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Festival Off-Courts 2013, les films en compétition

Du 6 au 14 septembre 2013, la sympathique ville de Trouville accueillera la 14ème édition du Festival Off-Courts. Axé autour des rencontres France/Québec, le Festival vient d’annoncer ses sélections, en compétition et en hors-compétition. Sur 2200 films enregistrés en 2013, voici ceux retenus en compétition, dans les catégories Québec, France, Europe & francophonie. La plupart d’entre eux sont inédits pour nous (pas de liens vers d’anciens sujets, donc). Cela tombe bien car Format Court retournera au festival du off à la rentrée, après s’y être rendu en 2011 (un lien, pour le coup).

QUÉBEC

7 heures 3 fois par année d’Anaïs Barbeau-Lavalette et André Turpin
A l’aube d’Émilie Lemay
Déjà vu de Jean-Guillaume Bastien
Faillir de Sophie Dupuis
Gaspé Cooper d’Alexis Fortier Gauthier
Imparfaite d’Emilie Gauthier
In Guns We Trust de Nicolas Lévesque
Ina Litovsky d’Anaïs Barbeau-Lavalette et André Turpin
Jeu d’enfant d’Émilie Lemay
Kin de Ben McKinnon et Sébastien McKinnon
Là où je suis de Myriam Magassouba
Le grand voyage d’Élastika de Guillaume Blanchet
Le monstre d’Élisabeth Desbiens
Le toasteur de Michaël Lalancette
Les adieux de la Grise d’Hervé Demers
Letters from Pyongyang de Jason Lee
Micta de Marie-Pier Ottawa
Midnight Wind de Nicolas Fidala
Mila de Kristina Wagenbauer
Nicola sans s de Xavier Havitov
Not Delivered de Vincent René-Lortie

FRANCE

5 mètres 80 de Nicolas Deveaux
Diagnostic de Fabrice Bracq
Djekabaara d’Enis Miliaro
Douce nuit de Stéphane Bouquet
Duku Spacemarines de Nicolas Liautaud
Entre les lignes de Jean-Christophe Hadamar
Fanily de Jules Dousset
Je t’attends toujours de Clément Rière
Le bout du fil de François Raffenaud
Le retour de Yohann Kouam
Les deux morts de Parfait de Leila Fenton
Les deux vies de Nate Hill de Jeanne Joseph
Les perruches de Julie Voisin
Ma rencontre de Justin Pechberty et Samir Hamiche
Motorville de Patrick Jean
Rebelote de Cyril Coste
Reverso de Kimberly Honma, Clément Lauricella, et Arthur Seguin
Shunpo de Steven Briand
Skom de Christophe Derro
Social Butterfly de Laurent Wolkstein
Souffle court de Johann Dulat
Suzanne de Wilfried Meance
The Blue Dress de Lewis Martin

EUROPE ET FRANCOPHONIE

22:22 de Julien Becker – Luxembourg
4:13 do Katowic d’Andrezej Stopa – Pologne
A Big Drama for a Little Man de Nico Capogna – Italie
Balance de Mark Ram – Pays-Bas
Colors de Cid – Madagascar
Doors de Michele de Angelis – Italie
Eletric Indigo de Jean Julien Colette – Belgique
Eutanas S.A. de Victor Nores Lorenzo – Espagne
Habitat d’ Ina Georgieva – Bulgarie
Hotel de José Luis Aleman – Espagne
Ingrid fait son cinéma de Véronique Jadin – Belgique
Mitt Forra Liv de Sébastian Lindblad – Suède
Tooth of Hope de Nizar Sfair – Liban
Wachter de Daniel Jude – Allemagne
War Room de Thomas Stuyck – Belgique

Actu associée : Festival Off-Courts 2013, les films en hors compétition

Le site du festival : www.off-courts.com

Festival Off-Courts 2013, les films en hors compétition

Le prochain Festival Off-Courts vivra sa 14ème édition du 6 au 14 septembre 2013 à Trouville. Parallèlement aux films en compétition, un certain nombre de films en hors compétition seront projetés pendant toute la durée du festival. Voici les titres de ces films venant du Québec, du Canada, de France, de Belgique, de Pologne, d’Italie et d’Allemagne.

QUÉBEC

Belle à voir de Jericho Jeudy
Fou, Rien pis Personne d’Elise de Blois
Les royaumes de Kromaki d’Eric K. Boulianne
Luna et Solaris de Vanessa Lévesque
Ô divin bovin d’Alexandre Rufin
Putain de romantisme de Thierry Bouffard

FRANCE

Angle mort de Maud Bourgeais
Asphyxie d’Estéban Debrouille, Théo Germain, Mélyne Le Roux, Alexandre Lejuez et Alexandre Mayer-Gillet
Au fil du banc de Laurent Torterotot
Avant que de tout perdre de Xavier Legrand
Behind the Bush de Yoann Luis
Dum spiro de Boris Cailly
Entre les gouttes d’Airy Routier
Et que ça saute! de Jeanne Delafosse
Graffeuse d’Antonio Amaral
Guard Dogs de Renaud Jaillette
Hafida de Loïc Nicoloff
Inked de Laure Alixe
Just a Fan de Cécile Ragot
Karma de Jason Sorin
L’Aurore boréale de Keren Ben Rafael
L’évidence d’Arthur Shelton
L’homme à la tête de Kraft de Thierry Dupety
La salamandre de Jules Thenier
Le hérisson de verre de Jean-Sébastien Bernard
Le petit blond avec un mouton blanc de Eloi Henriod
Le point Godwin de Thomas Lesourd
Le premier pas de Jonathan Commène
Le slow (clip Granville) de Jonathan Perrut
Les brigands d’Antoine Giorgini
Les Lézards de Vincent Mariette
Les oranges de Yannick Pecherand-Molliex
Maximilien de Lewis Eizykman
Méditerranées de Olivier Py
Next Generation de Yann Jouette
Nokomi de Caroline Collinot
Ouch de Fred Joyeux
Panique dans le ciel de Nicolas Boulenger
Pao de Lola Heude
Rétention de Thomas Kruithof
Skin de Cédric Prévost
So very Cute de Vital Philippot
Son dernier napperon de François Le Page, Manon Lecanteur, Camille Legrand, Camille, Lenglet, Audrey Nezan et Margot Wanquetin
Victorine de Garance Meillon
Wiccanthropy 2 et 3 de Thomas Lesourd
Zoo de Nicolas Pleskof

