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Face à la mer d’Ely Dagher

Le premier long-métrage d’Ely Dagher Face à la mer, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2021 et sorti au cinéma le 13 avril dernier, est disponible en DVD chez Jour2Fête et JHR Films.

La scène cannoise ne lui est pas étrangère : le réalisateur s’était vu décerner en 2015 la Palme d’or du court-métrage pour Waves ’98, un essai visuel livrant un diagnostic poignant de la société libanaise, que l’on peut retrouver désormais dans les bonus du présent DVD. Son personnage principal, un adolescent désillusionné, s’emprisonne dans sa bulle, figé dans son lit, devant la télé, où les infos tournent en boucle. En pleine crise des déchets de 1998, peu de temps après la fin de la guerre civile, il vit une vie dépourvue de tout son goût. Il tente de maintenir son sentiment d’appartenance au monde qu’il sait pourtant creux, mais échoue et part dans une déambulation existentielle. Afin de faire résonner en nous cette atmosphère chaotique d’une âme prise au piège, le réalisateur opte pour son court pour une alternance rythmée d’animation et de prises de vues réelles.

Toujours fidèle au mélange des registres visuels allant de l’abstrait au naturalisme, Dagher reprend dans Face à la mer la réflexion déjà entamée sur le sort de son Beyrouth natal, cette fois-ci sous la forme d’un récit de retour. Jana (Manal Isa), une jeune expatriée, revient brutalement chez ses parents après plusieurs années d’études à Paris. Elle pose un regard apathique et distant sur sa ville qui a tant changé en son absence. Qu’a-t-elle fait en France tout ce temps ? Que s’est-il passé pour qu’elle soit soudain revenue ? Ses proches voudraient entendre les réponses, mais n’osent pas rompre le silence. La jeune femme se confie très peu, son mal-être est si profond qu’il lui est impossible de trouver les mots pour le soigner.

Les images expriment à sa place ce qu’elle ne peut pas dire par le rythme des plans lancinants sur Beyrouth déserté et immobile, ravagé par les années de guerre et de mauvaise gestion. Tous ses habitants sont plongés dans un état léthargique, à commencer par ses parents qui ne vivent pas vraiment, mais qui semblent attendre quelque chose sur leur balcon, cigarette à la main, comme deux silhouettes fantomatiques. Ici, il n’y a pas de travail, pas de but à accomplir. Le son des vagues autrefois joyeux et berçant n’annonce plus l’arrivée prochaine de la saison touristique, quoiqu’en dise la radio. Certains auditeurs craignent que le tsunami ne vienne engloutir la ville, la speakerine tente de les rassurer d’une voix calme. Bien que tourné avant l’explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020, le film retranscrit le sentiment de catastrophe imminente qui pesait d’ores et déjà sur le pays. Jana observe le quotidien désemparé de ses proches d’un regard lourd de souvenirs qu’on imagine amers.

Comme un souffle d’air frais, arrivent ses retrouvailles avec son fiancé Adam. Jeune musicien frustré lui aussi, il veut fuir cette ville de fantômes pour ne pas ressembler à ceux qu’il décrit comme « impassibles et indifférents ». Leur brève complicité permettra d’enrichir le portait de Jana. Ensemble, ils danseront comme jamais, feront des fêtes jusqu’au petit matin, une baignade nocturne et des balades en voitures, mais rien de tout cela ne saura la faire rayonner à nouveau. Toujours imprégnée par le vide existentiel, elle ne trouvera qu’un refuge temporaire dans sa compagnie.

Ce sentiment douloureux du retour impossible, du lien brisé avec son propre passé, Ely Dagher parvient magnifiquement à l’illustrer lors d’un épisode où Jana se retrouve sur le balcon de l’immeuble parental, désormais privé de la vue sur mer, encerclé par des ensembles bétonnés qui bourgeonnent tout autour. Le gris industriel, tel un symbole de la jeunesse sans avenir, ne laisse par apercevoir l’horizon, pourtant tout proche.

Le réalisateur laisse entendre subtilement à travers un autre plan marquant et surréaliste qu’il n’y a aucune perspective d’échappatoire en vue : les silhouettes, y compris celle de Jana avancent au ralenti dans l’eau stagnante et trouble, comme après le tsunami précédemment redouté.

Face à la mer fait partie de ces films qui délibérément ne cherchent pas à résoudre les intrigues et les non-dits de l’histoire, qui agissent lentement, aidés par la bande sonore et les plans contemplatifs, et transposent un ressenti. Prenant conscience de la frontière intérieure infranchissable entre elle et sa ville natale, Jana décide enfin de reprendre la route, non sans un accès de violence extrême, dernier acte de rébellion pour reprendre sa liberté. Mais pour aussi impressionnante que soit cette scène, sa soudaineté bienvenue tranchant avec l’apathie jusque là manifestée par Jana, elle nous paraît disproportionnée et injustifiée à ce stade. Une fin qui se veut poignante, hélas trop peut-être.

Polina Khachaturova

Face à la mer d’Ely Dagher : Film, court-métrage Waves ’98, musique originale du film, livret (12 pages). Edition : JHR Films

Festival Format Court 2023, appel à films !

Chères toutes, chers tous,

C’est le grand jour !

Top départ pour l’appel à films de la 4ème édition du Festival Format Court !!

Vous avez réalisé ou produit un court (hors film d’école) de fiction, d’animation, documentaire ou expérimental de 30 minutes maximum, qu’il soit en prises de vues réelles ou animées ?

Du mardi 20 septembre 2022 au mercredi 30 novembre 2022 minuit, rendez-vous sur notre site internet pour voir si votre film est éligible et pour postuler à notre nouvelle compétition.

Le Festival Format Court se déroulera du 13 au 16 avril 2023, au Studio des Ursulines (Paris, 5e).
 
Nous sommes impatients à l’idée de découvrir vos œuvres !

Pour postuler :

– Prendre connaissance du règlement téléchargeable sur le site de Format Court

– Compléter le formulaire sur Google Form via le site de Format Court au plus tard le mercredi 30 novembre 2022 avec un lien de visionnage en ligne ainsi que son mot de passe éventuel

Les décisions du comité de sélection seront consultables sur le site de Format Court, relayées par ses différents réseaux sociaux, et communiquées aux réalisateur.ices ou producteur.ices par e-mail.

C’est désormais à vous de jouer !

Pour toute question, merci de nous contacter à films.festivalformatcourt@gmail.com

À très vite,

L’équipe de Format Court

Merci à tous pour vos participations : l’appel à films est clos depuis ce 30 novembre, minuit !!!

Emmanuel Mouret : « Faire des films, c’est se confronter à une image de soi et de ses limites »

À l’affiche ce mercredi avec son 11ème long-métrage Chronique d’une liaison passagère réunissant Vincent Macaigne et Sandrine Kiberlain, Emmanuel Mouret est mis à l’honneur à la Cinémathèque française jusqu’à demain à l’occasion de la présentation de deux programmes de courts (ses premiers diffusés à 18h30, alors qu’il était encore à la Fémis, ses derniers à 21h, réalisés entre ses longs-métrages). L’occasion pour nous de faire le point sur ses débuts, son rapport au scénario, à la parole, aux acteurs, à Rohmer et au désir.

Ⓒ DK

Format Court : Comment perceviez-vous le format du court-métrage lorsque vous étiez encore étudiant ?

Emmanuel Mouret : J’avais réalisé des courts-métrages avant l’école mais en fabriquant – comme tout le monde – des films avec mon caméscope. Je me souviens qu’à la Fémis, il y avait quelque chose dans le format court qui me déplaisait. Ce qui était intéressant pour moi, c’était la longueur, le fait qu’on s’attache aux personnages, aux situations… J’étais impatient d’aborder des durées plus longues. Dans les rendez-vous qu’on avait, on avait un premier projet de court métrage en 35 mm qui en général devait faire maximum dix minutes, je l’ai fait en vingt minutes ; idem pour mon film de fin d’études (Promène donc toi tout nu !) qui a fait 50 minutes, j’avais aussi essayé de le développer dans la longueur. L’autre idée que je développais, c’était que pour faire des court-métrages, il ne fallait pas un grand sujet mais un petit sujet.

C’est quoi un petit sujet ?

E.M. : Cela ne veut pas dire en soi que cela manque de profondeur ou de grandeur. C’est davantage un sujet qui ne met pas en jeu des grands enjeux : la mort, la grande histoire d’amour, les passions, tout ce qui pourrait avoir une forme soit de gravité ou d’ampleur. J’étais très énervé quand il y avait des pistolets ou revolvers dans les courts-métrages. Ce n’est pas quelque chose qui correspondait pour moi au format du court-métrage.

Vos courts-métrages étaient déjà écrits et joués globalement par vous, comment appréhendiez-vous la question du scénario ?

E.M. : Un peu comme les longs. On se lance dans l’écriture d’un scénario à partir du moment où on a la fin et où on peut se refaire l’histoire, pas d’une façon vraiment différente. Ensuite, je n’avais pas encore écrit de longs, je n’avais pas une idée d’écriture précise si ce n’est ceci : une dramatisation, créer un récit et des attentes que cela soit léger ou grave. Il y avait cette envie de prendre peut-être le contre-pied de courts-métrages qu’il y avait autour de moi ou de mes camarades de promotion, et d’affirmer une apparente légèreté.

Vous avez beaucoup filmé des lieux de Marseille d’où vous êtes originaire (l’école des Beaux-arts, la baie des Singes). C’est important de localiser des lieux différents dans la ville ?

E.M. : C’est important dans certains films, dans certains court-métrages, ça ne l’est pas dans tout les films. Il y a des films où des lieux sont importants et d’autres où c’est l’idée du lieu qui importe. Après pour moi le court-métrage qui m’a le plus marqué, c’est un film d’Eric Rohmer qui s’appelle Nadja à Paris. Rohmer a demandé à une étudiante yougoslave de décrire ce qu’elle aimait de Paris avant de quitter la ville, il l’a enregistrée et il l’a mis en image avec sa voix. C’est aussi un travail autour de la voix-off, qui va au-delà de la simple illustration, ce qui en fait pour moi un court-métrage assez merveilleux et d’une grande profondeur.

En quoi Rohmer vous a beaucoup inspiré ?

E.M. : Rohmer m’a beaucoup inspiré, très concrètement, notamment dans le fait de faire des films. Ce qui est très intéressant, quand on est étudiant ou jeune cinéaste, c’est la simplicité des moyens, souvent on n’en a pas beaucoup pour faire un court-métrage. Le cinéma d’Eric Rohmer ou celui plus récemment de Hong Sang-soo ou de Ryūsuke Hamaguchi, montre qu’on peut faire des films absolument passionnants avec peu de moyens. C’est en ça que Rohmer m’a beaucoup aidé, notamment aussi pour le casting. Quand j’étais jeune, on était pétri de cinéma classique et d’acteurs incroyables en termes de présence, ne serait-ce que par leur faciès, leur savoir-faire. Quand on est étudiant en cinéma, on n’a pas accès à ces acteurs. Je trouve que le cinéma de Rohmer, d’Hamaguchi ou d’Hang Sang-soo, est aussi en présence d’acteurs plus jeunes, où le casting se fait aussi par la personnalité des individus. Il ne repose pas sur une grande habilité mais sur une façon d’être. Rohmer a souvent choisi des petits acteurs qui étaient avant tout des personnalités. Tout ça m’a donné des solutions pour tourner des films, je ne me suis peut-être plus intéressé plus à la personnalité des comédiens qu’à essayer de recréer des personnages comme dans les grands classiques.

Promène-toi donc tout nu ! est votre film de fin d’études. Tourné à Marseille, il dure 50 minutes et vous jouez également dedans. À l’époque, le moyen-métrage n’était pas forcément mis en avant. Est-ce qu’il y a eu une réticence de l’école au niveau de la durée ?

