Emmanuel Mouret : « Faire des films, c’est se confronter à une image de soi et de ses limites »

À l’affiche ce mercredi avec son 11ème long-métrage Chronique d’une liaison passagère réunissant Vincent Macaigne et Sandrine Kiberlain, Emmanuel Mouret est mis à l’honneur à la Cinémathèque française jusqu’à demain à l’occasion de la présentation de deux programmes de courts (ses premiers diffusés à 18h30, alors qu’il était encore à la Fémis, ses derniers à 21h, réalisés entre ses longs-métrages). L’occasion pour nous de faire le point sur ses débuts, son rapport au scénario, à la parole, aux acteurs, à Rohmer et au désir.

Ⓒ DK

Format Court : Comment perceviez-vous le format du court-métrage lorsque vous étiez encore étudiant ?

Emmanuel Mouret : J’avais réalisé des courts-métrages avant l’école mais en fabriquant – comme tout le monde – des films avec mon caméscope. Je me souviens qu’à la Fémis, il y avait quelque chose dans le format court qui me déplaisait. Ce qui était intéressant pour moi, c’était la longueur, le fait qu’on s’attache aux personnages, aux situations… J’étais impatient d’aborder des durées plus longues. Dans les rendez-vous qu’on avait, on avait un premier projet de court métrage en 35 mm qui en général devait faire maximum dix minutes, je l’ai fait en vingt minutes ; idem pour mon film de fin d’études (Promène donc toi tout nu !) qui a fait 50 minutes, j’avais aussi essayé de le développer dans la longueur. L’autre idée que je développais, c’était que pour faire des court-métrages, il ne fallait pas un grand sujet mais un petit sujet.

C’est quoi un petit sujet ?

E.M. : Cela ne veut pas dire en soi que cela manque de profondeur ou de grandeur. C’est davantage un sujet qui ne met pas en jeu des grands enjeux : la mort, la grande histoire d’amour, les passions, tout ce qui pourrait avoir une forme soit de gravité ou d’ampleur. J’étais très énervé quand il y avait des pistolets ou revolvers dans les courts-métrages. Ce n’est pas quelque chose qui correspondait pour moi au format du court-métrage.

Vos courts-métrages étaient déjà écrits et joués globalement par vous, comment appréhendiez-vous la question du scénario ?

E.M. : Un peu comme les longs. On se lance dans l’écriture d’un scénario à partir du moment où on a la fin et où on peut se refaire l’histoire, pas d’une façon vraiment différente. Ensuite, je n’avais pas encore écrit de longs, je n’avais pas une idée d’écriture précise si ce n’est ceci : une dramatisation, créer un récit et des attentes que cela soit léger ou grave. Il y avait cette envie de prendre peut-être le contre-pied de courts-métrages qu’il y avait autour de moi ou de mes camarades de promotion, et d’affirmer une apparente légèreté.

Vous avez beaucoup filmé des lieux de Marseille d’où vous êtes originaire (l’école des Beaux-arts, la baie des Singes). C’est important de localiser des lieux différents dans la ville ?

E.M. : C’est important dans certains films, dans certains court-métrages, ça ne l’est pas dans tout les films. Il y a des films où des lieux sont importants et d’autres où c’est l’idée du lieu qui importe. Après pour moi le court-métrage qui m’a le plus marqué, c’est un film d’Eric Rohmer qui s’appelle Nadja à Paris. Rohmer a demandé à une étudiante yougoslave de décrire ce qu’elle aimait de Paris avant de quitter la ville, il l’a enregistrée et il l’a mis en image avec sa voix. C’est aussi un travail autour de la voix-off, qui va au-delà de la simple illustration, ce qui en fait pour moi un court-métrage assez merveilleux et d’une grande profondeur.

En quoi Rohmer vous a beaucoup inspiré ?

