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J comme Des jeunes filles enterrent leur vie

Fiche technique

Synopsis : Axelle vit le pire jour de sa vie : alors qu’elle se remet mal d’une rupture amoureuse, elle doit se rendre à l’Enterrement de Vie de Jeune Fille de sa sœur, dans une station thermale fantomatique en pleine montagne. Heureusement, parmi les invitées, il y a Marguerite. Au détour d’un regard, l’amour revient.

Réalisation : Maïté Sonnet

Genre : Fiction

Durée : 33′

Pays : France

Année : 2022

Scénario : Maïté Sonnet

Image : Marine Atlan

Son : Clément Tijou, Clément Maléo, Xavier Thieulin

Montage : Marylou Vergez

Musique : Pierre Desprats

Interprétation : Luna Carpiaux, Aloïse Sauvage, Natacha Krief, Camille Léon-Fucien, Salomé Partouche

Production : Quartett Production

Article associé : la critique du film

Des jeunes filles enterrent leur vie de Maïté Sonnet

Des jeunes filles enterrent leur vie est le deuxième court-métrage de Maïté Sonnet, après Massacre. Elle regroupe à l’écran Aloïse Sauvage, Luna Capiaux, Natacha Krief, Camille Léon-Fusicien et Salomé Partouche. Un casting bien senti pour cette comédie, présentée dans la section courts-métrages de la dernière Quinzaine des Réalisateurs.

Pauline (Natacha Krief) est sur le point de se marier. Ses amies lui ont donc organisé, comme les codes le souhaitent, un enterrement de vie de jeune fille. Au total, elles sont 5 : la mariée, sa sœur (Luna Capiaux), deux collègues de travail (Camille Léon-Fusicien et Salomé Partouche) et une amie d’enfance (Aloïse Sauvage). Toutes ont des parcours totalement différents et ne se connaissent pas spécialement, mais elles ont décidé pour célébrer le bonheur de leur amie commune de partir en week-end dans une station thermale planquée au fin fond de la forêt.

On sent bien que l’ambiance risque de ne pas être au rendez-vous : la petite sœur s’est fait larguer par sa copine, les collègues ont tout organisé et semblent un tantinet control freak sur les horaires et les activités, l’amie d’enfance semble bien éloignée du cérémonial… Si les personnages sont souvent clivants et stéréotypés, Maïté Sonnet nous montre, avec humour, l’absurdité des comportements contemporains face aux conventions du mariage, et arrive à nous faire rire… malgré nous.

La comédie romantique s’était faite assez discrète dans les sélections cannoises. Pourtant, ce court-métrage est arrivé comme une bouffée d’air frais. Une histoire dans laquelle chacun d’entre nous pourrait se reconnaître avec une apparente facilité. Nous sommes à la fois la sœur, la mariée et les amies…

Absurdement drôle, ce film nous amène à réinterroger nos comportements. S’il s’intéresse principalement à la relation naissante entre la sœur de la mariée et son amie d’enfance, au destin de la rencontre, ce n’est pas ce que nous retenons le plus de cette histoire d’une trentaine de minutes.

En créant un cataclysme entre tous ces personnages, avec un dialogue nourri de punchlines et un rythme contemplatif, Maïté Sonnet nous amène à relativiser sur nos différences, nos vies, nos actions. Ses personnages nous font rire, mais surtout de nous-mêmes. Des jeunes filles enterrent leur vie est une invitation au lâcher prise, à se laisser porter par les jeux de l’amour et du hasard, une invitation à aimer sans modération nos amies et notre fratrie. Maïté Sonnet nous fait entrer dans une nouvelle ère de la comédie romantique, pathétiquement drôle, qui reste sans doute à être saluée, et à être explorée.

Anne-Sophie Bertrand

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A Dog Under a Bridge de Rehoo Tang

Le court-métrage d’animation A Dog Under a Bridge est un projet de fin d’études du jeune réalisateur chinois Rehoo Tang, ayant remporté le Prix du Jury dans cette catégorie au Festival d’Annecy 2022. Il met en scène le parcours quotidien d’un chien errant depuis son réveil à son départ tranquille au soleil couchant, où il disparaît furtivement de l’écran.

Le chien solitaire se livre en voix-off au spectateur, présentant l’absurdité du monde humain, rempli de ses frustrations et de ses contradictions. Le mélange de naïveté et d’objectivité de son regard confère une certaine poésie au monde urbain violent qu’il rencontre : les voitures sont des « visages souriants » et dangereux qui écrasent sa compagne, et le cynisme est renforcé par des expressions inventées de toutes pièces par le chien, comme « même les tiques partent un jour ».

L’animal, considéré comme un chien galeux par les passants – « a tiao of a dog », rencontre finalement des hommes comme lui, reclus et abandonnés par la société : un pêcheur qui ne pêche jamais rien, un gars seul et désespéré qui lui raconte sa vie et finit par se jeter du haut d’un pont, un couple douteux se livrant à des activités houleuses derrière un mur…

L’absurdité de la vie, les bas-fonds de la solitude mais surtout la profonde brutalité dont témoignent ces personnages crée une dissonance avec la tranquillité des lieux dépeints, également délaissés. Rehoo Tang reproduit en effet des paysages qu’il connaît : un pont au bord du fleuve Yangtsé, un skatepark abandonné, un aspect désolé de sa ville Hanghzou… pour lesquels il choisit une esthétique particulière. Les paysages sont tantôt comme saisis à l’aquarelle, poétiques et intemporels, tantôt des vues réelles, perturbantes et familières, comme l’eau miroitante du fleuve au coucher du soleil.

Proposant une parfaite harmonie entre la vision cynique d’un monde désenchanté et la poésie humoristique qui s’en dégage, Rehoo Tang réussit à donner une vision noire – merveilleusement noire car réalisée avec brio, du monde dans lequel il vit. Le sordide disparaît totalement derrière l’humour et la légèreté du scénario, constituant le réel coup de maître de ce court.

Amel Argoud

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D comme A dog under a bridge

Fiche technique

Synopsis : Je suis un chien qui vit sous un pont dans un parc…

Genre : Animation

Pays : Chine

Année : 2022

Durée : 12’44

Réalisation : Rehoo Tang

Scénario : Rehoo Tang

Graphisme : Shuyi Zhou, Rehoo Tang

Animation : Rehoo Tang

Décor : Rehoo Tang, Shuyi Zhou

Son : Quianru Lin

Musique : Sirao Hor, Yann Tie

Interprétation : Zhenzhou Chen, Xinxu Yang

Production : China Academy of Art

Article associé : la critique du film

Les liaisons foireuses de Chloe Alliez et Violette Delvoye

Le court-métrage Les liaisons foireuses, est une animation de 11 minutes signée Chloe Alliez et Violette Delvoye. L’histoire est celle de Maya et Lucie deux jeunes filles qui éprouvent des sentiments l’une pour l’autre et s’en rendent compte au cours d’une soirée adolescente. Ce conte amoureux des temps modernes est le fruit d’une co-réalisation. Chloé Alliez, qui a déjà réalisé Toutes nuancées, entre autres, est plus enclin à la comédie et Violette, réalisatrice de Projection sur canapé, se dit plus du coté de la sensibilité et des relations entre les personnes. C’est par un travail conjoint et par la réunion de leurs deux univers qu’elles nous proposent une « histoire d’amour manquée » très fine et particulièrement juste, présentée dernièrement à Annecy.

Les réalisatrices sont toutes les deux coutumières de la stop motion et maîtrisent ce procédé. Le jeu des personnages est très précis grâce à un grand panel d’expressions faciales. Cette attention aux micro expressions permet de donner toute sa sensibilité à l’histoire et rend les personnages très humains et complexes. C’est par cette maitrise de l’expressivité que le court métrage se range dans cette nouvelle tendance de la stop motion aussi émotive que drôle. Quelques gags ponctuent le récit, mais c’est un sentiment mélancolique qui domine, jusqu’à donner le ton général de l’histoire. La mélancolie c’est celle des personnages qui peinent à trouver leur place dans cette allégorie de la société, mais aussi celle des deux créatrices qui portent un regard aussi acide que tendre sur l’âge adolescent.

Une grande ingéniosité réside dans l’emploi d’interrupteurs et de prises électriques pour fabriquer les petits personnages du film. Le fait qu’ils soient assemblés avec des pièces détachées issus du quotidien ajoute de la poésie à l’histoire par le matériau même. Les deux réalisatrices ont su voir avec leurs yeux d’enfants des visages, là où nous n’avons vu que des interrupteurs. Les petits personnages ont des bras en fil de fer, ce qui permet de les articuler. Nous les voyons alors danser, s’étreindre, cacher leurs yeux pour pleurer, boire pour « faire cool » ou pour oublier qu’on n’est pas choisi comme partenaire pour un slow.

L’histoire est simple. Maya a tout pour être une adolescente comblée, le garçon le plus « cool » de la fête s’intéresse à elle. Tous ses camarades l’encouragent car ils n’imaginent pas un instant que son choix ne se portera pas sur lui. Pourtant, Maya préfère embrasser son amie Lucie. Et c’est là le cœur de l’histoire. On nous donne à voir un cadre très hétéronormé, qui étouffe sans violence, mais qui trouve justement là sa violence : il ne laisse pas de choix. Chloe Alliez et Violette Delvoye abordent ainsi avec un grand doigté un aspect « normatif » de notre société qu’on ne soupçonne pas, et qu’il est d’autant plus intéressant de souligner. Par ailleurs, la grande force de cette histoire est sûrement qu’elle soit faite sans slogan, sans combat affiché. Très simplement.

Les liaisons foireuses est un grand travail de composition qui permet d’articuler cette cérémonie de la vie adolescente. Chloé Alliez et Violette Delvoye en font autant un lieu de célébration qu’un rite de passage. Elles nous rappellent que si l’ère du bal à la cour où les jeunes gens faisaient leurs débuts est révolue, la fête reste toujours le lieu d’une introduction en société où chacun se doit de trouver sa place.

Anouk Ait Ouadda

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L comme Les liaisons foireuses

Fiche technique

Synopsis : Ce soir, c’est la grosse teuf pour Lucie, Maya et leurs potes. Même Jimmy est venu : il est là pour Maya, tout le monde le sait. Mais au moment où tout doit se jouer, surgissent entre Maya et Lucie des sentiments cachés, tendres et confus, qui ont du mal à trouver leur place dans cette soirée rythmée par l’alcool qui coule à flots, les compils qui déchirent et les hormones qui bouillonnent.

