3 coups de coeur identifiés au Festival Silhouette

C’est au Parc de la Butte du Chapeau Rouge, dans le 19ème arrondissement de Paris, que s’est achevée ce 3 septembre 2022 la 21ème édition du Festival Silhouette. Cette année encore, les séances en plein air, dédiées au court-métrage, nous ont proposé une programmation diverse constituée d’une sélection internationale, de documentaires, de clips et d’œuvres hybrides, qui a su ravir et étonner. L’occasion, sinon brève, de revenir sur Madrugada de Leonor Noivo (Prix du jury jeune), A86 Nord, Sortie 10 de Nicolas Boone (Mention spéciale du jury jeune) et Hideous de Yann Gonzalez, trois coups de cœur singuliers et marquants de cette édition.

Madrugada, désigné comme prix du jury jeune, n’est pas le premier court-métrage de Leonor Noivo. Tourné sur pellicule, ce récit sans aucune présence masculine tire le portrait de Maria (Alexandra Espiridiao), femme de chambre épuisée qui, du jour au lendemain, disparaît. Sa fille (Isabel Costa) se met alors à retracer son histoire pour tenter de comprendre ce qui a pu lui arriver. Prenant la forme d’un témoignage se transmettant de génération en génération, le film sensibilise humblement à l’emprise psychologique que la ville impose aux corps des travailleuses. C’est par ailleurs à travers leurs corps en mouvement que les personnages de Maria et ses collègues nous sont présentés, une performance corporelle caractérisant dès le départ l’exutoire mais aussi l’aliénation de leur être. Leonor Noivo choisit d’établir une dualité s’opérant tout au long du film. L’architecture condensée du béton, son omniprésence à perte de vue, contraste avec la nature qui semble s’éprendre de Maria : des écailles lui apparaissent sur le corps et des racines lui poussent sur les jambes. L’urbanisation morbide et la matérialité de ce monde consomment les femmes, qui n’ont dès lors plus le choix que de s’en affranchir pour se reconnecter avec la nature, source de vitalité et d’émancipation. S’inscrivant dans une véritable ode à l’écoféminisme, ce court-métrage parvient, dans l’intensité de son propos, à nous questionner sur la condition humaine au sein de notre société.

Avec la volonté de placer l’humain au centre de notre société et du monde, le court-métrage A86 Nord, Sortie 10 d’une durée de 57 minutes et signé Nicolas Boone s’éloigne, lui aussi, des infrastructures régies par l’Homme et préfère donc, au sens propre, s’élever. Ainsi, c’est sur les toits d’Aubervilliers que le réalisateur a posé sa caméra. Devant elle se succèdent les personnages : des habitants jeunes ou plus âgés dont nous ignorons pour la plupart le nom, là n’étant pas l’important. C’est à travers leurs discussions, leurs réflexions, qu’ ils et elles nous partagent avec transparence un regard tendre sur leur quartier. Voyageant inlassablement de groupe en groupe au fil du récit, nous sommes témoins de ce paisible spectacle des hauteurs, témoins de ces multitudes de vies qui se succèdent mais ne se ressemblent pas, comme pour nous appeler à se pencher sur des individus singuliers à qui le cinéma ne donne que trop peu la parole, des personnes du quotidien, rarement écoutées voire souvent oubliées. Pourtant, l’atmosphère pourrait être tout autre : le paysage, quoiqu’habité, est bétonné, froid. Le gris du ciel laisse entrevoir les grues comme unique horizon et les bruits de klaxons ont désormais remplacé les chants d’oiseaux. L’environnement change et cela n’échappe pas aux habitants. Mais la bienveillance à tant d’égard de ce film, dans sa construction et ce qui la compose, dégage une bouffée d’air frais si revigorante qu’il nous empresse déjà de voir la suite.

La métaphore du monstre n’est pas nouvelle, le cinéma aime s’en vêtir pour dénoncer des marginalités qu’il nous faut comprendre et affectionner. Hideous, de Yann Gonzalez, ayant fait ses premiers pas à la Semaine de la Critique, hérite de cette même volonté. Une célèbre popstar (Olivier Sim) est l’invitée d’une émission de télévision. Durant les échanges avec le présentateur (Fehinti Balogun), l’artiste se confesse sur une monstruosité qui l’habite et à travers laquelle coexister devient difficile. C’est, par la suite, en pleine prestation musicale que la bête reprendra le contrôle. Séquencé en trois actes bien distincts (le rejet, la honte puis l’acceptation de soi), l’œuvre du réalisateur s’est construite en collaboration directe avec le chanteur Olivier Sim (The XX) autour de trois clips originaux tournés en un seul. Si à première vue le spectacle musical baigne dans une esthétique pop grâce aux chorégraphies et mélodies envoûtantes, comme une douce rêverie et non sans une touche de comédie, le gore sensuel, lui, cache en réalité une thématique bien moins euphorisante : la séropositivité et son traitement dans notre société. Cette image du démon maléfique, assassin, constitué d’un maquillage SFX, fonctionne comme un artifice stéréotypé pour mieux déconstruire la dangerosité, non-fondée, d’une personne atteinte du VIH dans l’imaginaire collectif. Démontrant l’utilité de la lutte et de son héritage, le court-métrage retranscrit toute l’importance d’être soutenu par une communauté malgré l’injonction contrainte de se cacher. Il saisit l’opportunité d’occuper le devant de la scène cinématographique pour nous rappeler, en guise de conclusion, que la sérophobie tue.

Eliott Witterkerth

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