien dirigé, tu peux lâcher prise. J’ai eu la chance de ne tomber que sur des gens gentils, doués, empathiques, humains et de ne faire que des belles rencontres aussi bien pour des longs-métrages, des séries et des courts-métrages.

Pourquoi l’empathie, c’est si important ?

M.Z. : Parce qu’on va au-delà du scénario. Quand tu sens que le réalisateur t’aime bien, qu’il aime son équipe, qu’il respecte tout le monde, qu’il prend le temps de connaître les gens, d’être curieux, tu t’impliques autrement. Si tu n’as pas d’empathie, je pense que tu mets des barrières là où il ne faudrait pas. Sur certains tournages, il y a des larmes à la fin. Parce que c’était rare, beau, humain. C’est ce qui fait qu’on tient malgré la galère.

La fameuse attente entre deux projets, tu la vis comment ?

M.Z. : Moi, je suis hyper jeune et je débute. Si ça se trouve, dans 20 ans, je dirais que j’aurais dû devenir psychologue. Ça m’arrive d’être dans l’attente. Je ne tourne pas tous les mois. J’écris. Ça m’occupe mais surtout, ça me fait observer, chercher ailleurs. Quand tu réalises ou quand tu écris, tu observes différemment. Tu penses à l’image, aux lieux, aux idées de scènes. C’est une autre concentration.

Tu écris dans des carnets ?

M.Z. : Oui. J’ai des carnets, des agendas (il en sort un de sa poche). Je garde tout. Même si je ne note pas mes pensées, j’aime le papier. Ça laisse des traces. C’est chouette d’écrire.

« No skate ! »

Comment as-tu rencontré Guil Sela ?

M.Z. : Guil avait vu Le Dernier des Juifs, il m’a contacté. On s’est vu, on s’est baladé, on a parlé. Il m’a proposé de lire No skate !, que j’ai adoré ! Chaque version était meilleure que la précédente. J’aimais le Paris qui y est représenté, un Paris qu’on ne voit pas souvent. Guil a du goût, c’est fondamental pour un réalisateur.

L’empathie et le goût donc…

M.Z. : Oui. Et la curiosité aussi, mais bien placée.

M.Z. : Plein de choses : la dérision, le travail avec la voix, le corps … C’est un laboratoire sans fin. Le corps est essentiel. Dans Le Dernier des Juifs, la scène de krav-maga, on l’a bossée avec un coach metteur en scène qui fait du clown. On a essayé d’accentuer les choses à la Chaplin. En comédie, il y a tellement de manières de sortir de sa zone de confort et des lignes de scénario, rien ne t’empêche de travailler ta scène de plusieurs manières. La composition de personnages, c’est intéressant. J’aimerais aller encore plus loin, composer encore plus avec les personnages, comme jouer un hypocondriaque par exemple.

« Le Dernier des Juifs »

Parmi les comédiens, il y a des gens qui t’intéressent, des gens dont la palette te parle ?

M.Z. : J’ai vu il y a 5 ans Teddy des frères Boukherma, un mélange entre comédie et film de genre. Je suis tombé presque amoureux de la performance d’Anthony Bajon. C’est bizarre de dire ça mais je l’ai trouvé extraordinaire et ça m’a beaucoup marqué. Sinon il y a plein d’acteurs que je trouve trop forts : Harpo et Lenny Guit dans Fils de plouc, qui sont dans la justesse et la poésie, Édouard Sulpice, Laetitia Dosch, Elsa Guedj, … La liste est longue !

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique de No skate !

No skate ! de Guil Sela

Un an après Montsouris, couronné du Prix Découverte Leitz Ciné du court-métrage en 2024, Guil Sela revient à la Semaine de la Critique avec No skate !, tourné pendant les Jeux Olympiques de Paris.

Un été, dans la ville envahie par les touristes et vidée de ses habitants, un garçon et une fille se rencontrent. Lui, c’est Isaac (Michael Zindel). Elle, c’est Cléo (Raïka Hazanavicius). Les deux, travaillent comme homme et femme-sandwich pour inciter les passants à se baigner dans la Seine, dont l’eau a été soi-disant “dépolluée” à l’occasion des Jeux. Isaac et Cléo ne s’étaient jamais parlés jusqu’au jour où Isaac voit sa collègue jeter une planche de skate dans l’eau… Depuis les premiers plans du film, le style de Guil Sela est déjà reconnaissable : les personnages sont présentés de loin, au milieu de la foule, comme si leur histoire aurait pu être celle de n’importe quel autre passant. À l’instar de son précédent Montsouris, où un réalisateur (alter-ego de Sela) cherchait des gens intéressants à filmer dans le parc, le cinéaste utilise des longues focales pour nous montrer le monde comme si on le regardait avec nos propres yeux.

Guil Sela saisit ici l’occasion pour filmer les Jeux rêvés dans son premier court-métrage La Flamme Olympique (2023), où une jeune femme songe de partir à Tokyo pour les Jeux Olympiques en défiant la paralysie qui touche la planète en 2020. Pourtant, il nous montre le revers de la médaille. C’est-à-dire la ville en dehors des stades et des compétitions, celle des appartements sous-loués, des tickets de métro à 4 € et des taxis qui profitent du calme des rues peu fréquentées. Pas moins onirique que celle du confinement, la ville des Jeux est l’arrière-plan d’une rencontre entre deux vingtenaires dont nous suivons les déambulations, de Montmartre au Canal Saint-Martin, en passant par les rues de Belleville et le Parc des Buttes-Chaumont. Encore une fois, un parc parisien devient le théâtre des spectacles les plus curieux : cette fois-ci, il s’agit du cours de Karaté fréquenté par Isaac, lequel ne peut plus avoir lieu au dojo car cet art martial a été exclu des JO et remplacé par le breakdance et le… skateboard ! Dans un geste de révolte, les panneaux publicitaires encourageant la baignade dans la Seine sont ainsi transformés en pancartes anti-skate, et exhibés par les deux protagonistes dans l’une des scènes les plus hilarantes du film.

Michael Zindel (révélé en tant qu’acteur par Le Derniers des Juifs de Noé Debré) et Raïka Hazanavicius (déjà à l’affiche de Montsouris) forment un duo formidable à l’écran, capable de créer des moments de pur comique à partir des situations les plus anodines. Mais derrière ses allures de comédie, le film évoque un certain sentiment de mélancolie, qui émane de la musique d’Alexandre de La Baume lorsqu’elle accompagne la marche agitée de la foule ou les balades flegmatiques d’Isaac et Cléo au coucher de soleil. Car avec sa caméra, Guil Sela sait dépeindre Paris et ses jeunes habitants dans toutes leurs nuances et contradictions. En fin de compte, No skate ! n’est ni une proclamation de haine, ni une déclaration d’amour, mais le portrait sincère d’une ville qui, comme la vie, est faite de rires, de pleurs et de ces actes insensés qui donnent du sens à ses jours.

Margherita Gera

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de Michael Zindel

N comme No skate !

Fiche technique

Synopsis : Paris, Jeux Olympiques 2024. Isaac est homme-sandwich. Cléo est femme-sandwich. Un jour, Isaac voit Cléo jeter une planche de skate dans l’eau.

Genre : Fiction

Durée : 24′

Pays : France

Année : 2025

Réalisation : Guil Sela

Scénario : Guil Sela, Joséphine Ha

Interprétation : Michael Zindel, Raïka Hazanavicius

Image : Pauline Doméjean

Son : Lucas Doméjean

Musique : Alexandre de La Baume

Montage : Paul Nouhet

Décors : Ysé Braconnier

Production : Les Films Norfolk, Rosa Films

Articles associés : la critique du film, l’interview de Michael Zindel

Formats Longs : Partir un jour d’Amélie Bonnin

Le Festival de Cannes a débuté mardi dernier et pour lancer ces 12 jours d’intenses projections, c’est le film Partir un jour d’Amélie Bonnin, en hors-compétition, qui a fait l’ouverture. Un titre familier puisqu’il s’agit aussi de celui de son court-métrage, Césarisé en 2023.

Ce premier long-métrage développe le récit et la mise en scène qu’Amélie Bonnin avait entrepris dans le format court. On y retrouve le même casting composé de Juliette Armanet et Bastien Bouillon, accompagné de François Rollin et avec la participation de Dominique Blanc de la Comédie française. Partir un jour, c’est l’histoire d’un retour aux sources. Dans le court-métrage, Bastien Bouillon retrouvait ses parents pour les aider à déménager. Les prémices de ce long-métrage nous laissaient entrevoir le désir de mettre en scène et de chorégraphier ses acteurs dans un film chanté. L’humour piquant du court se retrouve mot pour mot dans sa version longue et les ébauches de ce récit familial s’aboutissent avec ce nouveau film. Amélie Bonnin prend ainsi avec ce projet le temps de dérouler la bande originale de sa comédie.

L’ambition cinématographique se traduit par un désir musical et le film lorgne à la frontière des règles conventionnelles de la comédie musicale. Ici, des hits incontournables allant des 2Be3 à K.Maro, ou encore Dalida, sont repris et joués par les comédiens. Il est moins question de prouesses vocales (bien que le timbre de Juliette Armanet est d’une douceur sans faille), mais de performances jouées et de dialogues chantés. Les titres s’intègrent avec justesse dans le récit et rythme d’un côté pop la mise en scène. Le tout chorégraphié avec précision et d’un engouement contagieux.

Cécile, interprétée par Juliette Armanet revient dans sa ville natale suite à l’infarctus de son père. Dans un climat familial tendu, elle renoue avec son amour de jeunesse, joué par Bastien Bouillon. Le film se raconte avec charme mais ne se réduit pas à une comédie romantique classique. Les personnages ne sont pas des héros en mal d’amour, mais des personnalités complexes, happées par une nostalgie commune. Cécile et Raphaël (Bastien Bouillon) sont deux âmes adolescentes qui essaient de rattraper le temps perdu. Les années ont passé mais le désir renaît quand ils se rendent compte de l’histoire qu’ils auraient pu avoir. Avec tendresse, ils parcourent leur mémoire et les souvenirs de leur jeunesse. Cette histoire n’est pas celle du grand amour, c’est celle d’une nostalgie enfantine où les échos de ce qui aurait pu se passer bercent les incertitudes du présent. Mais dans sa ville natale, Cécile doit aussi composer avec son père. Leur relation plus que tendue se nourrit d’une répartie mordante et d’un humour sec. Dans les non-dits des retrouvailles, se cache une fragilité plus douce, et de cette relation amère, naît de beaux moments de complicité et d’apaisement. Avec ce récit musical qui met du baume au cœur, Amélie Bonnin nous fait chanter et ses personnages avancent sans se retourner, sans regretter pour garder les instants qu’ils ont volés.