INTERNATIONAL

Bowling Killers de Sébastien Petit – Belgique
Die Box de Sascha Zimmermann – Allemagne
Flammable de Samuel Plante- Canada
How to Keep Your Day Job de Sean Frewer – Canada
Krake de Regina Welker – Allemagne
La pince à linge de Katarzyna Florianczyk et Jolanta Zochowska – Pologne
Love Songs from an Android de Sol Friedman – Canada
Ma forêt de Sébastien Pins – Belgique
Maple sirup de Yoshino Aoki – Canada
Pipiteu de Dominique Ernest – Canada
Shame and Glasses d’Alessandro Riconda – Italie
The Tape de Matt Sadowski-Austin – Canada
Waiting on the Rain de Bernie Yao – Canada

Actu associée : Festival Off-Courts 2013, les films en compétition

Le site du festival : www.off-courts.com

Premier Automne  d’Aude Danset et Carlos de Carvalho

Minuit dans le jardin de la vie et de la mort

« Premier Automne » est un film entier qui parvient en à peine dix minutes à traiter de sujets aussi complexes que fondamentaux avec autant de simplicité que de profondeur. Tout juste auréolé du prix du meilleur film d’animation en image de synthèse au festival du court-métrage de Shorts Shorts de Tokyo 2013, il a également été présenté en hors compétition au dernier festival d’Annecy.

Une petite fille – Apolline – rencontre un petit garçon – Abel. Chacun apprend au contact de l’autre à vivre avec l’idée que la vie à une fin. Les personnages de « Premier Automne » ont curieusement un air de famille avec les protagonistes décrits à travers le mythe grec de Perséphone – à l’origine du cycle des saisons.

Aude Danset et Carlos de Carvalho proposent ici une adaptation en miroir de cette allégorie du cycle de la vie. La dualité est incarnée par les deux personnages Abel (Hiver) et Apolline (Eté) vivant chacun dans le monde qui est le leur. Ignorant tous les deux jusqu’à l’existence de l’autre, ils cheminent vers la frontière séparant leurs deux mondes. La rencontre de leurs deux univers va avoir lieu au pied d’un arbre scindé en deux : une partie est en vie et l’autre est morte.

L’approche résolument symbolique permet de préserver l’atmosphère propre aux mythes et légendes tout en proposant dans le même temps une relecture moderne de celui-ci. À la différence du mythe grec qui met en avant la confrontation entre Perséphone, Déméter et Hadès, les rapports entre les personnages et l’univers qu’ils déploient avec eux s’inspirent du concept oriental du Yin et Yang : l’accent est mis ici sur la complémentarité des deux états incarné par l’Eté et l’Hiver plutôt que sur ce qui pourrait les opposer.

On retrouve donc une symétrie dans les personnages et les univers mais aussi dans la construction narrative du film. Apolline et Abel passent chacun à leur tour par des émotions et des actions semblables, faisant ainsi coïncider le fond et la forme, contribuant ainsi l’harmonie qui se dégage du film. Réconciliés chacun avec eux-mêmes à la fin du film, ils jouent à se poursuivre autour de l’arbre, faisant ainsi pousser ou tomber les feuilles à leur passage.

Carlos de Carvalho n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il avait déjà réalisé le clip de la chanson « Do I have power » pour le groupe « Timber Timbre » où un petit garçon – squelette arpentait une forêt peu hospitalière. Dans ce clip, on pouvait déjà repérer les germes des éléments et des thématiques qui allaient se retrouver dans « Premier Automne » (le squelette vivant, la forêt, les choix graphiques, la dualité du personnage et l’absence de parole).

Plus abouti tant au niveau de l’animation que du scénario, « Premier Automne » parle avec justesse de la vie et de la mort sans qu’un seul mot soit prononcé. La magnifique musique composée par Fréderic Boulard sublime les images et confère au film à la fois une force et une douceur tout à fait saisissante. Et c’est avec beaucoup de minutie et d’ingéniosité que les deux réalisateurs créent une histoire qui s’adresse à tous sans jamais céder à la facilité.

Julien Beaunay

Consultez la fiche technique du film

P comme Premier Automne

Fiche technique

Synopsis : Abel vit dans l’hiver, Apolline vit dans l’été. Isolés dans leurs « natures », ils ne se sont jamais rencontrés. Ils ne sont d’ailleurs pas supposés se croiser. Alors, quand Abel franchit la limite et rencontre Apolline, la curiosité prend le dessus. Leur découverte devient pourtant rapidement plus compliquée qu’ils ne l’auraient cru. Tous deux vont devoir apprendre le compromis pour le bien de l’autre…

Genre : Animation

Durée : 10’14 »

Pays : France

Année : 2012

Réalisation : Aude Danset, Carlos de Carvalho

Scénario : Aude Danset, Carlos de Carvalho

Direction artistique : Aude Danset, Carlos de Carvalho

Décors : Aude Danset, Carlos de Carvalho

Animation : Frederic Trouillot, Aurelien Peis, Jeremy Theng, Loic Tari

Compositing : Guillaume Polvech, Pierric Danjou

Musique : Frederic Boulard

Son : Christian Cartier

Production : Melting Productions, In Efecto, Je regarde

Article associé : la critique du film

Felix van Groeningen : « Ce qui me touche, c’est les gens, une multitude d’individus différents »

Considéré comme un pionnier de la Nouvelle Vague belge, Felix van Groeningen tourne des longs-métrages depuis dix ans. Son film le plus connu est le tendre et décalé « La Merditude des choses », réalisé en 2009. Alors que son dernier film, « Alabama Monroe » sort en salles fin août, il était l’un des invités du festival Paris Cinéma dans le cadre du programme Made in Belgiëque. Avec intérêt et curiosité, nous avons découvert les premiers films, courts comme longs, de celui qui était arrivé, avec son équipe, nu et à vélo à la projection officielle de « La Merditude des choses » à la Quinzaine des Réalisateurs, il y a quatre ans.