E.M. : Rohmer m’a beaucoup inspiré, très concrètement, notamment dans le fait de faire des films. Ce qui est très intéressant, quand on est étudiant ou jeune cinéaste, c’est la simplicité des moyens, souvent on n’en a pas beaucoup pour faire un court-métrage. Le cinéma d’Eric Rohmer ou celui plus récemment de Hong Sang-soo ou de Ryūsuke Hamaguchi, montre qu’on peut faire des films absolument passionnants avec peu de moyens. C’est en ça que Rohmer m’a beaucoup aidé, notamment aussi pour le casting. Quand j’étais jeune, on était pétri de cinéma classique et d’acteurs incroyables en termes de présence, ne serait-ce que par leur faciès, leur savoir-faire. Quand on est étudiant en cinéma, on n’a pas accès à ces acteurs. Je trouve que le cinéma de Rohmer, d’Hamaguchi ou d’Hang Sang-soo, est aussi en présence d’acteurs plus jeunes, où le casting se fait aussi par la personnalité des individus. Il ne repose pas sur une grande habilité mais sur une façon d’être. Rohmer a souvent choisi des petits acteurs qui étaient avant tout des personnalités. Tout ça m’a donné des solutions pour tourner des films, je ne me suis peut-être plus intéressé plus à la personnalité des comédiens qu’à essayer de recréer des personnages comme dans les grands classiques.

Promène-toi donc tout nu ! est votre film de fin d’études. Tourné à Marseille, il dure 50 minutes et vous jouez également dedans. À l’époque, le moyen-métrage n’était pas forcément mis en avant. Est-ce qu’il y a eu une réticence de l’école au niveau de la durée ?

E.M. : On a eu de la chance. Emmanuelle Bercot était dans le même cas que moi, nous étions ensemble dans la promotion et elle faisait de son côté un film de 40 minutes. La direction de l’école avait été mise dehors et nous étions la promotion à qui on fichait un peu la paix. De toute façon, je crois qu’on était contre l’idée d’une école scolaire, donc notre but c’était de faire notre film et on le faisait avec les moyens que l’on avait. Et puis, un film se fait au moins à deux. Les deux personnes qui suivent un film du début à la fin, c’est le réalisateur et le producteur. Je pense qu’un film dépend énormément de son producteur, je trouve qu’on ne le dit pas assez. Il dépend aussi beaucoup de la relation du réalisateur avec son producteur. Pour se donner de la liberté, il faut surtout avoir une bonne relation avec lui.

Le propre d’un film est de faire avec ce qu’on a et avec ce qu’on est, c’est-à-dire avec ce qu’on peut et non pas avec ce qu’on devrait avoir et ce que l’on croit être. C’est quelque chose qui, surtout quand on est jeune et que l’on fait des films, n’est pas évident. Faire un film c’est nécessairement se confronter, pour un réalisateur, à une image de soi et de ses limites. Il y a donc quelque chose de violent dans les débuts, et c’est en même temps ça qui est intéressant : se confronter à ses limites et aux limites que l’on a. Parfois, plus les contraintes sont grandes, plus la créativité l’est.

Le dialogue est central dans vos films. Pourquoi cette fascination pour l’art de la conversation ?

E.M. : Sur le dialogue, il y a beaucoup de choses à dire. J’ai une cinéphilie assez classique et, à un moment donné, je pense que je suis arrivé à faire des films dans un paysage qui, autour de moi, était composé de courts-métrages très différents de ma cinéphilie. Dès que le cinéma est devenu parlant, il est devenu très très parlant. Les films de Capra, de Hawks et de Lubitsch sont des comédies américaines ultra parlantes, tout comme le cinéma italien mais aussi le cinéma français de la Nouvelle Vague. Je ne comprenais pas pourquoi, autour de moi, tous les courts-métrages étaient aussi taiseux voire silencieux. J’avais beaucoup d’admiration pour Bresson mais j’avais l’impression que tout le monde faisait du Bresson. Je trouve qu’il y a une sorte de hiatus similaire dans les études quand on est en réalisation, il n’y a jamais eu un cours sur la manière de filmer les dialogues, hormis le champ- contre-champ. J’ai même déjà entendu des professeurs de scénario dire qu’il fallait dire avec le moins de mots le plus d’informations possible. Pourtant, il y avait une envie autour de moi, et peut-être une certaine forme d’impertinence à la fois nourrie dans le cinéma classique ou par un cinéma américain assez volubile, de faire quelque chose qui le soit. Sans compter que c’est par le dialogue que l’on amène la complexité intérieure du personnage. C’est quelque chose que très tôt je n’ai pas compris : pourquoi se priver autant de la parole alors que celle-ci est, par essence, cinématographique ? Plus un personnage parle, plus on s’approche de son visage pour voir si ce qu’il dit est vrai, si ce qu’il dit est ressenti. Et plus il parle, plus il se contredit, plus il en devient complexe.