Garance Alegria

Cannes, des courts & des premiers longs qui nous intéressent

Ce mardi 13 mai 2025, s’est ouvert le festival le plus médiatisé du monde. Nous, à Format Court, on parlera, comme chaque année, des courts qui nous plaisent (à l’officielle, à la Quinzaine, à la Semaine). On s’intéressera également à quelques premiers longs qui font partie de la programmation dense de cette 78ème édition. Si vous avez suivi les nombreuses annonces cannoises, vous aurez peut-être constaté que de nombreux gens issus du court, notamment en lice aux César, font partie des heureux élus. Depuis quelques années, face aux listes des sélectionnés, on parcourt les noms des personnes ayant participé à nos After Short (près de 20 cette année, pas mal !), des anciens lauréats des Prix Format Court (Arthur Harari, Emmanuel Marre, Simon Coulibaly Gillard, …), des personnes sélectionnées et/ou primées à notre festival, … En général, par pudeur, on ne se la ramène pas trop mais cette année, on a envie d’y aller.

Du côté de l’officielle, le film d’ouverture hors-compétition n’est autre que Partir un jour, version longue du court-métrage éponyme d’Amélie Bonnin, ayant remporté le César du court-métrage de fiction 2023. Dans le court, Bastien Bouillon, Parrain de notre festival en 2023, écrivain à succès, retournait chez les siens pour se confronter à son cercle et tombait par hasard sur son amour de jeunesse, campé par la chanteuse Juliette Armanet. L’originalité du projet résidait dans la bonne humeur du film, le duo synchro et sympa et le scénario du film qui empruntait certaines paroles de tubes des années 90. Dans la version longue, ce n’est pas Bastien Bouillon qui fait le voyage mais Juliette Armanet, cuistot de son état qui, en refaisant un tour dans sa famille et son patelin, tombe nez à nez sur une vieille connaissance, sur fond de petite tension amoureuse, de patins et de chansons.. Avec bien évidemment un scénario plus long, des acteurs réguliers (François Rollin) et de nouveaux venus (Dominique Blanc).

Toujours à l’officielle, du côté des séances spéciales, on va s’intéresser de près à Mama, le premier long-métrage de l’israélienne Or Sinai, ayant réalisé Anna, premier prix à la Cinéfondation en 2016 mais également Prix Format Court au festival de films d’écoles de Tel Aviv la même année. Pour ce passage au long, la réalisatrice a retravaillé avec la comédienne Evgenia Dodina qu’on aime beaucoup. A Un Certain Regard, l’Italien Francesco Sossai présentera Le città di pianura (Un dernier pour la route), son deuxième long après le court-métrage L’anniversaire d’Enrico, Prix du Jury Étudiant au Festival Format Court 2024.

Du côté de la Quinzaine des Cinéastes, Gala Hernández López présentera son nouveau court, +10K, 1 an seulement après son César du court-métrage documentaire pour La Mécaniques des fluides. En premier long, on fera quelques pas du côté de La danse des renards de Valéry Carnoy qui avait réalisé Titan, présélectionné aux César du court 2023. Toujours à la Quinzaine, Julia Kowalski présentera dès ce dimanche son deuxième long Que ma volonté soit faite, version plus longue de J’ai vu le visage du diable, présélectionné aux César du court en 2024. Annoncé dernièrement, l’israélien Nadav Lapid présentera son nouveau long Yes à la même Quinzaine après avoir fait à plusieurs reprises les honneurs de Cannes et avoir présenté en 2023 La Première, l’un de ses courts, à notre festival. Un film se passant dans un Cannes hystérique justement.

Repéré sur Format Court avec son court I promise you paradise, sélectionné à la Semaine de la Critique en 2023, Morad Mostafa présentera son premier long Aisha can’t fly away à Un Certain Regard. C’est bien à la Semaine de la Critique qu’on va a priori se faire le plus plaisir cette année avec une flopée de gens passés par Format Court. On commence avec deux courts en séance spéciale. No skate ! est une comédie savoureuse portée par Michael Zindel (Le dernier des juifs de Noé Debré) et Raïka Hazavinicus, réalisée par Guil Sela. Le réalisateur était déjà à la Semaine l’an passé avec Montsouris qui était reparti avec le Prix Découverte Leitz Cine du court-métrage. Le film avait été présélectionné aux César 2024 également.

Comptons également sur la présence de Agnès Patron, également en séance spéciale, qui signe son retour à Cannes après de nombreuses années avec son nouveau très beau court, Une fugue. L’animatrice avait présenté en compétition officielle L’heure de l’ours en 2021. Le film avait la même année obtenu le César du meilleur court-métrage d’animation. Du côté des premiers longs en séance spéciale, on portera un regard curieux sur Martin Jauvat, ayant tourné et joué dans son nouveau long Baise-en-ville (son dernier passage à Cannes, c’était pour Grand Paris à l’ACID en 2022). On sera bien évidemment tenté aussi de voir Des preuves d’amour d’Alice Douard, ayant remporté le César du meilleur court de fiction pour L’attente en 2022. Enfin, Momoko Seto, découverte il y a bien longtemps avec Planet Z (2011), nous charmera sûrement avec son premier long tant attendu, Planètes, qui clôturera la sélection de la Semaine de la Critique.

Du côté des dernières sélections, on a appris il y a quelques jours celle de Ma frère, le nouveau film de Lise Akoka et Romane Gueret à Cannes Première. Cela fait longtemps qu’on suit ce duo, depuis Chasse royale, présenté à la Quinzaine en 2016. Les deux réalisatrices étaient revenues à Cannes, à Un Certain Regard, en 2022 avec leur premier long, Les pires, qui avait tout déchiré. A Cannes Classics, Raphaël Quenard et Hugo David présenteront leur premier long, I love Peru. Les deux compères s’étaient rencontrés sur le tournage de Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand et en avaient profité pour signer ensemble un premier court, L’acteur, présélectionné aux César du meilleur court documentaire en 2024.

Le planning de projections s’annonce chargé, sans compter tous les nouveaux courts à découvrir. Et il y en a beaucoup. On ne résiste pas à l’idée de profiter de ce papier pour vous proposer de (re)découvrir des courts de certains de ces cinéastes qui feront l’actu, côté courts/longs, dans les prochains jours et qui ont eu la bonne idée de rejoindre la Toile. Enjoy !

Katia Bayer

Format Court sur la Croisette

Le Festival de Cannes débute aujourd’hui. Si la Croisette se pare de ses plus beaux habits de lumière, les festivaliers arrivent progressivement dans l’espoir de profiter au maximum des films que cette édition a à nous offrir. Ce soir, lors de la cérémonie d’ouverture, le jury présidé par Juliette Binoche et composé de célèbres artistes telles que l’écrivaine Leïla Slimani ou encore la réalisatrice et scénariste indienne Payal Kapadia, se réunira pour lancer officiellement les festivités de 12 jours réunissant une sélection officielle mais aussi de nombreuses sections parallèles.

C’est le film Partir un jour, d’Amélie Bonnin, qui aura l’honneur d’ouvrir le bal, un premier long métrage présenté en hors compétition dans lequel elle prolonge le récit de son court métrage du même nom, Césarisé en 2023. Cette année 22 films sont en compétition officielle. Nous pourrons retrouver notamment La petite dernière, le dernier film d’Hafsia Herzi, dont la musique est composé par Amine Bouhafa, jury cette année de la 6e édition du festival Format Court. Cette sélection est complétée par de nombreux films hors compétition et par celle d’Un certain regard qui présentera 20 films dont les premiers longs métrages des actrices, réalisatrices et productrices Scarlett Johansson et Kristen Stewart. Parallèlement, la Quinzaine des cinéastes, La Semaine de la critique, l’Acid ou encore le Marché du film, sont tout autant de rendez-vous incontournables de Cannes. Côté courts-métrages,  un large catalogue est prévu auprès de la compétition officielle de courts métrages mais aussi au sein des différentes sections parallèles (Quinzaine des cinéastes, Semaine de la critique). Le Jury commun des courts et de La Cinef (qui met en avant les films d’école) est présidé cette année par la réalisatrice, scénariste et productrice Maren Ade (Toni Erdmann) et composé entre autre de l’auteure, compositrice, interprète Camélia Jordana et du réalisateur et scénariste croate Nebojša Slijepčević, lauréat de la palme d’or du court métrage 2024 pour son film L’homme qui ne se taisait pas. Profitez donc de 12 jours d’émerveillement et de passion pour cette 78e édition du festival de Cannes.

Garance Alegria

Retrouvez dans ce focus (qui sera actualisé dans les jours à venir) :

La critique de Critical Condition de Mila Zhluktenko (Semaine de la Critique)

L’interview d’Ugo Bienvenu, réalisateur d’Arco (séance spéciale, en compétition)

La critique de Le Mystérieux Regard du flamant rose de Diego Céspedes (Un Certain Regard)

L’interview de Michael Zindel, comédien (No skate ! de Guil Sela, Semaine de la Critique)

La critique de No skate ! de Guil Sela (Semaine de la Critique)

Formats Longs : Partir un jour d’Amélie Bonnin (film d’ouverture)

Cannes, des courts & des premiers longs qui nous intéressent

La sélection des courts et de La Cinef

Semaine de la Critique 2025, les courts sélectionnés

Quinzaine des Cinéastes 2025, les courts et moyens-métrages sélectionnés

Semaine de la Critique 2025, les courts sélectionnés

La Semaine de la Critique, section parallèle du Festival de Cannes, a annoncé hier sa sélection de courts-métrages. Voici les œuvres courtes retenues pour cette édition 2025, en sélection et en séance spéciale.

En compétition

Alișveriș (15’), de Vasile Todinca (Roumanie)
An-Gyeong (Glasses, 15’), de Yumi Joung (Corée du Sud)
Dieu est timide (God is Shy, 15’), de Jocelyn Charles (France)
Donne batterie (Free Drum Kit, 25’), de Carmen Leroi (France)
Erogenesis (15’), de Xandra Popescu (Allemagne)
Kattu !, Bleat ! (15’), d’Ananth Subramaniam (Malaisie, Philippines, France)
Критичне Становище (Critical Condition, 24’), de Mila Zhluktenko (Allemagne)
L’mina (26’), de Randa Maroufi (Maroc, France, Italie, Qatar)
Samba Infinito (Samba infinie, 15’), de Leonardo Martinelli (Brésil, France)
Wonderwall (27’), de Róisín Burns (France, Royaume‑Uni)

Séance spéciale

Eraserhead in a Knitted Shopping Bag (Eraserhead dans un filet à provisions, 19’), de Lili Koss (Bulgarie)
No Skate ! (24’), de Guil Sela (France)
Une fugue (To the Woods, 15’), d’Agnès Patron (France)

Surgissements et tremblements : Coup de projecteur sur le festival d’animation de Rennes

Les courts-métrages les plus sidérants présentés en compétition au festival d’animation de Rennes étaient ceux qui proposaient par l’animation de transcender le réel. Ceux qui, par le trait, investissaient la matière historique pour en affronter autant l’horreur que l’indicible par des moyens poétiques. En cela, Quelque chose de divin, Plus douce est la nuit et Mont-Noir, rappellent la singularité d’un genre qui est d’autant plus percutant lorsqu’il embrasse les fulgurances plastiques qui le caractérisent. La séparation d’amants pendant la Seconde guerre mondiale, la disparition d’un missionnaire en Afrique de l’Ouest dans les années 1960 et la naissance de la vocation littéraire de Marguerite Yourcenar, ont en commun leur déploiement au sein d’une esthétique colorée et impure. L’animation est le lieu des surgissements et des tremblements, c’est ce que nous rappelle cette sélection rennaise.