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Tu as fait plusieurs courts pendant tes études. Qu’ont-ils représenté dans ton parcours ?

Ce qui était particulier à cette époque, c’est que je faisais mes films en même temps que je développais une pièce de théâtre nommée Kung fu. Je tournais avec des comédiens, des jeunes gens que je dirigeais aussi au théâtre. Beaucoup de scènes se sont faites par improvisation et on y trouvait beaucoup de liberté. La pièce a très bien marché, on a joué pendant trois ans partout en Europe. Après, on a formé une compagnie et on a crée une deuxième pièce, Discotheque. Pendant ces voyages, je faisais parfois des répétitions avec mes copains du théâtre et les comédiens amateurs pour mes courts métrages. C’est comme ça que j’ai fait « Truth or Dare », mon film de troisième année, et « 50 cc », mon film de fin d’études.

J’ai tout appris en faisant les deux ensemble. À l’école de cinéma, j’apprenais à faire des films. Avec les autres étudiants, on s’entraidait, on faisait tout : le montage, la lumière, l’écriture, etc. Mais ce qu’on ne faisait pas beaucoup, c’était le travail avec les acteurs. Avec la pièce, j’ai pu combler ce manque.

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« Truth or Dare »

De quoi parlait la pièce ?

L’idée était très simple : on montrait des individus en train de marcher sur une passerelle et puis, ceux-ci commençaient à parler de leur vie. Quand j’ai commencé ça, j’avais 19 ans. On recrutait des jeunes gens, des amis, des petites amies, les frères ou soeurs des petites amies (rires) ! On formait une petite bande qui grandissait. La saison d’après, certains partaient, d’autres arrivaient. Là, j’ai vraiment appris à chercher ce qui me touchait.

Et c’était quoi ?

(Grand éclat de rire). Les émotions, et c’est toujours le cas. Comment et quoi chercher ? (…) J’ai appris aussi à ne pas avoir peur, à être à l’aise avec les gens, quand je travaille avec eux, à parler avec eux de leur vie et d’en extraire des petits morceaux que je trouvais beaux et que je transformais en petites histoires.

Tu as étudié au KASK, à Gand. Pourquoi as-tu choisi cette école  ? Comment les films s’y concevaient au moment où tu y étais ?

Concernant l’école, je ne me suis même pas posé de questions. J’habitais à Gand, j’étais très bien là-bas et c’était l’école de cinéma qui s’y trouvait. Il y avait bien sûr d’autres écoles mais il y avait des examens d’entrée et j’ai préféré faire simple !

Ce n’était pas une école très riche à ce moment-là. On devait faire son film de fin d’études en 16 mm, mais j’ai été le premier à pouvoir tourner en vidéo parce que j’avais beaucoup insisté pour cela. C’était l’époque du Dogme 95 : l’idée naissait de tourner en vidéo, avec peu d’argent, dans un lieu, avec un groupe de personnes et de trouver de la liberté. Cet état d’esprit a aussi trouvé son chemin à l’école. On avait vu les films qui s’en inspiraient, on s’est demandé pourquoi on devait faire des courts métrages classiques qui ne duraient pas longtemps et qui coûtaient des centaines de milliers de francs pour la pellicule. On préférait fonctionner à deux caméras, avec un groupe de jeunes, une histoire et un endroit. C’était aussi le début du montage virtuel sur ordinateur, comme on l’appelait à l’époque (rires) ! Moi-même, j’avais acheté un ordinateur où je pouvais en faire. J’étais un des premiers à l’école à avoir ça à la maison et ça procurait aussi énormément de liberté pour pouvoir tourner beaucoup plus.

Est-ce que ça t’a aidé dans l’écriture de travailler dans ces conditions-là ?

(Il réfléchit longuement). Ça, je ne sais pas. Pour moi, cette liberté était très importante. Ce que ça apportait peut-être, c’est que si on devait changer quelque chose, on pouvait le faire, on ne flippait pas trop là-dessus. On faisait des prises en plus, on pouvait improviser si on voulait. On ne devait plus s’en tenir à l’écriture, forcément.

Est-ce que la liberté était également propre au format court ? Est-ce que cette liberté, tu as pu la retrouver dans le long-métrage ?

(Il réfléchit longuement). Oui, en fait. J’ai tourné mes courts avec une tout petit groupe et j’ai eu très peur au début, quand j’ai fait mon premier long, « Steve + Sky », de tourner avec une vraie équipe et beaucoup de gens autour. Je préférais travailler dans des conditions très intimes parce que j’étais très timide et que je n’aimais pas m’adresser à beaucoup de gens.

Pour le premier long, le producteur, Dirk Impens, m’a dit : « Si tu veux tourner en vidéo, ça me va mais je veux bien te payer la pellicule aussi ». J’ai dit : « D’accord, mais à condition que je puisse tourner tout ce que je veux et que je n’aie pas de limites ». On voulait avoir au final un film visuellement très fort, on a découvert la pellicule inversée et on adoré ça. Son grain était très fort, je suis un peu tombé amoureux de ce visuel, et on a pu tourner beaucoup et longtemps. Ça ne s’était pas encore fait en Belgique, mais j’avais dit à mon producteur : « Tu m’as dit que je pouvais, alors, je le fais » (rires) !