Est-ce que la forme courte n’aide pas d’une certaine manière à tout miser sur le dialogue ?

E.M. : Je dirais plutôt oui, car plus c’est court plus il faut aller vite mais au final, je ne fais pas trop de différence entre la forme courte et la forme longue. Ce qui fait la vraie différence, c’est une question d’économie, ce qui fait qu’un film long peut rapporter de l’argent et peut déjà en bénéficier.

Par exemple, Les Contes du hasard et autres fantaisies de Ryūsuke Hamaguchi est un film que j’ai trouvé extrêmement réjouissant cette année, même si j’ai des réserves sur ses histoires. C’est trois courts-métrages d’une demi-heure qui en font un long par un lien thématique finalement assez hasardeux, mais là où je suis content, c’est que le public a très bien réagi au film. C’est un film qui ne coûte pas cher et on aime les histoires courtes comme on aime les nouvelles. Mais le travers du court-métrage, c’est le côté démonstratif et carte de visite où on fait valoir ses talents où on le considère comme un exercice. Je n’aime pas cette idée d’exercice mais j’aime celle des histoires courtes.

La Cinémathèque programme deux séances de vos courts-métrages : vos débuts dans le cinéma et des films plus récents réalisés entre des longs. Est-ce que cette idée d’histoires courtes, c’est quelque chose que vous voulez poursuivre ?

E.M. : Je le fais dans mes longs-métrages puisque, finalement, dans un même film, il y a plusieurs histoires parallèles, c’est une série d’histoires courtes. J’aime bien parfois que la personne raconte une histoire et que cela devienne un flashback, par exemple. Ce que j’essaie de faire pour mon prochain film et que j’avais essayé de faire dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, qui est un long-métrage ultra narratif, c’est de prendre un contre-pied de la série où il y a ce principe de diluer en six ou huit épisodes pour pouvoir avoir tout un récit. J’aime bien qu’en une heure et demie ou deux heures, on ait quelque chose de très ramassé, de très dense, qui fait qu’en sortant de la salle, on puisse refaire le chemin, là où dans une série, il est plus difficile de le refaire car le temps est plus long, sur un rythme très lent. C’est ce que je trouve excitant au cinéma, que ce soit dans le court ou dans le long.

Votre cinéma aborde aussi beaucoup la notion de liberté et celle du désir qui aime les protagonistes…

E.M. : Mes personnages sont souvent pris dans un conflit de désirs, non comme un désir-obstacle mais comme deux désirs se faisant obstacles. Je pense que ces deux désirs correspondent à deux choses. On va suivre l’histoire de quelqu’un de bien comme la plupart d’entre nous, c’est-à-dire vivant en société où il faut répondre à des engagements et les respecter, que cela soit dans la vie sociale et le couple. De l’autre côté, on vit dans des sociétés émancipées où il n’y a pas que l’engagement qui compte mais aussi la réalisation de soi, c’est-à-dire l’honnêteté avec ce que l’on ressent. On veut donc être honnête avec ce que l’on ressent et en même temps tenir ses engagements, c’est là il y a un conflit. Mais c’est aussi ce que raconte la littérature depuis longtemps et c’est pour moi ce qui fonde un drame, une tragédie.

Propos recueillis par Katia Bayer et David Khalfa. Retranscription : Laure Dion, Eliott Witterkerth

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