Quelque chose de divin de Bogdan Stamatin et Mélody Boulissière

Quelque chose de divin a un quelque chose de métissé. Réalisé à quatre mains, le court-métrage s’investit d’abord comme une galerie d’archives photographiques avant de plonger dans l’animation, esquissée comme un patchwork. La plastique du film fluctue entre l’estampe et les couleurs de l’aquarelle.

Mélody Boulissière est française, maîtrise les diverses techniques d’animation autant que la peinture, la gravure et le monotype. Son film de fin d’études, Ailleurs, avait été sélectionné à la Cinéfondation du Festival de Cannes en 2016. Bogdan Stamatin quant à lui, a grandi en Roumanie et avait déjà signé un film autour de ce pays avec Une Semaine maximum deux qui narrait le retour d’exil d’un Roumain parti en France.

De ces deux paramètres, Quelque chose de divin nourrit son esthétique comme son sujet : la forme contrariée et diverse rend avec justesse le déchirement et la fragmentation du couple dont on fait l’histoire. C’est celle d’un homme et d’une femme, d’un militaire bientôt appelé au front et d’une demoiselle en rose qui l’attend. Au soir de sa vie, elle raconte cette histoire qui s’est dissoute dans le chaos des hommes. La voix de cette dame aujourd’hui très âgée, fait le lien entre 1939 et le contemporain, entre le documentaire et l’animation, entre la guerre et les émois.

Les personnages colorés évoluent dans un univers figé, en noir et blanc, dans lequel les visages sont comme tirés de photographies. Cette impureté, ce rapport de collage entre les personnages animés et leur environnement photographique entretient la douleur de ce qui se joue : la solitude de l’amour face à un univers de désolation, celui du conflit mondial auquel participe la Roumanie. Cela donne un court métrage singulier au magma esthétique souvent étrange, dont on peine, au premier abord, à trancher si on le trouve repoussant ou sublime. C’est la cohérence de ce choix avec le souffle tragique du témoignage convoquant les temps passés au sein d’un présent documentaire, qui en parachève la beauté. Les prises de vues réelles qui ouvrent et referment le film, cette vieille dame dont la voix rappelle le caractère historique et testimonial du film, forment une nappe documentaire qui révèle l’importance de l’archive photographique et de l’incrustation de l’animation en son sein.

Ce quelque chose de divin, c’est la possibilité d’un sentiment amoureux, de sa couleur parmi la calamité grise, une union entre le rose de l’habit de la femme et le vert de l’uniforme militaire, mélés dans l’un des dernier plans : la grâce des mains entrelacées au travers d’un bouquet de fleurs blotties au creux de leurs feuilles.

Plus douce est la nuit de Fabienne Wagenaar

Lauréate du prix Ciclic pour le pitch court-métrage du festival rennais en 2020, Fabienne Wagenaar présentait cette année Plus douce est la nuit, le fruit de la résidence d’artiste dont elle a pu bénéficier. Remarquable film réalisé en peinture animée, Plus douce est la nuit propose un voyage initiatique, au cœur des ténèbres, ceux de l’Afrique coloniale des années 1960. Un officier français part à la recherche d’un missionnaire disparu et constate la fin d’un monde, sa décrépitude et sa cruauté, dans une quête qui lui donne rendez-vous aux confins de la jungle.

Fabienne Wagenaar a en tête Coppola, Conrad, Herzog, pour cette errance désabusée. C’est la constatation déceptive d’un monde déchu dont on ne fait que vanter la grandeur : “ Dire qu’à l’école militaire on nous parlait de la grandeur de l’empire…” Dès le seuil du film, on comprend ce que va proposer véritablement cette enquête : une traversée des couleurs. Au-delà du devoir du militaire, cette déambulation qui accompagne la mission permet de mettre en lumière les réalités coloniales : ses escroqueries, son racisme, sa vulgarité. Dès lors, la question change de sens : ce n’est plus “Qu’est-il arrivé au missionnaire” mais “Pourquoi c’est arrivé ?”. L’une des femmes que l’officier rencontre lui rétorque que c’est ce “maudit pays qui l’aura avalé”. Le pays, ou plutôt, la folie de ce qui se passe en terre colonisée, l’arbitraire et les violences constantes, physiques autant que culturelles. Ce à quoi est confronté le jeune militaire, c’est une disparition, au sens le plus général du terme, celle d’un peuple. C’est distillé à merveille par le corps du film : les personnes qu’ils interrogent ne cessent de disparaître, la religieuse autant que l’enfant. Près du port, l’officier assiste au transport de statues africaines jusqu’à un bateau qui vogue en direction de la France. Cela scelle l’entreprise de colonisation : les statues meurent aussi. Cette séquence est l’envers de Dahomey de Mati Diop : pour que les statues reviennent, il faut d’abord qu’elles partent. Afin de trouver la vérité, dans la nuit, pour faire la lumière, il faudra que l’officier s’immerge dans la jungle après avoir violemment dérobé la lumière à la personne qui l’accompagnait.

La mise en scène cristallise avec adresse les contrastes, entre la nuit et le jour, entre les noirs et les blancs. L’un des meilleurs plans du film, vertigineux, présente l’officier assis côte à côte avec une personne noire, derrière eux est affiché un panneau bleu où il est écrit trois fois plutôt qu’une le mot “indépendance”. Si l’officier en son cœur souhaite comprendre ce qui se joue, il ne peut le faire qu’en se confrontant à la réalité coloniale, en faisant face donc, en ne tournant pas le dos à la honte d’opprimer un peuple qui, plus que l’indépendance, réclame la justice. Pour survivre dans le corps d’une telle horreur, comme Kurtz, comme le missionnaire, il faut bien trouver le moyen d’adoucir ses nuits.

Mont-Noir de Erika Haglund et Jean-Baptiste Peltier

Erika Haglund, dont le travail est attentif aux personnages féminins, et Jean-Baptiste Peltier à l’approche picturale, joignent leurs obsessions dans leur très sensible portrait d’enfance de l’écrivaine Marguerite Yourcenar. La petite Marguerite grandit à travers le deuil de sa maman morte en couches, de son chien et du départ de sa nourrice. Dans une enfance marquée par la solitude et une forme d’indifférence, elle développe une fascination pour l’érudition et en particulier pour la littérature. La richesse du trait de l’animation, ses couleurs vives, dressent ainsi un court-métrage en forme d’épiphanie, la révélation d’une passion : ce plaisir immense ébréché par une douleur profonde.

La grande force du film est celle d’un mouvement fluide, émaillé de références que seule l’animation peut faire surgir. Admirablement bien construit, Mont-Noir ancre la vocation littéraire de Marguerite autour d’absences et de morts. On sait ce que les futurs textes de Yourcenar doivent à cette idée de frayer avec les fantômes. Le film se distingue par de brillantes et fulgurantes idées d’animation comme cette tâche noire d’encre qui jonche et noie le papier ; serait-ce l’évocation d’une Oeuvre au noir ? Plus loin c’est une tête sculptée antique qui fait face à Marguerite, elle qui se plongera avec intensité dans un texte sublime et crépusculaire, celui des Mémoires d’Hadrien.

Si le premier plan du film semble blême et dolent, c’est parce qu’il commence le film autant qu’il le referme allégoriquement. L’accouchement est une naissance autant qu’une mort : pour que vive la fille, il faut que meure la mère. C’est tout le poids de cet aller-retour funeste entre vie et mort qui fait le parfum tragique de Mont-Noir autant qu’il creuse la solitude douce-amère d’une petite fille qui n’en finit pas de vouloir vivre, lire, écrire, et apprendre. C’est l’histoire de l’absorption d’un monde, un passage obligé pour Marguerite qui porte un tel poids sur ses frêles épaules, fardeau dont la pesanteur ne peut être transcendée que par le geste artistique. L’animation se fait ici le relais tutélaire de l’envie de vivre et de créer. Par un trait sensible et pictural, on découvre avec émotion les premiers jeux de mots de Marguerite avant qu’elle devienne Yourcenar, et ce lieu du Mont-Noir, point de départ de l’écriture, qui enracine les fleurs et les premiers tremblements.

Mont-Noir réussit son évocation de l’écrivaine, le bouleversement du frôlement inaugural avec la littérature, semblable à celui d’une première fois. Le film semble contredire ce qu’écrivait Yourcenar dans Mémoires d’Hadrien : “La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné, où gisent sans honneurs des morts qu’ils ont cessé de chérir.” Le souvenir de Marguerite parmi ses fleurs n’a jamais été plus incandescent.

Lou Leoty

Hiver à Sokcho de Koya Kamura

Ce 8 mai, Diaphana Distribution sort en DVD Hiver à Sokcho, avec Bella Kim et Roschdy Zem. Sélectionné au Festival International du film de Toronto et au Festival de San Sebastian en 2024, le premier long-métrage du réalisateur franco-japonais Koya Kamura est tiré du roman du même nom de l’écrivaine Elisa Shua Dusapin. Format Court vous propose de remporter 3 exemplaires de ce DVD.

Le récit a lieu dans la ville balnéaire de Sokcho, en Corée du sud, où Soo-Ha, 23 ans, vit depuis toujours. Son quotidien monotone est bouleversé lorsqu’un dessinateur français, Yan Kerrand, débarque dans la petite pension où la jeune femme travaille. Cette rencontre se révèle être l’occasion pour elle de questionner sa propre identité, et enquêter sur son père français qu’elle n’a jamais connu.

Koya Kamura, juré au dernier Festival Format Court, explore le thème de la double culture et du déracinement dans un film extrêmement sensible et subtil. Restant au plus près du visage et des gestes de Soo-Ha, sa caméra capte le ressenti de la protagoniste par rapport à elle-même et aux gens qui l’entourent. L’acceptation de son propre corps et la fascination envers les autres occupe une place centrale dans le film : Soo-Ha observe les formes des femmes dans les bains, touche la peau de son petit ami, scrute les gestes impétueux de Yan Kerrand en train de dessiner… et dans l’une des plus belles scènes du film, elle se regarde dans un miroir terni par la vapeur, sur lequel apparaît progressivement son visage « imparfait » selon les standards de son pays, où l’injonction à la chirurgie esthétique est un phénomène très répandu.

Les émotions et les pensées de Soo-Ha sont aussi représentées par des scènes d’animation réalisées par Agnès Patron (à l’origine de L’heure de l’ours), qui ponctuent le récit. Ses dessins aux traits stylisés représentant le corps de la protagoniste, dansent et se déforment sur un fond noir, rappelant (en négatif) les illustrations à l’encre noir réalisées par le personnage de Kerrand. Ce dialogue entre animation et prise de vue réelles est très bien calibré, parvenant à surprendre le spectateur sans pourtant paraître forcé.