D’un côté, il y avait beaucoup de prises, l’esprit, la même liberté que pour les courts et de l’autre, je travaillais sur pellicule, un support plus classique, et une plus grande équipe. Ça m’a pris une semaine pour m’habituer, pour ne plus être timide. Mais il faut dire aussi que mon frère faisait le son, que ma copine jouait, et que mon meilleur ami et ma mère faisaient les décors. En somme, ils étaient tous sur le plateau, j’étais entouré d’intimes. Ça m’a permis de trouver ma place, de ne pas avoir peur de cette machine un peu plus grande, et de me faire des copains qui sont restés des personnes clés pour la suite. Depuis, chaque film est un peu plus grand en termes de production, mais je n’ai plus le sentiment d’être timide. Je sais maintenant comment ça marche et comment je peux le faire marcher. Car en même temps, comme c’est toujours la même équipe et le côté très familial demeure de film en film.

Tu pourrais revenir aujourd’hui au court métrage ?

Oui, mais je n’en vois pas l’intérêt. Je ne suis pas contre, mais ce n’est pas mon médium préféré. Je suis plus touché par les longs. Je ne sais pas pourquoi j’en ferais mais il n’y a pas de raison pour que je n’en fasse non plus (rires). En même temps, c’est très dur, les courts, car il faut essayer de toucher l’autre dans une durée restreinte, et il faut un peu de temps pour y arriver. Moi, c’est quand même ce que je veux toujours faire : prendre les gens par la gorge et ressentir le même effet.

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« 50 cc »

(…) Quand j’ai fait « Bonjour Maman » après l’école, c’était un peu en réaction à « 50 cc », mon film de fin d’études. J’avais travaillé très dur pendant un an sur ce court de 40 minutes. C’était trop long, on m’avait prévenu, mais je m’en fichais. Je disais : « Le film doit être le film ». Celui-ci m’a procuré très peu de retours à cause de la durée. C’était dur de pouvoir le faire admettre en festivals, je n’en ai pas fait beaucoup à cause de ça. Après coup, je me suis plaint parce que j’avais consacré beaucoup d’argent et d’énergie dedans. Je voulais que les gens le voient, j’en étais fier et j’étais un peu déçu du résultat. C’est pour ça que pour le suivant, « Bonjour Maman », j’ai fait un film très simple qui pouvait vraiment toucher les gens : un plan, une personne, une situation imprévue et une émotion (rires) !

Et ça a marché en festival ?

Un petit peu, mais pas non plus énormément. C’est un film dur, mais j’en étais très content parce que c’était vraiment un projet qui me tenait à cœur. Le film s’est fait très rapidement. On a rencontré un garçon très spécial, dans le cadre d’un workshop à Maubeuge, on a répété deux jours, et on a filmé le troisième. C’était génial comme expérience.

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« Bonjour Maman »

Tu as mentionné à plusieurs reprises ton producteur Dirk Impens qui t’a suivi dans la production de tes longs. C’est quelqu’un que tu as rencontré à l’école. En tant qu’étudiant, qu’est-ce que tu as appris à son contact ?

En fait, c’est un très mauvais professeur (rires). Il le sait, ce n’était pas son but de l’être, ce qui l’intéressait, c’était de venir  comme producteur dans une école de cinéma, de voir ce que faisait la nouvelle génération et d’essayer de l’aider. C’est vraiment quelqu’un qui aide l’autre si il est en mesure de le faire. À l’époque, je ne m’en rendais pas compte parce que c’était mon professeur. C’est quelqu’un de super intéressant mais aussi un très bon et grand producteur. Au début, il me faisait un peu peur, je ne savais pas trop comment le considérer. Il me faisait des compliments sur les films que je faisais, et puis, un jour, il m’a dit : « Si tu as envie de faire un long-métrage, je vais t’aider « . C’était très con, très simple…

Et ça a marché…

Oui.

Est-ce qu’il t’a encouragé sur « 50 cc », le film de 40 minutes ?

Oui, il n’est pas beaucoup intervenu. Il a lu le scénario. L’esprit dogme/vidéo/liberté, il avait senti ça chez moi, il m’a poussé à faire le film, à ne pas avoir peur. Quand je l’ai présenté à l’école, il m’a dit : « Il faut que tu fasses un long métrage ». Quand quelqu’un comme ça te dit ça à ce moment-là, tu ne peux pas avoir un meilleur compliment.

Dans tes films, longs comme courts, on retrouve souvent des personnages un peu paumés, imparfaits. Qu’est-ce qui t’intéresse chez ces antihéros ?

Je ne sais pas (gros éclat de rires) ! C’est un peu surprenant, c’est devenu un peu ma marque, les gens marginaux, comme dans mon dernier film. Les gens que je montre en fait, c’est ceux que je vois dans la vraie vie. J’ai eu plein de vies, j’ai rencontré beaucoup de gens très différents. Ce qui me touche, c’est les gens, une multitude d’individus différents.

Le documentaire t’a tenté par le passé ?

J’en ai fait des tout petits à l’école, parce que c’était obligatoire. C’est un genre que j’aime bien mais on ne peut pas tout faire. Si j’avais plus de temps, peut-être que j’en ferais. À un moment donné, j’ai décidé de ne plus faire de théâtre, ni de boulot commercial, et me consacrer uniquement au long.

En Belgique, peu de gens font autant de longs que toi en si peu de temps (quatre longs en dix ans). Tu es conscient de la chouette opportunité que tu as de tourner autant ?

Absolument, c’est aussi grâce à Dirk qui m’a donné cette liberté. Il continue à me payer pour écrire, pour développer mes films, et c’est pour ça qu’entre chaque projet, je ne dois pas me trouver un boulot. Il prend un risque parce que si jamais le film ne se fait pas, ce sera à lui de le payer. Ça m’évite d’aller chercher un boulot, d’aller enseigner, de faire des pubs ou de la télé. Tout au début, on m’a proposé différentes choses. J’ai vu que ça ne me rendait pas heureux, que je n’avais pas autant de liberté que depuis que Dirk m’a offert cette opportunité.