E.M. : On a eu de la chance. Emmanuelle Bercot était dans le même cas que moi, nous étions ensemble dans la promotion et elle faisait de son côté un film de 40 minutes. La direction de l’école avait été mise dehors et nous étions la promotion à qui on fichait un peu la paix. De toute façon, je crois qu’on était contre l’idée d’une école scolaire, donc notre but c’était de faire notre film et on le faisait avec les moyens que l’on avait. Et puis, un film se fait au moins à deux. Les deux personnes qui suivent un film du début à la fin, c’est le réalisateur et le producteur. Je pense qu’un film dépend énormément de son producteur, je trouve qu’on ne le dit pas assez. Il dépend aussi beaucoup de la relation du réalisateur avec son producteur. Pour se donner de la liberté, il faut surtout avoir une bonne relation avec lui.

Le propre d’un film est de faire avec ce qu’on a et avec ce qu’on est, c’est-à-dire avec ce qu’on peut et non pas avec ce qu’on devrait avoir et ce que l’on croit être. C’est quelque chose qui, surtout quand on est jeune et que l’on fait des films, n’est pas évident. Faire un film c’est nécessairement se confronter, pour un réalisateur, à une image de soi et de ses limites. Il y a donc quelque chose de violent dans les débuts, et c’est en même temps ça qui est intéressant : se confronter à ses limites et aux limites que l’on a. Parfois, plus les contraintes sont grandes, plus la créativité l’est.

Le dialogue est central dans vos films. Pourquoi cette fascination pour l’art de la conversation ?

E.M. : Sur le dialogue, il y a beaucoup de choses à dire. J’ai une cinéphilie assez classique et, à un moment donné, je pense que je suis arrivé à faire des films dans un paysage qui, autour de moi, était composé de courts-métrages très différents de ma cinéphilie. Dès que le cinéma est devenu parlant, il est devenu très très parlant. Les films de Capra, de Hawks et de Lubitsch sont des comédies américaines ultra parlantes, tout comme le cinéma italien mais aussi le cinéma français de la Nouvelle Vague. Je ne comprenais pas pourquoi, autour de moi, tous les courts-métrages étaient aussi taiseux voire silencieux. J’avais beaucoup d’admiration pour Bresson mais j’avais l’impression que tout le monde faisait du Bresson. Je trouve qu’il y a une sorte de hiatus similaire dans les études quand on est en réalisation, il n’y a jamais eu un cours sur la manière de filmer les dialogues, hormis le champ- contre-champ. J’ai même déjà entendu des professeurs de scénario dire qu’il fallait dire avec le moins de mots le plus d’informations possible. Pourtant, il y avait une envie autour de moi, et peut-être une certaine forme d’impertinence à la fois nourrie dans le cinéma classique ou par un cinéma américain assez volubile, de faire quelque chose qui le soit. Sans compter que c’est par le dialogue que l’on amène la complexité intérieure du personnage. C’est quelque chose que très tôt je n’ai pas compris : pourquoi se priver autant de la parole alors que celle-ci est, par essence, cinématographique ? Plus un personnage parle, plus on s’approche de son visage pour voir si ce qu’il dit est vrai, si ce qu’il dit est ressenti. Et plus il parle, plus il se contredit, plus il en devient complexe.

Est-ce que la forme courte n’aide pas d’une certaine manière à tout miser sur le dialogue ?

E.M. : Je dirais plutôt oui, car plus c’est court plus il faut aller vite mais au final, je ne fais pas trop de différence entre la forme courte et la forme longue. Ce qui fait la vraie différence, c’est une question d’économie, ce qui fait qu’un film long peut rapporter de l’argent et peut déjà en bénéficier.

Par exemple, Les Contes du hasard et autres fantaisies de Ryūsuke Hamaguchi est un film que j’ai trouvé extrêmement réjouissant cette année, même si j’ai des réserves sur ses histoires. C’est trois courts-métrages d’une demi-heure qui en font un long par un lien thématique finalement assez hasardeux, mais là où je suis content, c’est que le public a très bien réagi au film. C’est un film qui ne coûte pas cher et on aime les histoires courtes comme on aime les nouvelles. Mais le travers du court-métrage, c’est le côté démonstratif et carte de visite où on fait valoir ses talents où on le considère comme un exercice. Je n’aime pas cette idée d’exercice mais j’aime celle des histoires courtes.

La Cinémathèque programme deux séances de vos courts-métrages : vos débuts dans le cinéma et des films plus récents réalisés entre des longs. Est-ce que cette idée d’histoires courtes, c’est quelque chose que vous voulez poursuivre ?

E.M. : Je le fais dans mes longs-métrages puisque, finalement, dans un même film, il y a plusieurs histoires parallèles, c’est une série d’histoires courtes. J’aime bien parfois que la personne raconte une histoire et que cela devienne un flashback, par exemple. Ce que j’essaie de faire pour mon prochain film et que j’avais essayé de faire dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, qui est un long-métrage ultra narratif, c’est de prendre un contre-pied de la série où il y a ce principe de diluer en six ou huit épisodes pour pouvoir avoir tout un récit. J’aime bien qu’en une heure et demie ou deux heures, on ait quelque chose de très ramassé, de très dense, qui fait qu’en sortant de la salle, on puisse refaire le chemin, là où dans une série, il est plus difficile de le refaire car le temps est plus long, sur un rythme très lent. C’est ce que je trouve excitant au cinéma, que ce soit dans le court ou dans le long.

Votre cinéma aborde aussi beaucoup la notion de liberté et celle du désir qui aime les protagonistes…

E.M. : Mes personnages sont souvent pris dans un conflit de désirs, non comme un désir-obstacle mais comme deux désirs se faisant obstacles. Je pense que ces deux désirs correspondent à deux choses. On va suivre l’histoire de quelqu’un de bien comme la plupart d’entre nous, c’est-à-dire vivant en société où il faut répondre à des engagements et les respecter, que cela soit dans la vie sociale et le couple. De l’autre côté, on vit dans des sociétés émancipées où il n’y a pas que l’engagement qui compte mais aussi la réalisation de soi, c’est-à-dire l’honnêteté avec ce que l’on ressent. On veut donc être honnête avec ce que l’on ressent et en même temps tenir ses engagements, c’est là il y a un conflit. Mais c’est aussi ce que raconte la littérature depuis longtemps et c’est pour moi ce qui fonde un drame, une tragédie.

Propos recueillis par Katia Bayer et David Khalfa. Retranscription : Laure Dion, Eliott Witterkerth

Off-Courts 2022, retour sur la 23ème édition

Pour entamer cette rentrée 2022, certains ont eu la bonne idée de conserver ce petit parfum de vacances… ou presque ! Le Festival Off-Courts présentait cette année plus de 120 films, dont 42 en compétition et mettait à l’honneur la rencontre France – Québec autour du film court qui demeure jusqu’alors le noyau dur du festival.

Lorsqu’il y a plus de 20 ans, Samuel Prat (directeur et fondateur d’Off-Courts) déambulait dans les rues de Deauville lors du Festival du film américain, la possibilité d’élargir le champ et d’offrir plus de visibilité au milieu du court-métrage se posa pour lui. Elle se posa si bien qu’il lui a dès lors suffi de traverser la Touques pour installer, au premier étage d’un bar à vin de l’époque, une salle de projection pour une douzaine de personnes et célébrer ainsi le film court de façon un peu plus… off ! Voici au passage l’histoire d’Off-Courts !

Une quinzaine de courts-métrages français, 16 en provenance de la Belle Province et 11 autres qui réunissaient divers nationalités européennes attendaient le jury et les festivaliers pendant huit jours, ponctués de nombreux rendez-vous autour du cinéma avec ceux qui le font.

De cette rencontre franco-canadienne est né il y a une vingtaine d’années, un petit module qui fait l’étincelle et le charme de ce festival : les Laboratoires internationaux de création, où plus de 200 cinéastes, artistes et technicien.nes venu.e.s du monde entier se réunissent autour de projets au pied levé, appelés « kino », qui sont tournés, montés et projetés sur place en l’espace de 48h. Le tout dans la joie et la bonne humeur pour créer, rencontrer et partager ensemble dans une ambiance chaleureuse aux effluves de camembert grillé.

Faisant partie du cercle des festivals cotés en France, Off-Courts n’en reste pas moins accessible aux jeunes réalisateurs.trices et fait surtout la part belle aux premiers courts (dont certains vivaient pour la première fois une projection publique). Sans être pour autant signifié, un fil rouge apparaissait clairement dans cette sélection 2022 avec des thématiques récurrentes, tout en offrant une différence de traitement selon les films sur chacune d’elle. Comme si au-delà de la compétition, cette sélection souhaitait nous montrer quelque chose de plus, comme si elle venait pointer du doigt certaines incohérences qui persistent encore et toujours dans ce bas-monde et que de jeunes cinéastes viennent ainsi effleurer, questionner, bousculer… et si certains pouvaient déplaire, chaque film trouvait sa place de manière cohérente au sein de la programmation.

Commençons par l’un d’eux qui a déjà fait parler de lui au cours de l’avant-dernière Semaine de la Critique à Cannes : Brutalia, days of labour du grec Manolis Mavris. Ce dernier instaure ici une analogie cocasse où le rapport femme/homme se retrouve télescopé avec celui de l’abeille et du bourdon, faisant donc de la ruche une allégorie de notre société où le statut de la femme est donc assimilé à celui d’une abeille ouvrière.

Outre un traitement qui s’inspire du documentaire animalier et les scènes improbables qui en découlent (donnant ainsi un effet très drolatique et pittoresque), Manolis Mavris sert surtout ici un discours sous-jacent très subtil où l’on voit apparaître en toute évidence les dérives patriarcales de nos sociétés. Les abeilles ayant des rôles et des fonctionnements bien précis tels que l’entretien, la production et la reproduction, on se retrouve assez vite à rire jaune en réalisant que, malgré les progrès existants, nos rapports humains ne volent parfois pas beaucoup plus haut que celui des animaux. D’une autre manière et passant cette fois par le film d’animation, ce propos est rejoint par le docu-fiction franco-slovène réalisé par Urska Djukic et Émilie Pigeard : Granny’s sexual life.

Déjà sélectionné à Annecy, ce long travail documentaire reprend le témoignage de quatre grands-mères faisant part de leur expérience en tant que jeunes femmes et laisse apparaître le contexte des us et coutumes à l’égard de leur sexe lors de la première moitié du XXème siècle. Éducations puritaines, mariages de convenance, devoirs conjugaux, maternités imposées étaient les maîtres mots, où pouvaient se dégager ça et là quelques chemins discrets de liberté, qu’elles ont su se frayer au coeur d’un infériorité institutionnalisée… Autant de messages qui peuvent encore trouver une résonance amère aujourd’hui et dont le propos ici est renforcé par le pouvoir d’imagination apporté par les dessins d’enfants qui composent le film.

Représentation du féminin en collectif mais aussi par le biais de trajectoires individuelles, que l’on rencontre notamment dans le court-métrage français Hors-jeu de Sophie Martin où on assiste au parcours d’une jeune mère qui peine à élever son enfant entre un célibat éprouvant et un métier d’aide à domicile pas toujours gratifiant. Dans un univers proche de celui des Dardenne, on observe (grâce à un interprétation flamboyante de la comédienne Coralie Russier) la faculté de ces « petites gens » à encaisser les coups durs, les manquements, les échecs… poussées parfois jusqu’au déni pour finalement céder, le plus souvent dans la violence et l’impuissance, lorsque le langage vient à manquer.

Épreuve similaire traversée par le personnage de Sarah Suco dans En piste ! d’Emilie de Monsabert où une jeune femme, mère d’une enfant autiste, affronte les préjugés en société mais également les monstres qu’elle s’est elle-même créés avec le temps et la perception des autres.

De nombreux itinéraires de femmes jalonnaient donc cette sélection, mais l’enfance, sous plein d’approche et de sensibilité différentes, était également mise en exergue : La Soeur de Margot par la québécoise Christine Doyon mettait en image la faillibilité d’un soeur aînée à s’occuper de sa cadette, en situation d’autisme également. Le film est très habile à montrer l’attitude de la soeur aînée qui oscille entre prévenance et soutien dans le cocon familial, face à un abandon déloyal qui survient lorsque la dimension sociale de la cour de récré prend le dessus. Un personnage jeune, mais riche d’une complexité intime où l’ambition sociale peut déjà altérer l’intégrité de valeurs justes et bienveillantes récompensé du Prix du Public Québéc.