L’allusion à la scission des deux Corées fait écho dans le film au sentiment d’instabilité du personnage de Soo-Ha, qui est divisé entre deux patries : l’une connue, la Corée, et l’autre inconnue, la France. L’arrivée d’un étranger dans la pension, coïncide avec un moment de sa vie où elle se retrouve bloquée, sans savoir quoi faire de son avenir. Sa fascination pour Kerrand, réveille en elle une sorte d’énergie vitale, mais également la frustration liée au manque et au rejet, lorsqu’il refuse de manger les repas qu’elle prépare. Si Soo-Ha semble chercher dans Kerrand la figure du père qu’elle n’a jamais rencontré, la relation entre les deux personnages n’est jamais romancée. Il s’agit de deux personnes qui s’observent, le temps d’un hiver, sans jamais vraiment se trouver.

La force d’Hiver à Sokcho réside justement dans la fragilité de ce lien, incarné avec justesse par Roschdy Zem et Bella Kim, épatante dans son premier rôle de cinéma. À travers leurs regards, nous découvrons un endroit à la fois familier et exotique, chaleureux et glacial. Sokcho devient ainsi la métaphore de ce sentiment, parfois déroutant, parfois libérateur, de n’appartenir à aucun lieu.

Le DVD des éditions Diaphana propose plusieurs bonus : un making-of inédit où l’on apprend le processus de réalisation du film, des storyboards à la composition de la musique originale, des scènes coupées commentées par le monteur Antoine Flandre, un entretien avec Koya Kamura (lauréat 2022 de la Fondation Gan), ainsi que son premier court-métrage Homesick (sélection officielle aux César 2021).

Tourné au Japon, Homesick, sélectionné au Festival Format Court 2020, se déroule deux ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima. Muni d’une combinaison anti-radiations, Murai se rend dans la « no-go zone » à la recherche de la balle de baseball de son fils Jun, qui le rejoint du passé. Pendant ses missions, il retrouve et rend à leurs propriétaires des objets perdus suite au tsunami.

Au premier abord, le paysage que Murai parcourt avec sa voiture a l’air anodin, mais en regardant de plus près, on y on aperçoit des détails surréels : un navire échoué et recouvert de lichens, une maison écrasée, une voiture renversée au côté de la rue… . Adoptant un style narratif qui rappel le cinéma de Kore-Eda, le réalisateur nous conduit progressivement dans un monde aux allures de science-fiction, et pourtant terriblement réel. La tragédie collective se mêle au drame intime du protagoniste, dont l’ambiguïté entre réalité et imaginaire donne lieu à des moments poétiques. Avec sa mise en scène envoutante, qui laisse place à l’émotion sans jamais tomber dans le pathos, Homesick prouve déjà le talent d’un cinéaste à suivre de près.

Margherita Gera

Albin de la Simone : « La musique peut aussi avoir de la personnalité »

Albin de la Simone était de passage à Rennes ces derniers jours, pour deux dates de concert, un nouveau spectacle alliant le dessin et la musique, dans la lignée de son nouvel album Toi la-bas et de son livre Mes Battements, collection de textes et de dessins. Très lié à la capitale bretonne (il était artiste associé du Théâtre national de Bretagne), il était invité par le festival du film d’animation de Rennes autour de sa composition pour La Vie de Château de Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi dans le cadre du fil rouge consacré à la musique et aux voix dans le film d’animation. Vêtu d’un pantalon en velours rouge vif et d’une veste rose, il nous parle avec amour des Barbapapa, du dessin, en chantonnant parfois au détour d’une phrase. D’une voix tendre avec un peu de grain, il s’épanche aussi sur les artistes qu’il aime, sur ceux qui émergent comme sur les disparus. Avec philosophie, il nous partage sa maxime “Mieux qu’hier et moins bien que demain”, un art de vivre, et même pourrait-on dire, un art de vivre-ensemble.

© Aurélie Sauffie

Format Court : Cette année, vous publiez votre dernier album, Toi là-bas, et Mes Battements, un premier livre qui revient sur une autre pulsation que celle de la musique : le dessin. Votre amour du trait vient donc percuter votre musique, qu’est-ce que vous tirez comme plaisir en vous y consacrant ?

Albin de la Simone : Je ressens un besoin permanent de créer, de fabriquer, de produire et ça peut être assouvi par le fait de cuisiner, de jouer de la musique, de composer, d’écrire des paroles, de dessiner ou d’écrire des textes. Si je me mettais à apprendre à faire du canevas et que ça me plaisait, j’ajouterais le canevas à mes disciplines préférées. Ça représente le moyen d’assouvir un besoin, quel que soit le canal. Le matin, je peux prendre un crayon, un piano ou si c’est l’heure de faire à bouffer, je fais à bouffer. Je vois ça comme produire quelque chose en y mettant de moi.

Est-ce que le trait vient raconter quelque chose que la voix ne peut que taire, vient renforcer les mots ou encore permet de faire un pas de côté, de se décentrer, de déceler un nouvel angle ? D’où vient ce besoin de faire se télescoper le dessin et la musique, notamment dans votre nouveau spectacle ?

A.S : Il y a le fait que je trouve que c’est beau de voir un dessin en train de se faire. Ça, je l’ai déjà vécu. L’IPad le permet maintenant sans avoir une vitre. Il enregistre le dessin en train de se faire. Quand on dessine, après, on peut se faire rejouer notre propre dessin depuis le début, sans nos mains. On va juste voir le trait comme dans Le Mystère Picasso de Henri-Georges Clouzot (1956) et c’est vachement beau de se voir soi-même dessiner. C’est intéressant, c’est beau et assez magique. J’ai déjà fait des concerts dessinés avec Lewis Trondheim, avec Charles Berberian, avec Jean Jullien, ce sont de grands dessinateurs. Ça m’hypnotise de voir leurs dessins se faire pendant que moi je chante, d’observer le trait, dont au début, on ne sait pas où il va aller. On sait que la personne qui est en train de le faire a une idée en tête, mais nous, on ne sait pas où ça va. Ce n’est pas comme une chanson qui évolue dans le temps, là, le dessin se construit et à son terme, il est fini. Mais, à la fin d’une chanson, le début, on ne l’a plus. Le temps remplace le temps, alors que le dessin s’ajoute et à la fin, on a le tableau complet. C’est une autre démarche temporelle et je trouve ça hyper beau. L’idée de pouvoir proposer ça me plaît. L’idée de croiser un dessin et une chanson ou un texte, ou de croiser les disciplines, je le pratique beaucoup avec des écrivains aussi. J’ai fait beaucoup de concerts avec des écrivains qui lisaient des portions de leurs livres et moi, je chantais des chansons. Je remarque que quand on met deux disciplines ensemble qui ne sont pas accordées à l’origine, le spectateur va tricoter un fil entre les deux.

« Le Mystère Picasso »

Par exemple, je suis sur scène, je suis artiste, vous êtes venue pour m’écouter. Vous allez suivre ce que je vous dis. Imaginez que je vous propose deux choses : « Une tortue » et puis « un sabre laser ». Ce sont deux choses qui n’ont rien à voir. Forcément, vous allez essayer d’imaginer quelque chose mettant en scène une tortue et un sabre laser, vous connectez les deux. Le cerveau est fait comme ça. C’est ce que je faisais aussi avec les films fantômes. Ce sont de faux films dont j’ai écrit les musiques et dont j’ai tiré une exposition pour les faire imaginer. Si vous lisez le titre d’un film, si vous en écoutez la musique, si vous regardez l’affiche japonaise de ce film, vous allez vous raconter un film. Dans trois ans, vous ne saurez même plus, avec le temps, si ce film-là vous ne l’avez pas vu. L’imaginaire, c’est génial, et ça demande des piliers. Moi j’aime bien planter des piliers qui permettent à l’imaginaire de travailler. C’est une grande boucle pour dire que j’aime bien faire deux choses en même temps sur scène, parce que je sais que ça génère une troisième chose.

Est-ce qu’une mélodie ou une musique peut faire naître un dessin et inversement ? Comment ça fonctionne chez vous ?

A.S : Le dessin génère souvent du texte, le texte génère du dessin. Moi, je fais plutôt des connexions entre le goût et le son par exemple. Selon moi, le citron, ça va être aigu. La crème fraîche ou l’huile, c’est grave, mais pas parce que c’est gras. Je classifie. Comme les fréquences, comme les couleurs aussi, il y a des fréquences avec les couleurs. Pour moi, le rapport entre le son et le goût, c’est d’ailleurs un truc sur lequel j’aimerais bien travailler. J’en ai parlé à Alexandre Gauthier qui est un chef cuisinier, un grand chef étoilé. Je trouve que ce serait intéressant de mettre en son la cuisine.

Quand tu croques dans un plat ou dans ce qui vient, il y a de la matière, donc il y a du son avec la matière, mais il y a aussi le goût. Si c’est acide, amer, pour moi ça va être aigu, medium, nasillard : je vois des sons. Alexandre, le chef en question, ça ne lui a pas parlé plus que ça. Mais je reviendrai à la charge parce que ça me semble vraiment intéressant. J’ai envie de proposer un jour, que quand il pose une assiette, tout le monde ait la même et commence à manger en même temps, et que moi, je fasse le son de ce que les gens mangent. J’aimerais bien, il faut les bons instruments, le dispositif. Je ne fais pas le lien entre le dessin et la musique. Je n’ai pas de sons qui apparaissent avec le dessin et inversement. Pour moi, la connexion n’est pas là.

Pensez-vous, après votre livre, poursuivre l’entrelacement du dessin et de la musique avec un film par exemple ? Est-ce que ça vous intéresserait d’écrire un film?

A.S. : Non, je ne pense pas. Mon livre n’est pas un un développement temporel, ce sont des tranches. Comme des photos, ce sont des dessins avec un texte qui sont autonomes les uns des autres et qui, mis bout à bout, font un livre. D’ailleurs, je suis classé en littérature, ce qui me surprend, parce que je n’ai pas l’impression de faire de la littérature. Je ne sais pas développer dans le temps. Je fais des chansons, c’est court. Je fais des dessins, des petites nouvelles à la limite. De même que je ne fais pas de bande dessinée, je ne me vois pas développer une histoire, je ne sais pas faire ça. Un film c’est quand même lourd, il faut avoir une vocation puissante. À moins qu’elle naisse là, mais c’est un peu tard quand même, peut-être pour moi. J’imagine que ça n’arrivera pas.

À vos yeux et oreilles, quelles sont les émotions que provoquent un festival de cinéma ou de musique ? Qu’est-ce qui leur est commun ? Qu’est-ce qui les différencie ?

A.S. : Ce n’est quand même pas pareil du tout, je trouve. Il y a des festivals de musique classique, des festivals de musique bretonne, des festivals d’électro, qui eux-mêmes n’ont rien à voir les uns avec les autres. En tout cas, il y a quelque chose qui est sûr, c’est que dans un festival de musique, en général, il y a une performance live avec des gens sur scène qui font quelque chose dans l’instant et qui agitent émotionnellement un certain nombre de personnes en face. Tout ça est instantané.