Genre : Animation

Pays : France, Belgique

Année : 2021

Durée : 11’3

Réalisation : Chloé Alliez, Violetette Delvoye

Scénario : Chloé Alliez, Violetette Delvoye, Blandine Jet

Animation : Chloé Alliez, Violetette Delvoye

Son : Frédéric Furnelle

Musique : Juicy

Montage : Chloé Alliez, Violetette Delvoye

Production : Vivement Lundi !, Zorobabel

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Locarno, les nombreux courts sélectionnés

Le Festival de Locarno vivra sa 75ème édition du 3 au 13 août prochain. De nombreux courts et longs y sont programmés. Au vu du line-up sorti hier, on s’intéressera cette année à Tengo sueños eléctricos, le premier long de Valentina Maurel dont nous avions repéré les courts (Paul est là, Cinéfondation, Lucía en el limbo, Semaine de la Critique) ou encore à Annie Colère, le nouveau long-métrage de Blandine Lenoir avec Laure Calamy, Zita Hanrot et India Hair.

Comme à son habitude, côté courts, Locarno se répartit entre films internationaux et nationaux (suisses). Depuis l’an passé, la section « Corto di autore » accueille également des films de réalisateurs établis. Parmi ceux-ci (les listes de sélection sont longues), on repère les nouveaux films de Carlos Segundo, Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, Caroline Poggi et Jonathan Vinel ainsi que Elina Löwensohn.

Compétition internationale

AIRHOSTESS-737 de Thanasis Neofotistos – Grèce – 2022
AT LITTLE WHEELIE THREE DAYS AGO de Andrew Stephen Lee – USA – 2022
BUURMAN ABDI (Neighbour Abdi) de Douwe Dijkstra – Pays-Bas – 2022
CASTELLS de Blanca Camell Galí – France/Espagne – 2022
DANCING COLORS de M Reza Fahriyansyah – Indonésie – 2022
DARON, DARON COLBERT de Kevin Steen – USA – 2022
FACCIA DI CUSCINO de Saverio Cappiello – Italie – 2022
HARDLY WORKING de Total Refusal – Autriche – 2022
L’ENFANT AU DIAMANT de Pierre Edouard Dumora – France – 2022
L’OMBRE DES PAPILLONS de Sofia El Khyari – France/Portugal/Qatar/Maroc – 2022
LAKE OF FIRE de NEOZOON – Allemagne – 2022
LOPTE (Balls) de Gorana Jovanović – Serbie/Slovenie – 2022
LUNA QUE SE QUIEBRA SOBRE LA TINIEBLA DE MI SOLEDAD de Lucila Mariani – Argentine – 2022
MADAR TAMAME ROOZ DOA MIKHANAD (Mother Prays All Day Long) de Hoda Taheri – Allemagne – 2022
MINI-MINI-POKKE NO OKINA NIWA DE (In the Big Yard Inside the Teeny-Weeny Pocket) de YUKI Yoko – Japon – 2022
MISALIGNED de Marta Magnuska – Pologne/Lettonie – 2022
MONEY AND HAPPINESS de Ana Nedeljkovic, Nikola Majdak Jr. – Serbie/Slovénie/Slovaquie – 2022
MULIKA de Maisha Maene – République Démocratique du Congo – 2022
SOBERANE (Sovereign) de Wara – Cuba – 2022
TIGER STABS TIGER de SHEN Jie – Chine – 2022

Compétition nationale

BRANDON ROI de Romain Jaccoud – Suisse – 2022
DER MOLCHKONGRESS de Matthias Sahli, Immanuel Esser – Suisse – 2022 EURIDICE, EURIDICE de Lora Mure-Ravaud – Suisse/France – 2022 FAIRPLAY de Zoel Aeschbacher – Suisse/France – 2022
HEART FRUIT de Kim Allamand – Suisse – 2022
HEARTBEAT de Michèle Flury – Suisse – 2022
I’M THE ONLY ONE I WANNA SEE de Lucia Martinez Garcia – Suisse – 2022 LES DIEUX DU SUPERMARCHÉ de Alberto Gonzalez Morales – Suisse – 2022 LIMITES de Simon de Diesbach – Suisse – 2022
SERAFINA de Noa Epars, Anna Simonetti – Suisse – 2022

Compétition Corto di autore

ASTERIÓN de Francesco Montagner – République Tchèque/Slovaquie – 2022
AU CRÉPUSCULE de Miryam Charles – Canada – 2022
BIG BANG de Carlos Segundo – France/Brésil – 2022
CHANT POUR LA VILLE ENFOUIE de Nicolas Klotz, Elisabeth Perceval – France – 2022
IL FAUT REGARDER LE FEU OU BRÛLER DEDANS de Caroline Poggi, Jonathan Vinel – France – 2022 PARADISO, XXXI, 108 de Kamal Aljafari – Palestine/Allemagne – 2022
POITIERS de Jérôme Reybaud – France – 2022
RIEN NE SERA PLUS COMME AVANT de Elina Löwensohn – France – 2022
SONGY SEANS (Last Screening) de Darezhan Omirbaev – Kirghizistan/Kazakhstan – 2022
TAKO SE JE KONČALO POLETJE (That’s How the Summer Ended) de Matjaž Ivanišin – Slovénie/Hongrie/Italie – 2022

Garance Kim. L’intimité par le rire

La réalisatrice Garance Kim a reçu le Prix du premier film et le Prix de la jeunesse pour son court-métrage Ville éternelle sélectionné au festival de Pantin, dans lequel elle met en scène une rencontre entre deux jeunes gens interprétés par Martin Jauvat et elle-même. On revient ici sur son parcours et ses motivations qui l’ont entraînée à réaliser son premier film en auto-production, entre ses différentes rencontres, l’importance qu’elle accorde au rire, et la question de la transmission.

ⒸClaire Gaby

Format Court : Avant de réaliser Ville éternelle, tu as occupé différents postes (costumière, actrice, assistante réalisatrice). Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’a amenée à faire du cinéma ?

Garance Kim : Je pense que cela vient beaucoup de mes parents, ils ne travaillent pas dans le cinéma, mais ils m’ont bercé dans le milieu de l’image à travers la photo, la vidéo et le cinéma. Ma mère est une très grande cinéphile et ils m’ont apporté une grande sensibilité. J’ai fait un bac littéraire option cinéma, puis à l’université, j’ai fait un stage sur un tournage en tant qu’assistante mise en scène qui m’a énormément plu. J’ai alors commencé à faire de la mise en scène, j’ai donné des coups de main en costume. Depuis petite, je ne me l’assumais pas, mais j’avais très envie de jouer et tourner. Je pense que c’était un rêve d’enfant, de regarder des films et de me faire des petites pièces de théâtre dans ma chambre.

Qu’est-ce qui t’a inspiré pour écrire le scénario de Ville éternelle ?

G.K : On s’est beaucoup inspiré mutuellement avec Martin (Jauvat). Je voulais que ce soit une rencontre entre deux personnages, on a débuté en sachant qu’on voulait se faire jouer, qu’on n’allait être que deux, car en terme d’ambition, on avait en tête qu’on allait être auto-produit. On a pris plusieurs cafés ensemble où on se racontait beaucoup nos vies amicales, amoureuses, familiales ; c’est parti de là. Avec Martin, on s’est rencontré à la fin d’un tournage sur lequel on participait tous les deux mais où on n’avait aucune scène en commun. On ne s’est rencontré que lors de la fête de fin de tournage, c’était amusant car on participait au projet sans s’être jamais vu, on s’est croisé à cette fête, on a beaucoup sympathisé et on est devenu amis. J’ai le souvenir d’avoir énormément ri, pour moi, le rire est extrêmement important.
En réaction, on a décidé de faire un projet en commun où on se verrait pendant le projet cette fois-ci (rires) !

Vous aviez cette envie d’ajouter des touches comiques au scénario ?

G.K : Oui et finalement, il n’est pas si comique, c’est aussi ce qui m’a plu chez Martin : cet humour incessant et cette manière de réussir à toujours rebondir ; en même temps, il a une grande sensibilité et une profondeur très poétique que j’ai aussi décelées dans ses courts-métrages, notamment Les Vacances à Chelles qui m’a vraiment touché. Cela m’a donné envie de travailler avec lui. Je pense qu’effectivement, cela part du fait d’avoir beaucoup ri ensemble. Le rire débloque beaucoup de choses, une intimité se créée : tu te sens à l’aise, tu comprends l’autre, on peut se dire beaucoup de choses, sans jugement ni méfiance. On retrouve cette idée dans Ville éternelle, les deux personnages sont rapidement amenés a se dire des choses très personnelles. J’ai l’impression que la vie va très vite et qu’il n’y a pas de temps à perdre pour se rencontrer les uns et les autres.

Tu as donc travaillé ton scénario à travers ces discussions ?

G.K : Oui, j’avais cette idée d’une fille qui baraude en solitaire et qui se fait intercepter par quelqu’un. Je voulais que cette rencontre n’aille pas que dans un sens, qu’elle ne change pas quelque chose que pour la jeune femme seulement, mais aussi pour le personnage masculin. Je voulais qu’il y ait une sorte de transmission. L’idée de la marche était importante pour moi. C’est plus simple de discuter et d’être à l’aise en étant en mouvement physique que face à face ou statique.
L’idée de tourner dans le 77 est venue de Martin, il a grandi à Chelles et a fait tous ses films dans ce coin. J’étais ravie car j’avais vu tous ses courts-métrages que j’ai adorés et c’était aussi une occasion de découvrir cet endroit. J’ai grandi plusieurs années dans le 93 à Les Pavillon-Sous-Bois près de Bondy, ce n’est pas du tout la même ambiance urbaine, même en termes d’environnements, de paysages, etc…J’ai aimé l’idée ne pas tourner complètement à la campagne, ou à la montagne, dans un lieu entièrement bucolique ; et de pas rester non plus dans Paris, mais plutôt de retrouver cet espace qui se situe entre les grosses villes et la « rase » campagne. Revenir sur ces lieux qu’on considère comme secondaires, qu’on a longtemps appelé « ville-dortoir ».

Comment s’est passée cette double collaboration avec Martin Jauvat de l’écriture jusqu’au jeu d’acteur sur le tournage ?

G.K : Dans le fait d’être deux, il y a un effet ping-pong : ça rebondit bien de l’un à l’autre, c’est intense et rapide. Il y a aussi des moments où l’un n’est pas forcément du même avis que l’autre. Ce qui est bien, c’est qu’avant de prendre une décision, on parle beaucoup. On pouvait parfois estimer que l’idée de l’autre n’était pas concevable ou pas logique. Cela donnait lieu à des discussions qui allaient au-delà du projet, beaucoup de choses se déployaient là-dedans. Pour moi, c’est de l’enrichissement total quoiqu’il arrive. On arrive forcément à trouver un point d’entente à un moment, il n’y a jamais eu de frustration énorme ou même de mésentente, on a toujours réussi à trouver ce qui nous convenait ensemble. Ce mot « ensemble » je pense qu’il est très important pour nous, dans nos esprits et quoiqu’il arrive on veut que ça marche à plusieurs.