Valeurs auxquelles il faut tenir bon même lorsqu’on est un enfant persécuté par son père à propos de sa supposée homosexualité comme on le voit dans El Rey de las flores, court-métrage autobiographique espagnol, bref et percutant, réalisé par Alberto Vasco. Profondément épris de danse folklorique espagnole, le jeune Victor, âgé de dix ans, est en proie aux préjugés et aux propos homophobes de son père alité. Prenant un plaisir salvateur sur scène, le jeune garçon fait l’expérience du rejet à cause de ce qu’il aime le plus, une réflexion entre souffrance et passion toutes deux intimement liées dans le coeur d’un enfant.

Et puisque l’enfance n’a pas d’âge, c’est cette fois Branka d’Ákos K. Kovács, un court-métrage hongrois qui s’empare de l’histoire véridique et littéralement bouleversante de bébés laissés pour mort-nés, puis dérobés à leurs parents lors du conflit yougoslave au cours des années 1990. Jeune infirmière qui rejoint une maternité au large des zones de guerre, Branka intègre l’équipe des sages-femmes et observe progressivement la succession de nouveaux-nés déclarés morts-nés et enterrés devant des parents laissés en deuil. Face à ce scénario répétitif douteux et à un directeur de clinique faisant la sourde-oreille, Branka surprend alors tout un protocole d’acheminement des nouveaux-nés à destination de pays frontaliers dans l’espoir de leur donner une vie meilleure. Dans ce contexte de guerre où l’avenir des jeunes générations ne semble pas avoir sa place, quelle solution est la bonne ? Effondré, le personnage de Branka se retrouve alors pris dans une mécanique innommable qui laisse aujourd’hui encore de nombreux parents à la recherche de leur progéniture. Un court ayant reçu le Prix du Public Europe et Francophonie.

Dernière thématique assez présente lors de cette compétition, toujours sous le prisme de l’enfance : les agressions et les cicatrices qu’elles laissent. Comédienne établie, Alix Poisson a décidé de passer derrière la caméra et réalise un premier court-métrage poignant où ressurgit chez son personnage principal, Max (bluffant Jérémy Lopez !), une blessure enfouie quelques dizaines d’années plus tôt. Ce dernier étant devenu comédien à succès, il apprend quelques minutes avant de monter sur scène qu’un vieux souvenir est chaudement assis dans la salle. Que faire alors lorsque l’on s’est construit en gardant au fond de soi une plaie béante, faut-il ouvrir la boite de Pandore ou vaut-il mieux prendre ses jambes à son cou ? Point de spoiler, il faut voir 1432 !

Plus tendre, le film d’animation belge de Margot Reumont : Câline remonte le temps de la jeune Coline par la reprise de contact avec un lieu et des décors qui ont été le théâtre de souvenirs douloureux. Les tons très doux, presque pastels, et la dimension quasi-inexprimée du sujet, un non-dit qui traduit le vécu de la jeune femme, transmet avec d’autant plus d’acuité l’unique choix de l’acceptation des souvenirs, de ceux dont on ne peut se débarrasser. Voici une ode douce qui invite à la résilience de ceux qui ont eu moins de chance que d’autres.

Enfin, un dernier film qui prend des allures presque de faits divers et qui dénonce le pouvoir des images et de leur interprétation parfois trop multiple. Petit cousin de La Chasse de Vinterberg, Ce qui vient la nuit, le film de Marion Jhöaner adopte une photographie spectaculaire au coeur des forêts vosgiennes. Lors d’une randonnée familiale, Sven joue à cache-cache avec sa petite nièce, Héloïse, laquelle tombe malencontreusement dans un lac en contrebas. La sauvant in extremis de la noyade par son oncle, il la débarrasse de ses vêtements trempés et l’étreint pour la réchauffer jusqu’à l’arrivée soudaine de la jeune fille au pair. Celle-ci mésinterprète gravement la situation et laisse Sven, rapidement dépassé par les évènements, dans une impuissance à clamer son innocence face à une rumeur qui se répand comme une trainée de poudre. Le spectateur se retrouve seul complice de son innocence, on assiste alors à la plongée abyssale des parents qui lui tombent dessus dans une accusation violente et sans aucun autre fondement qu’une vague photo prise sur le fait. La nuit commençant à tomber sur la montagne, l’occasion venue pour chacun des personnages de se perdre un peu pour mieux se retrouver et peut-être… faire éclater la vérité.

Un festival avec une programmation bien âpre, croirait-on ! Non, ce sont seulement des sujets graves et bien traités, et quand cela est bien fait, cela mérite qu’on en parle. Pour donner le change et égayer un peu ce panel, retenons Duos de Marion Defer (Prix du public France, Prix UniFrance et Prix Office Franco-Québécois pour la Jeunesse), un premier court français brillant mettant en scène deux comédien et comédienne pour quatre personnages, dans une situation burlesque implacable basée sur un comique de situation : un couple de vagabonds s’introduit par effraction dans une résidence secondaire élégante, mais lorsque les propriétaires surviennent, tous ne sont pas au bout de leur surprise. Voici un film que l’on retrouvera à coups sûrs dans de nombreuses sélections cette année !

Et mention spéciale pour Suzanne et Chantal de Rachel Graton, qui nous emmènent dans un pastiche de Starsky et Hutch version grand-maman, où deux doyennes de la police québécoise résolvent de façon peu conventionnelle et plutôt musclée une affaire de trafic de drogue… ou peut-être, est-ce simplement l’histoire d’une femme qui emmène sa vieille mère chez le coiffeur. À voir !

Augustin Passard

Ma famille afghane de Michaela Pavlátová

Ma famille afghane, premier long métrage d’animation de Michaela Pavlátová, est une adaptation du roman de la reporter de guerre Petra Prochazkova, intitulé « Freshta ». Récompensé du prix du jury au festival d’Annecy 2021, le film de Michaela Pavlátová se centre sur la condition féminine dans un Afghanistan tout juste libéré du régime taliban à l’aube des années 2000. Edité par Diaphana, il est disponible en DVD. Nous vous en offrons 3 exemplaires (écrivez-nous !)

C’est l’histoire de Herra, une jeune étudiante tchèque qui ne trouve pas sa place dans la société occidentale, perdue face aux innombrables possibilités d’avenir que lui offre sa liberté. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle trouve un réconfort dans la simplicité rudimentaire de la société afghane soumise à la loi islamique : « tout est plus simple ici. Un mari, une religion, un pays ».

Herra part par amour, elle suit Nazir qu’elle a rencontré sur les bancs de la fac et va vivre avec lui chez sa famille en Afghanistan. Dans ce nouveau pays, on lui fait comprendre qu’elle doit toujours se placer derrière l’homme et que son premier devoir est d’être obéissante. Le personnage d’Herra cherche à comprendre la culture de l’autre, elle épluche ce monde dont elle n’a pas les codes sans pour autant le soumettre au jugement. Son regard porte avant tout une dimension anthropologique. On comprend que Michaela Pavlátová cherche à sortir de la caricature et place la nuance et le questionnement au cœur de son propos.

De cette recherche découle le couple de Herra et Nazir. Leur complicité évidente est sans cesse mise à l’épreuve par leurs différences culturelles. Nazir est un « homme évolué »; il laisse sa femme travailler, ne la répudie pas alors qu’elle ne peut pas faire d’enfants, mais il est profondément offensé quand sa femme reste seule dans une voiture avec un inconnu. La dualité de ces comportements nous dit tout le poids de la culture sur l’individu qui ne sort jamais vraiment de la norme qu’il connaît.

Ma famille afghane se démarque par une véritable vision cinématographique, comme en témoigne l’introduction qui fait coulisser les plans de la mariée qu’on prépare entre différents rideaux. Des surcadrages sont utilisés pour souligner le cloisonnement des personnages dans la maison, et signifier l’aspect à la fois rassurant et étouffant de cet espace privé.

Ce qui est particulièrement appréciable dans ce film, c’est que le dessin à part entière est aussi mis à l’honneur, avec un travail des textures et des couleurs. Le travail d’animation donne vie aux personnages, dont on oublie tout à fait la fictionnalité, et nous arrache quelques larmes au passage.

On retrouve dans la narration le même sens du rythme dont avait déjà fait preuve Michaela Pavlátová dans son court métrage Tram, repéré à la Quinzaine des Réalisateurs, qui exploite le quotidien monotone d’une conductrice de tramway pour faire éclore un spectacle burlesque où le personnage exprime une sexualité débridée sans complexes.

Avec Ma famille afghane, Michaela Pavlátová s’intéresse à nouveau à une trajectoire féminine, de manière beaucoup plus grave mais sans jamais tomber dans le pathétique. Il ne nous reste qu’à attendre avec impatience le prochain projet de la réalisatrice, assez riche de style et de ton pour toujours nous surprendre de court en long.

Anouk Ait Ouadda

Ma famille afghane de Michaela Pavlátová : Film et bonus : présentation du film par la réalisatrice, bande-annonce et court-métrage : Tram. Edition : Diaphana

3 coups de coeur identifiés au Festival Silhouette

C’est au Parc de la Butte du Chapeau Rouge, dans le 19ème arrondissement de Paris, que s’est achevée ce 3 septembre 2022 la 21ème édition du Festival Silhouette. Cette année encore, les séances en plein air, dédiées au court-métrage, nous ont proposé une programmation diverse constituée d’une sélection internationale, de documentaires, de clips et d’œuvres hybrides, qui a su ravir et étonner. L’occasion, sinon brève, de revenir sur Madrugada de Leonor Noivo (Prix du jury jeune), A86 Nord, Sortie 10 de Nicolas Boone (Mention spéciale du jury jeune) et Hideous de Yann Gonzalez, trois coups de cœur singuliers et marquants de cette édition.

Madrugada, désigné comme prix du jury jeune, n’est pas le premier court-métrage de Leonor Noivo. Tourné sur pellicule, ce récit sans aucune présence masculine tire le portrait de Maria (Alexandra Espiridiao), femme de chambre épuisée qui, du jour au lendemain, disparaît. Sa fille (Isabel Costa) se met alors à retracer son histoire pour tenter de comprendre ce qui a pu lui arriver. Prenant la forme d’un témoignage se transmettant de génération en génération, le film sensibilise humblement à l’emprise psychologique que la ville impose aux corps des travailleuses. C’est par ailleurs à travers leurs corps en mouvement que les personnages de Maria et ses collègues nous sont présentés, une performance corporelle caractérisant dès le départ l’exutoire mais aussi l’aliénation de leur être. Leonor Noivo choisit d’établir une dualité s’opérant tout au long du film. L’architecture condensée du béton, son omniprésence à perte de vue, contraste avec la nature qui semble s’éprendre de Maria : des écailles lui apparaissent sur le corps et des racines lui poussent sur les jambes. L’urbanisation morbide et la matérialité de ce monde consomment les femmes, qui n’ont dès lors plus le choix que de s’en affranchir pour se reconnecter avec la nature, source de vitalité et d’émancipation. S’inscrivant dans une véritable ode à l’écoféminisme, ce court-métrage parvient, dans l’intensité de son propos, à nous questionner sur la condition humaine au sein de notre société.