Le cinéma est indirect. Ce sont des productions lourdes sur des projets qui sont en place depuis cinq ans avec 200 personnes engagées. Au moment où on arrive dans un festival, le truc est déjà fini complètement, les comédiens ont déjà tourné trois autres films. C’est très indirect. J’ai du mal à y voir un lien en dehors du fait que les publics viennent là par amour pour la musique ou par amour pour le cinéma et que c’est super de réunir les gens. Le point commun, c’est qu’on vient pour un truc et on en découvre un autre souvent. On vient pour un court-métrage, on en découvre huit. On vient pour un concert, on en découvre quatre avant et après. C’est vraiment super pour ça. Et puis les gens se retrouvent et ne font pas ça dans leur coin chez eux, ça, j’aime bien.

Après dans les festivals de cinéma, il y a souvent le côté prix, concours bon, ça c’est un autre trip. La part de concurrence, l’existence des prix, l’attente de savoir qui va gagner, c’est beaucoup d’angoisse pour tout le monde. Pourtant, cela ne m’a pas empêché de participer à des jurys. Néanmoins, je ne suis pas un très bon client pour les festivals en général. Je ne vais pas de moi-même aux Vieilles Charrues, en plein cagnard, regarder un concert au milieu de 100 000 personnes. Ce n’est pas mon truc, mais je trouve ça super. Mais pour les autres.

Vous avez collaboré avec un grand nombre d’artistes. Vous venez du jazz et avez rendu hommage aux incontournables de la chanson française : Alain Bashung, Barbara, Françoise Hardy. Est-ce que vous avez d’autres influences, par exemple au niveau de la musique en cinéma, vous avez parlé lors de votre conférence de Michel Legrand, Gabriel Yared, Ennio Morricone aussi…

A.S. : Beaucoup Morricone. Ce sont des influences, mais pas tant pour la musique de films, comme que je n’en fais quasiment pas. Tout ce que j’écoute me nourrit. Je dirais Jerry Goldsmith aussi, Wojciech Kilar, dont j’ai beaucoup aimé la musique de Dracula. Il y a des musiques de films qui m’ont vraiment marqué. Goldsmith en a =fait un paquet, notamment une que j’aime particulièrement, celle de Basic Instinct. Même si le film est un peu douteux à revoir maintenant, cette musique m’avait complètement envoûté. J’aime bien l’idée que quelque chose qui a été créé à dessein, pour cohabiter avec de l’image, avec du sens, une l’histoire, puisse être complètement enlevé et être écouté comme œuvre à part entière.

C’est quand même magique, c’est magnifique, parce que ce sont souvent des musiques qui laissent une petite place aussi à l’imaginaire. Comme elles sont censées laisser la place à l’image, aux voix, il y a des trous dans cette musique. En même temps, elles doivent être assez caractéristiques, avoir beaucoup de caractère.
C’est intéressant que des réalisateurs et des producteurs appellent des musiciens qui ont un style marquant. C’est la même chose que lorsqu’ils appellent des acteurs qui vont rester la personne qu’ils sont, qui ne peuvent pas complètement se travestir, qui ne peuvent disparaître derrière leur rôle. Ils arrivent et ils imposent leur personnage. La musique peut aussi avoir de la personnalité, Ennio Morricone par exemple avec sa guimbarde, forcément, on le reconnaît tout de suite.

En termes d’animation, quelles sont vos références pour le dessin ?

A.S : J’ai l’impression que tout m’influence un peu, que je suis une espèce de passoire, je n’ai pas un style défini dans mon dessin. Je peux être très influencé par le cinéma, le dessin, les paysages que je vois, les dessinateurs. J’ai beaucoup été au Japon. L’art japonais m’influence autant dans la cuisine que dans le textile. C’est en moi tout le temps. Au Japon, historiquement, ils dessinent au trait. Là où, en France, le trait, c’était pour les croquis. La peinture, c’est tout de suite des masses, il n’y a pas de contours tandis que le Japon traditionnel est beaucoup plus proche de la BD. Tout ça se brasse et me touche.

Flow de Gints Zilbalodis, avec ce sublime chat, ces paysages incroyables a changé ma façon de penser à un chat, lorsque j’en vois un. Tout se mélange. Je passe mon temps à penser dessin. Quand je regarde un truc, je vais me dire : « Est-ce que c’est dessinable ? Est-ce que ça aurait un sens ? ». Comme un photographe verrait tout de suite un cadre avec ce qui est intéressant. Je vois ce qui est dessinable, ce qui m’inspire, ce qui me donne envie de dessiner.

Y a-t-il eu un film d’animation qui a été fondateur pour vous ?

A.S. : Une très bonne amie de ma mère est la fille de John Halas et Joy Batchelor, qui ont fait La ferme des animaux en 1954, un film cultissime. Ils ont fait aussi un clip, qui a été très connu, qui s’appelle Love is all. C’est une grenouille qui joue du banjo et qui chante (il chantonne l’air). C’est une chanson à la Beatles, le clip est un tube. Les Halas et Batchelor, ça m’a toujours été familier, parce que ce sont les parents de Vivien Halas, qui est une amie très proche de ma mère. C’est elle qui, dans les années 1970, a ramené à la maison Les Barbapapa en disant : « Tiens, c’est vachement bien ! ». Mes parents trouvaient ça un peu nul, mais moi j’ai tout de suite flashé. Pour moi, c’est très fondateur, dans mon amour pour la couleur, j’en suis la preuve vivante. Je vénère vraiment Les Barbapapa autant graphiquement que pour la musique. Comme je disais tout à l’heure, plus on prend du recul dessus, plus on voit que c’était beau, simple, bien-pensant, mais dans le bon sens du terme, généreux. Comme ce que devrait être une religion et ce que ne sont pas les religions, à part dans les écrits. C’est beau, c’est riche, c’est vertueux, c’est plein d’imaginaire, ça prône la diversité, c’est féministe, c’est écolo, c’est tout ce qu’on veut, c’est super.

Quels sont les artistes émergents de la scène musicale qui vous intéressent ?

A.S. : Il y a un disque que j’ai beaucoup écouté ces derniers temps d’un jeune chanteur qui s’appelle Claude, que je ne connais pas, je ne l’ai jamais rencontré. Il roule les r, cette espèce de petit tic un peu hérité de Stromae, de Jacques Brel sans doute. Enfin, il roule du fond de la gorge, pas comme les Italiens, je ne sais pas comment il fait. Mis à part ça, ça me touche beaucoup, les paroles qu’il écrit, les musiques, c’est très actuel, très jeune, très électro, pas du tout le genre de musique que je fais, mais je me reconnais complètement dans ce qu’il dit, dans sa façon de chanter, ça me plaît. J’aime beaucoup le travail de Voyou, un de mes amis, c’est un chanteur qui joue de la trompette aussi et qui fait des disques, il est super. J’aime Pi Ja Ma et November Ultra aussi. Allez faire un saut voir ces gens-là, ce sont des gens chouettes.

Avec qui rêvez-vous de travailler ?

A.S. : On me pose des fois la question et j’ai pris l’habitude de répondre un truc qui est globalement ce que je pense. J’ai eu tellement de surprises, j’ai tellement détesté bosser avec des gens avec qui je rêvais de bosser et inversement. J’ai eu des surprises hallucinantes avec des gens qui ne m’intéressaient a priori pas beaucoup. J’ai vécu de très grands moments d’enregistrement de musiques par exemple sur des albums que je n’ai jamais réécouté après parce que ce n’est pas ma came au résultat, mais c’était génial à faire, où l’expérience était fabuleuse. Je reste ouvert à tout. En tout cas, ça ne va pas forcément être David Bowie. Plutôt, peut-être, quelqu’un que vous ne connaissez pas. Il y a des gens effectivement, dont j’adore le travail, que j’ai l’impression de pouvoir servir dans leur musique. C’est dans ce cas-là que je ressens une insatisfaction et je me dis : « Ah, j’aurais bien aimé lui proposer ça, parce que ça remplirait quelque chose qui me manque alors que j’aime tellement cette personne ».

Je suis un peu fan par exemple de Damon Albarn, l’ancien chanteur de Blur, qui fait aussi des projets avec des Africains. C’est quelqu’un qui m’inspire et qui m’attire et j’aimerais bien être lui en fait. Parfois, je me dis ça, c’est fait pour rester dans ma tête. Ça ne sert à rien parce que c’est sûrement un gars qui prend toute la place, et à quoi bon collaborer avec quelqu’un à qui on n’a rien à apporter ? Collaborer pour faire quoi ? Pour qu’il me dise quoi faire ? Ça ne m’intéresse pas non plus. On peut admirer des gens, mais on n’a plus grand-chose à leur apporter.

Quelles sont vos envies ?

A.S. : J’ai une devise qui que je répète à qui veut l’entendre, c’est : « Mieux qu’hier et moins bien que demain ». C’est quelque chose qui me guide au quotidien. Je passe mon temps à essayer de faire en sorte que demain soit mieux qu’hier et comme ça, pas de regrets, jamais. Je pense que demain, je vais pouvoir encore résoudre des trucs. Pourtant, je vieillis, il y a des trucs qui se mettent à partir un peu en cacahuète, le corps, tout ça vieillit et c’est chiant. Mais par contre, ma vie est de mieux en mieux, toujours. J’essaie d’améliorer, de régler les problèmes, de ne pas rester sur les positions qui m’alourdissent. Ça me permet de ne pas être nostalgique, de regarder dans le passé mais en continuant à regarder devant, plutôt comme un rétroviseur. Est-ce que j’ai des envies ? Que ça continue comme ça. Je ne veux surtout pas subir un « moins bien qu’hier et mieux que demain». Ça, ce serait l’enfer. Si j’arrive à me dire : « Merde, c’était mieux hier », là je crois que je déprimerais. Mon but est de ne pas déprimer, d’en avoir encore sous la main et de continuer à explorer ce que j’ai, ce qui peut me faire progresser.

Propos recueillis par Lou Leoty

Rob : « Je crois beaucoup au pouvoir de la frustration comme un véhicule de désir »

Au festival du film d’animation de Rennes qui vient de s’achever, Robin Coudert alias Rob, compositeur proche de l’électro qui habille autant le cinéma que la série, a été membre du jury de la création professionnelle. Il animait une Master class autour de son travail dans le cadre du fil rouge consacré à la musique et aux voix dans le film d’animation. Lors d’un entretien désinvolte et généreux, du haut de sa grande silhouette filiforme, il conte son amour pour Les Mystérieuses Cités d’or et Moebius, ses envies d’un monde plus inclusif et de lendemains plus chantants.

© Lucie Belarbi

Format Court : Vous avez suivi des études aux Beaux-Arts, mais vous avez poursuivi dans la musique. Le passage par les arts plastiques a-t-il influencé votre travail ? Quel lien gardez-vous avec les arts plastiques ?

Rob : J’étais peintre et graveur, ce que m’ont surtout appris les Beaux-Arts, c’est l’accompagnement de mon travail de création par un discours. D’être capable de raconter ses intentions, d’expliquer d’où ça vient, ce qu’on anticipe, les projets, les mettre en forme, comme je suis en train de le faire en cet instant. Ça m’a appris à raconter une histoire autour de mes œuvres, à vendre ma camelote. Mon approche musicienne puise énormément dans la pratique que j’avais en tant que plasticien. Je ne cherche pas du tout une approche musicienne qu’il faudrait définir avant de la balancer à la poubelle. Je ne suis pas spécialement intéressé, par exemple, par l’idée d’avoir de bons musiciens, par la virtuosité, par ces choses-là. En revanche, j’attache une grande importance à l’expressivité, à puiser dans ses émotions, dans ses sentiments. Je crois que c’est assez notable quand on écoute ma musique. Comparé à d’autres compositeurs, je n’ai pas une approche virtuose ni musicienne, et d’ailleurs, ne suis pas un compositeur au sens académique du terme. Je n’utilise pas spécialement de partitions, en tout cas, je ne travaille pas à partir d’elles. Ma musique est improvisée avant d’être écrite.