Tu avais donc déjà cette idée d’interpréter le rôle plutôt qu’embaucher une actrice : comment as-tu vécu cette expérience de jouer et réaliser en même temps ?

G.K : Oui, c’est sportif, on était une très petite équipe, je mettais aussi en scène, je faisais les plannings, les feuilles de service, etc…Heureusement, on avait un super régisseur mais je devais assumer une partie de la logistique. On avait écrit le scénario pour nous, je n’avais pas à jouer un rôle de composition à l’opposé de moi-même, c’était rassurant, mais à certains moments, après une prise, je devais demander à Vincent, notre chef opérateur : « comment tu m’as trouvé, qu’est-ce que t’en a pensé ? ». Je ne sais pas si j’aurai envie de réitérer l’expérience comme ça (rires) ! Je pense que cela dépend aussi des gens avec qui tu travailles, qui t’entourent, et de ta confiance dans ton projet. Ensuite, tu le sens aussi quand une prise ne fonctionne pas, tu demandes à la refaire.

Combien de temps à duré le tournage ?

G.K : 3 jours avec beaucoup d’heures sup ! […] On a dû découper des journées, sauter des séquences puis y revenir : c’était dur surtout pour l’équipe, c’était du bénévolat, on ne savait pas où ça allait…On a fait le maximum pour que tout le monde se sente bien. C’était très beau parce que plusieurs fois en fin de journée, j’ai proposé à l’équipe d’arrêter, de faire des pauses. Mais malgré la fatigue, tout le monde était motivé et prêt à finir la journée à 23 heures plutôt qu’à 19 heures. Je trouve que c’est important de sentir sur un plateau que tout le monde est présent. Si tu n’es pas sûre, il faut le formuler parce que c’est horrible d’avoir l’impression de traîner les gens derrière toi.

La musique a été composée par Mathilde Poymiro qui a elle-même réalisé un court-métrage, Caillou qui était aussi sélectionné cette année à Pantin. Comment s’est passé cette rencontre ?

G.K : C’est une très belle histoire. On s’est rencontré il y a quelques années grâce à des amis en commun, elle préparait Caillou et finalement elle est venue vers moi car on s’était bien entendu et elle cherchait quelqu’un pour les costumes : j’étais partante. Cela a été une vrai rencontre, très déterminante autant professionnelle que personnelle. Naturellement, elle a suivi ensuite le processus de Ville éternelle, on a abordé la question de la musique comme elle en fait, et c’est très vite paru évident en écoutant ses maquettes qu’elle travaillerait avec nous. C’est comme si on s’invitait l’une et l’autre, sur des postes « différents » de ce qu’on fait d’habitude donc c’est très beau.

Pourquoi le choix d’auto-produire ton court-métrage ?

G.K : Il y avait un peu un sentiment d’urgence. Jusqu’ici, je n’avais pas fait de films, mais j’évolue dans ce milieu, j’ai beaucoup d’ami.es réalisateurs et réalisatrices et j’ai vu le temps passé, le temps qui se distend pour faire des demandes de financement. C’est normal, c’est comme ça, mais je les ai vus parfois perdre un peu confiance à un moment donné, ça revient évidemment mais je pense que ça m’a fait peur. Mes professeurs m’ont toujours dit qu’il fallait commencer à faire par nous-mêmes et ne pas attendre. On a senti que c’était vraiment maintenant qu’on avait envie de parler de cette histoire, et que peut-être d’ici quelques années, quelques mois seulement, ça n’aurait plus trop de sens. Il y a eu le confinement entre temps, qui mine de rien a redéployé cette énergie chez les gens de vouloir créer à nouveau de manière auto-produite s’il fallait, et de ne plus attendre. Ce moment de stand-by nous a notamment permis de réécrire et de modifier beaucoup de choses.

Maintenant que tu as réalisé ton premier court-métrage que prévois-tu pour la suite ? Souhaites-tu continuer dans la réalisation, et si oui, avec des projets de courts ou peut-être un long ?

G.K : J’ai un projet de long que j’ai écrit l’été dernier, mais qui est encore évidemment en écriture. J’ai un projet de court-métrage, qui est d’ailleurs du même procédé que Ville éternelle, que j’ai écrit avec un ami qui est comédien, mais qui n’a jamais mis en scène. Ce projet part aussi d’une rencontre, c’est quelqu’un avec qui j’ai joué sur un court. C’était percutant car c’était la première fois que je jouais avec quelqu’un de beaucoup plus expérimenté que moi, et qui m’a amené à des moments d’improvisation, de jeu et de confiance. On a eu peu de scènes ensemble, j’ai ressenti de la frustration et une envie de jouer davantage avec cette personne. Ce sera un court qu’on aura écrit ensemble et dans lequel on se mettra en scène. Je veux continuer à réaliser, et à jouer. Je veux aussi être derrière la caméra, filmer les gens. Faire un long, ça se déploie sur beaucoup d’années, je pense que c’est important de faire d’autres choses, toujours en tant que réalisatrice. J’aurai peut-être recours à d’autres mediums aussi, de l’ordre du documentaire ou de la docu-fiction. Des choses aussi qui s’approchent plus de la vidéo d’expérimentation. Je ne sais pas encore vraiment mais je réfléchis à faire des choses avec des jeunes, des lycéens notamment. J’aimerais déployer d’autres choses que la fiction uniquement, même si le cinéma demeure ma voie principale.

Propos recueillis par Laure Dion

Article associé : la critique du film

V comme La vie sexuelle de Mamie

Fiche technique

Synopsis : Un voyage dans la jeunesse et les souvenirs intimes d’une grand-mère illustre le statut des femmes slovènes pendant la première partie du vingtième siècle.

Année : 2021

Durée : 13’40

Genre : Animation

Pays : Slovénie, France

Réalisation : Urška Djukić, Emilie Pigeard

Animation : Emilie Pigeard

Scénario : Urška Djukić, Marina Bohr

Son : Žiga Rangus

Musique : Tomaž Grom

Montage : Urška Djukić

Interprétation : Doroteja Nadrah, Jure Henigman, Mara Vilar, Božena Zabret, Bojana Ciglič

Production : Studio Virc, Ikki Films

Article associé : la critique du film

La vie sexuelle de Mamie de Urška Djukić et Emilie Pigeard

De tous les titres de courts-métrages possibles et imaginables, La vie sexuelle de Mamie, César du Meilleur court-métrage d’animation 2023, est probablement celui qui attire le plus l’oeil du curieux spectateur, cinéphile ou pas. Allier sexe et gériatrie est au mieux inhabituel, au pire moquerie de mauvais goût. Pourtant, c’est bien un témoignage historique, particulier et universel d’une grande dignité qu’on retient de ce court-métrage franco-slovène, co-réalisé par Urška Djukić et Emilie Pigeard, sélectionné au dernier festival d’Annecy.

Mêlant les genres et les formes artistiques (photos et dessins semblables à ceux des enfants), le film adapté d’un conte prend place dans la Slovénie du XXe siècle où une femme âgée narre son enfance, témointe de viols conjugaux et de violence domestique de son père envers sa mère, et de sa destinée qui connaîtra le même sort avec son futur mari. Selon l’Église catholique, la femme doit être soumise à son mari, et assouvir ses besoins sexuels, ceux de la femme finissant fatalement par être oubliée dans l’équation, perdue dans une oppression patriarcale systémique et systématique.

La vie sexuelle de Mamie est d’abord celle de Papi, usant du corps de l’autre comme une marionnette à disposition, comme un objet contrôlé par l’homme. Car mamie n’a pas réussi à sauver sa maman de viols auxquels elle assistait, ni échappé à la douleur de rapports sexuels non consentis, ce fameux « devoir marital ». C’est dans ce thème dur, celui de la possession du corps de l’autre, que la forme du court métrage révèle sa pertinence et sa justesse. S’il est vrai que la forme animée permet de faire vivre des visions artistiques difficiles en prises de vue réelles, la réalisatrice use de la bidimensionnalité des dessins d’enfants pour faire des jeux de perspectives jouissifs et frénétiques. En effet, les illustrations sont celles qui semblent appartenir à un enfant de 8 ans ; la vision de parties génitales ou de sang dérange alors, comme si nous n’étions pas censés assister à des scènes oscillant entre l’horrifique et la comédie.

Ne vous fiez pas aux couleurs délavées et aux contours mal remplis des dessins ; le rythme effréné et le montage qui laisse très peu souffler regorge de métaphores mémorables, si simples et pourtant si bien trouvées ; la réalité du mariage dans une société qui nie le plaisir des femmes au profit de la domination masculine n’use que de quelques traits ; celles de petits soldats entrant tel Napoléon dans un vagin, sur une musique militaire. On en rirait à vive voix si on en ignorait le traumatisme subi à ces femmes.

Oui, la vie sexuelle de Mamie est celle de « ces femmes » – si l’on peut parler de vie tant elle étouffe au fil des années – anonymes, incarnées vocalement par la grand-mère, aux mille visages de photographies anciennes surgissant par moments. Et puis, il y a ces moments où le témoignage se passe de mots ; ces moments où le silence semble régner, où l’obscurité ose se confondre avec des sons, des bruits qu’on ne voudrait pas humains, revêtant au court métrage une allure de film expérimental. Ce n’est pas un de ces films qu’on revoit avec plaisir , bien que ces dessins seront toujours observés avec étrangeté et curiosité morbide, mais bien un de ces films que nous nous devons de voir, tant pour le portrait d’une génération de femmes que pour la jouissive créativité qui en jaillit.

Mona Affholder

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Inscrire son court aux César 2023

Vous désirez inscrire votre court-métrage aux prochains César ?

Pour info/rappel, pour être éligible pour les César 2023, votre court-métrage doit avoir une durée strictement inférieure à 60 minutes, au minimum 30% de production française et avoir obtenu son visa d’exploitation du CNC entre le 1er juillet 2021 et le 30 juin 2022.

Les films doivent être inscrits avant le 15 juillet 2022 via le formulaire en ligne disponible sur le site de l’Académie.

Autre outil pouvant également vous aider : le mode d’emploi court des César.

