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Retour sur Côté Court 2016

Le festival Côté Court a fêté sa vingt-cinquième édition en juin dernier, à l’intérieur et hors des murs du Ciné 104 de la ville de Pantin qui l’a vu naître et accueillir plusieurs générations de cinéastes et leurs courts-métrages, devenant au fil des années une référence en la matière. En plus de reconduire le programme habituel partagé entre les séances consacrées aux différentes sélections de films (compétition officielle, panorama, rétrospectives…) et les live mêlant concerts et projections (ceux de Barbara Carlotti, du groupe Slip ou encore de Zombie Zombie), cette édition a inauguré une nouvelle série de rencontres sobrement intitulée « Conversations » et qui, comme son nom l’indique, devait réunir et faire dialoguer des réalisateurs appartenant à différentes générations du cinéma français. Une initiative qui, si elle a dû faire face à quelques avaries cette année, confirmait bien la vigueur d’un festival toujours soucieux d’élargir le champ pour mieux libérer la parole, quitte à charger encore un peu plus son programme.

De l’air

Pour inaugurer cette nouvelle édition et introduire ces fameuses « Conversations », un premier film fut projeté lors de la cérémonie d’ouverture : le portrait du cinéaste Paul Vecchiali par Laurent Achard, réalisé dans le cadre de la célèbre série des « Cinéastes de notre temps » dirigée par André S. Labarthe. Le film, intitulé « Un, parfois deux », documente le dernier tournage de Vecchiali au cours duquel le réalisateur tourna simultanément ses deux longs-métrages « C’est l’amour » et « Le Cancre » dans sa villa au Plan-de-la-Tour. Si Achard respecte la commande qui lui est faite en dressant un admirable portrait du cinéaste vieillissant au travail, il s’applique également à faire apparaître un deuxième film dans le creux du premier, en ménageant suffisamment d’espace dans ses cadres composés au cordeau pour qu’une étrange mécanique se révèle. Filmer le temps des répétitions, de la mise en place puis du tournage des scènes devient moins pour Achard le moyen de restituer le processus de fabrication d’un film qu’une occasion de traquer des fantômes, de guetter la matérialisation de ces entités invisibles autour desquelles s’agitent les acteurs et les techniciens. La dernière séquence du film, bâtie sur le suspens de l’apparition de Catherine Deneuve, en est la parfaite illustration : les moments de la mise en place du cadre, de la répétition du texte puis du mouvement de la caméra sans la présence de l’actrice donnent à sentir, lorsque la star apparaît enfin pour jouer sa scène, qu’une présence plus intense, plus forte qu’elle occupe l’espace depuis le début et dirige les regards et les mouvements de chacun. Ce sentiment sera confirmé par cet ultime plan du film, sublime, où Vecchiali enregistre les sons seuls de la scène en faisant refaire les déplacements et les gestes de Deneuve à une jeune assistante, achevant de mettre tout le monde sur un pied d’égalité devant cette force invisible.

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L’ironie voulait que, le lendemain de la soirée d’ouverture et de la projection du film, le siège de Laurent Achard demeure vide lors de la rencontre avec Paul Vecchiali qui devait ouvrir la série des « Conversations », la cause avancée par l’intéressé étant une indisposition médicale. On se plaît pourtant à ne deviner dans ce geste démissionnaire qu’un débordement dans le réel de la pensée d’un grand réalisateur qui sait, à l’instar d’un Hang Song-soo, que le cinéma réside littéralement dans l’air, dans ces espaces vides où se manifestent de malicieux fantômes.

Il s’agissait dès lors de chercher parmi les films sélectionnés à Côté Court cette année ceux qui ménageaient suffisamment d’espaces dans leurs cadres et leurs récits pour que le cinéma puisse s’y faire, tranquillement, une place. L’entreprise ne fut pas toujours aisée, au moins au sein de la compétition fiction qui a fait la part belle aux films de meutes, dont les récits faisaient de la dynamique de groupe leur principal (et parfois unique) enjeu de fiction. On pense notamment aux films « La bande à Juliette » d’Aurélien Peyre (découvert et déjà critiqué à l’occasion de la dernière édition du festival de Brive), à « Opium » de Pablo Dury ou encore à « Fanfreluches et idées noires » d’Alexis Langlois. Ces courts-métrages portés par de très jeunes réalisateurs affichaient tous la même envie de débarquer en bande, de s’imposer dans l’écran à plusieurs en remplissant les cadres de corps et de visages juvéniles prêts à s’offrir à la caméra. Des films qui s’avançaient en n’ayant, peu ou prou, que cela a proposer : une jeunesse résolue à se donner en spectacle, ou plutôt à faire spectacle de sa jeunesse, en se livrant au regard des spectateurs sans jamais craindre d’irriter.

fanfreluches-et-idees-noires1-Alexis Langlois

« Fanfreluches et idées noires » s’ouvrait pourtant avec l’un des plans les plus saisissants des films de la compétition : on y voit le couloir d’un grand appartement parisien envahi par une foule bigarrée venue du dehors, une multitude de corps de toutes tailles, de tous sexes et de tous genres se bousculant dans le passage étroit et défilant à la queue leu leu avant de disparaître du cadre. La concentration de ces corps dans l’espace produisait un effet d’annonce excitant, en présentant cette faune dans toute son excentricité et en la contenant en même temps, laissant présager d’un feu d’artifice pour la suite du métrage. Mais à l’explosion, le cinéaste préfère la dispersion et prend le parti de filmer un after de soirée en temps réel, balayant rapidement les possibles enjeux de fiction au profit de la restitution d’une sorte de happening. Dès lors, il ne reste plus que de l’épuisement à filmer, celui des corps qui s’étalent et s’entassent les uns sur les autres, du langage progressivement tari et vidé de toute substance, jusqu’aux quelques procédés de mise en scène dont le réalisateur finit par abuser (de longs panoramiques parcourant la masse inerte des corps nus nappés d’une musique synthétique assez redondante). Si Langlois n’exclut pas la dimension mortifère de ses images, de loin la plus intéressante, il ne se résout pas à l’investir totalement et lui préfère celle, nettement plus confortable, de la récréation mi-inquiète mi-je-m’en-foutiste, plus « fanfreluches » qu' »idées noires » en fin de compte.

opium-Pablo Dury

Le film de Pablo Dury affiche, lui, une ambition plus romanesque de prime abord en suivant une troupe de militaires perdus dans un monde post-apocalyptique obéissant à des règles pour le moins étranges. En effet, les lois qui régissent l’univers d’« Opium » semblent s’ajuster au désir du réalisateur d’éprouver des effets de mises en scène empruntés à droite et à gauche, les multiples énigmes qui jalonnent le récit devenant un prétexte pour ne pas raconter d’histoire et faire baigner les personnages dans une espèce de formol cinéphile. Ainsi, un personnage vaguement désigné comme le héros vit dans sa chambre la romance d’un film de Tsai-Ming Liang à travers de longues scènes d’onanisme contre le mur qui le sépare d’une jeune femme, tandis qu’à l’extérieur le groupe de militaires multiplie les séances d’entraînement en attendant la venue de mystérieux « dragons » (sont-ce ceux de « Game of Thrones » ?). Les citations les plus embarrassantes concernent un autre court-métrage sorti il y a quelques années et dont le retentissement a fini par faire école : le film de Caroline Poggi et Jonathan Vinel « Tant qu’il nous reste des fusils à pompes », auquel Pablo Dury emprunte notamment la séquence de fête sous forme de pogo frénétique et solitaire. Le seul ajout que Dury apporte à cette citation est d’ailleurs assez révélateur de la finalité de sa démarche : des projections de motifs de papier peint sont faites sur les corps des militaires qui se contorsionnent au son d’une musique électro, et terminent de figer ce petit monde dans la tapisserie cinéphile. Gageons que c’est précisément la cinéphilie éclairée du jeune homme et la gourmandise maladroite de sa mise en scène que le jury de Côté Court a salué en lui décernant le Grand Prix de la compétition fiction, et qu’à l’avenir le cinéaste parviendra à trouver sa place à l’intérieur de ses propres films.

À ces court-métrages gorgés de sucre et de références mal digérées, répondaient les propositions d’autres cinéastes qui ont élaboré des films plus nus, dépouillés de tout apparat et qui creusaient leur matière avec une certaine violence. Plusieurs figuraient en compétition, bien sûr, mais il fallait en chercher d’autres dans les sections parallèles comme le Panorama, bien souvent délaissé alors qu’y atterrissent chaque année quelques uns des meilleurs films du festival.