Vous travaillez régulièrement pour le cinéma, cela renoue avec votre envie de raconter des histoires autour de votre musique. Vous avez eu une collaboration très prolifique avec Rebecca Zlotowski. Vous avez soutenu plutôt des films d’auteurs, comme le premier film de Coralie Fargeat, Revenge. Cela ne vous empêche pas de travailler sur des séries très identifiées comme Le Bureau des Légendes. Avez-vous des critères particuliers pour accepter de travailler sur un projet ?

Rob : Je suis très instinctif. Cela va être principalement un travail de communication avec le créateur ou la créatrice du projet. Je m’attache donc à la qualité de la relation que j’arrive à nouer. Ça passe par les fluides, l’interaction. Est-ce qu’on sent qu’on va pouvoir communiquer ? Et puis après, il y a l’importance de la qualité de cette communication. Est-ce qu’on emploie les bons mots, ceux avec lesquels on sent qu’on se comprend ? Une des grandes difficultés quand on est compositeur, c’est celle de créer un langage pour le film. C’est souvent parce que les scénaristes, les réalisateurs sont des gens qui sont des gens de langage, mais qui maîtrisent assez peu le langage musical. Mon travail souvent, c’est de convertir leurs idées en matière musicale. Et ça, ça exige une sorte de connivence et une confiance. Ce serait un des critères, je dirais, de choix. Est-ce que je vais pouvoir acquérir la confiance de mon interlocuteur ou de mon interlocutrice ? Ce n’est pas si simple, parce que ce sont des gens qui sont habitués à être des sortes de tyrans sur le plateau, et qui eux-mêmes ont été tyrannisés puisqu’ils ont dû se battre pendant des années pour vendre et défendre leurs projets. Ce sont des gens qui sont à la fois traumatisés et traumatisants, ce qui est le cas des traumatisés d’ailleurs. Moi dans tout ça, j’agis un peu comme une sorte de psychanalyste qui utiliserait l’art-thérapie, la musicothérapie pour transformer leurs traumatismes, si possible, en cinéma de qualité. Évidemment, aussi, je m’intéresse au projet, c’est purement instinctif pour le coup. Est-ce que ça me fait kiffer ? Est-ce que j’ai l’impression que je vais pouvoir aussi sortir quelque chose de moi-même qui va élever le film ?

À vos yeux et oreilles, quelles sont les émotions que provoque un festival de cinéma ou de musique ? Qu’est-ce qui leur est commun ? Qu’est-ce qui les différencie ?

Rob : Dans les deux cas, je dirais que ce qui pousse les gens à venir là, c’est le sentiment de communauté, de collectivité et de sentir qu’on est réunis autour d’un amour commun pour les œuvres, pour les créateurs aussi, pour les rencontrer. C’est une expérience collective. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus fort dans les festivals, et évidemment, c’est aussi porté par une grande curiosité. C’est le moment où on est censé avoir les chakras grands ouverts pour découvrir des œuvres, des artistes, pour participer à des échanges. Ce sont quand même des valeurs extrêmement vertueuses et très belles qui manquent probablement dans notre société, dans une vie quotidienne : l’échange, la curiosité et la collectivité. C’est tout ce qu’on aimerait pour que le monde aille mieux, peut-être que le festival est un lieu pour ça. Il y a évidemment l’envers du décor et on sait que ce n’est pas si simple, mais en tout cas, il y a une utopie derrière tout ça qui me touche particulièrement.

Quelles sont vos influences dans votre travail pour la musique de cinéma ? Vous êtes proche de l’électro, quelqu’un comme Giorgio Moroder a-t-il compté ?

Rob : J’adore Moroder. Il y a plein de compositeurs d’électro effectivement que j’adore. Tangerine Dream, même d’une certaine façon Vangelis, François de Roubaix même plus lointain, Jean-Michel Jarre, Trent Reznor, Oneohtrix Point Never (Daniel Lopatin), un compositeur génial qui fait toute la musique pour les frères Safdie. Ce sont des gens que j’apprécie énormément, mais je dirais que mon influence principale vient plutôt de la peinture, de la littérature, pas spécialement de la musique ou du moins pas de la musique de film. J’aime m’inspirer de tout autre chose et essayer de transformer ça, de me le réapproprier d’une façon ou d’une autre et de le digérer, le recracher, en tout cas sous la forme de musique de film. Je trouve que c’est plus fertile de faire ça. Même si je suis fan d’Ennio Morricone, c’est hors de question pour moi d’essayer de faire du Ennio Morricone : ce serait pitoyable.

Y a-t-il un film d’animation qui a été fondateur pour vous ?

Rob : Absolument. C’est un film qui s’appelle Les Maîtres du temps, de René Laloux et de Mœbius qui doit dater de 1982. C’est un film de science-fiction métaphysique typiquement dans l’univers de Moebius, dans la trilogie de Laloux avec La Planète Sauvage et Gandahar. C’est un peu dans la lignée des films d’animation français des années 1970-80 extrêmement poétiques, un peu planants, clairement psychotropes. C’est vraiment la drogue qui est l’influence principale. Je l’ai vu enfant et ça m’a traumatisé dans les deux sens du terme parce qu’il y a une scène avec des frelons géants et qui a développé chez moi une phobie des frelons. Par ailleurs, il y a un côté hyper doux, contemplatif, avec une histoire de temps qui se replie sur lui-même. On sent que déjà à l’époque, évidemment, les histoires de physique quantique imprégnaient la science-fiction. Ça me plaisait beaucoup. Et Mœbius était proche d’Alejandro Jodorowsky, j’ai travaillé par la suite avec lui et je travaille avec son fils, Adan, on a fait la musique de son film.

Il y a évidemment tous les dessins animés qui ont bercé mon enfance puisque je suis né en 1978. Les premiers dessins animés japonais importés par Antenne 2 à l’époque, j’en suis tombé à la renverse : Les Mystérieuses Cités d’or, Princesse Sarah, tous ces films hyper émotionnels, avec beaucoup d’aventures ainsi qu’une direction artistique très forte à chaque fois. Je peux citer la musique notamment, celle des Mystérieuses Cités d’or, de Shuki Levy qui est un compositeur israélien qui a émigré aux États-Unis. Il a été le premier, selon moi, à utiliser dans les dessins animés une musique synthétique avec vraiment tous les synthés que je collectionne aujourd’hui, ils viennent de là. Quand tu les réécoutes aujourd’hui, tu comprends mieux Kavinsky, toute la French Touch, c’est exactement les mêmes sons. Pour les Daft Punk c’est la même chose. Je vois bien que nous, toute cette génération, sommes influencés par ça. D’ailleurs, eux, ils ont demandé au fondateur, au créateur d’Albator de faire leur film. C’est dire à quel point nous sommes marqués. L’animation est au cœur de mon inspiration, mais je dirais inconsciente, liée à la petite enfance.

Vous naviguez entre vos projets personnels, la scène, notamment pour Phoenix et la composition pour le cinéma ou la télévision. Comment trouvez-vous votre équilibre ? Qu’est-ce qui vous plaît le plus ?

Rob : Mon équilibre, je le trouve magnifique. Comme artiste, je me sens extrêmement chanceux et comblé de pouvoir avoir à la fois le loisir d’être avec mes meilleurs amis, Phoenix, sur scène, et de faire des tournées internationales, et en plus, de ne même pas subir la pression du succès, puisque c’est eux qui l’ont. Je suis juste là comme un accompagnateur, c’est joyeux, c’est formidable. En même temps, j’ai l’espace, mon studio parisien qui est comme un laboratoire, presque un atelier. C’est exactement à la manière d’un atelier pendant la Renaissance : il y a une équipe qui travaille, on se délègue, on partage, on communique, on travaille à des grands œuvres ensemble. C’est quand même incroyable d’avoir cet équilibre-là. Par ailleurs, j’ai des projets personnels, de plasticien, je fais des installations, de la photographie, tout ce qui me passe par la tête. Je produis des disques pour d’autres artistes, je fais de la pop, je sors des albums. J’ai bien peur d’être bienheureux. Ce qui est vraiment suffisamment rare pour être évoqué.

Quels sont les artistes émergents de la scène musicale qui vous intéressent le plus ?

Rob : Il y a une artiste, je vais la citer parce que ça concerne à 100 % ce qu’on fait ici, c’est Oklou. Je travaille en ce moment avec elle à la musique d’In waves, sur l’adaptation du roman graphique d’AJ Dungo en animation par Phuong Mai Nguyen. Ce sera un long-métrage d’animation qui sortira l’année prochaine. C’est la première fois que je travaille pour un long-métrage d’animation, et c’est plus qu’un honneur, je fonds, littéralement, parce que je suis archi fan de son deuxième album que j’ai découvert qui s’appelait Galore. Depuis, je l’ai rencontrée et elle a accepté de collaborer avec moi à la musique de ce long-métrage. Je suis amoureux de sa musique et de son personnage, de ce qu’elle véhicule.

J’adore Oneohtrix Point Never, qui est un artiste américain complètement barré, qui d’ailleurs a bossé aussi avec Oklou, qui est une espèce d’Aphex Twin mais un peu plus émotionnel et qui travaille pour le cinéma, c’est vraiment un mec génial. J’avais aimé Disasterpeace qui avait fait la musique pour It Follows, un film d’horreur américain sorti il y a quelques années. Je trouvais que c’était une électro très précise, très violente, et en même temps hyper planante. Les mots me manquent, quand on me demande ce que j’écoute ou ce que j’aime aujourd’hui, je crois que je n’ai pas un rapport exactement comme ça avec mes contemporains. J’ai l’impression que je suis dans la découverte permanente, mais j’oublie instantanément tout ce que je découvre. C’est un peu particulier. Je crois que je suis aussi extrêmement habité par la création permanente et ça me met un peu à distance, quelque part, de ce que font les autres. Je n’écoute pas beaucoup ce que font les autres tellement je suis happé par mon propre désir d’être en création moi-même.

Vous aviez commencé un projet inspiré par Les Évangiles, Le Dodécalogue, vous en avez fait la moitié. Il est resté inachevé à la fermeture du label. Est-ce que vous pensez que vous allez le reprendre un jour? Est-ce que vous en avez envie ?