Par ailleurs, si certains films ont une date de visa les rendant éligibles pour 2023 mais n’ont pas encore eu le temps de vivre en festivals et préfèrent attendre les César 2024, il est nécessaire de contacter Margaux Pierrefiche, responsable du court à l’Académie, pour faire une demande de dérogation. La non inscription au formulaire ne suffit pas.

Bonne chance @ vous !

V comme Ville éternelle

Fiche technique

Synopsis : Jour férié, au milieu du 77 : Lili attend un bus pour aller à l’aéroport. Elle croise Thibault, ancien camarade de collège dont elle n’a aucun souvenir. Le bus ne passe pas et elle décide d’y aller à pied. Thibault l’accompagne malgré elle. Ils vont alors se « re-rencontrer », et se lier.

Genre : fiction

Durée : 20’

Année : 2021

Pays : France

Réalisation : Garance Kim

Scénario : Garance Kim, Martin Jauvat

Image : Vincent Peugnet

Son : Emeline David

Musique : Mathilde Poymiro

Montage : Alexis Noël

Interprétation : Garance Kim, Martin Jauvat

Article associé : la critique du film

Ville éternelle de Garance Kim

La 31eme édition du Festival pantinois consacré aux courts-métrages Coté Court s’est clôturé samedi 18 juin. La jeune réalisatrice, Garance Kim, cumule le Prix du premier film et le Prix de la jeunesse avec son court-métrage Ville éternelle. Son film traite le sujet d’une retrouvaille entre deux personnages que tout oppose, dans un environnement pastoral à la lisière de la ville.

Lili, de passage chez ses parents, attend un bus pour se rendre à l’aéroport. Elle fait la rencontre de Thibault, cycliste vêtu d’un jogging et d’un bob. Affichant un énorme sourire, il prétend être un ancien camarade de classe, mais Lili n’a aucun souvenir de lui. Il lui apprend que le bus ne passera pas aujourd’hui. Lili, affublée d’un grand sac à dos, se prépare à marcher jusqu’à l’aéroport. Malgré son refus, Thibault insiste pour l’accompagner. Au fil de leur promenade à travers les champs, Lili et Thibault apprennent à se connaître…

Garance Kim parvient à retranscrire parfaitement l’évolution de la relation entre les deux personnages. Issus de deux milieux différents, Lili a voyagé et a continué ses études, tandis que Thibault n’a jamais quitté sa banlieue et travaille en temps partiel à la caisse du Carrefour de sa ville. D’abord méfiante face à son insistance, Lili découvre finalement un garçon sensible et sincèrement attentionné. Le lien que tisse la réalisatrice relie aussi les personnages aux spectateurs, Thibault nous paraît d’abord presque dangereux puis on s’attache à lui, pour sa sympathie, ses répliques comiques et rafraîchissantes. On en apprend notamment sur Lili, ses motivations à parcourir autant de trajet à pied, ses doutes et inquiétudes quant à son départ en avion vers l’inconnu en Italie. Thibault semble, lui, symboliser le rapport conflictuel que porte Lili envers sa ville natale. D’abord méprisante à l’égard du jeune homme, elle gagne peu à peu en confiance et apprécie son réconfort et soutien.

Garance Kim interprète le premier rôle de son propre film comme cela a été le cas pour plusieurs réalisateurs de Côté Court (Maison blanche de Hugues Perrot, L’autre Louis de Arnaud Simon ou Almost a Kiss de Camille Degeye), avec Martin Jauvat dans le rôle de Thibault, co-créateur du scénario. Cette dualité, entre les deux auteurs qui jouent leur propre scénario, forme une harmonie au sein du court-métrage. Cela participe à provoquer et rendre si crédible le lien particulier qui unit les deux personnages à la fin du film.

Garance Kim met en scène cette rencontre inattendue  par l’esthétique de sa photographie. Elle met à l’honneur la campagne de la protagoniste avec des plans larges de la traversée des champs de blé, d’herbe et de seigle. La réalisatrice parvient à capter une lumière naturelle orangée mettant en valeur le paysage. La musique électro vient d’ailleurs donner une dimension onirique au décor et à cette promenade.

Garance Kim offre une  expérience de retrouvailles dans son court-métrage, qui n’est pas des plus émouvantes au départ, mais finit par nous toucher avec  deux jeunes protagonistes aux parcours de vie très différents. À la croisée de leurs chemins, ils dépassent les apparences pour se retrouver dans cet environnement qui les a vu grandir… pour finalement s’épanouir !

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de la réalisatrice

Laure Dion

Concours. Des films courts et longs de la Quinzaine des Réalisateurs à voir au Forum des images !

Comme tous les ans, le Forum des images accueille à Paris la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs. Celle-ci se clôture ce dimanche 26 juin. Pour accompagner le dernier jour de ce cycle, nous vous offrons 3×2 places pour 3 séances de courts et de longs prévues ce jour-là. Intéressé(e)s ? Contactez-nous en nous précisant quelle(s) projection(s) vous intéresse(nt) !

Le Parfum vert de Nicolas Pariser : dimanche 26.6 à 14h30 : 3 x 2 places à gagner

Avec Sandrine Kiberlain, Vincent Lacoste, Rüdiger Vogler, Léonie Simaga

Syn. : En pleine représentation, devant un public médusé, un comédien de la Comédie-Française est assassiné par empoisonnement. Martin, un des comédiens de la troupe, témoin direct de cet assassinat, est bientôt soupçonné par la police et pourchassé par la mystérieuse organisation qui a commandité le meurtre. Aidé par une dessinatrice de bandes dessinées, Claire, il cherchera à élucider le mystère de cette mort violente au cours d’un voyage très mouvementé en Europe.

Programme de courts métrages 2 : dimanche 26.6 à 17h30 – 3 x 2 places à gagner

– Happy New Year, Jim de Andrea Gatopoulos, Italie
– Maria Schneider, 1983 de Elisabeth Subrin, France
– Beben de Rudolf Fitzgerald Leonard, Allemagne
– Jitterbug de Ayo Akingbade, Jitterbug d’Ayo Akingbade,
– Des jeunes filles enterrent leur vie de Maïté Sonnet. En présence de la réalisatrice.

Revoir Paris d’Alice Winocour : dimanche à 18h – 3 x 2 places à gagner

Avec Virginie Efira, Benoît Magimel

Syn. : À Paris, Mia est prise dans un attentat dans une brasserie. Trois mois plus tard, alors qu’elle n’a toujours pas réussi à reprendre le cours de sa vie et qu’elle ne se rappelle de l’évènement que par bribes, Mia décide d’enquêter dans sa mémoire pour retrouver le chemin d’un bonheur possible.

Flonja Kodheli : « Avec la peur, on touche à l’irrationnel. La peur peut vous pousser très loin »

Ayant fait ses débuts au cinéma en tant que comédienne, Flonja Kodheli réalise son premier court-métrage avec Ka Me Kalu, où elle met en scène un rapport mère-fille en proie aux stigmates de la dictature albanaise. Elle vient d’obtenir le Grand Prix ex-aequo et le Prix du Public au festival Le Court en dit long. Dans un entretien réalisé juste avant la remise des prix, elle revient avec nous sur son parcours et les thématiques qui lui sont chères.

Ⓒ Sarah Gouret

Format Court : Qu’est-ce qui t’a amené à faire du cinéma ?

Flonja Kodheli : Avant de me consacrer au cinéma, j’ai été pianiste. Lorsque j’étais étudiante au Conservatoire, je regardais parfois les apprentis comédiens travailler leur scène et ça me donnait très envie d’être à leur place. Jouer et interpréter les grands textes classiques me faisait rêver mais je n’avais pas la force de changer d’orientation à ce moment-là. J’ai passé le pas 8 ans après. À la sortie des cours Florent, j’ai commencé à passer des castings un peu partout. C’est vrai qu’à l’origine, je rêvais de théâtre. Mais très vite, j’ai obtenu  des rôles intéressants au cinéma et j’ai continué sur ce chemin-là, tout simplement et j’en suis très contente. 

Quel rapport entretiens-tu avec la forme du court-métrage ?

F.K : J’ai tourné dans peu de courts-métrages en tant que comédienne et j’étais peu familière avec cette structure. Avec Leenda Mamosa, la co-scénariste du film, on a surtout veillé à ce que le récit soit cohérent en y intégrant une montée émotionnelle tout en douceur. On voulait écrire l’histoire d’un film qu’on avait envie de voir à l’écran, sans se mettre la pression avec certaines règles (début – milieu – fin, etc…)

La première scène de ton film est un plan-séquence de plus de 4 minutes. C’était assez ambitieux !

F.K : Oui ! Au premier jour de tournage, on a commencé par ce long plan-séquence et on a mis près de 5h pour la réaliser. À la pause déjeuner, on ne l’avait toujours pas… Je mangeais en me disant « Wow ! Mais qu’est ce qu’il m’a pris !? Pourquoi je me suis mise dans cette situation ? Ça fait 4h qu’on la cherche, c’est normal qu’on ne l’ait toujours pas ! ».  Il a fallu près de 20 prises ! L’angoisse absolue pour un premier jour de tournage. Mais Virginie Surdej, la cheffe opératrice était très rassurante et elle ne s’est jamais inquiétée de tout ça. Au contraire, elle voulait encore plus de prises. C’était une grande chance de la rencontrer et de travailler avec elle. L’équipe était très professionnelle et bienveillante. J’étais bien entourée.

30 minutes, c’est une sacrée gageure pour un premier court !

F.K : Il dure 28 minutes. Chaque minute compte dans un court-métrage. Et encore, il était plus long, on a coupé ! Le scénario faisait 21 pages, mais une fois sur le plateau, nous avons trouvé le rythme de nos personnages. Il était beaucoup plus lent que sur le papier, mais c’était le rythme juste, puisqu’il s’est presque imposé à nous en jouant.

Qu’est ce qui a motivé ton envie de faire ce film ?

F.K : A travers ce film, je voulais montrer les conséquences psychologiques d’une dictature et ses répercussions sur la cellule familiale, comment cela pouvait façonner notre existence. Je voulais aussi parler de l’exil et de la peur profonde.

Tu es née en Albanie, tu as des souvenirs très concrets de la dictature ?

F.K : Oui, bien sûr. Je me souviens de beaucoup de choses évidemment mais surtout de l’école. Tout ce qu’on devait apprendre en lien avec Enver Hoxha ou le parti. Petite, j’ai développé une certaine capacité à apprendre par cœur des leçons entières sans rien y comprendre, que je récitais devant toute la classe et que j’oubliais une heure après. 

Oui, c’est un état d’esprit très ténu à saisir. Aujourd’hui, lorsqu’on parle de dictature, on pense généralement à Hitler ou à Staline. Les exemples de Ceausescu ou Enver Hoxha, pourtant plus proche de nous, semblent moins évidents. L’une des vertus de ton film est de remettre cette historicité au centre des attentions.