Pour revenir au court, après quatre longs, je ressens aussi l’importance de pouvoir montrer les films en salle. J’ai essayé de participer à la sortie des films, de créer un évènement, de donner aux gens l’envie d’aller les voir. Tu sens que ça vit, qu’il se passe quelque chose, et ça, avec mes courts, je ne l’ai jamais vraiment vécu. Parfois, tu es pris dans un festival de courts, c’est génial, c’est important, mais l’idée que ça bouge pour toi dans une ville ou dans un pays, c’est encore plus fort. Ce qui se passe par exemple pour le moment avec « Alabama Monroe » au niveau international, c’est génial (rires) !


En parlant d’évènement, comment est venue l’idée de faire du vélo nu à Cannes, au moment de la présentation de « La Merditude des choses » à la Quinzaine des Réalisateurs ?

C’était une idée très con qu’on avait sorti à la première réunion chez MK2, l’agent de ventes et le distributeur français. Ça ne leur avait pas trop plu. Tout le monde rigolait un peu bizarrement, donc on s’est dit qu’on n’allait pas le faire. Plus tard, en faisant des interviews, je ressortais cette idée pour rigoler. Le jour de la première, quelqu’un a écrit qu’on allait le faire parce que je l’avais redit en entretien. Là, MK2 nous a appelés en nous disant que si on voulait le faire, il fallait y aller parce que si on l’annonçait, il y aurait plein de journalistes (rires) ! Donc on l’a décidé deux heures avant parce qu’il y avait un buzz autour de ça. On était en voiture vers Cannes avec les comédiens quand j’ai reçu le coup de fil. J’étais d’accord, mais il fallait que je trouve quelque chose pour convaincre les autres. Je leur ai dit : « Allez, on va le faire tous ensemble. Le producteur, le monteur, et moi,  aussi (rires) ! Et on l’a fait et c’était génial, quoi !

Tu trouves que le cinéma bouge en Belgique ?

Oui, en Flandre, on a toujours été très jaloux des films wallons. Quand je grandissais, il y avait les films qui touchaient au coeur, qui trouvaient un public, en France et dans le reste du monde, comme « C’est arrivé près de chez vous », « Toto le héros » ou les films des frères Dardenne. De notre côté, ça ne marchait pas, on nous disait toujours : « C’est pas mal pour un film flamand ». On avait du mal à dépasser ça, et en dix ans, cette idée a disparu. Les films sont bons et les gens les trouvent bons. Maintenant, il y a une dizaine de réalisateurs belges qui sont en train de faire des très bonnes choses et qui trouvent leur place dans le monde et en Belgique.

Propos recueillis par Katia Bayer

I comme Ion

Fiche technique

Synopsis: L’histoire de Ion est atypique: né sous une dictature, devenu handicapé de la vue par accident, réfugié politique… Il écoute à présent les criminels pour la police belge. Pour décider de son destin, il se réfère au pouvoir de la volonté, et à la littérature.

Genre : Documentaire

Pays : Belgique

Durée : 57′

Année : 2013

Réalisation : Olivier Magis

Scénario : Olivier Magis

Image : Jean-François Metz, Olivier Magis

Son : Matthieu Roche – Marin Cazacu

Montage image : Christopher Yates

Mixage : Rémi Gérard

Musique : Daniel Offermann

Production : Derives

Article associé : l’interview du réalisateur

 

Olivier Magis : « Je m’interroge sur la place d’un type de documentaire peut-être plus fragile, qui sort des sentiers battus, qui ne cherche pas à raconter ou à divertir »

Réalisateur de « Ion », sélectionné au Festival Millenium dans la catégorie “Docs belges”, Olivier Magis, issu de l’IAD, a roulé sa bosse sur toutes les scènes artistiques avant de nous offrir un magnifique témoignage humain sur le handicap de la vue.

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Peux-tu revenir sur ce qui t’a amené à étudier le cinéma ?

À l’époque, j’étudiais le droit à Louvain-la-Neuve mais je me rendais bien compte que ce n’était pas vraiment fait pour moi. Alors que j’étais en deuxième session, j’ai rencontré un ami qui étudiait à l’IAD. Quand il m’a raconté ce qu’il faisait, j’ai soudainement eu l’envie de poursuivre ces études-là aussi. Je connaissais déjà l’IAD de nom mais pour moi, c’était une école d’artistes avec les cheveux ébouriffés et des pulls déchirés. Je me suis donc décidé à abandonner le droit et à passer l’examen d’entrée. Il faut dire aussi que ce n’est pas complètement par hasard non plus que j’ai fait ce choix. En plus d’avoir fait de la photo étant adolescent, j’aimais beaucoup le cinéma ; surtout depuis que j’ai découvert le Dogma avec des films comme « Festen » ou « Les Idiots ». J’ai complètement été fasciné par le vent de réalisme qui soufflait sur toute une série de films à ce moment-là. J’ai lu quelque part que les grandes décisions de la vie se prenaient en quelques secondes et que les plus petites prenaient plus de temps. C’est un peu ce qui m’est arrivé dans mon choix professionnel.

Qu’est-ce que tu recherches quand tu fais un film ?

Depuis mon film de fin d’études « Le Secret des Dieux », je constate que j’aime beaucoup travailler sur la notion de manipulation et surtout au niveau formel. Dès qu’il y a un rapport intelligent entre le contenu et la forme, ça m’intéresse. J’ai d’ailleurs fait mon mémoire sur les trois premiers films de Michael Haneke. Je me rends compte aussi que j’aime travailler sur une forme d’aveuglement, que ce soit au sens propre ou au sens figuré. J’aime questionner le spectateur sur le vrai et la faux et voir comment interpréter ces notions.

Tu as travaillé comme assistant à la mise en scène pour la compagnie théâtrale Les Baladins du Miroir, notamment. Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté en tant que réalisateur ?