Rob : Non, parce que j’aime bien le caractère inachevé. Je trouve que ça se prête très bien à la liturgie. Ce qu’on aime dans les cathédrales, c’est quand elles sont à moitié abandonnées. L’incendie de Notre-Dame, c’était un des plus beaux événements de ces dernières années. C’est très beau de voir la foi s’ébranler. En cela, laisser Le Dodécalogue inachevé, même si ce n’était pas le projet initial, c’est beau. Je prends le destin comme il vient et je trouve que c’est très beau de se dire : « Voilà, on en reste là ». Je sais qu’il y a une frustration et par ailleurs, je crois beaucoup au pouvoir de la frustration comme un véhicule de désir. Mais la suite existe. J’ai régulièrement des demandes. Je me dis ce genre de choses parfois, que quand je serai vieux et que des jeunes viendront me chercher en me disant : « Mais attends, c’était génial ! ». Peut-être, alors, que je craquerai. Parce que j’aurai besoin d’argent.

Avec qui rêvez-vous de travailler?

Rob : Je ne suis pas fan dans la vie. J’ai particulièrement, je crois, une certaine aversion à l’idée de rencontrer des gens que j’admire parce que j’ai peur d’être déçu, je sais qu’il faut faire la part des choses entre la personne et l’œuvre, n’est-ce pas ? On l’a bien compris depuis quelques temps. Je ne tiens pas spécialement à savoir ce qui se passe dans la tête de Michael Nyman. Je le cite parce que lui, je l’ai rencontré. J’adore éperdument sa musique, mais, tout d’un coup, je me suis trouvé en face de lui et je n’avais rien à lui dire. Ça n’a aucun intérêt de dire : « J’adore ce que vous faites ». Ce n’est pas le début d’une conversation. Cela peut arriver si on est amenés à jouer ensemble. Il y a des personnes que j’ai appris à aimer après la rencontre, à comprendre leur œuvre, à rentrer dedans. Mais je ne formule pas le souhait de rencontrer une personne en particulier.

Et d’ailleurs, je n’ai aucun nom qui me vient spécialement en tête. Les plus belles œuvres de ceux que j’admire sont derrière eux. Je pense à Polanski par exemple. Il faut faire la part entre l’homme et l’œuvre, mais je n’ai aucune envie de travailler avec Polanski. Et pourtant, ses œuvres de jeunesse ont bercé et continuent d’alimenter mes fantasmes de cinéma. Pour autant, je ne me vois pas assis dans une salle de montage avec lui, je pense que c’est trop tard. C’est un autre sujet, mais si on parle de #MeToo, typiquement, j’ai le rêve un peu comme celui de Tarantino lorsqu’il assassine Charles Manson ou Hitler pour se venger de l’histoire. Je rêverais de réécrire l’histoire. J’aimerais que Polanski prenne la parole et dise : « Voilà ce qu’il s’est passé, je suis coupable. J’ai violé cet enfant et voilà ce que j’ai traversé. Je fais mon mea culpa et c’est important que les hommes puissants comme moi prennent la parole et ouvrent leur cœur pour dire que le monde doit changer ». Je rêverais qu’un Polanski fasse ça. Je me dis qu’il a le talent et l’intelligence suffisante pour le faire. Je suis déçu parce qu’il ne le fera pas.

Il n’aurait pas tourné J’accuse, mais Je m’accuse.

Rob : Mais exactement, il a fait J’accuse. Ça, c’est problématique. Il fait le réac. Et il ne bouge plus. On voit bien que le monde ne change pas.

Quelles sont vos envies ?

Rob : La reconnaissance du travail des femmes et de l’acceptation de l’altérité dans le monde du cinéma, dans le monde de l’art et dans celui des relations humaines en général, c’est quelque chose qui me touche aujourd’hui. J’ai 46 ans, je suis en pleine crise de la quarantaine. C’est un sujet qui me travaille, en tant qu’homme créateur qui a réussi, qui est reconnu aujourd’hui dans son milieu, qui prend une certaine place dans le débat. Je sens que c’est un devoir pour moi de prendre la parole. On m’interviewe aujourd’hui, on me pose des questions. J’aimerais dire : « Alors, mes confrères, chers hommes, soyons moins cons, cédons la place, ouvrons le débat, prenons moins de place et essayons d’ouvrir les portes ». J’ai un studio où j’accueille le plus possible d’artistes, des étudiants, des stagiaires, je propose les outils pour que quiconque a besoin de travailler puisse le faire, et j’essaie d’ouvrir les portes le plus possible et d’essayer, contrairement à ce que je fais là, de fermer un peu ma gueule pour que d’autres puissent prendre la parole. Je vois la chance que j’ai eu, moi, quand j’ai commencé. Je veux qu’aujourd’hui d’autres puissent la saisir.

Propos recueillis par Lou Leoty

Cannes 2025, la sélection des courts et de La Cinef

Dernière sélection très attendue du côté de Cannes, celle des courts et des films de la Cinef, dévoilée aujourd’hui. Sur 4 781 films, 11 courts métrages font partie de la compétition cette année. Du côté de la Cinef, ce sont 16 films (sur 2700 candidatures présentées par les écoles de cinéma à travers le monde) qui font partie de la sélection 2025.

Le Festival de Cannes a également annoncé son Jury unique pour attribuer  la Palme d’or du court métrage ainsi que les 3 prix de La Cinef : Maren Ade (réalisatrice, scénariste et productrice), Reinaldo Marcus Green (réalisateur, scénariste et producteur), Camélia Jordana (auteure-compositrice-interprète), José María Prado (producteur, photographe et ancien Directeur de la Filmoteca Española) et Nebojša Slijepčević (réalisateur et scénariste, Palme d’or du court l’an passé pour The Man Who Could Not Remain Silent).

Compétition courts métrages

Arguments in favor of love (Disputes en faveur de l’amour), de Gabriel Abrantes
Ali d’Adnan Al Rajeev
Im glad you’re dead now, de Tawfeek Barhom
Agapito, d’Arvin belarmino et Kyla Danelle Romero
Fille de l’eau, de Sandra Desmazières
Hypersensible, de Martine Froissard
Dammen, de Grégoire Graesslin
The spectacle, de Bálint Kenyères
Nvhai (Filles) de Zhaoguang Luo et Shuhan Liao
A solidão dos lagartos, d’Inês Nunes
Aasvoëls (Vautours), de Dian Weys

La Cinef

O pássaro de dentro, de Laura Anahory
Per bruixa i metzinera, de Marc Camardons
Tres, de Juan Ignacio Ceballos
Matalapaine, de Helmi Donner
Bimo, de Oumnia Hanader
Talk Me, de Joecar Hanna
First Summer, de Heo Gayoung
Måske i marts, de Mikkel Bjørn Kehlert
Winter in March, de Natalia Mirzoyan
My Grandmother is a Skydiver, de Polina Piddubna
12 Moments Before The Flag-raising Ceremony, de Qu Zhizheng
Ether, de Vida Skerk
Fursecuri si lapte, de Andrei Tache-codreanu
Ginger Boy, de Miki Tanaka
A Doll Made up of Clay, de Kokob Gebrehaweria Tesfay
Le continent somnambule, de Jules Vésigot-Wahl

Festival d’animation de Rennes 2025

Une peau qui ondule entre le bleu et le vert arbore un immense œil dont la pupille irradie. Juchée au ras de ses cils, une kyrielle de petits personnages truculents exulte : c’est ainsi que se découvre cette nouvelle édition du festival du film d’animation de Rennes. Le ton est donné par l’affiche : de la couleur, une envie de regarder, et une joie certaine pour ce nouveau rendez-vous du 22 au 27 avril 2025.

Depuis 2010, le festival chante les louanges de l’animation, dont la France est un incroyable vivier. Cartographie de ce qui se fait de plus novateur dans l’animation française, il embrasse autant le jeune public que les adultes, transcendant ainsi le stéréotype d’une forme qualifiée à tort d’enfantine. Cette année, Rennes propose dix compétitions de courts-métrages, qui reflètent la grande vitalité de la production française contemporaine, scrutées par deux jurys : l’un pour la création étudiante et l’autre pour la création professionnelle. Au-delà de ses compétitions, le festival offre par ailleurs un fil rouge qui invoque l’ouïe autant que le regard, avec une attention particulière envers la musique et les voix. Pour ce faire, il fera résonner des rencontres et des masterclasses de professionnels. Rennes accueillera dès lors des invités de prestige, parmi lesquels Jean-François Laguionie, qui présentera le Tableau, et Albin de la Simone, compositeur et dessinateur dont les deux domaines sont entrelacés dans cette nouvelle édition.

L’éclectisme dont se targue le festival passe aussi par l’écoute des échos de la création à la marge, avec des séances spéciales autour du genre, de l’expérimental, des clips, des films bricolés. Rennes fait la part belle autant à la maîtrise virtuose qu’aux trouvailles de l’artisanal. Attentive aux savoir-faire, cette nouvelle édition regorge d’ateliers et de parcours techniques afin de poursuivre la transmission des compétences de l’animation.

Le panorama s’étoffe également des grands succès de l’année avec des longs-métrages d’animation très porteurs comme La Plus Precieuse des Marchandises et Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau. Des succès qui assurent la pérennité de l’animation française, au premier rang de l’Europe, et encouragent à scruter les traits qui feront les attraits de demain. Notre équipe vous fera part de ses éblouissements au cœur du festival breton. Bevet Breizh !

Lou Leoty

Retrouvez dans ce focus :

Surgissements et tremblements : Coup de projecteur sur le festival d’animation de Rennes

L’interview du musicien et auteur Albin de la Simone

L’interview du compositeur et musicien Rob

Quinzaine des Cinéastes 2025, les courts et moyens-métrages sélectionnés

La Quinzaine des Cinéastes, l’une des sections parallèles du Festival de Cannes, a annoncé ce mardi matin sa sélection de longs et de courts. Voici les 10 œuvres courtes et moyennes retenues sur 2634 films reçus pour cette édition 2025.

+10K de Gala Hernández López
Loynes de Dorian Jespers
Nervous Energy de Eve Liu
Bread Will Walk (Le pain se lève) de Alex Boya
La mort du poisson d’Eva Lusbaronian
Cœur Bleu (Blue Heart) de Samuel Suffren
The Body de Louris van de Geer
Before the Sea forgets de Ngọc Duy
Lê Karmash (کرمش) de Aleem Bukhari
When the Geese Flew d’Arthur Gay

Les interviews filmées du Festival Format Court 2025

Le Festival Format Court est terminé (mais se poursuit encore un peu). Nous avons réalisé des interviews filmés de certains de nos invités, avec le soutien de trois étudiantes de l’EICAR : Marie Sanchez Bueno, Maëva Dillou et Mahée Nari. Voici ces sujets, ajoutés au fur et à mesure de leur mise en ligne sur notre chaîne YouTube. N’hésitez pas à revenir faire un tour sur notre site, via cette actu : beaucoup de pros (comédiens, réalisateurs, sélectionneurs, techniciens) ont encore des choses à partager avec vous !

Vincent Macaigne : « Le cinéma permet d’aller chercher l’intime »

Parrain de la sixième édition du Festival Format Court, Vincent Macaigne revient sur ses débuts en tant qu’acteur grâce à « Un monde sans femme » de Guillaume Brac, réalisé en 2011. A l’occasion de sa carte blanche présentée ce mercredi 2 avril 2025 au Studio des Ursulines (Paris, 5), il a présenté le film de Guillaume Brac mais aussi « Ce qu’il restera de nous », son propre film, tourné également en 2011. En entretien pour Format Court, il revient sur son attachement au court, la rencontre artistique et l’éclairage des oeuvres en festival.