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Le film de Soufiane Adel « Vincent V » détonnait sérieusement au milieu des autres courts-métrages de la compétition fiction de part son dispositif minimaliste et singulier, qui voit le cinéaste s’inventer un alter-ego qu’il campe lui-même et dont l’itinéraire se construit au rythme des années (le tournage débuté en 2005 s’est achevé dix ans plus tard) et des transformations du paysage politique de la France. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un changement de visage, celui de Vincent qui, après avoir fait défiler sur un écran de télévision une série de portraits d’illustres barbus (Karl Marx côtoie aussi bien Stanley Kubrick que Ben Laden), décide de raser sa propre barbe. Cette scène inaugurale expose le principe autour duquel s’articuleront chacun des épisodes du parcours de Vincent, en faisant reposer l’enjeu de chaque séquence sur une lutte entre le protagoniste et une image à laquelle il se confronte et se doit de réagir à l’intérieur du cadre. Il s’agit de produire une image pour lutter contre celles que la société française fabrique, comme ces hordes d’adolescents qui fêtent la victoire de Sarkozy en 2007 et auxquels Vincent oppose la fixité de son corps en marge du plan qui enregistre leur célébration. D’autres événements politiques sont aussi convoqués à travers les monologues furieux que Vincent profère en pleine rue ou cloîtré entre quatre murs, comme les manifestations contre la loi C.P.E ou encore les émeutes de 2005. À cet instant, la parole ne devient plus seulement le moyen d’exprimer une rage ou une pensée contestataire, elle se transforme en matière qui remplit l’espace et agite l’air à l’intérieur des plans. C’est parce qu’il se rend compte qu’il ne peut en définitive agir que sur cela, sur cet air qui l’entoure à l’intérieur du cadre, que Soufiane Adel finit par inventer une écriture filmique d’une force peu commune, en supprimant progressivement toute possibilité de hors-champ pour comprimer l’air dans les images qu’il fabrique et les mener à l’implosion. De cette irrésolution propre au médium cinématographique, le cinéaste est parvenu à extraire le soufre qu’il lui fallait pour élaborer une véritable bombe.

bachaumont-Martial Salomon

Présenté parmi les films du Panorama, le « Bachaumont » de Martial Salomon procédait également d’une économie minimaliste pour conter un récit réduit lui aussi à l’essentiel. Le film met en scène une figure solitaire, celle d’un jeune homme campé par Arnaud Gravade, que l’on accompagne une journée durant, de son réveil à l’aube à celui du lendemain. Les quelques pièces de l’appartement parisien qui constituent le décor principal et quasiment unique du film (le protagoniste ne s’en absentera que le temps d’une très brève séquence de rue) circonscrivent un espace-temps particulier, à l’intérieur duquel le récit glissera et ce, dès les premiers plans dans un registre fantastique. À la faveur de plusieurs apparitions de fragments d’un corps étranger dans les plans (des mains qui entrent dans le champ pour s’approcher du corps du protagoniste), une présence fantomatique se manifeste progressivement et raconte, sans qu’aucune parole ne soit prononcée, la survivance d’un amour perdu. Aussi, les apparitions et disparitions du fantôme s’opèrent toujours au moyen d’un raccord entre deux plans, par des changements d’échelles ou d’axes qui découpent l’espace et ouvrent des brèches à l’intérieur desquelles le fantôme peut s’engouffrer. Le fait que Martial Salomon soit également monteur (notamment des films de Pierre Léon et d’Emmanuel Mouret) n’est pas anodin, puisqu’il fait dans ce film du raccord même le lieu d’un rendez-vous impossible entre les anciens amants. Ils devront attendre que la nuit passe et que la lune se fende en deux, figurant ainsi leur séparation irrévocable, pour pouvoir échanger à l’aube un nouveau et peut-être dernier regard apaisé et plein de tendresse. Au fond, ce qui donne à ce seul effet spécial «visible» toute sa force (la séparation progressive de la lune en deux boules lumineuses distinctes), c’est bien le rappel que Martial Salomon fait dans son film de cette donnée essentielle : l’ellipse que fabrique inévitablement tout raccord entre deux plans ne saurait être tout à fait ignorée, et en acceptant sa qualité fondamentale d’artifice, on peut en faire l’effet spécial le plus puissant qui soit.

Marc-Antoine Vaugeois

Slow de Darius Clark Monroe

Fiction, 2011, États-Unis

Le court-métrage « Slow » n’est pas, à proprement parler, un film gay. Et tant mieux. Réalisé par Darius Clark Monroe en 2011, il ne fait pas du désir homophile l’occasion d’une chronique généraliste aux accents tragiques mais plutôt le tremplin d’une critique politique touchant à la condition sociale des afro-américains. Mais peut-être serait-ce là enfermer le film dans une visée qu’il n’a pas. Faisons un pas en arrière en décrivant l’action préliminaire : un homme est dans sa cuisine en train de préparer le dîner. Les tâtonnements qui dirigent ses gestes, la fixité de son visage (souvent filmé de profil) et l’absence de fluidité du regard, nous indiquent que l’homme ne voit pas; il est aveugle. Une tension naît lorsque quelqu’un s’engouffre par la porte d’entrée de l’appartement; sans ménagement, un homme à la musculature saillante s’engouffre dans la cuisine. À partir cette situation de base intrigante, on est en droit d’attendre une suite rugueuse et puissante. Et on ne sera pas déçu.

Huis clos assumé et râpeux, « Slow » filme cette rencontre en tentant de retirer toute l’improbabilité qui aurait pu en émaner. Au contraire, par la radicalité de la mise en scène, investissant des plans longs, laissant aux acteurs la tâche d’exhumer une étrangeté reconnaissable à travers un palpable tension amoureuse, le film invente un espace de réalité et se tourne vers une problématique morale; la question est moins de savoir si les deux hommes vont partager sexuellement leurs sentiments (le film s’ingénie à bafouer ce stéréotype) que de voir ce qui interrompt le lien lui-même. Car si le voyeur (au sens qu’il voit son amant sans que ce dernier ne puisse le faire) se dénude littéralement assez vite, la pudeur de l’aveugle semble le retenir dans l’attente froide du dîner amoureux. Son silence revêt l’aveuglement d’une violence sourde, presque insoutenable. Du fait de ne pas voir découlerait-il ici une résistance existentielle ? Ou plutôt la question est-elle : sa déficience oculaire est-elle respectée par l’amant voyant ? En fait, son aveuglement ne serait-il pas plus clairvoyant que l’élan impulsif, voire compulsif, de l’amant ?

Dépassant le flou érotisant pour montrer la brutalité nette d’une relation bancale, le dialogue physique offert par « Slow » brise ainsi toutes les attentes. Ne tombant pas dans le cliché de la rencontre interéthnique (les deux hommes sont de peau noire), ni dans celui de l’escapade sexuelle à sens unique (ce à quoi « Grindr » voudrait soustraire tout rapport), il dresse le portrait d’une résistance et d’une volonté contre la consommation et la normalité. C’est l’éventualité d’un regard que l’on croit impossible, qui lentement s’élabore à travers l’asymétrie et la frustration, et dont le dernier plan donne une présence épaisse. Une perspective qui interroge. Et qui pose au spectateur une question rarement évoquée : quel est le sens de ce refus sexuel sinon l’étrange signe d’une éthique devenue angoissante ? Que filmer l’homosexualité, au centre de laquelle deux corps se cherchent — et ne se trouvent pas toujours, nous surprenne encore.

Mathieu Lericq

Le Cinéma d’Animation en France

Édité par Qwazar en coproduction avec 8 Mont-Blanc, le aVD « Le Cinéma d’Animation en France » s’intéresse au paysage de l’animation en France à travers une série documentaire de Romain Delerps et Alexandre Hilaire, complétée par 17 court-métrages réunissant autant de jeunes talents que de maîtres établis. Cette sélection pointue des années 60 à nos jours regroupe des cinéastes célèbres comme Jean-François Laguionie, Michel Ocelot ou Florence Miailhe ainsi que de nouveaux créateurs comme Oleshya Shchukina ou Cécile Rousset.

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Les films présentés couvrent un demi-siècle d’animation française, juste après la figure majeure du « réalisme poétique » de Paul Grimault jusqu’aux cinéastes contemporains. Regroupant presque la totalité des techniques animées, cette production dresse un panorama général de l’animation française grâce aux films de référence, aux témoignages de créateurs et de producteurs, à leurs méthodes de travail (dessins préparatoires, représentations de personnages et décors, sujets dédiés aux créateurs filmés en pleine action, dessinant, peignant, animant, …), aux écoles et aux studios les plus représentatifs.