Ça m’a beaucoup apporté. Comme tout jeune réalisateur, j’avais très peur des comédiens, je n’avais aucune expérience. Or, ils sont quand même l’argile avec laquelle on sculpte son film. Cette expérience aux Baladins m’a permis de me rapprocher d’eux, de les comprendre aussi. C’était passionnant.

Comment est né le projet de « Ion » ?

Lorsque je travaillais à la RTBF en tant que réalisateur du JT, je me suis dit qu’il fallait que j’avance dans mes projets. Je voulais me diriger vers une école qui pouvait m’apprendre des choses, une école plus axée sur l’humilité, celle du documentaire. Après avoir chiné un peu partout sur des sujets qui m’intéressent comme l’aviation ou encore le handicap, j’ai décidé de contacter La Ligue Braille qui se trouvait juste à côté de chez moi. Je me suis abonné à leur newsletter et je suis tombé sur l’annonce de six malvoyants et non voyants qui avaient été recrutés un an auparavant par la Police fédérale via le Selor [organisme belge de recrutement public] pour les écoutes téléphoniques. J’ai tout de suite été interpellé par cela. J’ai recontacté La Ligue Braille en disant que j’étais intéressé de rencontrer ces personnes handicapées de la vue. Je leur ai bien fait comprendre que je n’étais pas un journaliste mais un réalisateur qui voulait faire un documentaire. J’ai d’abord été fasciné par Sacha Van Loo qui travaille à Anvers. C’est quelqu’un d’hallucinant, il parle 7 langues, joue plusieurs instruments de musique, est fan de musique médiévale, il fait du théâtre. Bref, un être complet. Malheureusement, il ne désirait pas s’investir dans un tel projet parce qu’il avait déjà eu beaucoup de presse autour de lui. Finalement, j’ai rencontré Ion à la cafeteria de la Police judiciaire de Liège, au milieu de policiers qui prenaient des notes. Dès qu’il m’a parlé de sa vie, de sa fuite en Belgique avec comme seul guide son enfant de 7 ans, j’ai été séduit par cet homme au destin hors du commun.

Comment as-tu pu filmer des personnes handicapées de la vue en respectant “la bonne“ distance, sans donner l’impression de voler leur image ?

C’est une question de confiance. Grâce aux rencontres que j’ai faites (Ion, sa femme Maria, son fils Cyprien, les gens en Roumanie…), il me semblait évident de filmer le handicap avec le plus de vérité possible. Ça n’a aucun sens de jouer la carte de la fausse pudeur. J’ai compris que je devais être direct et sincère afin que tout le monde se sente à l’aise, et que je devais me comporter comme je me comporte avec n’importe quelle autre personne, ni plus ni moins. En ce qui concerne la caméra, c’est la même chose. Ion et Maria sont handicapés de la vue, pas du cerveau ni de l’ouïe. Ils savaient très bien où se trouvaient ma caméra. De plus, je leur expliquais tout le temps ce que je filmais et pourquoi je le faisais. Il y a eu un réel rapport de confiance qui a fait que le film est ce qu’il est. Ils m’ont vraiment ouvert leur cœur. Et ça, c’est magnifique. Maintenant, je me suis toujours dit que leurs limites étaient les miennes. Par exemple, je sais que je trippe un peu sur les hommes qui se brossent les dents dans leur salle de bains, j’avais envie de filmer Ion dans cette posture mais il m’a dit: “tu ne rentreras jamais dans ma salle de bain pour me filmer”. J’ai respecté cela. En revanche, je leur ai bien dit que s’ils acceptaient de faire le film, ils se devaient de jouer un minimum le jeu de l’honnêteté. C’est ce qu’ils ont fait.

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Pour le montage, as-tu travaillé en concertation avec Ion et Maria ?

Non, pas du tout. Je ne voulais surtout pas. Ils savaient très bien que j’allais parler de leur passé, j’ai d’ailleurs voulu que chacun donne son propre avis à propos de ce sujet mais je ne les ai jamais consultés pour le montage parce que je ne voulais pas qu’ils orientent le film malgré eux. Je voulais avoir un récit brut et y donner sens personnellement, traduire leurs mots en images, en y mettant tantôt un côté dramatique, tantôt un côté plus léger, tantôt un côté comique même. C’est un film documentaire certes mais je le vois comme un récit avant tout où les personnages principaux se complètent. Maria, c’est les yeux de la prudence, Ion ceux de l’intuition et Cyprien les yeux bien réels.

D’où est venu ce choix d’inclure des images actuelles de Roumanie pour parsemer ton récit documentaire?

C’est simple, je n’avais aucune image. Et quand on fait un film, on a besoin d’images. Et lorsque Ion me raconté son enfance dans son village en Transylvanie, cela évoquait pour moi déjà tellement de sensations, de couleurs et d’odeurs même. Deux options s’offraient dès lors à moi. Soit je puisais dans les archives, ce qui allait coûter une fortune, soit je traduisais ce récit bouleversant, les mots de Ion, de Maria, de Cyprien avec mes mots de réalisateur, c’est-à-dire en images.

Comment as-tu pu filmer les gens sur place? Étaient-ils au courant de ton projet de film ?

Les gens là-bas sont tranquilles, ils acceptent la caméra sans trop de difficulté et l’oublient aussi très vite ce qui fait qu’il est plus simple de les filmer. Par ailleurs, mon assistant, Bogdan Palici, vient d’un village de Moldavie roumaine, ce qui signifie que le monde de la paysannerie ne lui est pas inconnu. Lorsqu’on les filmait, il parlait longuement avec eux.

Pourquoi penses-tu que Ion et Maria ont accepté de faire le film ? L’ont-ils apprécié ?