F.K : Bien sûr ! Depuis que le film circule en festival, je me rends compte que beaucoup de gens découvrent la dictature en Albanie. Quarante-cinq ans quand même, ce n’est pas rien.

Comment ça se fait ?

F.K : Parce que c’est un petit pays, très mal connu et puis surtout parce que les Albanais sont associés à des clichés qui empêchent de voir l’histoire réelle du pays. Mon challenge, c’était de faire un film avec des Albanais sans colporter les stéréotypes qui les entourent.

Qu’est-ce que ça fait de prendre en charge l’histoire de son pays à travers une œuvre ?

F.K : Au début, je n’ai pas voulu prendre en charge l’histoire de mon pays, mais raconter les traumatismes au sein d’une famille. Pendant presque deux ans d’écriture, l’histoire se déroulait dans une famille italienne, et puis un jour Paul Heymans, qui a lu plusieurs étapes du scénario et qui est aussi le mixeur  du film, m’a suggéré de  transposer cette histoire dans une famille albanaise. Ce changement m’a bouleversée parce que dans ce cas précis, j’avais des choses à dire et à défendre, je savais encore mieux de quoi je parlais.

Comment as-tu réussi à te départir de ton rôle de réalisatrice pour assurer l’un des rôles principaux ?

F.K : J’ai fait toute la préparation en cherchant la comédienne qui jouerait Stela, donc j’étais déchargée de ce poids. Sauf qu’il me fallait une comédienne qui soit parfaitement francophone et albanophone, et c’était introuvable… Trois semaines avant le tournage, le producteur, Sebastian Schelenz (Velvet Films) m’a demandé si je ne voulais pas jouer le rôle. Je me suis quand même fait passer un casting et j’ai été prise (rires) !

Comment la comédienne qui interprète la mère, Ilire Vinca, a-t-elle vécu un rôle comme celui-là ?

F.K : C’était délicat, elle m’avouait parfois être dérangée par le rôle et gênée de devoir replonger dans tout cela. Le soir, elle restait imprégnée de la journée qu’elle venait de traverser. Là où moi je passais à autre chose. Etant kosovare, elle trouvait que c’était une grande responsabilité de parler de ces thématiques. Elle a très bien connu ce climat mais n’a pas pour autant vécu la dictature telle qu’elle était en Albanie.

Ⓒ Sarah Gouret

Le sentiment qui jalonne tout ton film, c’est la peur, son ancrage dans les consciences. Quel rapport entretiens-tu avec ce sentiment ?

F.K : Avec la peur, on touche à l’irrationnel. La peur peut vous pousser très loin. Lorsqu’on est étranger, on a toujours peur de quelque chose je crois. On a aussi peur de « faire » mal parce qu’on ne fonctionne pas toujours comme les autres. Peur d’être maladroit, peur de dire quelque chose de travers…

Peur de se trahir aussi. Toujours cette suspicion d’être constamment observé, espionné ou sur écoute. Confiance nulle part, méfiance partout en quelque sorte.

F.K : Oui c’est vrai, c’est tellement ancré. En Albanie, on disait que les murs avaient des oreilles. C’est très difficile de se défaire de ce genre de fonctionnement du jour au lendemain. Ça fait presque partie de notre identité… « Avoir peur » et « se méfier de tout le monde (rires) ! Je pense que c’est exactement ce que vit Maria dans le film. Elle se sent toujours victime d’un système. 

Selon les générations, il peut y avoir deux axes de lectures. Le premier, adressé à la jeune génération, est plutôt didactique : on prend connaissance d’une réalité. Un second axe, destiné aux plus anciens et peut-être même à ceux qui ont vécu la dictature, peut induire une forme de résilience. Quelles ont été les réactions ?

F.K : Mes parents, les premiers, aiment beaucoup le film. Mon père a dû le voir dix fois. Avec la génération de mes parents, je le vois plutôt comme une déclaration d’amour et de résilience (ou de réconciliation avec une partie de leur histoire). Je trouve que dans le lien mère-fille, nous avons réussi à être tendres malgré la dureté de la mère. Je tenais vraiment à ce que toute cette histoire soit enveloppée d’empathie envers Maria. Alors, oui, je la vois plus comme une déclaration d’amour pour toute la génération albanaise qui a souffert de cette dictature et qui n’en est pas sortie indemne.

Ⓒ Sarah Gouret

Y aurait-il comme un devoir de mémoire ?

F.K : Oui. Complètement. Ne pas oublier d’où on vient et que « partir », c’est juste quitter. Tu quittes quelqu’un, tu quittes un pays mais tu as toujours des traces qui restent. Une répression peut changer l’ADN d’une personne, voire de toute une société. Même si on quitte son pays et qu’on est libre, on n’est pas nécessairement dégagé de ses traumatismes. On peut parler librement, on peut aller à l’église (la religion étant interdite à l’époque), on peut écouter du rock, on peut lire Rimbaud… Dans les faits, on est libre mais être libre, ça ne veut pas toujours dire qu’on est capable de « fonctionner » librement. Et c’est le cas de Maria. Tout d’un coup, elle recrée une réalité qu’elle a bien connu et qui probablement manque à son fonctionnement.

De quel(s) cinéaste(s) te sens-tu proche ?

F.K : Cristian Mungiu ! Et pour ce film, la référence c’était surtout Baccalauréat. J’invite tout le monde à le voir.

As-tu d’autre projets à l’avenir ?

F.K : La réalisation m’a beaucoup plu mais c’est surtout en partie grâce aux personnes formidables qui m’ont entourée tout au long du projet. Alors, oui, j’ai très très envie de continuer sur cette voie.

Propos recueillis par Augustin Passard

Article associé : la critique du film

Transgression et sens de l’absurde au Court en dit long

Le 30ème festival Le Court en dit long dédié aux courts-métrages belges francophones s’est déroulé au début du mois.  Format Court vous propose d’en savoir plus sur deux courts primés : Balaclava de Youri Orekhoff (Grand Prix ex-aequo) et En fin de conte réalisé par Zoé Arène (prix du scénario).

Balaclava est une courte animation créée par un jeune cinéaste prometteur, étudiant à La Cambre à Bruxelles. Le récit porte sur deux jeunes femmes qui, en plein cambriolage, improvisent des discussions existentielles à la manière d’une soirée pyjama. Ce court-métrage s’inscrit parfaitement dans l’air du temps, reprenant les codes de la génération Z avec l’esthétique de la pop culture flashy et bling-bling, qu’on peut retrouver aujourd’hui dans les clips de rap.

Tina et Nadja, des cagoules sur le visage, discutent dans un salon. Nadja raconte une anecdote amusante à la manière d’une « Story-time », une tendance sur YouTube qui consiste à narrer une histoire de la manière la plus palpitante possible pour captiver l’audience. Alors qu’elles sont en plein cambriolage, le vol d’objet précieux et onéreux ne semble pas être leur priorité, et elles préfèrent redresser le cadre d’un tableau, profiter de la baignoire afin de se prélasser dans un bon bain, voler à foison de la nourriture dans le frigidaire, avant de se décider finalement à mettre le « bordel » à coups de peinture sur les murs, crachats par terre et bataille de nourriture. Lorsqu’une sirène de police retentit au loin, Nadja interpelle les policiers et, par provocation, tente en vain d’attirer leur attention.

Youri Orekhoff crée un univers très moderne en s’inspirant des codes d’internet et de la pop culture. Certains plans au format vertical ou carré renvoient au visionnage d’une vidéo sur téléphone. Les téléphones portables sont d’ailleurs omniprésents, que ce soit à travers la prise de selfie ou le bruitage du son des touches. Les deux protagonistes, très extravagantes dans leur apparence et leur manière de s’exprimer, rappellent certaines rappeuses, très à la mode aujourd’hui telle Cardi B. Elles s’en inspirent par leurs tenues et maquillages flashy, leurs longs cils et leurs faux ongles démesurés. Leur vocabulaire s’inscrit aussi dans  une culture internet, par l’usage de termes anglais et d’abréviations orales. La musique, signée Juicy, nous immerge également dans une esthétique pop-rap très dynamique.

Le court-métrage retient l’attention par son design tout à fait particulier et propre à son créateur. Seules les protagonistes sont colorées, alors que le décor est épuré, dessiné, comme en négatif, d’un trait blanc sur fond entièrement noir. Ce contraste renforce l’impression de vide autour des deux femmes, et leur sentiment d’isolement compensé néanmoins par leur forte complicité.

L’animation des gestes, saccadée, provoque un dynamisme et participe à l’énergie du court-métrage. Cette vitalité s’oppose au sentiment d’impuissance des deux protagonistes.  Ces deux dernières détruisent tout volontairement, puis affirment en admirant leur œuvre :« c’est beau ce bordel ». A travers l’acte cathartique de ses deux personnages, Youri Orekhoff illustre le désœuvrement que peuvent traverser les jeunes à l’aube de leur vingtaine. A travers son animation, il extériorise la frustration accumulée par la jeunesse d’aujourd’hui et nous plonge dans un monde très jeune et moderne en l’espace de quelques minutes.

On peut saluer aussi l’originalité du court-métrage En fin de conte réalisé par Zoé Arène qui a reçu le prix du scénario au Court en dit long. La réalisatrice dresse le portrait d’une femme marginale au sein d’une société désenchantée à travers un« mockumentary » (documentaire fictionnel). Malgré le registre totalement différent de Balaclava, on retrouve cependant chez la protagoniste de la fiction de En fin de conte cette même volonté de transgression et de quête d’attention que les deux jeunes femmes animées, ainsi qu’une touche comique et légèrement absurde.

Zoé Arène montre la manière dont une femme, Coco, créé un refuge mental pour échapper à la réalité. Malgré l’aspect réel de ce faux-documentaire, Zoé Arène nous transporte avec la protagoniste dans un imaginaire fantaisiste éloigné de la société.

Un étudiant en cinéma, Juan, a le projet de faire un documentaire sur une personne marginale, qui vit hors des codes de la société. Il ne pensait pas tomber sur une femme aussi excentrique que Coco, persuadée qu’elle est … une fée ! Juan suit donc dans la rue Coco qui tente de prouver au monde sa nature magique et l’existence de ses pouvoirs.