La première partie du DVD intitulée « Le Dessin animé après Paul Grimault » se centre d’abord sur la lignée « d’artisans poètes », représentée par les figures majeures comme Émile Reynaud, Paul Grimault et Jean-François Laguionie, pour poursuivre avec « le tournant du siècle ».

La deuxième partie se caractérise par les rencontres avec des studios comme Folimage, Les Armateurs, Prima Linea où chaque représentant défend son savoir-faire et ses principales caractéristiques, comme la liberté artistique, la systématisation des co-productions et la collaboration avec des auteurs reconnus. De plus, la richesse pédagogique et la diversité des écoles comme Les Gobelins, La Poudrière et l’EMCA, réparties sur tout le territoire national, forment aussi un véritable réseau de fabrication de films d’animation à partir d’une formation spécialisée.

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Enfin, la troisième partie du documentaire intitulée « Un cinéma de tous les possibles » relate des approches des expressions artistiques différentes telles que la bande dessinée ou le cinéma de genre et traite également de l’évolution des techniques.

En complément du DVD dédié aux documentaires, 17 courts-métrages illustrent des techniques d’animation et d’autonomie créative. Cet abrégé de films d’animation de courte durée invite à explorer les différents domaines d’animation en volume, (marionnettes, pâte à modeler) traditionnelle classique (cut-out ou papier découpé, dessins animés, peinture ou sable sur verre, animation d’épingles), par ordinateur (image de synthèse, généralement sous la forme 3D, mais également 2D avec des logiciels tels que Photoshop).

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Les périodes les plus importantes de l’animation cinématographique française du deuxième milieu du XXe et du début du XXI siècle sont représentées notamment par une sélection de iconographique. Ainsi, nous pouvons voir l’intimiste « La Demoiselle et le Violoncelliste » (Grand Prix à Annecy 1965) de Jean-François Laguionie. Le film est considéré comme l’un des premiers courts-métrages d’animation d’auteur faits dans la lignée de Paul Grimault, qui a détonné par son univers poétique très personnel. Réalisé en papier découpé au style naïf, ce film est un chef d’œuvre. Un violoncelliste provoque accidentellement une tempête en mer, faisant glisser une jeune fille qui pêche sur la rive. Pour essayer de la sauver, il se retrouve à combattre une série de créatures marines. Bien que l’animation puisse apparaître comme un peu lente par rapport aux normes hollywoodiennes d’aujourd’hui, les scènes de vagues et la résistance de la demoiselle et le violoncelliste sont très puissantes, faisant appel à un graphisme inspiré des œuvres de Matisse.

Développé avec la même technique, le court-métrage, « Le Vélo de l’Éléphant » de la cinéaste russe Oleshya Shchukina, a été produit par le vétéran studio Folimage. L’histoire est celle d’un éléphant urbain qui travaille comme balayeur. Un jour, il voit le panneau d’affichage vantant les mérites d’une petite « reine » (vélo) et fournit de nombreux efforts pour l’obtenir. Le film s’intéresse aux tentations de la société de consommation grâce à une histoire amusante et un message frappant. Une stimulante production destinée en priorité aux enfants.

D’autres courants d’animation sont aussi compilés dans ce DVD, comme le documentaire animé « Paul » de Cécile Rousset produit par Les Films Sauvages. Il s’agit de la biographie du propre voisin de la réalisatrice, un vieil homme de 83 ans qu’elle a enregistré, racontant sa vie avec des dessins animés esquissés qui conservent l’irrégularité du croquis et des images de prise de vue réelle en noir et blanc qui composent le portrait raconté à la première personne. On y voit une relation de camaraderie avec ce personnage, qui interpelle lui-même le spectateur. Dans ces histoires du passé et du présent qui se mélangent, ce qui se reflète est le quotidien, l’anecdotique, la proximité et la complicité entre la réalisatrice et son voisin.

En jouant également avec les dessins animés, ayant une esthétique plus achevée, on trouve également « Monstre Sacré » de Jean-Claude Rozec (réalisateur de « Cul de bouteille » et « La Maison de poussière »), produit par JPL Films. Ce court-métrage raconte comment un dragon inoffensif accidentellement né dans un nid de canards, devient à contre-cœur une super vedette Hollywood. Une comédie douce amère montrant l’ascension sociale et la tromperie des apparences.

Quant à la peinture animée sur plaque de verre rétroéclairée, où l’image est modifiée en s’aidant des mains pour étaler les couleurs, on distingue « Shéhérazade » de Florence Miailhe, coécrit avec Marie Desplechin. Dans cette œuvre, Shéhérazade  » est une narratrice d’histoires qui captive son mari par la parole, en étant une voix off féminine qui illustre le récit. Ce court-métrage d’animation conçu comme un tout chorégraphique de la peinture, du pastel et du sable animés sous la caméra, utilise un graphisme très sensuel et une animation de transformation du corps des plus intéressantes.

À destination des enfants, le film en pâte à modeler « Le Petit Cirque de Toutes les Couleurs » réalisé par Jacques-Rémy Girerd est un conte d’atmosphère onirique. Animé dans une station de métro, il laisse entrevoir un message pacifiste dans un style enfantin bien mené.

Autre technique en volume présentée, celle de l’écran d’épingles, à savoir un tableau blanc percé de milliers de trous dans lesquels coulissent autant d’épingles. La technique brevetée par les cinéastes Alexandre Alexeieff et Claire Parker a permis de nombreux essais expérimentaux et recherches graphiques, à l’image du « Cadavre Exquis » présenté dans ce DVD, par divers artistes sous la direction de Michèle Lemieux, avec le soutien du CNC.

Toujours autour de l’animation en volume, on retrouve la dynamique du court-métrage numérique 3D avec « Le Petit Dragon » de Bruno Colet, empruntant des références à Bruce Lee, Robert Clouse et Lou Wei, qui contraste avec la délicate animation de marionnettes « La Femme Papillon » de Virginie Bourdin et le chamanique « Le Printemps » de Jérôme Boulbès, basé sur la chorégraphie de Nicolas Vladyslav autour d’une cérémonie de masques pour célébrer l’arrivée du printemps.

Enfin « Vasco » de Sébastien Laudenbach (qui vient de réaliser son première long-métrage « La Jeune Fille sans Mains » brossé en pinceaux) utilise la technique du sable sur verre pour la première fois. Le film raconte l’histoire d’un homme qui rêve de s’échapper vers un horizon qui le fascine. Cependant, ses perspectives sont contrecarrées par une femme très attirante qui le retient. Une pièce minimaliste et organique qui tend des liens avec la métaphysique.

Pour finir cette série de courts-métrages, on retrouve l’exquis film de silhouettes en noir sur fond transparent « La Belle fille et le Sorcier » de Michel Ocelot, dans lequel un magicien montre ses pouvoirs magiques à un jeune villageois en le transformant en une belle princesse. Une fable sur l’importance accordée à l’apparence physique grâce aux magnifiques jeux d’ombres chinois, comme l’avait déjà proposé la réalisatrice allemande Lotte Reiniger auparavant (« Les Aventures du prince Ahmed », « Hansel and Gretel », …)

Avec son documentaire en trois parties et ses 17 courts en bonus, « Le Cinéma d’animation en France » s’intéresse aux grands noms et aux titres de référence du secteur de l’animation nationale, du plus traditionnel au plus innovateur. À noter cependant qu’il s’exprime un peu trop brièvement sur la qualité et de la diversité de cet “art total” qu’est le septième art bis et que l’échantillon de courts-métrages est considéré non comme une partie substantielle de ce pack DVD, mais comme un complément de la série documentaire. Les courts, proposés comme bonus, sont regroupés par techniques et ne proposent pas un témoignage suffisamment fort d’esthétiques et de plastiques possibles, ce qui est malheureusement regrettable.

Adriana Navarro Álvarez

Le Cinéma d’Animation en France (2 DVD) : série documentaires en trois volets + 17 courts métrages ! : Édition Doriane Films

Afrique Tenga Zamasdo (Rêve d’Afrique) de Seb Houis

Afrique Tenga Zamasdo (Rêve d’Afrique) de Seb Houis, Burkina Faso, 2011, expérimental, 3′

Ce film très court a été réalisé par Seb Houis en moins de 72 heures lors du premier Kino Kabaret du Burkina Faso, en 2011. Créé à Montréal en 1999, Kino est un mouvement de cinéastes et de vidéastes basé sur le principe de création spontanée et de liberté. Le Kino Kabaret est un événement qui réunit des réalisateurs du monde entier pour produire des courts métrages dans un délai court (allant de 24h à quelques jours).