Avec la volonté de placer l’humain au centre de notre société et du monde, le court-métrage A86 Nord, Sortie 10 d’une durée de 57 minutes et signé Nicolas Boone s’éloigne, lui aussi, des infrastructures régies par l’Homme et préfère donc, au sens propre, s’élever. Ainsi, c’est sur les toits d’Aubervilliers que le réalisateur a posé sa caméra. Devant elle se succèdent les personnages : des habitants jeunes ou plus âgés dont nous ignorons pour la plupart le nom, là n’étant pas l’important. C’est à travers leurs discussions, leurs réflexions, qu’ ils et elles nous partagent avec transparence un regard tendre sur leur quartier. Voyageant inlassablement de groupe en groupe au fil du récit, nous sommes témoins de ce paisible spectacle des hauteurs, témoins de ces multitudes de vies qui se succèdent mais ne se ressemblent pas, comme pour nous appeler à se pencher sur des individus singuliers à qui le cinéma ne donne que trop peu la parole, des personnes du quotidien, rarement écoutées voire souvent oubliées. Pourtant, l’atmosphère pourrait être tout autre : le paysage, quoiqu’habité, est bétonné, froid. Le gris du ciel laisse entrevoir les grues comme unique horizon et les bruits de klaxons ont désormais remplacé les chants d’oiseaux. L’environnement change et cela n’échappe pas aux habitants. Mais la bienveillance à tant d’égard de ce film, dans sa construction et ce qui la compose, dégage une bouffée d’air frais si revigorante qu’il nous empresse déjà de voir la suite.

La métaphore du monstre n’est pas nouvelle, le cinéma aime s’en vêtir pour dénoncer des marginalités qu’il nous faut comprendre et affectionner. Hideous, de Yann Gonzalez, ayant fait ses premiers pas à la Semaine de la Critique, hérite de cette même volonté. Une célèbre popstar (Olivier Sim) est l’invitée d’une émission de télévision. Durant les échanges avec le présentateur (Fehinti Balogun), l’artiste se confesse sur une monstruosité qui l’habite et à travers laquelle coexister devient difficile. C’est, par la suite, en pleine prestation musicale que la bête reprendra le contrôle. Séquencé en trois actes bien distincts (le rejet, la honte puis l’acceptation de soi), l’œuvre du réalisateur s’est construite en collaboration directe avec le chanteur Olivier Sim (The XX) autour de trois clips originaux tournés en un seul. Si à première vue le spectacle musical baigne dans une esthétique pop grâce aux chorégraphies et mélodies envoûtantes, comme une douce rêverie et non sans une touche de comédie, le gore sensuel, lui, cache en réalité une thématique bien moins euphorisante : la séropositivité et son traitement dans notre société. Cette image du démon maléfique, assassin, constitué d’un maquillage SFX, fonctionne comme un artifice stéréotypé pour mieux déconstruire la dangerosité, non-fondée, d’une personne atteinte du VIH dans l’imaginaire collectif. Démontrant l’utilité de la lutte et de son héritage, le court-métrage retranscrit toute l’importance d’être soutenu par une communauté malgré l’injonction contrainte de se cacher. Il saisit l’opportunité d’occuper le devant de la scène cinématographique pour nous rappeler, en guise de conclusion, que la sérophobie tue.

Eliott Witterkerth

Projection des Prix de la Critique à la Cinémathèque, lundi 19.09

Projo-événement : 2 Prix remis par les Jurys 2022 du Syndicat Français de la Critique de Cinéma seront diffusés le lundi 19.09 prochain à la Cinémathèque française : Nicolae de Mihai Grecu (Prix du meilleur court métrage 2021) et Il n’y aura plus de nuit de Éléonore Weber (Meilleur Film singulier francophone 2021). La projection aura lieu en présence des réalisateurs et présentée et animée par Bernard Payen de la Cinémathèque, Katia Bayer et Thomas Fouet, membres des jurys du Syndicat français de la Critique de Cinéma. Vous souhaitez assister à cette séance de rentrée ? Nous avons 5×2 places à vous faire gagner. Rien de plus simple pour les remporter : écrivez-nous !

Programmation

Nicolae de Mihai Grecu / France-Roumanie / 2021 / 45 min / DCP / VOSTF. Prix du court métrage 2021 du Syndicat Français de la Critique de Cinéma.

En Roumanie, dans le village rural de Răhău, la population se voit confrontée au retour de Nicolae Ceaușescu sous la forme d’un hologramme.

Il n’y aura plus de nuit de Éléonore Weber / France / 2020 / 76 min / DCP. Avec la voix de Nathalie Richard. Prix du film singulier 2021 du Syndicat Français de la Critique de Cinéma.

Retour sur des vidéos enregistrées par les armées américaine et française en Afghanistan, en Irak, au Pakistan… Le film détourne ces images du discours de propagande et montre où peut mener le désir de voir, lorsqu’il s’exerce sans limites.

Infos pratiques :

– Lundi 19 septembre 2022, 19h, salle Jean Epstein

– Durée de la séance : 121′

– Lien : https://www.cinematheque.fr/seance/38105.html

Etrange Festival 2022

Info de rentrée. L’Etrange Festival s’installe du 6 au 16 septembre 2022 au Forum des images, à Paris. Depuis 22 ans, le cinéma fantastique est au centre de cette manifestation prisée par les fidèles du genre mais aussi les curieux, amateurs de courts, de longs, d’avant-premières, de rétrospectives.

On s’intéressera particulièrement cette année à des premiers longs comme Les Rascals de Jimmy Laporal-Trésordont avait bien aimé le court Soldat noir ou encore Unicorn Wars, le deuxième long de l’Espagnol Alberto Vázquez auquel l’Etrange consacre un focus composé de ses courts (chroniqués sur notre site).

Autres poids lourds de cette édition : les 7 programmes de courts (pas moins), la séance Retour de flamme consacrée à un film restauré datant de 1936 (La Symphonie des Brigands, présentée par le passionnant Serge Bromberg) et la projection de Sans filtre (Triangle of Sadness) de Ruben Östlund, palmé doré de Cannes 2022, en sa présence.

« Divination Dave » de Georgia Madden

Nos nouveaux sujets :

– L’interview de Sébastien Betbeder & Thomas Sciméca (Tout fout le camp)

– Film en ligne 3 : Decorado de Alberto Vazquez (France, Espagne)

– Film en ligne 2 : Scale de Joseph Pierce (Royaume-Uni, France, République Tchèque, Belgique)

– Film en ligne 1 : Divination Dave de Georgia Madden (Royaume-Uni)

Nos articles déjà parus en lien avec la compétition de courts de l’Etrange Festival 2022 :

– La critique de Masques de Olivier Smolders (Belgique)

– La critique de Staging Death de Jan Soldat (Autriche) + l’interview du réalisateur

– La critique de Bestia de Hugo Covarrubias (Chili)

– La critique de Gakjil de Sujin Moon (Corée du Sud)

– La critique de Scale de Joseph Pierce (Royaume-Uni, France, République Tchèque, Belgique) + l’interview du réalisateur

Off-Courts, my dear ! – Trouville-sur-Mer : du 2 au 10 septembre

À l’heure où certains retrouvent en ce moment le chemin de l’école, d’autres ont préféré prolonger leur séjour sur les plages normandes. Avec la 23ème édition du Festival Off-Courts à Trouville, ce sont plus de 120 films dont 42 en compétition qui attendent (gratuitement) les festivaliers.

Répartis en trois catégories distinctes : France, Québec et Europe & Francophonie, la programmation d’Off-Courts cette année révèlent quelques noms familiers (Paul Marques Duarte, Sophie Martin, Enrique Buleo ou Manolis Mavris) mais aussi actrices et acteurs ont décidé de passer derrière la caméra avec Zorey (Swann Arlaud), 1432 (Alix Poisson) et Un dernier été (Xavier Lacaille).

Le festival donne aussi sa chance à de nombreux premiers courts : Duos (Marion Defer), En piste ! (Émilie de Monsabert), Chiatura (Toby Andris), Sikiitu (Gabriel Gagnon) ou Cercueil, tabarnak ! (Loïc Darses).

La section Europe et Francophonie, elle, offre plus de visibilité à des cinématographies souvent moins représentées et met en valeur cette année des courts en provenance d’Irlande, de Grèce, de Hongrie ou du Danemark.

En parallèle à cette compétition, Off-Courts met en place également tout une série de rencontres et d’ateliers, des cartes blanches et des projections thématiques aux titres accrocheurs (« Politik », « Made in Trouville », « Chienne de vie »…) ; et ce sera également la 20ème édition des Laboratoires de la création, parrainée cette année par Rachel Lang et Denis Lavant, où plus de 200 cinéastes, artistes et technicien.nes se retrouveront pour créer ensemble, dans l’adrénaline et la bonne humeur tout au long du festival, des objets qui seront projetés à l’occasion des soirées « Kino ».

Festivalier.ère.s, entre Silhouette et l’Étrange Festival : prenez vos tickets, direction Trouville !

Augustin Passard

Sortie de Memories, ce mercredi 24 août

Memories réalisé par Katsuhiro Ōtomo, Kōji Morimoto et Tensai Okamura, est un film qui réunit le travail des plus grands maîtres de l’animation japonaise. Sorti en décembre 1995 dans les salles de cinéma au Japon, il est uniquement sorti en DVD en France, et seulement en 2004. Il sort enfin au cinéma pour la première fois dans l’Hexagone ce mercredi 24 août 2022, distribué par Eurozoom.

Memories (Memorizû) est composé de trois courts-métrages d’animation, inspirés de trois nouvelles rédigées par Katsuhiro Ōtomo entre 1978 et 1981, et publiées au Japon en 1990 dans un recueil intitulé Kanojo no Omoide (Ses souvenirs). Célèbre auteur du manga Akira (1982-1990) et du film éponyme (1988) qui a contribué à faire découvrir l’animation japonaise en Occident, Katsuhiro Ōmoto a fait appel à deux autres grands animateurs pour réaliser deux des trois sketchs qui constituent Memories. L’animation a été réalisée au studio 4°C en collaboration avec les studios Ghibli, Madhouse et Gallop.

Le premier court-métrage, Magnetic rose, est réalisé par Kōji Morimoto. Co-fondateur du studio 4°C, il a travaillé notamment sur Kiki la petite sorcière de Miyasaki ou encore Akira. Il remania le scénario de ce premier sketch avec la collaboration de Satoshi Kon, également directeur artistique, qui deviendra internationalement connu pour ses films Perfect Blue (1997) ou Paprika (2006). 

L’histoire se déroule en 2092. Une équipe d’astronautes, chargée de nettoyer l’espace de ses épaves, reçoit un appel SOS en provenance d’un cimetière de vaisseaux. Deux des membres de l’équipage, Heintz et Miguel, se rendent dans un vaisseau qui semble abandonné et découvrent un intérieur luxueux proche du style des années 1920. Tandis que des évènements paranormaux les frappent, ils apprennent que la propriétaire des lieux, Eva Friedel, est une ancienne chanteuse d’opéra qui a connu un destin tragique. D’une grande précision et fluidité, l’animation est à couper le souffle dès la prodigieuse scène d’ouverture où l’on découvre les astronautes détruisant un vieux satellite dans l’espace.

Une simple mission de sauvetage laisse place à un cauchemar éveillé pour Heintz et Miguel. Le voyage dans l’espace se transforme en voyage dans le temps, les souvenirs de de la chanteuse hantent les deux protagonistes et se mêlent aux leurs. Chaque personnage se caractérise par une personnalité différente. Miguel, coureur de jupons et plutôt naïf, se laissera vite berner par le fantôme d’Eva Friedel, tandis que Heintz, droit et réfléchi, lutte davantage pour ne pas perdre la raison.

Le réalisateur nous entraîne dans un thriller psychologique où les personnages sont confrontés à leurs failles. Il dépeint la nature humaine à travers la solitude et le manque de reconnaissance d’une artiste déchue, la culpabilité que l’on peut ressentir en laissant sa famille de côté, ou encore l’exploitation des employés par les dirigeants.

L’utilisation de la musique signée Yōko Kanno, grande compositrice japonaise, participe à l’atmosphère si envoûtante de Magnetic Rose. La voix chantante d’Eva Friedel surgit dès le début du film bien avant son apparition. Son chant, dont le thème est inspiré de Madama Butterfly composé par Giaccomo Puccini, devient alors le symbole d’une suspension hors du temps propice à l’illusion et aux rêves. L’opéra devient de plus en plus présent au fil du court-métrage jusqu’à appuyer et accompagner superbement la destruction du vaisseau des protagonistes, dans un final spectaculaire.