Le court-métrage de Zoé Arène résonne particulièrement aujourd’hui. On est touché par cette femme en quête de merveilleux et d’enchantement dans un monde qui semble tout sauf magique, en proie à la crise sanitaire et aux divers problèmes politiques et écologiques. On a envie de croire à ses pouvoirs et à ses capacités féériques. Derrière la folie apparente de la protagoniste, qui laisse exploser sa colère dans un bureau de Pôle Emploi, Zoé Arène souligne l’absurdité du système qui ne jure que par des documents administratifs et des justificatifs. Devant le Palais du Roi, les cris de détresse de Coco qui restent sans réponse, évoquent une société où les individus sont livrés à leur propre sort, ainsi qu’un certain égoïsme ambiant. La cruauté de la réalité finit par faire douter Coco de son existence, elle disparaît alors comme par magie de ce monde qui ne lui sied pas.

Filmée en caméra à l’épaule à travers le caméscope de Juan, cette fiction qui reprend les codes du documentaire permet une immersion totale dans le monde de Coco. On ne lâche pas d’une semelle cette femme excentrique qui ne faillit jamais à ses croyances. A travers une abondance de cut, le montage créé un dynamisme renforcé par l’intensité du jeu de l’actrice Aline Mahaux, qui porte son personnage avec une énergie extraordinaire.

Le personnage de Coco, symbole d’un espoir ou d’une folie causée par la réalité de la société, peut nous amener à nous demander qui est le plus humain. Zoé Arène offre le portrait extrêmement marquant d’une femme marginale, qui se révèle être finalement la plus sensible et peut-être la plus humaine dans cette société si froide.

Laure Dion

Articles associés : notre 2ème reportage sur Le Court en dit long et l’interview de Youri Orekhoff

Youri Orekhoff : « Un film s’inscrit dans un parcours »

Youri Orekhoff a réalisé Balaclava. Avec ce film disponible sur Court-Circuit, il a remporté ex-aequo (avec Ka Me Kalu de Flonja Kodheli) le Grand Prix au festival Le Court en dit long en juin 2022, au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris. Encore étudiant à La Cambre, une école d’animation à Bruxelles, il revient sur son parcours et son goût pour les univers stylés, faits de faux ongles, de kitsch, d’improvisation et de croquis. 

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Format Court : Qu’est-ce qui t’a amené à l’animation et au choix de La Cambre ?

Youri Orekhoff : Je voulais faire du cinéma, mais je ne me voyais pas aller dans une école de cinéma à 17 ans. Comme je dessinais tout le temps, j’ai pensé qu’une école d’animation mélangerait les deux choses que j’aimais bien : les films et les dessins. Il y a un milliard de manières d’aborder l’animation et de techniques à découvrir, je me suis dit que ça allait d’office m’amuser. On m’avait parlé de la Cambre, j’avais un aperçu de l’école grâce à des amis qui y étaient. J’avais aussi envie d’aller à Bruxelles, j’avais l’impression que c’était l’école qui allait me correspondre le mieux.

J’ai pu avoir accès à des films de l’école. J’aimais bien ce que produisait La Cambre. Pour moi ça me semblait évident d’y être, je n’ai pas vraiment fait de choix, c’est vraiment l’école que j’avais en tête. J’ai passé l’examen une première fois et je n’ai pas été pris, ce qui a été une bonne chose car je sentais que je n’étais pas mature. Cette année-là, j’étais à l’université, j’apprenais l’anglais et le russe. En revenant à La Cambre, j’étais sûr de ce que je voulais, j’ai eu le temps de voir ce que l’école avait à proposer, je savais ce qui m’intéresserait. Quand je suis arrivé, j’étais super content.

Ça veut dire quoi « balaclava » ?

Y.O : Cela désigne les cagoules qui cachent une grande partie du visage, c’est censé protéger du froid à l’origine mais on associe ça beaucoup aux cambrioleurs.

Comment as-tu abordé ce projet ?

Y.O : Il n’y avait pas de processus clair et défini dans ma manière de travailler, j’ai beaucoup improvisé. C’était mon film de troisième année. On a le droit d’être 100% libre, cela m’a permis de me laisser aller un peu n’importe comment. Au début, j’ai fait beaucoup de croquis qui allaient dans tous les sens. Ensuite, j’ai gardé ce qui me plaisait. Je faisais des dessins au marqueur sur du papier noir parce que j’aimais bien la manière dont ressortaient les couleurs.

En terme d’animation, j’ai opté pour de la 2D sur ordinateur, j’ai passé du temps à chercher une technique rapide, efficace et qui me plaisait. Ce n’est pas vraiment de l’image par image, c’est plutôt des dessins que je fais sur ordinateur et qu’ensuite, je déforme en fonction des intonation des voix de mes personnages. Non seulement ça va vite, ça correspond à la contrainte de temps de l’école, mais en plus, c’est dynamique. Cette technique participe à rendre les personnages très expressifs, très vivants.

Tu parles de liberté à l’école. Quand tu as présenté ton projet, comment a-t-il été réceptionné ?

Y.O : Par rapport à l’envoi en festival, ce qui est très positif, c’est qu’on nous encourage à terminer un film, et on nous explique toutes les étapes. Ça permet de connaître les erreurs, se planter et apprendre. On nous dit dès le début : « Vous êtes là pour vous tromper, pour faire un maximum d’erreurs pour ne plus les refaire après », c’est quelque que chose que j’adore. Dès la deuxième année, on peut envoyer son court en festival et on voit déjà comment ça marche. Ça nous aide beaucoup. Sans ça, on serait perdu. Très tôt, on est confronté à la façon dont on fait un film et dont on se débrouille avec après.

Pour la réception et le développement, au début de l’année, on a une réunion où on parle de nos idées de films. La mienne était très floue, je pensais juste à une soirée pyjama avec des cambrioleuses et je n’avais pas l’intention de faire une narration pour de vrai, c’était plus un film d’ambiance dans ma tête. Ensuite, on a des rendez-vous ponctuels à partir de janvier où toutes les deux semaines, on explique l’avancée du projet, les professeurs essayent d’être très objectifs, de nous guider pour voir si ce qu’on leur présente correspond à ce qu’on leur a annoncé. Je me rappelle que mon chef d’atelier disait qu’il ne comprenait rien à mon idée mais que c’était ça qui rendait agréable le film.

Comme il y a beaucoup de références à la pop culture, que le langage est celui que j’observe autour de moi, je savais qu’en ayant un accompagnement de professeurs plus âgés, ils allaient peut-être ne pas remarquer toutes les références mais ce qui était bien, c’est qu’ils me faisaient confiance. Parfois, je sentais que c’était un peu à côté de la plaque quand on parlait du film mais ça ne me dérangeait pas, c’était le but.

Tes deux personnages féminins sont très caractéristiques dans leur apparence et leur manière de parler. Quelles ont été tes inspirations ?

Y.O : Mes personnages, c’est une sorte de synthèse ou de pot-pourri de codes contemporains. Il n’y a pas une inspiration précise, c’est en grande partie lié aux chanteuses, aux rappeuses de ces dernières années que j’ai vues. La mode se mélange à la musique, les clips sont très travaillés, le kitsch est glorifié avec ces paillettes, ces longs ongles. Ce sont des choses qui m’ont marqué, que j’ai aimé et qui en même temps qui étaient hyper présentes dans mon imaginaire. Mon envie à la base était juste de dessiner ces personnages parce que j’adore leur style et en même temps ma tête était remplie de ces images très américanisées. Ce qui m’intéressait, c’est que mes personnages ont l’air de pas avoir le choix d’être habillé comme ça. Elles sont très simples mais elles sont ultra sapés, c’est quelque chose que j’observe autour de moi.

Est-ce qu’il y a une conception morale ou politique derrière le vandalisme que tu montres ? Qu’est-ce que t’avais envie de représenter à travers cette jeunesse ?

Y.O : Ce n’est pas le cambriolage qui a un sens, c’est plutôt le fait de montrer deux amies qui font une connerie sans savoir pourquoi et qui parlent toutes les deux de ce qu’elles ressentent en le faisant. Elles cherchent de l’excitation, mais inconsciemment, elles veulent attirer de l’attention.

La musique de ton film est sympa. Comment l’as-tu inclue dans Balaclava ?

Y.O : Elle a été créée par le groupe Juicy, un duo féminin bruxellois. Je suis super content qu’elles aient accepté que j’utilise leur musique pour mon film. Ce que j’adore, c’est travailler avec des gens dont la présence fait sens avec mes projets. Juicy est composé de deux supers amies qui ont un côté un peu énervé et revendicateur et elles sont bruxelloises. Il y a un côté circuit court que j’aime bien !

Comment perçois-tu la suite à de ton parcours ?

Y.O : Si je continue en Master, c’est que je sais que c’est très précieux d’avoir accès à un atelier dans lequel tu es 100% libre. Il y a plein de pressions qui font partie du monde professionnel et qui sont un peu mises de côté quand tu es à l’école.  Je ne pense pas que j’aurai cette liberté après ou en tout cas pas de manière aussi élargie. Ça laisse l’esprit beaucoup plus léger et c’est quelque chose dont je vais profiter. En même temps, j’ai un peu la pression car je me dis qu’il ne faut pas que je me plante (rires) ! Ensuite, maintenant que je participe à des festivals et que je fais voyager mon film, je sais que je ne pourrai plus faire un autre en le considérant uniquement comme un truc rigolo que je fais dans ma chambre. Je sais maintenant qu’un film s’inscrit dans un parcours, j’ai découvert comment vit un film, maintenant ça va me rester en mémoire.

Propos recueillis par Katia Bayer et Laure Dion. Retranscription : Laure Dion

Nouvel After Short, Premiers longs-métrages, Cannes 2022, mercredi 22 juin à l’ESRA !

Après avoir mis en place un After Short mercredi 8.6 dédié aux courts-métrages sélectionnés à Cannes, en présence d’une dizaine d’invités dont Story Chen, Palme d’or du court-métrage 2022 (en visio pour le coup), Format Court organise un deuxième évènement dédié à Cannes, s’intéressant cette fois aux premiers longs-métrages, toutes sections confondues. Ce nouvel After Short aura lieu le mercredi 22 juin à 19h, à nouveau à l’ESRA (amphithéâtre Jean Renoir, 37 Quai de Grenelle 75015 Paris).

Pour rappel, les After Short sont des soirées de Q&A au cours desquelles les professionnels abordent leur parcours et leurs films respectifs. Les films ne sont pas diffusés à cette occasion.

Gratuits pour les étudiants et les anciens de l’ESRA, les After Short demeurent accessibles et payants (5 €) aux autres personnes intéressées, dans la limite des places disponibles, uniquement sur réservation.

Voici le détail de la liste – susceptible de modifications – de nos invités présents lors de cette soirée. 8 équipes, 1 sélectionneuse ainsi que le responsable de la Caméra d’or y participent. Retrouvez chaque jour sur Facebook et Instagram des infos sur nos invités.