Ici, Seb Houis nous fait partager son rêve africain, et nous emmène dans une déambulation chaotique, dans les rues d’un village Burkinabé. Dans une tentative de recréer les visions qui s’accumulent au cours du rêve, « Afrique Tenga Zamasdo » est une errance poétique où la terre est un élément qui fait office de fil rouge, au plus proche du sol et des matériaux qui le composent. Sable, terre et asphalte brûlés par le soleil sont frôlés de si près qu’on en ressent la chaleur et la rugosité. La caméra vagabonde de personnages errants, criants, dansant, à d’autres figures et parties du corps qui deviennent de plus en plus claires : nous sommes bien en Afrique, au cœur d’un voyage fait de rencontres inattendues et d’expériences sensorielles nouvelles.

Le touché et l’ouïe y ont une place de choix : tel un poème, le rêve nous est conté en langue moré tandis que peu à peu la musique de Tumi & the Volume, groupe d’Afrique du Sud, se fait entendre. « La Tête savante », c’est ainsi que s’appelle le morceau qui accompagne ce « Rêve d’Afrique », puisque comme l’illustre cette vidéo, nos rêves se nourrissent d’un savoir que parfois seul l’inconscient peut révéler.

Spécialiste de la « raw video », c’est à dire des images brutes sans montage, Seb Houis a réalisé de nombreux clips et vidéo de voyages. « Afrique Tenga Zamasdo » est un condensé de ces deux formats et nous amène à nous demander comment transcrire nos rêves en images réelles. Pour en savoir plus sur son travail : seb-houis.squarespace.com.

Agathe Demanneville

Locarno 2016, le palmarès

Achevé il y a quelques jours, le festival de Locarno a primé bon nombre de jeunes réalisateurs en compétition internationale : Ralitza Petrova a obtenu le Pardino d’Or, Radu Jude a glané le Prix Spécial du Jury et João Pedro Rodrigues celui du meilleur réalisateur. Du côté de la compétition « Cinéastes du Présent », Eduardo Williams a reçu le Pardo d’or, Yuri Ancarani a remporté le Prix Spécial du Jury, Mariko Tetsuya, celui du meilleur réalisateur émergent, Kiro Russo, une mention spéciale et Maud Alpi, celui du Swatch Art Peace Hotel. Bonne nouvelle : tous ont fait leurs armes en court-métrage et bon nombre d’entre eux ont été repérés par notre équipe !

Locarno se distingue toutefois par sa compétition très sélect de courts-métrages nommée « Pardi di domani ». Le palmarès de cette année a révélé de nouveaux auteurs du côté de la compétition internationale et nationale (suisse).  Des auteurs à suivre à Locarno ou ailleurs !

Compétition internationale

Pardino d’or, Nomination pour les European Film Awards : L’Immense retour de Manon Coubia, Belgique, France

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Pardino d’argent : Cilaos de Camilo Restrepo, France

Premio Film und Video Untertitelung : Valparaiso de Carlo Sironi, Italie

Mention spéciale : Non Castus de Andrea Castillo, Chili

Compétition nationale (suisse)

Pardino d’or : Die Brücke über den Fluss de Jadwiga Kowalska

Die Brücke über den Fluss- Jadwiga Kowalska

Pardino d’argent : Genesis de Lucien Monot

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Best Swiss Newcomer Award : La Sève de Manon Goupil

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CourtsCourts, le palmarès 2016

Le festival CourtsCourts, 7ème du nom, ayant eu lieu fin juillet dans le charmant village de Tourtour, a dévoilé son palmarès. Le voici, avec en  bonus, le Premier Prix, également lauréat du Prix du Jury au dernier Festival de Clermont-Ferrand.

Malon d’or du Jury : La baignoire (Die Badewanne) de Tim Ellrich, Allemagne, 2016

 

Malon d’argent du Jury : La nuit tous les chats sont roses, de Guillaume Renusson, France, 2015

Malon d’or du Public : Première séance, de Jonathan Borgel, France, 2016

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Malon d’argent du Public : French touch , de Xiaoxing Cheng, France/Chine, 2015

Malon d’or des Pichoun : La rentrée des classes, de Vincent Patar et Stéphane Aubier, France/Suisse, 2016

Malon d’argent des Pichoun : Celui qui domptait les nuages, de Nicolas Bianco-Levrin, France , 2015

Kordian Kądziela. Le vrai du faux

Kordian Kądziela, le réalisateur-scénariste, primé par Format Court avec son Larp à la trentième édition du festival du film court de Brest, instille chez le spectateur d’abord, et chez ses personnages ensuite, un doute entre le vrai et le faux. Pour ce faire il a su créer un concept innovant : « la comédie Mockumentaire », il s’agit d’utiliser les caractéristiques propres au documentaire pour raconter des histoires entièrement fictionnelles. Il s’efforce ainsi, de chambouler le régime de croyances qui conditionne notre capacité à recevoir une œuvre cinématographique.

Son dernier film Lockjaw reste la meilleure illustration de ce concept. Ce faux documentaire donne l’impression d’un vrai – les acteurs qui s’adressent à la caméra, l’absence de filtres cinématographiques (du moins dans la majeure partie du film) et l’apparition de l’équipe du tournage à l’écran – et nous plonge dans l’univers artistique de trois individus, Igor, Baton et Laura qui rêvent de conquérir le monde de l’art. Ils se préparent nuit et jour pour le festival de performance artistique Prowokalia. Comme son nom l’indique, ce festival – qui n’existe en réalité que dans l’imagination du cinéaste – promeut la performance artistique sous sa forme la plus scandaleuse. Lorsque Baton, partisan de l’art qui fait scandale sans nécessairement faire sens, expose, fier, à Igor – l’intellectuel – sa toute dernière trouvaille (un homme à moitié nu, qui s’enveloppe la tête dans un ballon géant), l’incompréhension d’Igor au même titre que celle du spectateur est palpable. Ainsi cette façon authentique de filmer cette fiction permet au réalisateur de mettre le doigt sur une tendance parfois dommageable de toute une génération de nouveaux artistes (et cela vaut pour le cinéma aussi) qui choisit cette forme d’art dit « art-performance » comme zone de confort. À bien lire les images du film, il semblerait que l’idée d’un art ayant pour objectif d’être scandaleux voire bizarre pour atteindre à une efficacité ne suffit peut-être pas à produire un chef d’œuvre.

TIWI

Cette difficulté à démêler le vrai du faux est également présente dans ses autres films. Il s’incarne à l’intérieur même des personnages que crée le réalisateur. Prenons Tiwi (en français : TV) qui raconte l’histoire d’un couple d’âge mur menant une vie plus qu’oisive, littéralement scotché à cet écran de télévision jusqu’au jour où l’appareil se met à bugger pour ne plus fonctionner du tout. Le vrai : leur foyer, leur relation qui brasse des souvenirs de longues dates. Le faux : Leur télévision. L’imbrication des deux éléments donne lieu à des personnages qui ne sont plus qu’aliénés. Esseulés et enfermés dans les quatre murs d’une maison perdue dans la campagne, le rythme de leurs journées se confond à celui des programmes télévisés. Quand la TV dort, le couple aussi. C’est donc la télévision, constitutif d’un univers factice qui souligne l’éloignement des protagonistes. Et même si le film propose des retrouvailles touchantes du couple, il n’en reste pas moins que la critique est faite : l’existence des individus est aujourd’hui fortement opprimée par une instance qui se veut réelle, mais n’est que virtuelle et semble agir comme une vérité absolue.