Après un épisode aussi intense, le deuxième court-métrage Stink bomb, plus léger et comique, est  le bienvenu. Katsuhiro Otomo a confié la réalisation de ce sketch à Tensai Okamura, qui a travaillé pour des œuvres à succès au Japon comme les séries d’animation Neon Genesis Evangelion (1995-1996) ou Cowboy Bebop (1998-1999).

Dans un laboratoire pharmaceutique, un homme enrhumé avale une pilule qu’il trouve sur le bureau de son patron pour se soigner. Une odeur toxique se dégage de lui, elle rend inconscient tout être qui l’approche. L’homme ne réalise pas ce changement et se dirige vers Tokyo pour délivrer des documents confidentiels.

La teinte dramatique de l’opéra de la première séquence de Memories laisse place au Jazz-funk de Jun Miyake, compositeur également de Pina (2012), pour accompagner les gags de Stink Bomb. Le contraste entre la naïveté du protagoniste qui ne mesure pas le problème et continue tranquillement son chemin, et l’affolement du gouvernement qui fait appel à l’armée pour l’arrêter, en vain, est hilarant. Le réalisateur parvient à créer un effet crescendo qui atteint à son apogée, l’absurdité la plus totale. Il met ainsi en lumière la bêtise humaine et également l’auto-destruction que celle-ci peut engendrer en créant de telles inventions.

L’animation est toujours aussi bien réalisée, dans un style cependant totalement différent. Les couleurs plus flashy et les traits des personnages davantage caricaturés, appuient l’aspect comique de ce sketch.

Katsuhiro Ōtomo a réalisé lui-même le dernier court-métrage, Cannon Fodder, bien qu’il ait supervisé les deux autres. Le film est le plus court des trois, mais certainement pas pour autant le moins impressionnant. Le récit prend place dans une ville sous contrôle militaire, où la guerre est omniprésente. Dans cet environnement, un petit garçon, vivant avec sa famille, rêve de devenir « commandeur de la mise en feu ». 

Katsuhiro Ōtomo effectue la prouesse artistique de construire son court-métrage en un seul plan, donnant l’illusion d’un long plan-séquence. On ne peut pas fermer ni même cligner des yeux devant la réalité que nous montre le cinéaste : une ville grise et mécanique, plongée dans l’effroi de la guerre. Celle-ci nous est présentée par de superbes travellings latéraux, dévoilant des canons géants, des bâtiments abîmés et, au loin, un sol aride parsemé de cratères. Les individus semblent eux-même symboliser cet environnement hostile. Tous semblables, au teint rendu gris par l’absence de soleil et vêtus de masques à gaz et d’uniformes verdâtres, y compris les enfants ; ils semblent s’être transformés en machine, perçus comme des armes et non des humains par la société. Seuls quelques manifestants tentent d’alerter la masse sur les dangers des gaz toxiques pour les humains et l’environnement, mais restent ignorés. 

L’ennemi est désigné impartialement par le terme « camp adverse », le père du petit garçon ne donne aucune réponse précise lorsque ce dernier lui demande : « contre qui on se bat ? ». Cela n’empêche pas le jeune protagoniste, entraîné dans la propagande militaire, de vouloir devenir commandant à l’âge adulte. Avec ce film, le réalisateur dénonce l’absurdité de la guerre, devenu synonyme de routine pour ces habitants. 

Ces trois court-métrages se révèlent très différents mais exposent, à travers leur esthétisme et propre genre – science-fiction, comédie ou dystopie -, certaines caractéristiques de la nature humaine. Assemblés, ils constituent un long-métrage qui mérite amplement sa place dans les salles de cinéma françaises et qu’il est très pertinent de visionner aujourd’hui. Memories suscite ainsi diverses réflexions existentielles et permet un voyage introspectif. Il résonne également étrangement avec l’actualité. Le deuxième court, Stink Bomb, n’est pas sans évoquer, sur un mode léger, l’épidémie du coronavirus en s’intéressant à la panique provoquée par une bactérie non-identifiée et contagieuse. La critique d’un état militaire et de la guerre, représentée dans Cannon Fodder, rappelle aussi le contexte actuel. Gardez bien Memories en tête dans les prochains jours. La sortie en salles du film est une excellente opportunité de (re)découvrir le travail fin, juste et percutant de ces 3 grands maîtres de l’animation japonaise que sont Katsuhiro Ōtomo, Kōji Morimoto et Tensai Okamura.

Laure Dion

Robuste de Constance Meyer

Robuste de Constance Meyer, film d’ouverture de la Semaine de la Critique 2021, sort ce 23 août en DVD distribué par Diaphana. Nous organisons d’ailleurs un concours pour vous faire gagner 3 exemplaires (écrivez-nous !). Robuste est le premier long-métrage de la réalisatrice, passée à plusieurs reprises par le court-métrage et notamment en compagnie de son acteur fétiche Gerard Depardieu avec qui elle a collaboré sur trois de ces court-métrage et sur ce premier long.

Robuste, c’est l’histoire d’un acteur, George, star de cinema vieillissante interprété par Gérard Depardieu, qui lorsque Lalou, son assistant, secrétaire, homme à tout faire, interprété par Steve Tientcheu doit s’absenter pendant plusieurs semaines pour aller enterrer son père, se voit attribuer un remplaçant. Ou plutôt une remplaçante en la personne de Aïssa. Aïssa interprétée par Déborah Lukumuemna (César 2017 pour son rôle dans Divines d’Houda Benyamina) travaille dans la sécurité mais poursuit aussi un parcours sportif à travers la lutte. Entre l’acteur désabusé et la jeune femme va se nouer un lien unique. Robuste, c’est l’histoire de ce tandem. Ici pas d’ambiguïté amoureuse ou affective mais plutôt une relation humaine d’abord très professionnelle qui avec le temps et les silences va se teinter de confiance, de respect et d’une certaine forme de complicité.

On les découvre chacun dans leur univers. Georges, comme un alter-ego de l’acteur, dans sa grande maison, entouré d’objets d’arts, comme on imaginerait être son hôtel particulier, rue du Cherche-Midi. Et Aïssa, parfois seule, parfois entourée de sa mère et de sa soeur, dans un appartement perché en haut d’une grande tour. Ce point de vue de la fenêtre d’un immeuble, Constance Meyer l’avait déjà filmé dans un de ces précédent court-métrage Rhapsody avec déjà Gerard Depardieu en baby-sitter gâteau. Dans ce film d’une quinzaine de minutes, présent en bonus sur le DVD, elle se plaisait à filmer la vie, le monde depuis les fenêtres. Le personnage interprété par Gerard Depardieu vivait dans un appartement en haut d’une tour et regardait, dans des plans qui n’étaient pas sans rappeler Conversations secrètes de Coppola, les gens circuler sur la place en contrebas. Le soir, il allait écouter au bar le récit des rêves de son ami de comptoir interprété par Guillaume Nicloux, lui-même réalisateur et avec qui Gerard Depardieu à souvent travaillé. Avant Rhapsody il y avait eu Franck Etienne vers la béatitude, première collaboration avec Gerard Depardieu qui campait dans ce court-métrage en noir et blanc un VRP qui commençait sa carrière de vendeur au porte-à-porte à 60 ans. Enfin, avant de réaliser Robuste, c’est La belle affaire, à ce jour son dernier court qu’elle a réalisé mettant en scène Florence Loiret-Caille en détective.

Pour Robuste, tout est parti d’une image que la réalisatrice avait en tête. L’image d’un homme robuste évanoui dans les bras d’une femme qui le porte, le sauve. Comme une scène galante inversée. Ce film, ce sont ses deux personnages principaux qui le porte, ce duo intergenerationnel, deux acteurices robustes dans leur physicalité et dans leur rapport l’un avec l’autre. C’est un duo qui se cherche, qui se trouve parfois dans des confidences pudiques ou dans des conflits assumés comme dans cette merveilleuse scène dans un restaurant chinois ou Georges vient provoquer le débat sur l’amour entre Aïssa et son ami-amant avec qui elle est en train de manger. Car malgré les conflits et les désaccords, il y a toujours de l’humour, une douce ironie, une douceur, une place a la rêverie, une dimension onirique dans la mise en scène de Constance Meyer: les rêves racontés par Guillaume Nicloux dans le court métrage Rhapsody, les poissons des abysses que fait venir Georges pour tenter d’être moins seul dans « Robuste ». Il y a aussi la présence de la musique entêtante et envoûtante composé par David Babin alias Babx, uniquement interprété à la voix par le trio « Musical Humana » et la magnifique photo de Simon Beaufils (chef opérateur entre autres de Antoinette dans les Cévennes et des films de Justine Triet, Sibyl et Victoria), qui pour Robuste n’a utilisé que des vieilles optiques pour donner davantage de grain a l’image du film tournés à de rares exceptions près, en intérieur. Tous ces éléments réunis emmènent le spectateur dans une dimension poétique, loin d’une certaine réalité.

Mais Robuste, c’est aussi et surtout un film sur le cinéma. En toile de fond de la narration se tient toute la préparation d’un film et d’un acteur pour un film. On voit les différentes étapes de construction d’une oeuvre cinématographique : les essayages costumes, les cours d’escrimes, la répétition du texte, les essayages coiffures (séquence délicieuse où la réalisatrice fait exister une belle complicité entre la coiffeuse et Georges). Ce récit parallèle ira jusqu’à un des dernier plan du film, un plan séquence magistral, très beau et drôle où l’on voit défilé tous les corps de métiers présents sur un plateau de cinéma.

En plus de rendre un très bel hommage au septième art et de mettre en lumière un duo d’acteur inédit, ce premier long métrage permet ici à la réalisatrice de développer dans un format long son univers teinté de douceur, d’humanité, d’humour et de drôlerie, qu’elle avait déjà initié dans ses court-métrages.

Damien Carlet

Robuste de Constance Meyer. Edition : Diaphana Edition Vidéo. DVD et bonus : Rhapsody & bande-annonce

Transe et politique à Locarno

Le 75ème Locarno Film Festival, qui vient de se terminer, a offert une grande diversité de courts en ce début août – ce qui n’est pas pour nous déplaire. L’expérimentation est un point-clé des animations présentes cette année en compétition internationale du côté des Pardi di Domani : il ne faut peut-être pas chercher le sens (il n’y aura souvent rien à trouver), mais se laisser emporter par les sons et les images.

Mini-mini-pokke no okina niwa de de Yoko Yuki fait l’effet d’un champignon hallucinogène. En coups de crayons nerveux et colorés, la jeune réalisatrice japonaise dessine un univers psychédélique, sorte de chaos où de petits personnages à la Keith Haring crient, chuchotent, chantent… L’image tremblotante participe davantage à cette folie, entrecoupée de cartons absurdes évoquant ou le fouillis (« une laitue explose sur le toit ») ou le paradis, le « Mahoroba », l’Arcadie japonaise.

Après s’être shooté avec ce court, il est temps de se coller à un tout autre registre, mélancolique et mystérieux, que propose la réalisatrice Sofia El Khyari (France, Portugal, Qatar, Maroc) dans L’ombre des papillons – qui, comme Yoko Yuki, a écrit le scénario et participé à la création graphique. Les deux courts-métrages font d’ailleurs partie de la sélection du concours international (Pardi di domani), tout en affichant un regard moderne – plus que singulier – dans le monde de l’animation.

L’atmosphère est néanmoins bien différente dans L’ombre des papillons : là, au milieu d’une forêt, une femme nue se met à rêver et s’imagine la présence de papillons colorés. Le court-métrage est un semblant de berceuse, avec des chants doux, abordant tout de même un côté perturbant – un papillon devient une langue dans l’oreille de la jeune femme. Le processus absurde du rêve, sans signification, pointant du doigt le désir sans jamais y toucher, est peut-être la spécificité à retenir de cette animation.