J’ignore les raison exactes qui ont poussé Ion et Maria à accepter de faire le film. La réponse à cette question, je la laisse aux théoriciens du cinéma, aux sociologues, aux anthropologues. Il est évident qu’il y a une différence entre accepter d’être filmés pour un reportage comme acteur ou témoin, et le faire pour un documentaire où il y a une notion de long terme et d’exhibition de soi. Il y a là peut-être une certaine forme de narcissisme mais je pense que la réponse est bien plus complexe. Je pense aussi qu’il y a certainement une envie de témoigner de leur parcours, de laisser une trace. Quant au film, Ion et Maria l’ont aimé. Ion a essuyé quelques larmes et Maria, qui au départ était fort sceptique, m’a dit qu’elle était contente du résultat.

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Comment est né ton partenariat avec Dérives ?

Julie Freres, qui était au courant de mon projet, m’a conseillé de le proposer à Dérives, avec qui elle était en contact. C’est marrant parce que par la suite, elle a été engagée comme productrice à la demande des frères Dardenne et donc elle a suivi la production du projet. Suite à un premier contact avec Véronique Marit, après que j’ai retravaillé le dossier, et après avoir eu une aide à l’écriture par la WIP, Dérives a accepté de me suivre. On a eu l’argent de la Commission et j’ai travaillé avec Jean-Pierre Dardenne sur l’écriture du film.

Comment s’est passée cette collaboration  ?

C’était très instructif. On se voyait tous les deux mois environ. Jean-Pierre est quelqu’un d’assez cash mais j’aime beaucoup ça. Il est franc, c’est un vrai prof. Il n’a jamais critiqué mon travail mais il a toujours dit par exemple, “attention, là ça manque un peu d’humain” ou alors “tu vas un peu trop dans les artifices, reste sur le personnage”. C’était vraiment intéressant car toutes ces remarques étaient fondées pour le bien du film. Tout sur les enjeux, les obstacles, un peu comme en fiction, finalement. Je pense sincèrement que le but des frères Dardenne est de donner aux jeunes auteurs tous les outils en main au niveau du scénario et de la réalisation pour faire le film qu’ils veulent vraiment faire.

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Maintenant que tu as réalisé ton film documentaire, comment te positionnes-tu par rapport à la culture du documentaire belge qui se trouve à mi-chemin entre l’intimisme et le déshabillage ?

En Belgique en documentaire, on doit vraiment marcher sur un pied d’équilibriste. La tendance dominante est de retourner vers les films qui ont baigné notre enfance, très burlesques comme le sont les « Strip-tease », avec parfois une patte d’auteur plus ou moins réussie. C’est triste à dire mais c’est ce genre de documentaire qu’on programme à des heures de grande écoute, et forcément, les gens y sont habitués. Personnellement, je ne trouve pas beaucoup d’intérêt à ces documentaires, dans lesquels le peu de fonction anthropologique présente est assez réductrice. Ce qui me dérange c’est surtout qu’on limite le documentaire à ça. Ou alors, si ce n’est pas du documentaire à la « Strip-Tease », c’est ce que j’appelle le format Arte ou BBC, où on traite telle ou telle grande page de l’Histoire.

Je m’interroge sur la place d’un type de documentaire peut-être plus fragile, qui sort des sentiers battus, qui ne cherche pas à raconter ou à divertir. C’est difficile parce que si on va à l’inverse des codes d’un documentaire prime time, on rencontre encore plus de difficultés à être soutenu et on est vite jugé trop sérieux. Je ne comprends pas d’où vient cette allergie pour les films qui font réfléchir. Il faut que le spectateur se pose des questions, que le sujet lui travaille. Un artiste c’est ça et rien d’autre que ça.

Peux-tu nous parler de tes projets?

Je suis occupé à monter un autre projet documentaire « Les Fleurs de l’ombre », sur un concours de Miss aveugles en Roumanie. J’ai aussi déposé un projet de fiction sur les querelles linguistiques. On a écrit le scénario à trois. L’idée c’est de défendre un projet entre Flamands et francophones sur les absurdités belges. C’est une comédie noire. Et enfin, j’ai aussi un projet de long métrage documentaire avec Mathieu Frances sur la Viva World Cup, la coupe du monde de football alternative.

Propos recueillis par Marie Bergeret et Adi Chesson

Consultez la fiche technique du film

Short Screens #28 : le court métrage sur grand écran

Short Screens a le plaisir de vous annoncer sa troisième séance estivale de courts métrages sur grand écran. Dans une ambiance chaleureuse et décontractée, venez vous régaler devant une programmation éclectique, avec des films d’hier et d’aujourd’hui, fruits de la créativité d’auteurs belges et étrangers.

Le 25 juillet 2013, 19h30 – Aventure Cinema, Galerie du Centre 57, 1000 Bruxelles – PAF : 6€

A FISTFUL OF RUPIES
Hannes Gieseler
Inde, Allemagne / 2012 / documentaire XP / 10’

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Des hommes se rassemblent dans des lieux tenus secrets pour faire vivre une vieille tradition. C’est l’excitation de la vitesse et du danger sur une piste de 400 mètres. Deux conducteurs, quatre zébus, quatre roues, lancés à soixante kilomètres-heure, pendant vingt-cinq secondes.

TELERIFIC VOODOO
Paul Jadoul

Belgique / 2006 / animation / 4’23

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L’évolution d’un monde par la suprématie de la musique.

RODRI
Franco Lolli

France / 2012 / fiction / 23’

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Rodrigo va bientôt avoir 47 ans. Il ne travaille plus depuis 8 ans.

TANT QU’IL Y AURA DEL POUSSIÈRE
Marie Devuyst

Belgique / 2009 / documentaire XP / 6’

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Les souvenirs d’Emile nous emmènent à la découverte des forges de Clabecq, une usine métallurgique à l’abandon. Cette exploration visuelle et sonore révèle un espace où la vie s’est arrêtée, où le temps semble suspendu, où les traces du passé éveillent les songes et ouvrent la voie à la fl ânerie industrielle.