Avec Larp, son film de fin d’études, Kordian Kądziela relate la vie de Serguisz, un adolescent timide et incompris. Sa passion, le Live Action Role Playing, ne faisant pas l’unanimité auprès de sa famille témoigne de son imagination débordante. Mais cette activité, qui désigne à l’écran l’espace restreint que lui réservent ses proches, lui vaut également un rejet marqué de leur part. Comme acculé dans ses retranchements, il est toujours placé au centre de ce rectangle familial, lieu de supplice où railleries, regards gênés et honteux lui sont, hostilement, prodigués. Par conséquent le jeune homme ne se sent pas vraiment appartenir à cette famille et préfère croire à un ailleurs médiéval, à un ailleurs enchanté. Là, il se forme alors chez l’adolescent l’impression de recevoir un attachement, certes, illusoire mais vif de la part de ses compagnons de jeu. Enfermé dans ce monde imaginaire, Serguisz semble cultiver un rapport faussé du réel. En effet, après avoir délivré Helena des bras d’un goujat lors d’une partie de larp, le garçon tente de reproduire son geste héroïque dans sa « vraie vie ». Dans un restaurant à Kebab où tout paraît bien plus rude et féroce, un homme en colère apparaît et commande à manger. Sa vulgarité et ses gestes impulsifs sont alors la preuve d’une réaction bien moins calculée que celle du goujat dans la partie de larp, se rapprochant un peu plus d’un comportement humain. Nous sommes face à une agression dont l’authenticité paraît tout à fait probable. Et pourtant, cette dernière réplique du jeune homme, « Easy mama, it’s just artificial blood, used for the game, don’t worry », a en elle une puissance ironique qui dévoile au spectateur l’artificialité des jeux de rôles mais plus encore, celle du cinéma.

C’est peut-être dans son second film professionnel Muka que Kordian Kądziela s’emploie le plus à faire resurgir le vrai du faux. À travers la vie terne et solitaire de Joseph, le réalisateur nous expose l’absurde dans ce qu’il a de plus édifiant. Accusé à tort, son père lui réclame la preuve de son innocence. Mais trouver un ‘certificat d’innocence’ relève de l’impossible. Cette histoire inspirée de l’œuvre de Kafka Le Procès peut se lire comme une parabole d’une existence dépourvue de toute liberté. Joseph est au même titre que son hamster, en cage. Là encore, on tient pour vrai, ce qui reste infondé, et par conséquent, faux. Sans avoir été jugé, il est d’emblée considéré comme coupable. Les deux hommes aux costumes gris, qui ne sont pas sans rappeler les duos de détectives inhérents aux nombreuses séries policières américaines, semblent porter l’autorité de cette décision. En réalité ils ne sont que des pions lâchés sur le terrain, chargés de maintenir l’ordre auprès de la population et si cette mission suggère l’oppression et l’exécution d’une logique de terreur, qu’il en soit ainsi. Derrière les deux hommes, se cachent peut-être des instances supérieures, qui tout en ayant une emprise sur l’ensemble de la société, semblent pourtant invisibles dans le film. Nous pensons ici, d’abord aux instances judiciaires et au-delà, au gouvernement, faiseur de lois. Avec Muka, c’est une sensibilité existentialiste prégnante que nous ressentons.

Le jeune réalisateur diplômé de la faculté Krzytsztof Kielowski de radio et de télévision à l’université de Silesia en Katowice, perpétue ce cinéma de l’inquiétude morale caractéristique d’un des courants majeur du cinéma polonais en y affirmant son statut d’artiste décadent. De la réalisation de clips vidéo tels que Monkey, Monkey du groupe Slutocasters, à celle de spots publicitaires minimes (que l’on peut retrouver sur son site web), Kądziela déploie son savoir-faire dans divers exercices ayant attraits à l’audiovisuel. Mais c’est surtout par ses films d’une substance philosophique forte qu’il marque. Ces œuvres sonnent alors comme des critiques fabuleuses où l’absurde éveille le rire et où l’impuissance de ses personnages face à l’oppression de leur entourage éveille la compassion. Il pose, dès lors, son regard averti sur l’individu dans son rapport aux autres. Et comme disait Sartre dans son Huit Clos : « L’enfer, c’est les autres ».

Marie Winnele Veyret

Articles associés : la critique de Larp & l’interview de Kordian Kadziela

Reel Unreel de Francis Alÿs

Rechercher sur Internet des courts-métrages réalisés par des artistes plasticiens ne permet pas souvent d’en trouver d’aussi faciles accès. Francis Alÿs, artiste belge expatrié au Mexique depuis plusieurs années, en a une opinion différente. Exposé notamment à la Tate Modern à Londres ou encore au Centre Pompidou à Paris, il laisse ses vidéos visualisables en ligne et disponibles en Creative Commons. Pratique qui en dit long sur sa vision du cinéma, proposition volontariste d’obtenir une portée aussi large que possible.

Reel Unreel (2011) de Francis Alÿs. En collaboration avec Julien Devaux et Ajmal Maiwandi. Vidéo, 20 min. Une production du Musée Jenisch Vevey (Suisse)

« Reel Unreel » évoque autant d’allégories que de vérités sur une situation chaotique en Afghanistan. Francis Alÿs rappelle par bribes, une situation, un état. Un fil rouge, incarné par la bobine de film (reel), à travers la capitale de l’Afghanistan qui nous questionne sur ce qu’est le « réel » et « l’irréel » !

Personne ne songe à arrêter ces enfants traversant la ville via des rues parfois délabrées. Quelques curieux par-ci par-là regardent le déroulement du film. Et c’est par celui-ci que l’on découvre la vie, les habitants, les hélicoptères tournoyant, les soldats, le marché de la ville, une roulotte et ses chevaux, une djellaba, des cyclistes, un 4×4 ou encore la police. Comme un visionnage abstrait, une non projection de cette pellicule. C’est une projection de l’état d’un Etat, C’est le « réel » qui est ici présent. La guerre est là, les rues sont sales et la poussière est vivace.

Lorsqu’un brûlot enflamme une partie de la pellicule, les enfants continuent sur leur lancée, et l’on ne peut s’empêcher de penser aux talibans qui brûlèrent, en 2001, les films de la Cinémathèque de Kaboul et qui déclenchèrent un incendie de 2 semaines. Ce passage marque une rupture dans le processus d’enroulage et de déroulage du film. Commence alors dans notre regard de spectateur l’ « unreel », et toutes ses métaphores qui nous viennent alors, les allégories à cette guerre. La vie qui se déroule sous nos yeux est un film implicite. Le film est brûlé, mais il continue de tourner dans sa bobine (reel en anglais). L’unreel, c’est tout ceci, tout ce qui est évoqué en arrière, d’une manière abstraite et que l’on comprend.

Kaboul est une salle de cinéma dans lequel le spectateur, par la course de ces enfants, regardent la vie se dérouler. La bobine de film est métaphore de la vie, la vie est métaphore du film.

Clément Beraud

Reprise des Soirées Format Court, jeudi 13 octobre 2016

Après plus de 4 ans de programmation en salle, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), Format Court inaugure, dès le jeudi 13 octobre 2016, un tout nouveau cycle de séances.

Nouvelle formule, nouveaux partenariats, nouvelles cartes blanches, nouveaux réalisateurs invités (notamment de l’étranger), nouvelles expos et pots associés : retrouvez nos événements de la rentrée dans les prochaines semaines.

"Feest" de Paul Verhoeven

« Feest » de Paul Verhoeven

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Venise 2016, les courts-métrages retenus

La conférence de presse de la 73ème Biennale de Venise (31 août-10 septembre 2016) s’est tenue hier à Rome. 16 courts-métrages, figurant dans la section Orizzonti, ont été retenus par le sélectionneur Enrico Vannucci. 14 films sont en compétition (dont « Ce qui nous éloigne », le nouveau court de Hu Weï, avec Isabelle Huppert) et 2 en hors-compétition.

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Films en compétition

Le reste est l’oeuvre de l’homme de Doria Achour (France/Tunisie, 14m)

Dadyaa de Bibhusan Basnet, Pooja Gurung (Népal/France, 17m)

Stanza 52 de Maurizio Braucci (Italie, 13m)

Samedi Cinema de Mamadou Dia (Sénégal, 11m)

Colombi de Luca Ferri (Italie, 20m)

On the origin of fear de Bayu Prihantoro Filemon (Indonésie, 12m)

Good News de Giovanni Fumu (Corée du sud/Italie, 17m)

Ruah de Flurin Giger (Suisse, 18m)

Ce qui nous éloigne de Hu Weï (France, 18m)

Srecno, Orlo! de Sara Kern (Slovénie/Croatie/Autriche, 14m)

Amalimbo de Juan Pablo Libossart (Suisse/Estonie, 15m)

La voz perdida de Marcelo Martinessi (Paraguay/Venezuela/Cuba, 11m)

500.000 Pee de Chai Siris (Thaïlande, 15m)

Prima Noapte de Andrei Tănase (Roumanie/Allemagne, 17m)

Hors compétition

Molly Bloom de Chiara Caselli (Italie, 20m)

Midwinter de Jake Mahaffy (USA/Nouvelle-Zélande, 17m)

H comme The Hidden Part

Fiche technique

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Synopsis : Dérogeant à ses habitudes, Asgeir, accepte la présence de Woré, une jeune femme africaine, à bord de son camion. Réunis le temps d’une journée sur les routes d’Islande, ces deux êtres enfermés dans leur solitude vont découvrir, malgré eux, une part de l’autre mais aussi d’eux-mêmes.