Du côté des documentaires, l’aspect social et politique est particulièrement marquant cette année, avec notamment Lopte de Gorana Jovanovic qui attire particulièrement notre attention. Après avoir réalisé d’autres courts (notamment la fiction Armadila, en 2020), la réalisatrice serbe se lance dans un projet documentaire, en nous faisant suivre un rassemblement de militaires venant des six anciennes républiques yougoslaves pour jouer au foot.

Cette réunion hautement symbolique – après les nombreuses guerres interethniques qui ont suivi la dislocation de la Yougoslavie dans les années 90, est dépeinte en plans fixes silencieux, dénués de commentaires ou d’explications. Le spectateur devient un observateur discret, qui assiste aux déplacements du groupe.

Le contexte politique complexe s’exprime par les différents drapeaux des anciennes nations yougoslaves répartis dans les villes traversées, la présence continuelle de militaires, mais surtout le choix des musiques : celle de la garde républicaine serbe, ou encore Zbogom, Kalifornijo de Miki Jevremovi, reprenant d’un ton morose le California Dreamin’ de The Mamas & The Papas (« I don’t know if I’ll return / Where are they sending us ? »). Excepté une voix s’élevant finalement contre les armes et les explosifs, le mutisme du court permet de montrer de façon presque mystique ce rassemblement autour du jeu, en interrogeant sur le lien entre sport et politique.

Amel Argoud

H comme Hardly Working

Fiche technique

Synopsis : Une exploration ethnographique de la vie quotidienne laborieuse des personnages non-joueurs, les figurants numériques des jeux vidéos. Les cycles de travail et les activités répétées, aussi bien que les bugs et dysfonctionnements, dressent une analogie avec le travail sous le système capitaliste.

Durée : 20′

Année : 2022

Pays : Autriche

Réalisation et scénario : Susanna Flock, Robin Klengel, Leonhard Müllner et Michael Stumpf (collectif Total Refusal)

Image : Robin Klengel et Leonhard Müllner

Montage : Robin Klengel, assisté de Susanna Flock et Leonhard Müllner

Son : Bernhard Zorzi

Musique : Adrian Haim

Interprétation : Jacob Banigan et Lorenz Kabas (voix)

Production : Total Refusal

Article associé : la critique du film

Hardly Working de Total Refusal

Sélectionné en compétition au Festival de Locarno, Hardly Working vient d’y recevoir le Prix de la mise en scène de la compétition internationale, une récompense d’autant plus audacieuse que le film est construit à partir d’images de jeu vidéo.

Avec Hardly Working, le collectif Total Refusal a choisi de s’intéresser aux NPC (pour Non Player Characters, c’est-à-dire Personnages non-joueurs) du jeu vidéo « Red Dead Redemption 2 ». Les NPC sont les figurants du jeu vidéo, ils constituent l’arrière-plan de son intrigue et jouent la normalité pendant que se déroulent devant eux les situations exceptionnelles des personnages principaux.

Le court-métrage suit quatre personnages : un charpentier, un garçon d’écurie, une blanchisseuse et une balayeuse de rue. Il observe ainsi des travailleurs et des travailleuses en train d’effectuer méticuleusement les gestes relatifs à leur fonction. La voix off du film présente les personnages, commente leurs actions et fait le récit d’une quotidienneté laborieuse. Elle se permet une touche d’ironie sur les artifices et la magie des images de synthèse : un marteau apparaît dans la main du charpentier comme par miracle et, lorsque celui-ci se penche, il traverse une caisse en bois et finit par se retrouver en lévitation à planter un clou dans le vide.

En plaçant des figurants comme sujets principaux de leur film, Total Refusal inverse la hiérarchie des personnages et invite à adopter un rapport différent au héros. Hardly Working fait le portrait de vies ordinaires, il remet la lumière sur les personnages auxquels le jeu donne vie, paradoxalement pour les conserver dans l’ombre. La voix off poétique leur donne une consistance : elle transforme le mouvement circulaire répétitif d’un personnage en un déplacement indécis et méditatif sur le sens de l’existence, et un regard porté sur le lointain devient l’espérance d’une vie meilleure.

Hardly Working se focalise sur quatre personnages dont le métier implique une unique action effectuée indéfiniment. La violence provoquée par des images montrant des personnages qui travaillent indéfiniment, jour après jour, sous le soleil ou sous la pluie – en particulier la blanchisseuse, toujours agenouillée sur un sol sale –, trouble la vision que nous avons du jeu vidéo. Le film formule une critique, rendue explicite par la voix off, du système capitaliste, dont les acteurs travaillent selon un cycle régulier et infini dont la visée n’est pas de satisfaire une demande mais d’accumuler, sans s’arrêter.

Cette dimension de Hardly Working s’inscrit pleinement dans l’œuvre de Total Refusal, qui se présente comme « un medium de guérilla pseudo-marxiste1 », qui agit par « l’intervention artistique et l’appropriation de jeux vidéo grand public ». Le groupe présente son action de la manière suivante : « Nous recyclons les jeux vidéo afin de révéler l’appareil politique au-delà des textures glacées et hyperréalistes de [ceux-ci] ». Le cas du jeu étudié dans Hardly Working révèle un rapport au travail où la douleur est niée et l’aliénation banalisée, car la violence de personnages qui travaillent sans arrêt est d’autant plus dure qu’elle est à l’arrière-plan. Le film révèle une réalité construite par le jeu et tolérée par ceux qui y jouent.

Au-delà du caractère répétitif des gestes, le film en souligne la vanité : le charpentier plante des clous à l’infini, les vêtements que la blanchisseuse lave sont toujours sales, l’étroite portion de sol sur lequel la balayeuse travaille reste, malgré ses efforts, toujours poussiéreuse. Si les gestes des personnages semblent ne mener à rien, c’est parce que la société du jeu est, selon le vocabulaire marxiste réemployée dans le film, un monde sans progrès où l’abondance est un moyen de conserver le monde tel qu’il est.

Et si le jeu inclut quelques modifications – la blanchisseuse remplacée le samedi par une autre femme, qui effectue exactement les mêmes gestes – c’est uniquement une variation d’apparence qui renforce l’idée que les corps sont interchangeables et les individus remplaçables. Les personnages ont des moments de pause, un repas ou une halte sur un banc, mais ils ne se reposent jamais : la nuit, ils restent debout ou assis par terre, à fumer une cigarette ou les bras croisés. Ainsi les moments où les personnages ne travaillent pas sont des moments organisés, qui s’inscrivent dans le grand mécanisme de l’algorithme du jeu.

Total Refusal a toutefois isolé quelques pistes qui indiquent une issue. Il utilise un bug du jeu, la répétition de l’apparition et de la disparition d’une montagne derrière un personnage, pour en faire la métaphore du dévoilement du mensonge du système. Plus tard, le garçon d’écurie se retrouve immobile pendant un long moment, il s’isole et ne fait rien : Total Refusal en fait un personnage qui reprend le contrôle sur son temps, qui se retrouve dans un moment qui n’appartient pas à son travail. Le garçon d’écurie s’extrait du monde organisé et synchronisé du jeu, il s’émancipe d’un avenir déterminé où chacun de ses gestes a une finalité pour devenir le modèle d’un « rejet total » de s’inscrire dans la société préétablie. Les moments suspendus sont des lueurs d’espoir, ils dessinent une porte de sortie, un espoir de détraquer la machine, l’objectif du collectif marxiste. Hardly Working se termine sur une phrase forte « Pouvons-nous commencer à glisser ? » qui fait du film un appel au déraillement du monde organisé et un manifeste anticapitaliste.

Paul Lhiabastres

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Locarno 2022, les courts primés

Zou, le festival de Locarno s’est clôturé ce weekend. Du côté des longs, on se réjouit de voir Valentina Maurel repartir avec 3 prix pour son premier long Tengo sueños eléctricos et Alessandro Comodin avec le Prix spécial du Jury pour Gigi la Legge. Côté courts, les films suivants ont été primés par les jurés et les partenaires du festival.

Compétition Corti d’autore

Pardino d’or : Big Bang de Carlos Segundo, France, Brésil

Compétition internationale

Pardino d’or : Soberane (Sovereign) de Wara, Cuba

Pardino d’argent : Buurman Abdi (Neighbour Abdi) de Douwe Dijkstra – Pays-Bas

Pardi di domani, meilleure réalisation : Hardly Working de Total Refusal, Autriche

Prix Medien Patent Verwaltung AG Award : Mulika de Maisha Maene, République Démocratique du Congo

Mention spéciale

Madar Tamame Rooz Doa Mikhanad (Mother Prays All Day Long)
de Hoda Taheri, Allemagne

Candidat du Locarno Film Festival aux European Film Awards : Buurman Abdi (Neighbour Abdi) de Douwe Dijkstra – Pays-Bas

Compétition nationale

Pardino d’or : Euridice, Euridice de Lora Mure-Ravaud, Suisse/France

Pardino d’argent :Der molchkongress de Matthias Sahli, Immanuel Esser, Suisse

Prix du meilleur nouveau venu suisse : Heartbeat de Michèle Flury, Suisse

Pardo Verde WWF

Pardo Verde WWF : Matter out of Place de Nikolaus Geyrhalter, Autriche

Mentions spéciales

E Noite Na América (It is night in America) de Ana Vaz, Italy/France/Brésil

Baliqlara Xütbə (Sermon to the fish) de Hilal Baydarov, Azerbaïdjan/Mexique/Suisse/Turquie

Locarno, Corti d’autore : nos coups de coeur

Depuis le 3 août, le plus grand festival suisse de cinéma bat son plein. Les Pardi di Domani, dédiés à la forme courte, accueillent depuis peu les Corti d’autore, une programmation de courts-métrages consacrée aux réalisateurs déjà expérimentés. Cette année, place à la fiction mais aussi à l’expérimental. Une sélection intéressante dans le fond et dans la forme, bien que l’on regrette l’absence d’animations et qu’on y recense très peu de documentaires. Voici les trois films qui ont particulièrement retenu notre attention.

Songy Seans (Last Screening) de Darezhan Omirbaev (Kyrgyzstan, Kazakhstan)

Cette fiction de 30 minutes réalisée par Darezhan Omirbaev est certainement le film le plus puissant de cette sélection : une ode à la période adolescente, à ses rêves, à ses amours, à ses désillusions…

En nous faisant entrer dans le quotidien d’un adolescent kazakh, il donne à voir un commentaire bien plus profond sur la relation entretenue entre les jeunes gens et le processus d’urbanisation du pays qui s’accélère depuis une vingtaine d’années. Cette période d’adolescence n’est alors plus aussi évidente, confrontée à la dualité du pays, une présence militaire importante et un fort impact du pouvoir en place.

L’adolescent que nous suivons tout au long du film reste muet, en observation de cette vie, et nous donne l’impression de chercher une place qui lui est difficile à trouver. Entre passion adolescente, cours et intérêt supposé pour le cinéma, il apparaît comme observateur et rêveur. Qu’est-ce que le rôle du réalisateur ? La question est posée à un moment dans le court-métrage et nous amène aussi à repenser aux accès et à la place de la culture dans les différentes régions du monde.

On soulignera un montage image et son surprenant fait de brèves, de faits divers et de commentaires sur la situation actuelle du pays, qui fonctionne à la perfection. Les plans fixes rythmés par les différentes voix off nous permettent d’avoir un spectre élargi de ce qu’est le Kazakhstan aujourd’hui. Le film nous perd entre fiction et documentaire, dont Darezhan Omirbaev est familier. Un film magnifique qui ne nécessite aucune minute supplémentaire pour installer et faire passer l’histoire dans son intégralité.

Big Bang de Carlos Segundo (France, Brésil)

Après Sideral en 2021 (Prix du Scénario au Festival Format Court la même année), Carlos Segundo nous séduit une nouvelle fois avec ce court-métrage de 14 minutes dont les plans et le scénario sont ingénieusement réfléchis. Il signe cette fois-ci une histoire plus grave, moins absurde et plus grinçante avec Big Bang, une histoire qui fait la peau aux préjugés et aux différences de classes sociales. Méfiez-vous de ceux que l’on ne soupçonne pas. Carlos Segundo nous avait déjà laissé percevoir son goût pour les scénarios inattendus dans Sideral, un goût qu’il confirme de nouveau avec Big Bang.