Constance Rousseau : « Il n’y a pas de rupture entre le tournage et la vie »

Lors de notre soirée d’ouverture, nous avons rencontré Constance Rousseau, interprète de Juliette dans « Un monde sans femmes » de Guillaume Brac. Elle revient pour nous sur la construction de ce film, les liens entre les acteurs qui s’y sont noués, les avantages des lieux de tournage. Cette expérience étant proche de ses débuts dans le cinéma, c’est également l’occasion d’aborder son parcours d’actrice et sa manière de voir les castings.


Rebecca de Pas : « Qu’est-ce que ça veut dire, bousculer les conventions aujourd’hui ? »

A l’occasion de la séance dédiée à Rotterdam, diffusée ces derniers jours au Festival Format Court, avec le soutien de l’Ambassade des Pays-Bas, nous avons invité trois cinéastes, un producteur et une programmatrice à venir parler de cinéma au Studio des Ursulines. Rebecca de Pas, programmatrice de courts mais aussi de longs à Rotterdam, dont la dernière édition a eu lieu fin janvier, s’intéresse aux visions fortes des cinéastes et à leur façon de se renouveler. A l’opposé des festivals « tapis rouges », elle insiste sur l’engagement du public de Rotterdam, en quête de découvertes, de films introuvables dans les canaux classiques et les plateformes en ligne. Membre de comités de sélection depuis près de 20 ans (elle est passée par le FID, la Berlinale, Venise, le Festival du Film Environnemental de Paris, Visions du Réel, …), elle évoque certains changements qu’elle a constaté dans le milieu de la programmation, des festivals et de l’industrie.


Ambroise Pujo. Caméra en main

Lauréat du prix de l’image du 6e Festival Format Court pour « Tapage » de Joséphine Madinier, le chef opérateur Amboise Pujo évoque son parcours, ses inspirations et l’image qu’il défend.


Samir Guesmi : « Pour y arriver, le chemin est dur mais il est chouette »

Depuis un moment déjà, on a repéré Samir Guesmi. Que ce soit dans « Seule », le court-métrage de Érick Zonca qu’on a diffusé l’an passé au Festival Format Court dans le cadre de la séance consacrée à notre marraine 2024, Florence Loiret Caille, dans « Camille redouble » de Noémie Lvovsky, dans « L’effet aquatique » de Sólveig Anspach, .… La liste est longue. Élément intéressant : Samir Guesmi n’est pas qu’acteur, il est aussi réalisateur.

Son premier long-métrage, « Ibrahim », suit de quelques années (2020) son premier et seul court-métrage, « C’est dimanche ! » (2008). Ce film, nous l’avons programmé cette année au sein de notre séance Ville de Paris autour de la thématique « C’est quoi, grandir ? », aux côtés de 4 autres films. A l’occasion de cette soirée thématique, Samir Guesmi revient sur les souvenirs de tournage de son court-métrage, sa réception en festival, son intérêt pour la thématique père-fils (avec laquelle il a renouée avec « Ibrahim ») et sa drôle de rencontre avec Bruno Podalydès lors de la présentation de « C’est dimanche ! » face au Jury d’aide à la production de court-métrage de la Ville de Paris.


Amine Bouhafa : « Compositeur, c’est le dernier cinéaste et le premier spectateur d’un film »

Amine Bouhafa, compositeur de musiques de film et membre du jury de la 6e édition du festival Format Court, revient le temps d’un entretien pour Format Court, sur son parcours et la relation professionnelle entre un.e compositeur.ice et un.e réalisateur.ice. Il est à l’origine des compositions des films « Timbuktu » de Abderrahmane Sissako ou » Gargarine » de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh et à travaillé avec de nombreux.e.s réalisateur.ice.s telles que Katell Quillévéré ou Kaouther Ben Hania. Il nous raconte ses débuts avec le court, les moments forts de son métier, nous parle de ses projets actuels comme le prochain film d’Hafsia Herzi, « La Petite Dernière » (en sélection officielle à Cannes 2025), et partage aussi ses conseils pour les futur.e.s cinéastes et compositeur.ice.s cinéphiles.


Rémi Brachet. Accéder à l’émotion grâce aux formes documentaires

Lauréat du prix du public au Festival Format Court 2025, son film « Chère Louise » mélange fiction et geste documentaire afin de partager une histoire personnelle forte liée à son arrière-grand mère. Rémi Brachet nous explique le parcours effectué pour donner naissance à ce film particulier et sa manière d’utiliser l’imagination pour étoffer le réel afin d’en extraire une émotion qui parvient à toucher les spectateurs. Il nous parle également de l’importance de son équipe, de l’énergie de l’actrice Ariane Ascaride (qui campe Louise) et de sa relation avec Héloïse Pelloquet, monteuse, réalisatrice et compagne.


Bétina Flender : « Ce que j’aime dans l’interprétation, c’est de pouvoir sortir des clichés »

Elle repart du Festival Format Court 2025 avec le prix de la meilleure interprétation (son tout premier) pour son rôle de Loïs dans « Une fille comme toi » de Nathalie Dennes. L’occasion pour la jeune comédienne de partager sa vision du projet dans lequel elle s’est beaucoup impliquée, les parts d’elle-même qu’elle a pu apporter à son personnage, sa satisfaction de jouer une fille « qui ose » et d’apporter un regard décalé sur les rôles féminins.


Clara-Maria Laredo : « J’ai envie de tout ressentir, de tout vivre par le métier de comédienne »

L’actrice révélée dans « A son image » de Thierry de Peretti a fait partie du jury professionnel de notre 6ème Festival Format Court. De ses études en sciences politiques à ce premier rôle en phase avec ses engagements, elle raconte sa préparation à jouer la photographe Antonia qui a fait évoluer jusqu’à son rapport à l’image et à la caméra. Tout comme ses envies de sensations et de rôles multiples.


Boris Lojkine : « Lorsqu’on veut apprendre, on est forcément humble »

Multi récompensé pour son film « L’Histoire de Souleymane », Boris Lojkine était présent au Festival Format Court cette année à l’occasion de notre toute première Master Class qui lui était consacrée. Le moment était propice pour en apprendre un peu plus sur les idées et la vision de ce réalisateur agrégé de philosophie et formé par ses voyages.

Son cinéma a d’abord été documentaire lorsqu’il filmait son moyen-métrage « Ceux qui restent » ou son premier long « Les âmes errantes » au Vietnam où il a habité pendant un moment. Il s’est tourné ensuite vers la fiction avec « Hope  » (Semaine de la Critique 2014) et « Camille « (Locarno 2019) avant la reconnaissance plus officielle que « L’Histoire de Souleymane » (Un certain regard 2024) lui a apporté. Dans le cadre de cet entretien, Boris Lojkine nous explique l’importance de « l’autre » dans son travail, son envie de garder un œil curieux et ouvert sur les êtres, les histoires de vies. Il laisse enfin entrevoir sa manière de travailler, la proximité qu’il aime créer dans une équipe de tournage et la liberté que permet le cinéma à petit budget.


Cristèle Alves Meira : « Je veux continuer à faire des films avec ma vision d’auteur »

Invitée comme intervenante au Festival Format Court autour d’une table ronde à destination des réalisateur·ices et producteur·ices, la réalisatrice Cristèle Alves Meira, à l’origine de plusieurs courts-métrages et du premier long « Alma Viva », évoque la nécessité de passer et repasser par le court pour écrire. Elle revient aussi sur les exigences de la réalisation d’un long, les difficultés du métier mais aussi ses motivations pour continuer à faire du cinéma d’auteur.

Festival Format Court 2025, le palmarès !

La 6ème édition du Festival Format Court s’est achevée joyeusement ce dimanche 06 avril 2025 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), en présence de notre parrain, Vincent Macaigne, nos 3 jurys et les équipes de films primés.

Cette semaine, nous avons mis à l’honneur le cinéma dans sa grande et belle diversité à travers de nombreux rendez-vous : 4 séances compétitives, 4 thématiques (Vincent Macaigne, Ville de Paris, Festival de Rotterdam, Lynch), 2 rencontres professionnelles, une Master Class avec Boris Lojkine et notre tout premier Lab. 80 invités (réalisateurs, scénaristes, comédiens, producteurs, programmateurs, directeurs de la photographie, compositeurs, preneurs de son, critiques, ..) ont participé à cette nouvelle édition. On en est ravi !

36 films ont été programmés au festival, en présence de nombreux spectateurs : près de 800 personnes ont assisté au festival, merci à eux !

Les 18 films sélectionnés cette année en compétition officielle ont été évalués par nos jurys. Un Prix du public a également été attribué par les spectateurs qui ont voté à l’issue de chaque séance pour leur film favori. Enfin, un pot de clôture a succédé à la remise des prix de cette sixième et fabuleuse édition !

Palmarès

Jury Professionnel

Composition : Clara-Maria Laredo (comédienne), Félix Kysyl (comédien), Jeanne Lapoirie (cheffe opératrice), Amine Bouhafa (compositeur) et Koya Kamura (réalisateur)

Grand Prix : Adieu Tortue de Selin Öksüzoğlu. Dotation de 1 000 € remis par Format Court

Prix du scénario : Un Hijo & un Padre de Andres Ramirez Pulido. Deux consultations de scénaristes dotées par La Cité européenne des Scénaristes (valeur 800€)

Prix de l’image : Ambroise Pujo pour Tapage de Joséphine Madinier. Prêt de matériel lumière doté par Transpa pour un prochain tournage (valeur 1 500€ HT)

Prix de la création sonore : Fabrice Devienne, Noëmy Oraison, Thibault Macquart et Stéphane Huchard pour Sous le gel de Glasgow de Léo Devienne. Prêt de matériel son doté par Tapages & Nocturnes pour un prochain tournage (valeur 1 000€ HT)

Prix d’interprétation : Bétina Flender pour Une fille comme toi de Nathalie Dennes. Portrait prestige doté par le Studio Harcourt Paris

Jury presse

Composition : Manon Marcillat (Trois Couleurs, La perche est dans le cadre), Franck Finance-Madureira (FrenchMania, Têtu), Elie Bartin (Super Seven, Les Cahiers du Cinéma), Clément Colliaux (Libération, Critikat), Mathi Adjinsoff (Culture aux trousses)

Prix de la presse : Un Hijo & un Padre de Andres Ramirez Pulido. Abonnement d’un an offert à l’offre VOD de Bref Cinéma

Jury étudiant

Composition : Antoine Jury (EICAR), Anna-Rose Lux (Sorbonne-Nouvelle), Yara Keyrouz (Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Nathan Laurent (ESCP), Séraphin Massé (Sorbonne-Nouvelle)

Prix du Jury étudiant : Mille moutons de Omer Shamir. Abonnement d’un an offert à l’offre VOD de Bref Cinéma

Prix du public

Vote du public : Chère Louise de Rémi Brachet. Acquisition du film lauréat par la plateforme UniversCiné, abonnement d’un an offert à l’offre VOD de Bref Cinéma