Genre : Fiction

Durée : 12′

Pays : Belgique

Année : 2014

Réalisation : Monique Marnette, Caroline D’Hondt

Scénario : Monique Marnette, Caroline D’Hondt

Image : Léo Lefèvre

Montage : Damien Keyeux

Interprétation : Ingvar Eggert Sigurðsson, Babetida Sadjo

Production : Man’s Films Productions

Article associé : la critique du film

The Hidden Part de Monique Marnette et Caroline d’Hondt

Prix du meilleur court métrage au FIFF (Namur) en 2015 et présenté au Court en dit long à Paris cette année, « The Hidden Part » de Monique Marnette et Caroline d’Hondt est en quelque sorte un road-movie détourné, un portrait subtil et réflexif de l’exil et de la solitude.

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Le film présente la rencontre entre Asgeir, un camionneur taciturne et solitaire, et Woré, une autostoppeuse africaine menacée de déportation, sur fond de paysages islandais désertiques. Au fil de leurs pérégrinations, un lien de confiance se noue entre les deux personnages, apparemment diamétralement opposés mais réunis dans leur fragilité.

Faisant fi de toute exposition explicite des événements antérieurs ou de la très probable suite romantique de l’aventure racontée, les réalisatrices privilégient le ressenti des émotions à un récit basé dans l’action. Elles prennent le temps de poser les personnages dans les situations, de laisser se déployer les scènes de confrontation, de reconnaissance et de connivence. Le sentiment du vide, au sens propre comme figuré, est appuyé par la poésie du décor : des paysages polaires majestueux qui sont en quelque sorte un personnage à part entière.

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C’est entre cette nature ample, généreuse, englobante, et le huis-clos du véhicule restreint d’Asgeir que la mise en scène vacille, symbolisant la double sensation d’enfermement et d’errance vécues par les protagonistes. Les cinéastes usent habilement du cadrage pour bien diviser à l’écran les deux individus, destinés à appartenir à deux mondes distincts malgré leurs tentatives de rapprochement.

S’ajoute à cela un jeu d’acteur remarquable, autant de la part de l’Islandais Ingvar Eggert Sigurðsson – vu dans « Sparrows », le deuxième long-métrage de Rúnar Rúnarsson, que la comédienne belge Babetida Sadjo, qui parviennent tous deux à s’exprimer parfaitement à l’aide d’une gestuelle et d’un jeu de regards maîtrisés, permettant ainsi un scénario quasiment épuré de dialogues superflus. Somme toute, c’est cette part cachée des relations humaines – que le cinéma n’a nullement besoin d’expliciter – que Monique Marnette et Caroline d’Hondt font si bien ressentir dans ce film touchant et éloquent par son silence.

Adi Chesson

Consultez la fiche technique du film

Hotaru de William Laboury en ligne

« Hotaru », le film de William Laboury produit par la Fémis, est en ligne depuis quelques jours sur le site d’Arte +7. Le film, à découvrir en ligne jusqu’au 31 juillet 2016, a été programmé par la chaîne dans une émission spéciale Court-Circuit consacrée à la science-fiction.

Lauréat cette année du Prix spécial du Jury à Clermont-Ferrand et du Prix des étudiants et de la création musicale à Angers, le film a fait l’objet d’une critique publiée sur Format Court au moment de sa sélection au Festival IndieLisboa, en mai dernier. L’occasion de découvrir ce film étonnant, si vous ne l’avez pas vu, et d’en (re)lire notre regard critique en ligne.

Hotaru-William-Laboury

Synopsis : Ils m’ont dit : « Tu as un don, Martha. Ici, ce don ne te sert à rien. Alors on te montrera les plus belles choses. Tu ne te réveilleras jamais. Mais tu porteras les souvenirs les plus précieux. »

Sparrows au cinéma

Rúnar Rúnarsson, un réalisateur islandais qu’on aime beaucoup à Format Court, auteur de trois courts passionnants dont « Smáfuglar » et « Anna », a réalisé un premier long-métrage, « Volcano », puis un deuxième, « Sparrows », toujours à l’affiche dans quelques rares salles françaises et présenté cet été au Festival de La Rochelle.

Le réalisateur, rencontré à Cannes il y a 7 ans déjà, filme de projet en projet son beau pays, l’Islande, et s’intéresse encore et toujours aux comédiens non professionnels, aux dérives, aux aux périodes de transition et au passage à l’âge adulte. « Sparrows » ne déroge pas à la règle puisque le film suit la vie d’Arti, un jeune de 16 ans contraint de quitter sa mère et sa ville (Reykjavik) pour rejoindre son père et ses anciens amis dans la région isolée des fjords, au nord-ouest de l’Islande, d’où il est originaire. Arti et ses anciens proches se sont éloignés depuis un moment et Arti tente tant bien que mal de se faire sa place.

Si le film se révèle un un peu faible par endroit, il est intéressant de revoir le jeune Atli Oskar Fjalarsson qui officiait déjà dans « Smáfuglar » (2008) et qui a bien grandi depuis. Être témoin de l’évolution du garçon et du comédien, retrouver ses silences et ses regards graves et même une scène-clé du court-métrage, intéresse, de même que la confrontation avec le « père » d’Atli, Ingvar Eggert Sigurðsson, un comédien de théâtre et de cinéma, ayant joué dans plusieurs films de Sólveig Anspach, dont le dernier en date, « L’Effet aquatique ».

Après trois courts et un long, Rúnar Rúnarsson poursuit son exploration d’un cinéma sensible et  garde un autre lien avec l’apprentissage de ses débuts : son équipe technique. La photo de ses premiers films est signée Sophia Olsson, celle des longs aussi, au montage, intervient Jacob Schulsinger, et à la musique, Kjartan Sveinsson.

Noah de Patrick Cederberg & Walter Woodman

Fiction, 17′, 2013, Canada, KoalaMotion

Synopsis : Une histoire qui se déroule intégralement sur l’écran d’ordinateur d’un ado. Nous sommes témoins de la dégradation rapide de la relation entre Noah, personnage éponyme, et sa copine, au fil de cette fascinante étude des comportements (et de l’amour) à l’ère numérique.

Film d’école d’une grande originalité formelle, prix du meilleur court métrage canadien au Festival de Toronto en 2013, Grand Prix Labo et Prix du public au Festival de Clermont-Ferrand en 2014, « Noah » exploite le voltigement des informations à l’ère numérique pour justement exposer ce fait. Le film nous rappelle allégrement la transformation subtile mais rapide que les rapports humains sont en train de subir aux quatre coins du globe. Tout comme celle de Noah et Amy, les relations amoureuses se déploient aujourd’hui dans des fenêtres Skype, au même plan que la musique, le porno, les chats en continu…

Soi-disant über-connectés, nous pratiquons une communication constante mais usée, vidée en grande partie de son intérêt. Les sentiments s’expriment par le biais d’un nouveau langage écrit, concis et évolutif, nuancé par des acronymes et des symboles émotifs qui se substituent souvent pour nos vraies émotions. Les vérités se jaugent sur la base de statuts et de commentaires Facebook. De même, le sens de la vie pour beaucoup se découle de ces derniers. Derrière nos multiples écrans, nous sommes bien dans une société du spectacle à la Debord, aliénée et aliénante.

C’est toutefois sans dénonciation ni jugement que « Noah » fait état de ce phénomène « adolescent » qui est en train de rendre toute l’humanité adolescente. Trois ans plus tard, le propos reste entièrement d’actualité, seule le choix d’un ordinateur au lieu d’un smartphone dernière génération semble légèrement daté !

Adi Chesson

CourtsCourts 2016, les films en compétition

Depuis ce soir, le village de Tourtour accueille le 7ème festival CourtsCourts, organisé par Michèle van Panhuys-Sigler, pour trois projections en plein air.  Voici les 14 films retenus en compétition.