Chiquinho est un homme de petite taille qui répare des fours de toutes dimensions. Du four de sa tante aux usines, il se faufile et s’enferme dans les méandres des réchauds. Sa vie semble tranquille, mais le rythme qui transparaît dans le film montre rapidement que ce n’est qu’un leurre, et qu’il ne faudrait pas grand chose pour déclencher la catastrophe. Grâce à des plans fixes resserrés sur le personnage principal, on comprend rapidement que l’homme est isolé à la fois par son statut et par sa taille. Les autres individus sont placés généralement hors-champs, et n’épargnent pas Chiquinho dans leur parole et par leurs comportements ; comme si le fait de ne pas être à la même hauteur permettait une plus grande liberté de parole, et pas des plus sympathiques.

C’est lors du trajet en direction de funérailles de son père que Chiquinho a un grave accident de voiture. Installé dans le coffre, il est le seul survivant et se retrouve bloqué à l’hôpital où il fait la connaissance de Marta qui y est elle aussi présente car sa fille est gravement malade. Il entame une conversation sur leurs vies respectives dans un couloir blafard. C’est à ce moment que l’on comprend le poids de l’existence de ce personnage, ceux des préjugés et de la lutte des classes au Brésil… Les deux personnages, tous deux marginalisés, se livrent l’un à l’autre à une critique acerbe de la société brésilienne. Un dialogue qui n’est pas larmoyant, mais beaucoup plus fataliste sur la situation des “petits gens”. Cette conversation, c’est ce qui déclenche le Big Bang, la goutte de trop, l’irréparable que Chiquinho va commettre.

Si le film nous arrache quelques sourires, il est bien loin de l’approche absconse que nous avions pu constater dans Sideral. Big Bang n’amuse pas, mais confirme le talent de son réalisateur.

Tako se je končalo poletje (That’s How the Summer Ended) de Matjaž Ivanišin (Slovénie, Hongrie, Italie)

Le réalisateur slovène Matjaž Ivanišin signe un film singulier, à la fois contemplatif et puissant de par le scénario. D’ailleurs, cette histoire n’est pas claire, tout est sous-entendu : l’identité des personnages principaux, le lieu, l’événement aérien qui se tient… On pourrait qualifier le film de silencieux. Seuls les “petits bruits” – la cuillère, le portail, les avions, ou encore le vent dans les feuillages – nous amènent à observer scrupuleusement tous les signes, les gestes, les paroles qui pourraient nous permettre d’en savoir plus sur la relation entre les trois personnages montrés à l’écran. Grâce aux plans fixes et un rythme lent, notre œil a le temps d’observer, d’analyser tous les éléments non-verbaux.

Nous sommes là ; aux côtés de cet homme seul, réservé qui répond furtivement et qui pourtant nous donne l’impression d’avoir tant de choses à dire. Pourtant, tous ces personnages restent jusqu’au bout des énigmes. Nous ne connaîtrons rien. Et c’est sans doute pourquoi le film est si prenant : nous essayons de deviner la vérité, l’histoire par les brefs éléments qui nous sont amenés. Nous resterons sur notre faim, mais le film continue même après sa fin. Nous essayons de comprendre, de refaire l’histoire. Le personnage principal est-il amoureux de cette femme ? Cette dernière, offre-t-elle son corps à quelques hommes de passage ? L’homme qui vient à leur rencontre est-il venu par hasard ou la femme lui avait-elle donné rendez-vous ? Qui est donc ce pilote hongrois maître des looping ? Tout n’est que coïncidences et suspicions.

Le jeu des acteurs Aleš Jeseničnik, Kristina Olovec, Jernej Jerovšek est ainsi à saluer car ce film, pourtant très contemplatif, nous tient en haleine jusqu’à la fin, jusqu’à ce nous en voulions plus. Nous rentrons en totale empathie avec les personnages comme si nous arrivions à lire toutes leurs émotions, nous aimerions les aider à résoudre leurs problèmes cachés. Nous aimerions vraiment savoir comment s’achève la fin de l’été. Et s’il n’y avait rien à comprendre ? Et si justement ce n’était pas nos affaires ? C’est dans ce jeu trouble que Matjaž Ivanišin nous emmène, et ce n’est pas pour nous déplaire.

Anne-Sophie Bertrand

Jérémy van der Haegen : « Une étrangeté qui fait douter le réel »

Après des études de philosophie, Jérémy van der Haegen sort diplômé en 2004 de l’INSAS (Institut National Supérieur des Arts du spectacle et des Techniques de diffusions) en réalisation, à Bruxelles. Il signe en 2011 un premier moyen-métrage Le Garçon Lumière puis Les Hauts Pays en 2016, avant de réaliser en 2020 Nuits sans sommeil qui remporte le Grand Prix de la 3e édition du Festival Format Court. Également relayé sur la plateforme de diffusion d’Arte, ce dernier opus connait un beau parcours en festivals depuis sa sortie. Rencontre avec un réalisateur qui porte en lui une vision forte et singulière du cinéma.

Format Court : Peux-tu revenir sur la naissance de ton film ? 

Jérémy van der Haegen : C’est une chronique familiale au centre de laquelle un petit garçon veut porter des robes. Il y a un loup qui rode dans la région. Le film débute quasiment comme un film social puis, petit à petit, il se dirige vers quelque chose à la limite du fantastique. Mon film parle du quotidien, en s’appuyant sur les actions répétitives de la vie ordinaire, tout en essayant de faire ressentir des choses sous-jacentes, les désirs et frustrations de chacun au sein de cette famille.

Est-ce que c’est une volonté de créer une dimension naturaliste autour de ce quotidien qui t’a poussé à ne pas mettre, entre autres, de musique ? C’est un film très silencieux.

JVDH : Je n’avais pas besoin de musique mais la bande-son est construite de façon musicale. Le film est silencieux et même extrêmement silencieux. Je dirais que le son ne participe pas au réalisme du film, au contraire. Le son du film le pousse vers l’abstraction et le fantastique qui se trouve ici dans l’étrangeté plutôt que le surnaturel ou l’irréel. Si l’on avait voulu construire une bande-son réaliste pour amener le film en ce sens, on aurait ajouté des ambiances de voitures, d’oiseaux et de nature. Or, on a retiré énormément de sons. On a vraiment cherché à faire un travail de dépouillement. Chaque son apparaît alors dans sa singularité presque irréelle et participe, isolé ainsi, à quelque chose de claustrophobique se passant à l’intérieur de cette maison.

Tu as pris le parti, avec ton DOP Thomas Schira, de tourner en pellicule, en format 4:3. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? Est-ce que le format 4:3 participait pour toi à créer justement un étau autour de tes personnages ?

JVDH : Le format 4:3 crée en effet, une forme d’étau qui enferme le personnage dans le cadre et dans le décor. C’est un format où l’on peut travailler la verticalité de façon intéressante : le hors champs vertical suggère cette dimension imaginaire qui transcende le réel. Dans les Vosges, là où l’on a filmé, il y a des collines avec des forêts de sapins et l’on a fait attention à présenter des horizons bouchés qui participent, même dans la vaste étendue naturelle, à la claustrophobie et au sentiment de ne pas pouvoir s’échapper. Un hors champ vertical sombre et bouché à l’image d’un imaginaire menaçant. Le format 16mm permet cette physicalité de l’image granuleuse : une texture, quelque chose qui grouille dans l’image. On utilise sa force picturale qui continue de faire récit et barrière au réel.

Faire barrière au réel, dans ton film, c’est un peu faire barrière au monde des adultes qui en sont peut-être les garants ? Entre les parents qui n’arrivent pas à verbaliser totalement la situation et la scène assez terrible avec la pédopsychiatre, on sent un hermétisme dur chez eux…

JVDH : Ils sont plus garants de la norme que garants du réel. Le petit garçon est tout aussi réel, ses désirs sont tout aussi réels. […] J’ai construit les parents comme garants d’une norme qui les fait souffrir eux-mêmes, ne les rend pas heureux et les empêche de vivre en harmonie. C’est une assignation, quelque chose qui les empêche. Dans mon film, l’enfant en est à l’étape où il se pose la question de la norme et où la question va plutôt se poser à lui. Pour les parents cela est déjà fait, c’est déjà un parcours de résignation, d’où cette frustration sous-jacente et cet hermétisme dont tu parles.

Tu as installé cette famille dans la campagne vosgienne. Est-ce que tu étais familier de ce lieu ? Est-ce qu’il a inspiré cette histoire ?

JVDH : Je n’étais pas nécessairement familier avec le lieu, par contre l’histoire du film est extrêmement familière, voire biographique, même si le film est transformé en fantasme par le cinéma, par le travail du récit, des acteurs. Au niveau des décors, j’avais envie d’aller vers un territoire de fiction. J’ai beaucoup voyagé en France à la recherche de ce qui allait appuyer l’imaginaire de ce film-là, cette espèce d’inquiétante étrangeté. Je voulais aussi, sans vouloir dire un gros cliché, mettre cet enfant dans une région, dans des régions, où il est sans doute un peu plus difficile d’être le différent, parce que ces régions sont moins habitées et qu’il y a peut-être moins de place pour la différence. Peut-être que la norme y est un peu plus forte, même si ça s’interroge bien sûr.

C’est aussi un territoire qui t’a permis de filer cette métaphore du loup, du loup qui sort du bois, tout au long du film. Tu montres même tout un bestiaire dans la chambre de l’enfant au cours d’une sorte de cauchemar.

JVDH : Pour le loup, je me suis dit que c’était le monstre de l’enfance et qui était, de plus, lié spécifiquement au domaine de l’imaginaire et des fables. Je me suis donc posé la question de cette monstruosité et de la façon assez moraliste dont il a été utilisé dans les histoires pour les enfants. C’est aussi un animal dont la psychanalyse s’est emparée pour parler de la sexualité, des désirs et des peurs. Et puis le loup réel sévissait vraiment dans la région. Ce loup arrive donc avec une multiplicité de casquettes, ce qui fait que l’on ne peut pas choisir un seul aspect de lui. C’est à la fois le loup réel qui est revenu dans la région, à la fois le loup du film fantastique, comme le loup-garou, le loup de la psychanalyse, la sexualité, et le loup dont il ne faut pas s’approcher dans les contes et fables. Pourtant, à la fin, lorsqu’il y a une sorte de rencontre un peu imaginaire entre le loup et l’enfant, le loup est assez tendre, comme s’il lui proposait une identification détournée. Le loup des Nuits sans sommeil est presque un alter égo de l’enfant. Le film détourne la figure du monstre pour parler de la différence.

Le bestiaire final, c’est pour être sûr que l’on échappe au loup psychanalytique : montrer qu’il y a tout un univers qui s’agite, fait de désirs multiples, de métamorphoses à l’infini. Je trouvais intéressant de ne pas filmer qu’une métaphore, mais de suggérer d’autres pistes (quelque chose de plus large, plus multiple), de ne pas rejouer le jeu de l’identité […]. Je voulais permettre à l’enfant de s’échapper dans une multiplicité de fascinations, de peurs et d’identifications possibles.

Comment as-tu rencontré ton jeune acteur Vidal Arzoni ? Comment as-tu réussi à le plonger dans l’atmosphère du film et dans son rôle ?

JVDH : C’est le premier enfant qui a répondu à une annonce que j’avais dû mettre sur un groupe Facebook dédié. La particularité et la singularité de son visage m’avaient sauté aux yeux de manière assez évidente. Je cherchais notamment un enfant qui avait des yeux très cernés. Un visage dans l’enfance et un visage fatigué voire étrange. Puis, il avait cette justesse naturelle à ne pas en faire trop et délivrer son texte de façon presque neutre, sans le jouer. Il a cette intelligence de ne pas surjouer les intentions, de ne pas penser les actions et les sentiments comme des choses à jouer, à montrer, mais comme des choses à laisser apparaître.

En quoi tes deux films précédents t’ont amené à Nuits sans sommeil ? Quel trait similaire retrouves-tu en eux ?