Participants

– Stéphane Letellier-Rampon, Responsable de la Caméra d’Or

Un Certain Regard

– Romain Blondeau, producteur (CG Cinéma) de Rodéo (Coup de cœur du jury) réalisé par Lola Quivoron

– Julie Viez, productrice (Cinenovo) de Harka (Prix du meilleur acteur attribué à Adam Bessa) réalisé par Lotfy Nathan

– Lise Akoka, Romane Gueret et Marine Alaric, réalisatrices et productrice (Les films du Velvet) de Les Pires (lauréat du Prix Un Certain Regard)

Quinzaine des Réalisateurs

– Jean-Luc Ormières, producteur (Cinéfrance Studios) de Falcon Lake de Charlotte Le Bon

Semaine de la Critique

– Pauline Mallet, membre du comité de sélection des longs-métrages

– Cristèle Alves Meira, réalisatrice de Alma Viva

– Lou Chicoteau et Jean-Etienne Brat, producteurs (Alta Rocca Films) de La Jauría (Grand Prix et Prix SACD) réalisé par Andrés Ramírez Pulido

ACID

– Charles Philippe, producteur (Les Films du Clan) de Jacky Caillou, réalisé par Lucas Delangle

– Martin Jauvat, réalisateur de Grand Paris

Déborah François. La chorégraphie entre les acteurs et la caméra

Elle a débuté dans L’Enfant des Dardenne. Premier rôle, premier Cannes. Déborah François, jurée au festival Le Court en dit long à Paris, raconte son apprentissage sur le plateau des frères, ce qui l’intéresse chez les acteurs. Comédienne, elle vient de passer à la réalisation avec son premier court, Mouton noir, conçu dans le cadre des Talents Adami (cherchant à valoriser des jeunes comédiens entre 18 et 30 ans). Son film a été diffusé à Cannes avec ceux d’autres comédiens passés à la réalisation spécialement pour ce projet : Aïssa Maïga, Pascale Arbillot et Raphaël Personnaz. Rencontre au café du coin, en mode pluvieux, avant la remise des prix du Court en dit long.

Ⓒ Joe Maher Getty

Format Court : L’Enfant des Frères Dardenne est ton premier projet, tu n’as jamais tourné dans un court-métrage. En termes de jeu, est-ce que ce passage par le court a pu te manquer dans ton parcours ou bien, suite à L’Enfant, ça ne t’a jamais été proposé ou intéressée ?

Déborah François : Je pense que c’est un peu des deux. On m’en a proposé très peu par rapport à d’autres comédiens, et au début de ma carrière presque pas. L’effet “film des Frères Dardenne” a sans doute compté effectivement. Les quelques fois où j’ai pu dire oui à des courts, je ne pouvais pas les faires parce que j’étais en tournage en même temps ou bien parce que ça ne s’est finalement pas fait.

Tu es venue assez rapidement à Paris mais tu es belge. Pourtant les réalisateurs belges ne font pas forcément appel à toi. Est-ce que cela te manque ? Est-ce que ton premier film a été ton unique expérience en Belgique ?

D.F : Non ! Après mon premier film j’ai tourné Les Fourmis rouges de Stephan Carpiaux mais aussi My Queen Karo, un film avec Dorothée Van Den Berghe, en Belgique. En fait, on a fait appel à moi mais petit à petit. J’ai l’impression d’avoir fait un chemin inverse car c’est avec le temps que l’on a su que j’étais belge. Pendant longtemps il y avait marqué : “comédienne française née en Belgique” sur Allociné ! En réalité, ça ne me gêne pas trop car cette histoire de nationalité, ça ne me touche pas beaucoup, je ne suis pas vexée si on me dit que je suis une actrice française car on me voit dans des films français. Les gens qui sont dans le métier pourraient être informés là-dessus mais finalement, pour ceux qui voient les films et le public, une comédienne est une comédienne. Ca me semble bien de privilégier les gens qui sont chez nous. C’est ce qui permet à autant de comédiens belges, d’au final se faire remarquer, de travailler en Belgique comme en France et, si ce n’est pas le cas, de travailler au moins en Belgique. Peut-être qu’il y a aussi une crainte financière. Il y a cette idée, quelque part, que les Cécile de France, Marie Gillain, même moi et plein d’autres comédiennes, devraient coûter beaucoup parce qu’elles sont en France, alors que les comédiens n’ont pas tous le même cachet et que celui-ci ne dépend pas d’où ils vivent mais de ce qu’ils ont fait.

Pour autant, est-ce que tu serais sensible à l’idée qu’un jeune auteur fasse appel à toi ? Est-ce que tu peux trouver le temps nécessaire pour jouer dans un court-métrage en soutenant aussi les premiers pas des réalisateurs ?

D.F : Oui, bien sûr ! Ça dépend du scénario et du projet. Souvent, je me dis que l’erreur qu’on peut faire dans les premiers courts-métrages ou les premiers films, c’est de ne pas consacrer assez de temps à l’écriture. On a tellement envie d’être sur le tournage, de le faire, qu’on se dit que ce n’est pas grave alors que si, en vrai c’est grave (rires) ! Par contre, il m’est arrivé plein de fois de faire des premiers films. Cet été, je repars faire un premier film, un premier long d’une réalisatrice qui a déjà fait plusieurs courts-métrages.

Ça fait bientôt 20 ans que tu travailles, tu viens de passer à la réalisation avec ton court Mouton noir mis en place avec l’Adami. Te souviens-tu des conseils qu’ont pu te donner les frères Dardenne, en termes de jeu, de placement précis par rapport à la caméra ? Est-ce qu’il y avait plutôt une part d’improvisation ?

D.F : Ce n’est pas de l’improvisation, c’est beaucoup des répétitions où l’on peut chercher en étant libre de nos mouvements naturels. Une fois que cela est décidé, c’est vraiment de la précision à refaire  des gestes jusqu’à que cela soit parfait tout en gardant cette fraîcheur pendant des dizaines de prises. C’est vraiment un mélange des deux, en deux temps.

Tu as l’impression que ça a été un bon apprentissage pour la suite ?

D.F : C’était incroyable ! On n’apprend jamais autant la patience, la précision, la minutie avec le fait que nos gestes doivent être toujours les mêmes, puisque l’on a des rendez-vous avec la caméra. C’est une chorégraphie entre les acteurs et la caméra malgré tout. C’est la meilleure des écoles, après ça on n’a plus jamais peur de faire un plan-séquence ou beaucoup de prises. Ne pas être précis dans les gestes que l’on fait, ne pas faire de bons raccords, on n’en a pas le droit. C’est les règles d’un naturalisme ultra travaillé, il n’y a pas meilleur entraînement.

Est-ce que tu as partagé cette expérience avec les comédiennes qui ont travaillé avec eux ?

D.F : Avec Émilie (Dequenne), on n’a jamais vraiment parlé de la manière dont leurs tournages se passaient mais je sais qu’on se reconnait car il y a quelque chose de commun, et peut-être qu’ils nous ont choisies car on avait cela en commun, j’imagine… C’est des petits échanges de regards où l’on se dit : “Tiens, ça c’est les frères”. On sait qu’on sait. C’est l’école Dardenne, l’exigence tout en restant toujours très bienveillant pour l’être humain bien sûr, sinon on ne suivrait pas les frères.

Quand tu regardes un film d’un regard critique, te focalises-tu sur le travail des comédiens ou essayes-tu de prendre de la distance ?

D.F : Si je ne crois pas aux comédiens, ça me bloque complètement et je suis incapable de passer au-delà. Il faut que je puisse croire que c’est la vraie vie, en me disant que cette personne existe, aussi bizarre soit-elle. Si je me dis que cette personne n’existe pas ou qu’elle est en train de me mentir, c’est impossible pour moi. Ca peut tout autant être une personne qui provoque un réel choc à travers un show dans lequel je rentre, me retrouvant emportée par l’interprétation parce que c’est du cinéma tel The Greatest Showman.  Sur La La Land, on ne se dit pas que les gens vont se mettre à faire des claquettes, mais on se retrouve emporté par l’entertainment et le show proposé. Si je vois les artifices et la personne en train de me vendre ce qu’elle n’est pas, ça me gâche toute l’histoire car je ne peux plus en être touchée. Tout d’un coup, ça devient un comédien qui joue quelque chose et ça m’indiffère totalement, ce n’est plus la vraie vie.

Comment Mouton noir s’est mis en place avec Adami ? Est-ce toi qui leur a suggéré ce passage à la réalisation ? Quels ont été les défis de ce projet ?

D.F : Ce n’est pas l’Adami qui a fait appel à moi, mais la production De l’Autre Côté du Périph’ (DACP). Tout était un défi, tout ce que je n’avais jamais fait, c’est-à-dire l’avant et l’après-tournage. Il me fallait être à la hauteur et je me suis mis moi-même une petite pression car personne ne m’a appris la réalisation et j’ai dû déduire ce qu’il fallait faire. J’ai vu des films et j’ai vu des gens faire des films.

Certaines personnes diront que c’est la meilleure des écoles et que tu n’as pas besoin de faire la Fémis ou l’IAD pour apprendre à tourner ou à jouer…

D.F : C’est comme dans tout, je pense, Il y a des gens qui sont naturellement doués pour faire des trucs et ça se voit, ils sont très jeunes et ils font des choses incroyables. À côté, il y a ceux qui peuvent arriver, avec beaucoup de travail, à faire des super trucs. Pour moi, c’est soit une question de don soit de travail, voire des deux.

Est-ce qu’avec les autres comédiens de la collection Adami, vous avez pu échanger sur la manière dont vous avez travaillé ? Est-ce que la pandémie vous a posé des difficultés à ce niveau ? Et est-ce que, dans l’absolu, tu as envie de continuer de faire des films ?

D.F : C’était après la pandémie mais on a quand même eu peur d’avoir des gros problèmes. Heureusement, on en a été un peu épargné. Avant ça, on était chacun dans notre coin sur d’autres tournages donc on n’a pas pu échanger. C’est à Cannes qu’on s’est retrouvé pour parler un peu, j’en avais un peu discuté avant avec Aïssa car on se connaît dans la vie, mais ça a eu lieu après pour les autres. On a tous vécu ça de manière très différente des tournages, même pour ce qui est de la préparation et de la post-production. Et oui, j’ai carrément envie de continuer  !