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Films sélectionnés

Sans chien, 21mn 30 , de David Kremer, France, 2016

La tête de l’emploi, 7 mn 20, Wilfried Meance, France , 2014

La baignoire, 12 mn 55, de Tim Ellrich, Allemagne, 2016

Peripheria, 12 mn, animation de David Coquard-Dassault, France, 2015

Pleased to meet you, 18mn 20 de Fairouz M’Silti , France 2016

Vacances, 20mn 15 , de Pascal Bonnelle, France, 2016

Première séance, 10mn 21 , de Jonathan Borgel, France, 2016

Bonk ! 15mn 30 , de Kevin Manson, France, 2016

Tunisie 2045, 3mn 30 , de Ted Hardy-Carnac, France, 2016.

Rocambolesque, 19 mn 04 , Loïc Nicoloff , France, 2016

Sous tes doigts, 13 mn , animation de Marie-Christine Courtès, France , 2014

La nuit tous les chats sont roses, 19 mn 45, de Guillaume Renusson, France, 2015

French touch , 22mn 03 , de Xiaoxing Cheng , France/Chine, 2015

Où t’étais ?, 13 mn 30 , de Vincent Morvan , France, 2015

Ali Asgari & Farnoosh Samadi Frooshani. I comme Iran

À deux, ils façonnent un cinéma qui nous plaît énormément, un cinéma sur le fil, très pudique, simple et intime. Si on a découvert l’Iranien Ali Asgari il y a trois ans à Cannes avec un film très maîtrisé en compétition officielle, « More than two hours » (titre original « Bishtar Az Do Saat »), on l’y a retrouvé cette année avec un nouveau titre, également très fort, en compétition, « Il silenzio », accompagné de sa compagne et co-réalisatrice, Farnoosh Samadi Frooshani. Après avoir projeté leur film au Studio des Ursulines en juin dernier, en leur présence, nous publions leur entretien réalisé au festival. Un entretien nourri par  les tapis persans, la censure, les silences, la vérité, la débrouille et les liens.

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En l’espace de plusieurs courts, on vous sent de plus en plus investi dans les thèmes suivants : le secret, le tabou, l’intime, le privé. Est-ce quelque chose très présent dans votre travail quand vous préparez un nouveau court ?

Farnoosh Samadi Frooshani : À chaque fois que je travaille pour Ali ou pour moi, je cherche près de moi, autour de moi. Pour moi, la vie est comme une accumulation de tapis persans. Je cherche des choses invisibles pour les autres, mais qui me parlent.

Ali Asgari : Tu veux voir ce qu’il y a derrière. Farnoosh parle de tapis iraniens. Ils comportent beaucoup de symboles, d’histoires, de détails.

F.S.F : J’adore les détails !

A.A : Au premier coup d’œil, on ne voit pas tout mais si on fait attention aux détails, on en apprend davantage. Pour le scénario, c’est la même chose. Avec les détails, on touche plus le public.

F.S.F : À Rome, il y a un grand jardin qui surplombe toute la ville, que tu peux voir grâce à une longue vue. Quand j’écris, je pense à ça : je vois toute la ville et j’imagine les secrets qui s’y dissimulent.

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Dans votre filmographie, un film se démarque, « La Douleur » dans lequel un jeune homme cherche à tout prix à être reçu par un dentiste qui refuse de le recevoir parce qu’il a le sida.

A.A : : Il s’agit d’un film tourné en Iran. Je voulais confronter le public à une situation complexe : faut-il dire la vérité ou non ? Est-on prêt à tout entendre ? Le personnage du film choisit de dire la vérité sur son état, il est rejeté, réagit de manière extrême, non attendue. C’est quelque chose de très violent à voir pour le spectateur, mais pour moi, sa réaction est logique, c’est comme un cri face à sa situation.

Tu parles de cri mais dans vos films, les personnages ne crient jamais. Ils sont très silencieux au contraire.

F.S.F : Oui, c’est vrai. Dans notre dernier film, « Il silenzio », nous avons souhaité montrer une mère et une fille devant affronter une situation bien particulière – le cancer de la mère – et le silence de sa fille qui n’accepte pas cette situation, sa confrontation à la disparition de sa mère.

A.A : : La dernière scène dans le film (la fille se couvre les oreilles pour ne pas entendre les mots du médecin) a été inspirée par Le Cri de Munch qui est aussi un cri silencieux. C’est une belle opposition, crier dans le silence.

Quelle était votre envie pour ce film ?

A.A : : Pour « Il silenzio », on a souhaité parler du silence en général, d’où le titre du film, mais aussi du silence des enfants de l’immigration, témoins silencieux de problèmes qui arrivent autour d’eux. Le sujet du film est surtout le lien d’un enfant à sa mère, on ne voulait pas se centrer sur la question de l’immigration, mais on souhaitait quand même évoquer ses conséquences du point de vue de l’enfant.

Comment c’est de travailler ensemble ?

A.A : C’est super (rires) ! On travaille ensemble depuis quatre courts-métrages. C’est une vraie collaboration, on se parle beaucoup. Farnoosh a scénarisé mes précédents films. Quand elle a eu l’idée d’ Il silenzio », on a décidé d’aborder ensemble sa réalisation.

Farnoosh, tes histoires sont très particulières, elles se passent la plupart du temps en Iran et parlent de choses que la société iranienne n’a pas vraiment envie d’affronter. Elles se situent près des limites sans jamais les franchir. Comment écris-tu avec tous ces paramètres ?

F.S.F : En tant que réalisatrice et scénariste iranienne et ayant grandi avec la censure, quand je pense à une histoire, je me censure moi-même non volontairement, non consciemment.

C’est difficile ?

F.S.F : On me le demande mais ça ne l’est pas car c’est à l’intérieur de moi. Je pense que ce n’est pas si mal pour moi, ça m’offre une belle part de mon écriture.

Vous avez vécu en Italie, vous vivez maintenant en France. Pensez-vous écrire et filmer différemment ?

A.A :  Quand on fait des films, la plupart du temps, le sujet nous attrape. Je ne peux pas dire ce que je ferai ailleurs, avec d’autres histoires. Si d’autres histoires m’attrapent, j’essayerai de les faire. J’ai surtout envie de continuer à faire des films qui me permettent de connecter les gens entre eux. Tous nos films peuvent être résumés d’une simple phrase. Ils peuvent aussi naître d’une photo. « The Baby » est né comme ça.

De quelle photo ?

A.A : Une amie a posté une photo sur Facebook montrant deux filles ensemble. L’une d’entre elles fumait. La photo avait été prise à l’université. Ça a eu beaucoup d’effet sur moi, j’y ai pensé pendant plusieurs jours.

F.S.F : On avait une base de scénario et la photo a déclenché quelque chose.

Et pour « Il silenzio » ?

F.S.F : Ça a été un peu la même chose. Une de mes amies rencontrées en Italie a eu un problème médical, je l’ai accompagnée à l’hôpital.Ce n’était pas un gros problème mais je me suis dit : “Que faire si le médecin m’annonce une mauvaise nouvelle ? Comment réagir ?”

A.A : On avait aussi l’obsession de faire un film sur des enfants immigrés devant quitter leur pays, on a donc mélangé ces deux situations. On travaille comme ça : avec des liens, des images, des phrases et de l’imagination.

De film en film, vous travaillez avec des comédiens non professionnels. Pour quelle raison ?

A.A : C’est vrai, dans tous mes films, je travaille avec des non professionnels. Ils reviennent de film en film. Certains font du théâtre, mais sont amateurs. Je ne crois pas que les professionnels sont ceux qui travaillent le plus. Les superstars ne sont pas plus professionnelles parce qu’elles sont plus connues. Je suis plus intéressé par le fait d’être professionnel par ce qu’on fait, par ce qu’on dégage, par ce qu’on amène sur un plateau et par le respect de son travail.

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Vous êtes en train de préparer votre premier long-métrage. Où en êtes-vous ?

A.A : Il va être tourné à Téhéran, on espère en janvier. J’en serai le réalisateur, Farnoosh la co-scénariste. Il pourrait s’agir d’une co-production franco-iranienne. Pour le moment, le film est iranien car en France, cela prend beaucoup de temps pour financer les films.

En Iran, vous n’avez pas besoin de beaucoup d’argent pour tourner, n’est-ce pas ?