JVDH : Je dirais qu’ils sont similaires dans la façon de traiter un sujet et dans leurs atmosphères. Je m’empare de choses qui sont à la fois du domaine du réel, du domaine du social, qui agitent le monde aujourd’hui, pour après les traiter d’une façon détournée, comme si je les regardais un peu à côté, avec toujours ce flirt avec l’univers fantastique, une étrangeté qui fait douter du réel.

J’aimerais revenir sur ton travail de production. Pour ce film, il s’agit d’une co-production belge entre Neon Rouge et After Hours…

JVDH : Neon Rouge est le producteur du film et After Hours est ma société, est la coproductrice. Je suis, depuis mes trois films, toujours en coproduction avec ma structure. Je prends part à la production de mon film et mon producteur, Aurélien Bodinaux, m’a de plus en plus laissé le champ libre pour piloter la production moi-même. Il m’a appris à produire, à maîtriser de plus en plus tous les aspects de la production, jusqu’à ce que je devienne producteur. C’est la raison pour laquelle je suis crédité en tant que tel au générique du film.

En tant que spectateur, qu’est-ce qui a forgé ton cinéma ? Quels sont les cinéastes qui ont inspiré ton envie de cinéma et, au delà, ta pratique personnelle ?

JVDH : C’est difficile de choisir des noms. Par exemple là, je porte un t-shirt avec Fassbinder dessus [rire]; lui, bien sûr, il en fait partie. En tout cas, Bresson, Fassbinder, Pasolini, Tati… des gens qui ont une forme assez forte, un système particulier, qui n’apportent pas juste un contenu ou des récits mais aussi une vision assez singulière du monde parce que c’est la façon dont ils ont esthétiquement fait leurs films. Une vision qui est finalement leur regard sur la réalité et qui nous permet en tant que spectateurs de nous retrouver d’abord devant un objet un peu étrange, un film un peu étrange, et donc de nous laver le regard, de voir autre chose, ce que l’on avait pas forcément vu. […] C’est ça que je veux voir au cinéma. Mon effort de travail en tant que réalisateur va, je l’espère, dans ce sens.

Tu as l’impression que c’est quelque chose que l’on voit de moins en moins au cinéma, quelque chose qui tend à être éclipsé ?

JVDH : Oui ça c’est évident. On a [fréquemment aujourd’hui] le sentiment de voir le même regard, le même film, c’est-à-dire que les plans sont les mêmes, la façon de faire jouer les acteurs est la même et donc, quelque soit le propos où même si l’histoire diffère, moi je pense que c’est le même film et je trouve ça un peu fatiguant. […] J’aime bien que le sujet ne prenne pas le dessus et soit aussi exprimé dans son rapport à la forme du film. Ce n’est pas pour avoir un dialogue purement formaliste mais je pense que c’est là notre travail de réalisateur : comment trouver une forme pour exprimer quelque chose, une vision du monde. Mais souvent, c’est vrai, on sent que le sujet prend le dessus. Il y a une grande demande pour les films à sujet. D’ailleurs à propos de Nuits sans sommeil, je pense qu’un tel film a pu avoir du succès parce qu’il y a un sujet de société à sa base. La singularité et la longueur de Nuits sans sommeil, cette fois-ci, ne l’ont pas empêché d’avoir de nombreuses sélections en festivals et une reconnaissance, notamment parce que le sujet agite la société aujourd’hui. Et aussi peut-être, je l’espère, parce que justement il n’est pas traité de manière complètement univoque.

Propos recueillis par Gaspard Richard-Wright

Article associé : la critique du film

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Locarno feule pour ses 75 ans

Le Locarno Film Festival célèbre sa 75è édition. 75 années sous le signe du cinéma d’auteur et de cinéastes émergents, dont les films sont projetés en salles ou sur la célèbre Piazza Grande qui accueille en plein air plus de 8000 cinéphiles tous les soirs.

Le festival a reçu plus de 3.000 films, et en a retenu une poignée pour intégrer l’ambition du festival de défendre un cinéma qui se tourne vers le monde et vers notre futur. Pour reprendre les mots du directeur artistique Giona A. Nazzaro : « un cinéma qui sonde les problèmes auxquels le monde est confronté et comment y vivre – de manière responsable, durable ».

La promesse est enthousiasmante. Nous suivrons avec attention le festival du 3 au 13 août, notamment les sélections dédiées aux courts-métrages. Les Pardi di Domani seront sous la responsabilité d’un jury composé de la productrice roumaine Ada Solomon, du réalisateur turc Azra Deniz Okyay, et du cinéaste italien Walter Fasano.

Dans ce focus Locarno 75, figureront des critiques et des films en ligne à voir et à revoir pour célébrer toujours plus le cinéma de formes courtes.

Anne-Sophie Bertrand

Retrouvez dans ce focus :

– Notre reportage Transe et politique à Locarno

– La critique de Hardly Working de Total Refusal, meilleure mise en scène, compétition internationale

Locarno 2022, les courts primés

Locarno, Corti d’autore : nos coups de coeur

– Film en ligne 2 : Yuri Lennon’s Landing on Alpha 46 de Anthony Vouardoux (Prix du meilleur court suisse, Locarno 2010)

– Film en ligne 1 : Pride de Pavel G. Vesnakov (en sélection à Locarno 2013, Bulgarie)

La sélection 2022 du festival

Mostra de Venise 2022, les courts sélectionnés

La sélection Orizzonti consacrée aux courts à la Mostra est connue. Elle est composée de 12 films en compétition et de 4 en hors compétition. Voici leurs titres ci-dessous.

Côté premiers longs, Alice Diop proposera en compétition officielle Saint-Omer, son premier long de fiction (après Nous, son premier long documentaire et Vers la tendresse, son court primé aux César 2017). Hors compétition, on sera curieux de voir en hors compétition Notte fantasma, le premier long-métrage de Fulvio Risuleo ayant réalisé Varicella, un court primé à la Semaine de la Critique 2015.

Courts-métrages en compétition

CHRISTOPHER AT SEA de Tom CJ Brown, France, USA
MANUALE DI CINEMATOGRAFIA PER DILETTANTI – VOL. I de Federico Di Corato, Italie
TRIA – DEL SENTIMENTO DEL TRADIRE de Giulia Grandinetti, Italie
NOCOMODO de Lola Halifa-Legrand, France
RUTUBET de Turan Haste, Turquie
SNOW IN SEPTEMBER de Lkhagvadulam Purev-Ochir, France, Mongolie
PLEASE HOLD THE LINE de Ce Ding TAN, Malaisie
THE FRUIT TREE de Isabelle Tollenaere, Belgique
III de Salomé Villeneuve, Canada
LOVE FOREVER de Clare Young, Australie
MY GIRLFRIEND de Kawthar Younis, Egypte
ALT PÅ EN GANG (EVERYTHING AT ONCE) de Henrik Dyb Zwart, Norvège

Courts-métrages en hors compétition

CAMARERA DE PISO de Lucrecia Martel, Argentine, Mexique
A GUERRA FINITA de Simone Massi, Italie
IN QUANTO A NOI de Simone Massi, Italie
LOOK AT ME de Sally Potter, Royaume-Uni, USA

Comédie et émancipation au Champs-Elysées Film Festival

Le Champs-Elysées Film Festival, connu pour la promotion du cinéma américain et français indépendant, a clos sa 11è édition fin juin. Le grand prix du meilleur court-métrage français, a été attribué à Geordy Couturiau pour son court-métrage La Flûte enchantée. Un duo de deux jeunes gens, en quête d’argent pour l’un, et d’amour pour l’autre, va tenter de parvenir à ses fins grâce à la… magie ! Le réalisateur parvient à nous transporter dans un univers merveilleux, sans aller plus loin que la Seine-Saint Denis Côté américain, le prix du public du meilleur court-métrage a été décerné à Emily May Jampel pour Lucky Fish, mettant à l’honneur une romance envoûtante entre deux adolescentes.

Dans La Flûte enchantée, alors qu’Arnaud est poursuivi par ses créanciers dans son quartier, il fait la rencontre de Momo, un jeune magicien capable de produire des tours rocambolesques. Celui-ci n’œuvre jamais pour l’argent ; sinon, dit-il, « c’est de la magie noire ». Par amour pour une femme dont il est amoureux depuis toujours, Momo changera néanmoins d’avis, dans l’espoir de pouvoir l’emmener dans les plus beaux restaurants. Le rêve prend une tournure de réalité lorsque Momo trouve une flûte enchantée qui a le pouvoir de paralyser les gens…

Le court-métrage de Geordy Couturiau qui se déroule en Seine-Saint-Denis se démarque des clichés habituels peignant une banlieue misérable. Certes, lors des premières scènes, on peut craindre un certain conformisme, en découvrant le protagoniste veillant sur sa mère mourante sur son lit d’hôpital, puis à peine sorti, être menacé par une connaissance de son quartier à qui il doit de l’argent. Le réalisateur surprend néanmoins par le ton comique et absurde de son court-métrage. Il insère de la fantaisie dans un univers qui n’en comporte que très rarement au cinéma. À travers des dialogues abracadabrants, une flûte enchantée paralysante ou encore Bernard, le lapin doté d’indépendance et d’autonomie, Geordy Couturiau ne manque pas de créativité pour faire éclater de rire les spectateurs.

Il créé un duo attachant où la magie fonctionne entre Arnaud, plein de ressource, d’énergie et de drôlerie et Momo le magicien (interprété par le musicien Muddy Monk), un peu simpliste au premier abord, qui nous épate finalement avec ses tours extravagants auxquels on ne s’attend pas.

Geordy Couturiau dresse une mise en scène efficace et rapide afin de maintenir son film dans une veine comique. De la musique à l’image, se dégage un charme particulier, évocateur des années 70-80. Les plans sont tournés en 16 mm, mais c’est surtout la mélodie entraînante jouée à la flûte qui rappelle une musique des comédies de ces années-là, dignes du compositeur Vladmir Cosma (Le grand blond avec une chaussure noire, Un éléphant ça trompe énormément, La chèvre, ..). Geordy Couturiau signe ici un court-métrage plein d’humour et d’espièglerie, nous transportant à une époque qui manque au cinéma français, pour ses grandes comédies.

À la sortie de Lucky fish de Emily May Jampel, lauréat du meilleur court-métrage américain au Champs-Elysées Film Festival, on assiste à une rencontre pure et sincère entre deux personnages.

Une adolescente, Maggie, s’ennuie fermement lors d’un repas de famille dans un restaurant chinois. Elle préfère observer sa voisine de table, plutôt que d’écouter les discussion sur l’avenir de son parcours scolaire. Par la suite, elle croise cette dernière dans les toilettes du restaurant. S’ensuit la naissance d’une romance autour d’un aquarium, dans une atmosphère presque surnaturelle.

La cinéaste américaine aborde la question de la pression qu’une famille asiatique peut infliger à son enfant adolescent. Ici, la question ne se pose même pas : Maggie doit entrer dans une des plus grandes universités américaines, avant d’épouser un homme et de fonder une famille. La rencontre de Maggie avec sa voisine lui permet de se libérer, d’écouter ses propres désirs, et peu importe s’ils vont à l’encontre des codes traditionnels de la société. Dans cette bulle hors du temps et de l’espace, les deux jeunes femmes peuvent enfin se permettre d’être elles-mêmes.

Le choix de l’aquarium en élément central du décor par la réalisatrice, participe à créer cette ambiance envoûtante et relaxante. La couleur bleue diffuse de l’aquarium, la danse des poissons-chats au milieu des jeunes filles, et le son de l’eau qui s’écoule, donnent cette impression que celles-ci, sont seules au monde, loin de la pression envahissante de leurs familles.

On ne peut s’empêcher de sourire, devant la romance émancipatrice des deux adolescentes, dans ce décor presque magique d’un restaurant asiatique. Emily May Jampel parvient à réaliser un court-métrage optimiste, symbole d’une liberté, pour notre bonheur à tous.

Laure Dion