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Eliott Witterkerth

Festival Le Court en dit Long #30

Au cours de ce marathon des festivals, glissé entre Cannes et Coté Court, le Centre Wallonie-Bruxelles organisait, pour sa 30ème édition, le festival du Court en dit Long. Du 31 mai au 4 juin 2022, ce festival dédié aux courts-métrages belges francophones mettait en valeur cette année 36 films répartis sur sept programmes thématiques : films d’écoles, version originale, LGBTQ+, des réalisatrices, de l’étrange et des premiers films.

Comme lors de chaque édition, la sélection comprenait à la fois des films d’écoles et d’ateliers (INSAS, IAD, Ensav La Cambre, Caméra-etc., AJC), des fictions, des animations, des films expérimentaux, des courts métrages soutenus par le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, des films auto-produits ou co-produits avec la France.

Présent tout au long du festival, Format Court revient sur ses coups de coeurs et quelques lauréat.e.s de cette édition anniversaire. Parmi eux : Ka Me Kalu de Flonja Kodheli (Prix du public et Grand Prix ex-aequo), Balaclava de Youri Orekhoff (Grand Prix ex-aequo) et Masques d’Olivier Smolders (Prix du 30ème festival).

Masques de Olivier Smolders

Habitué du festival et du CWB, Olivier Smolders évoquait déjà dans une interview accordée à Format Court en 2014, le pouvoir « fascinant » de l’image. Avec Masques, le réalisateur belge,
rompu à l’exercice du court-métrage, continue de creuser ce sillon en abordant cette fois la perte du visage de ceux qu’on aime et le rituel des masques comme passeurs vers l’au-delà.

Frère ainé du peintre Quentin Smolders avec qui il collabore depuis de nombreuses années, le réalisateur faisait part dans une autre interview (réalisée en 2020) des germes de ce projet à travers une collection de masques réalisée par son frère et de la façon dont il s’était approprié cet univers pour en faire un film : Masques.

Celui-ci s’ouvre en amont de sa réflexion sur les images de deux arbres frappés par la foudre, laissant derrière eux une quantité phénoménale de bois dont Olivier Smolders se sert visuellement pour amorcer son discours. Témoignant d’une expérience intime, il fait part de ses impressions lorsqu’à la mort de son père, il était spectateur du « masque » que la mort venait lentement poser sur ce visage familier. De là, le bois brut se fait bois sculpté et nous basculons dans une analyse du masque dans toute sa dimension mystique et ancestrale.

Tout au long de l’œuvre, la voix d’Olivier Smolders constitue le fil rouge auquel se raccrocher dans ce musée pour des cœurs bien accrochés et le texte, écrit par le réalisateur, peut faire songer à certains écrits de Christian Bobin où la connaissance de cultures anciennes, la spiritualité et la nature révèlent un lien intime.

Le masque sculpté devient masque mortuaire, l’occasion pour Smolders de convoquer le souvenir de cette fameuse « inconnue de la Seine » et son ironie du sort bouleversante un siècle plus tard. Puis, les masques de plâtre se font masques de chair et vient alors sans détour ce que la France post-Grande Guerre cherchait tant bien que mal à dissimuler.

À la vision des images de rescapés de 14-18, notre réaction est anticipée par Smolders qui nous incite à réorienter notre regard, dans un élan d’empathie, plutôt que de détourner instinctivement la vue. Porter le regard quelques centimètres au-delà de la meurtrissure et plonger dans les yeux de ces survivants dévoile leur émotion poignante et le décalage dichotomique qu’il peut y avoir au sein même d’un visage.

Une impression qui jalonne tout le film mais qui apparait de façon flagrante à cet instant, c’est la conception du visage comme une interface. Surface d’émission et de projection qui se fait masque et devient le médium entre l’intérieur et l’extérieur. Ces masques, qui témoignent d’une absence de
reconnaissance et où la mutilation prend toute sa place, montre que l’on passe à côté de l’essentiel en ne focalisant son regard qu’à un seul endroit.

Ainsi, en Otto Dix des temps modernes ou à l’image de ces prothésistes de l’époque qui, dans une détermination remarquable, mettaient tout en oeuvre pour réinsérer ces gueules cassés au sein de la société, Smolders ré-humanise post-mortem ces martyrs que leur « masque » avaient trop aliéné.

À la manière d’un archéologue qui étudierait l’être humain à travers ces vestiges matériels, Olivier Smolders progresse dans son propos en mettant au jour des pratiques photographiques du début du XXème siècle, qui relevaient, pour certaines, de rituels mortuaires où il convenait d’immortaliser
la famille en compagnie du défunt tout juste décédé. Notre regard contemporain sur ces photographies centenaires induit de facto une mise en miroir et fait aboutir en quelque sorte la réflexion menée par Olivier Smolders. Jusque là, il questionne le pouvoir de l’image qui apparait ici sous toutes ses formes (fixe, mouvante, en noir et blanc, en couleurs, anciennes, récentes…) et tous ces éléments tissés ensemble amènent plus de questions que de réponses.

Ce faisant, Smolders s’adresse directement à nous et prend très au sérieux son interlocuteur-spectateur, remettant le choc au bon endroit, et réalise ainsi une remise en question très en profondeur sur notre rapport à l’image et à la confiance qui nous lie à elle. Un rapport individuel, conformé par le dictat d’internet et de la télévision, mais par extension celui d’une société toute entière où la désinformation et le manque de point de vue règnent en abondance.

Adepte du cinéma de Chris Marker, l’habileté de Smolders à conduire un récit dans un documentaires d’archives entraine l’adoption de son point de vue comme étant le nôtre. Comme on dirigerait un enfant qui fait ses premiers pas, il nous tient du bout des doigts et nous guide dans sa réflexion personnelle, augurant des territoires nouveaux sur la conception de l’image comme le ferait un Deleuze ou un Didi-Huberman.

Ka Me Kalu de Flonja Kodheli

D’origine albanaise, la jeune réalisatrice Flonja Kodheli a décidé de consacrer son premier court-métrage aux thématiques de l’exil politique et des stigmates qui en découlent. Dans une interview à paraître, elle nous fait part des motivations intimement liées à son histoire et de son approche
sur les séquelles d’une dictature qui reste méconnue en France.

De retour à Bruxelles pour les obsèques de sa grand-mère, la jeune Stela (interprétée par Flonja Kodheli elle-même) vient accompagner sa mère dans l’épreuve du deuil. Rapidement, la jeune femme devient témoin d’un comportement inhabituel voire pénible de la part de sa mère à l’égard du monde qui l’entoure. Dans les premières minutes, la réalisatrice use avec parcimonie des dialogues, les restreignant au strict nécessaire, en laissant la parole aux images. Ainsi, nous faisons irruption dans le quotidien de Maria, la mère, dont l’appartement semble être resté dans son jus des années 70. Verrous à chaque porte, rideaux occultants, décors typés, dialogues en albanais, … : tout est réuni pour donner l’effet d’une enclave hermétique et passéiste dans notre monde actuel.

Geste d’abord, parole ensuite, tel est l’articulation subtile du film. Qu’on soit plus ou moins au fait de l’Histoire albanaise, Flonja Kodheli joue avec notre appréhension des signes et met en place des situations où les réflexes de la mère nous apparaissent dans toute leur étrangeté. La conversation dans la salle de bain toutes vannes ouvertes, très significative à cet égard et qui frôle la cocasserie, donnant presque des allures de film d’espionnage, indique que les personnages n’évoluent pas dans un univers ordinaire.

L’action prenant place dans la Belgique d’aujourd’hui, on retrouve malgré tout dans Ka Me Kalu, cette ambiance si particulière où la méfiance règne et où la vérité n’a d’autre espace de déploiement que le chuchotement. On peut songer alors à La Vie des autres de Florian Henckel où l’on voit à quels recours étaient alors tenus les habitants du Bloc de l’est durant la Guerre froide. Cette époque, qui ne semble pas encore avoir livré tous ses secrets, où l’État s’invitait alors dans l’espace domestique jusqu’à priver ses occupants de leur intimité, parfois au péril de leur vie, semble avoir pris un décalage ahurissant de nos jours.

Dans ce contexte, le rapport mère-fille, quand il ne s’inverse pas, tend à pousser le personnage de Stela dans ses retranchement et un état d’esprit régressif, accentuant le poids de l’Histoire, où la fille rentre par trop d’empathie dans l’univers de la mère. Convenir pour ne pas blesser. À travers ce rapport, on pourrait apercevoir, comme en négatif, l’intrigue centrale de Good bye, Lenin! où le personnage du fils entretient artificiellement l’environnement de sa mère pour dissimuler le changement de régime. Ici, c’est l’étape d’après : la réadaptation d’une femme, dans un monde qui a changé, qui continue de projeter autour d’elle l’oppression de la dictature.

À la différence de ces films qui traitent le sujet dans l’époque où il s’inscrit, le film de Flonja Kodheli aborde davantage les vestiges psychologiques de cette période révolue. Que reste-t-il dans les esprits, cinquante ans plus tard, du climat qui prévalait sur les us et coutumes des réprimés ?

L’impression si forte qu’il y a eu sur les consciences dégage cette sorte d’inaptitude à trouver ses marques dans une démocratie d’aujourd’hui. La peur constante d’être observé ou potentiellement dénoncé entrave au quotidien tout un mode de penser et d’agir librement. Ce qui donne à Ka Me Kalu toute sa densité, c’est la profondeur troublante du personnage de Maria où l’on s’aperçoit progressivement de la porosité de la frontière entre traumatisme et folie.

Au cours du film, la proportion irrationnelle de ses craintes, déjà exacerbée par le deuil, s’accentue au point qu’elles deviennent contagieuses pour Stela et que tout retour en arrière semble désormais impossible. Ces caractéristiques, qui tiennent aussi à l’interprétation d’Ilyre Vinca, font que ce personnage atteint une dimension quasi-shakespearienne et devient à elle-seule une allégorie de la peur, qui pourrait tenir lieu ici de troisième personnage. Cette peur qui s’intercale entre ces deux parents, incarnée par la mère, intégrée par la fille, inentendable pour le reste du monde.

Parce qu’un des effets du cinéma est de pouvoir témoigner de telle ou telle réalité et de pouvoir ramener au centre du débat ces histoires de femmes et d’hommes négligemment oubliées, Flonja Kodheli offre ici un devoir de mémoire et une leçon d’Histoire qui passe par les sentiments. Comme un baume sur les cicatrices, c’est peut-être le message que nous laisse Maria : réussir, malgré les abîmes, à trouver des puits de lumière. Ainsi se dresse devant Stela cette chapelle Sixtine personnelle, havre de paix et de résistance, où la mère se réfugie à l’abri du monde enténébré.

Augustin Passard

Retrouvez prochainement l’interview de Flonja Kodheli