A.A : Personne là-bas n’attend l’argent. Si tu veux filmer, tu demandes à tes amis. Tu leur proposes la somme que tu as et tu leur demandes si ils sont pris ou non. C’est la différence avec la France et l’Europe : en général, si tu veux faire un court, tu vas voir ton producteur qui te fera attendre 6 mois ou un an pour trouver l’argent et obtenir l’accord des commissions. A Téhéran, tu prends ton téléphone, tu donnes tes dates de tournage et tu y vas. Le peu d’argent public va aux gens connus. Notre fonctionnement est très simple et très bon marché. C’est pourquoi on produit énormément de courts.

La plupart ne sont pas vus.

A.A : Car ils sont très amateurs, faits par besoin d’expérience, mais quelques bons films ressortent quand même chaque année.

Comment les gens réagissent-ils à vos films dans votre pays ?

A.A : Les gens peuvent être très nationalistes, tu ne peux pas imaginer à quel point certains réagissent très mal à nos films car ils estiment que les problèmes qui existent dans notre pays doivent rester à l’intérieur et ne pas être montrés à l’extérieur.

F.S.F : Je pense qu’ils n’aiment pas la vérité. Par exemple, la situation de « More than two hours »(une jeune femme se voit refuser de soins après des complications liées à sa première fois parce qu’elle n’est pas mariée) est arrivé à mon amie. Tu ne peux pas imaginer combien de jeunes gens nous ont dit que ce genre de problème n’était pas vrai, que si une femme avait ce souci et se rendait à l’hôpital, elle serait soignée très rapidement. Seulement le film qu’on a fait montre la situation complètement opposée. Ça dérange.

A.A : Pour moi, confronter les gens à une situation existante, leur montrer à quel point elle est négative, les incite à ne pas y croire, mais peut-être que leur inconscient sait – mais ne veut pas admettre – qu’une telle situation existe.

Certaines personnes nous disent qu’il faut montrer la beauté de notre pays, je leur réponds que ce n’est pas mon job, mais celui de la municipalité. Il y a beaucoup de documentaires qui vont dans ce sens, mais ce n’est pas ce qui compte pour moi. Je vis dans un beau pays mais j’essaye de montrer la réalité dans laquelle les gens vivent et portent leurs identités. Pour moi, c’est plus important de montrer qui on est et comment on vit dans ce monde.

Vous essayez aussi de dépeindre une société très mixte.

F.S.F : Oui, exactement. Si j’avais vécu la situation de « More than two hours », ma famille n’aurait pas réagi car je suis leur fille, mais à Téhéran, les gens sont issus d’une société très mixte. Ils sont partagés entre traditions et modernité.

A.A : Il y a beaucoup de conflits dans les familles, c’est pour cela que ça m’intéresse beaucoup de faire des films sur les jeunes générations, sur l’opposition entre les croyances des anciennes et des jeunes générations sur la vie des gens.

F.S.F : C’est également important pour moi de parler des rapports dans la famille et la société. On peut changer tous les 30 ans, faire la révolution, changer de gouvernement, mais l’esprit des familles, des parents prend bien plus de temps à évoluer.

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Vous travaillez sur des durées très courtes (15 minutes maximum). Comment pensez-vous aborder cette nouvelle étape de long-métrage ?

A.A : Chaque format a sa propre structure et ses propres personnages. Dans le court, tu ne dois pas te focaliser sur beaucoup de personnages, juste sur un.

F.S.F : Et on n’a pas besoin de beaucoup de détails, juste une intrigue.

A.A : Pour le long, il y a les personnages principaux mais aussi les secondaires. Ça va être très différent de nos courts. Ça ne va pas être facile d’y arriver. Ça demande plus d’expérience, mais on doit surmonter cette difficulté.

Y-a-t-il une phrase ou une photo à la base de ce nouveau projet ?

A.A : C’est une sorte d’essence de tous les courts mis ensemble dans un même film ! Je ne sais plus quel cinéaste a dit que les réalisateurs font séparément différentes séquences de leurs films mais qu’elles font en général le même film !

Après ou avant, pourriez-vous faire d’autres courts ?

F.S.F : Pour moi, « Il silenzio » marque une étape, c’est un début, c’est ma première réalisation. J’aimerais tourner plus de films, deux ou trois courts, en faire un tout seul pour gagner en expérience.

A.A : Moi, j’aimerais en faire un nouveau chaque année ! Quand j’essaye de faire un film, je ne pense pas à la durée. L’idée me plait, elle correspond à un court ou un long. Après, j’essaye juste de la concrétiser.

Propos recueillis par Katia Bayer

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Ouaga mélodie de Uriel Jaouen Zrehen

Après « Pivot » d’André Bergs choisi par Harry Bos, chargé du cinéma néerlandais pour l’Ambassade des Pays-Bas à Paris, notre rubrique « Le film de la semaine » accueille un nouveau titre repéré par une autre pro du court, Michèle van Panhuys-Sigler, directrice du festival CourtsCourts (21-23 juillet 2016), à Tourtour (Var) : « Ouaga mélodie » de Uriel Jaouen Zrehen.

Ouaga mélodie de Uriel Jaouen Zrehen. Burkina Faso, France, 2011, fiction, 13’

Synopsis : Un flûtiste dans la ville, une femme qui tombe, une éclaircie… celle de Ouaga et Mélodie.

Ce film, c’est une histoire, une histoire que Uriel Jaouen Zrehen raconte par le biais du court-métrage, qui fonctionne à merveille, et qui nous désarçonne continuellement : l’Afrique ? Un homme et une femme? Le handicap ? Les clichés nous guettaient pourtant, mais on y voit une Afrique sans violence, avec son décor quotidien, la poussière, les couleurs chaudes, rose, ocre, jaune, turquoise… Dans ce film, les rôles de chacun ne sont pas déterminés par la couleur de la peau, l’Afrique offre un autre visage. Une Afrique dans laquelle la musique est partout : le bruit de la foule, une petite musique de flûte qui s’entrelace dans le récit, les chants, et enfin cette mélodie qui court à travers le film…

Pour ce réalisateur qui a filmé dans de nombreux pays, le court est une aventure humaine et le processus technique, un moyen et un défi (le film a été réalisé lors d’une séance Kino de 48h au Burkina Faso) au service d’un récit universel.

Michèle van Panhuys-Sigler

The Principle of Grace de Maya Kessel

Au Festival du film d’étudiant de Tel Aviv, on a pu voir « The Principle of Grace » de Maya Kessel. Une introspection sensible sur le quotidien d’une infirmière à domicile travaillant pour le compte de la Sécurité sociale.

A Principle of Grace-maya kessel

Lauréat du Prix Keren Gesher du meilleur film d’étudiant au Festival d’Haïfa, le court métrage de Maya Kessel porte en lui les cicatrices d’un monde figé hors du temps. Ce monde c’est celui de Rita, la quarantaine, mère de deux enfants, qui se rend chez des patients pour vérifier leurs capacités réelles et s’assurer ainsi qu’ils ne profitent pas des aides financières mis en place par la sécurité sociale. À ses côtés, une jeune stagiaire à laquelle elle explique les ficelles du métier, est confrontée à l’approche peu empathique de Rita. Plus méfiante que compréhensive, Rita est blasée par son métier et coincée dans une routine robotique se protégeant de toute expression émotionnelle. Mais lorsque qu’elle sonne chez Bella, une immigrée russe qui vient de perdre son mari, Rita est déstabilisée. C’est que cette femme désœuvrée, pour laquelle elle sert de traductrice, lui renvoie son propre chemin d’immigrée avec ses choix et son avenir incertain.

A Principle of Grace-maya kessel1

L’incertitude et l’angoisse de Rita se ressent dans chaque plan serré qui scrute son visage. Aucun plan d’ensemble n’est là pour nous rassurer sur les enjeux , les tenants et aboutissants du contexte socio-professionnel à travers lequel Rita évolue et tente de se construire. Car il s’agit bien de cela au final, de (re)construction, de voie à tracer, d’empreinte à laisser pour ceux qui nous suivent. Mais comment y arriver si, comme Rita, on coupe les liens qui nous unissent et on fait abstraction de la culture et de la langue qui forgent notre identité? Comment faire partie d’une société si en quelque sorte on se “déshumanise” pour correspondre à la norme, pour suivre les règles établies ?

Doté d’une réalisation fragile et délicate en harmonie avec son sujet et porté par une Maya Gasner (aperçue dans « Himnon » de Elad Keidan) admirable, « The Principle of Grace » traite des frontières poreuses que l’on bâtit entre le devoir et le désir, entre le besoin et l’envie. Maya Kessel, étudiante de la Sam Spiegel School a su habilement traiter d’amour, d’exil et de solitude à travers une histoire attachante.

Marie Bergeret

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