À NOS TERRES
Aude Verbiguié

Belgique / 2012 / documentaire / 22’

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Nicole et Auguste vivotent de leur métier d’agriculteurs, seuls en Ariège. La question se pose de la fi n d’un métier, de ce corps paysan menacé.

TASTES LIKE CHICKEN
Quico Meirelles

Brésil / 2012 / animation / 15’

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Dans un gigantesque élevage de poulets industriel, l’une d’entre eux a une vision et tout à coup se rend compte du mécanisme terrible qui contrôle sa vie et son destin. Même si elle est cachée parmi des millions de poulets qui ne partagent pas son angoisse, cette révolutionnaire est persuadée qu’une vie différente est possible. Penser (et agir!) c’est la
liberté!

Une initiative de FormatCourt et l’asbl Artatouille.

Raoul Servais : « Les chefs-d’œuvre du muet n’avaient pas besoin de parole. Si on peut s’en passer, autant le faire. Je trouve ça beaucoup mieux »

Cette année, le Festival Paris Cinéma a décidé de mettre un coup de projecteur sur le cinéma belge, wallon comme flamand, au sens large (courts, longs, comédies, drames, films récents, rétrospectives, etc.). Dans le cadre de ce programme Made in Belgiëque, nous avons eu l’opportunité de retrouver, après deux anciens sujets publiés sur Format Court (l’un sur le Festival Anima, l’autre sur le Festival Premiers Plans d’Angers), celui que l’on nomme « le magicien d’Ostende » : Raoul Servais. Ce pionnier de l’animation belge et même internationale, âgé de 85 ans, a été invité à Paris pour présenter un bel éventail de ses films ainsi que pour signer un ouvrage qui vient d’être édité en son hommage : Les animés : Raoul Servais, voyage en Servaisgraphie de Michel Moins et Maurice Corbet. Grand adepte du format court qui, selon lui, correspond plus volontiers à ce qu’il a voulu raconter et qui lui permet également une plus grande liberté, le réalisateur flamand est revenu sur son parcours  : celui d’un artiste-artisan pas prêt de s’arrêter à réaliser.

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© Yannis Nivault

Vous avez étudié à l’Académie Royale des Beaux Arts de Gand, mais vous ne vous lancé dans l’animation qu’à partir des années 1950. Qu’est-ce qui vous a amené à faire des dessins animés  ?

Raoul Servais : Le virus du cinéma d’animation m’est venu très tôt. Je pense que je devais avoir quatre ou cinq ans, lorsque mon père, grand amateur de cinéma, me préparait, tous les dimanches,une séance composée d’un long-métrage, d’un court-métrage (généralement de Charlie Chaplin), et chaque fois aussi, d’un dessin animé. Le dessin animé en question, c’était généralement « Félix le Chat », et c’était ça que j’attendais car ça m’intriguait beaucoup. À l’époque, déjà enfant, je dessinais beaucoup, mais voir des dessins qui bougeaient, qui vivaient, c’était pour moi, de la magie. J’avais décidé à ce moment-là que ce serait le métier que je voulais faire plus tard bien que j’ignorais complètement comment ça fonctionnait. D’ailleurs, ça a mis beaucoup de temps avant que je comprenne comment on faisait des dessins animés !

Racontez-nous…

Oui, je me souviens encore. C’était avant la guerre. Dans le bureau de mon père, je savais qu’il fallait faire beaucoup de dessins alors j’avais fait toute une série de mouvements. J’ai emprunté une caméra et je me suis mis à filmer le long des dessins, en promenant l’objectif, croyant que je faisais un dessin animé. Quand le film est revenu du laboratoire, j’ai évidemment eu une grande déception  : c’était un stupide mouvement panoramique sans intérêt. Je ne comprenais pas; ce n’est que plus tard que j’ai dit : « Eurêka ! », en saisissant que ça fonctionnait image par image. Voyez à quel point on était ignorant dans le métier  !
Lorsqu’on regarde vos courts-métrages, on note que pour chacun, vous avez utilisé des techniques d’animation très différentes.

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi  ?

Il y a en effet deux types différents de cinéma d’animation  et je crois que dans la majorité des cas, ils ont un style bien précis, un graphisme qui permet de les reconnaître. Quant à moi, c’est différent car j’attache beaucoup d’importance au style graphique de mes films et lorsque j’estime que mes propres capacités graphiques ne correspondent pas à ce que je cherche à dire, je n’ai aucun problème d’égo et de faire appel à d’autres dessinateurs. Je veux illustrer le mieux possible ce que je veux exprimer. Et c’est ce qui explique qu’il y ait une variété de techniques dans tous mes films, selon les sujets que j’exploite. En plus, l’éventail des possibilités d’animation est beaucoup plus large dans le court-métrage que dans le long-métrage.

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À un moment de votre carrière, vous avez justement souhaité aller vers une technique d’animation particulière pour traiter votre sujet, mais comme elle n’existait pas, vous l’avez créée  : la Servaisgraphie. Comment expliquez-vous qu’en tant que réalisateur, vous êtes devenu à ce moment-là, un technicien, pour ne pas dire un chercheur, un ingénieur  ?

À l’origine, j’avais déjà fait pas mal de dessins animés avec certes, des styles différents, mais je trouvais que j’avais un peu épuisé mes possibilités graphiques. Par conséquent, j’ai eu envie de découvrir ce monde, ou plus exactement ce no man’s land, entre la vie réelle et l’animation. Ça m’intriguait profondément. Je ne suis certainement pas le premier et on l’a fait avant moi, mais c’était quelque chose que je souhaitais absolument découvrir et je voulais m’aventurer dans ce cinéma que je ne connaissais pas. J’avais donc écrit un scénario, celui du film « Harpya » (ndlr : Palme d’Or du court-métrage en 1979) et c’était ça que je voulais traduire, ce « cinéma mixte ». Je me suis rendu aux Studios Arthur Rank, à Londres et là, on m’a montré quelques films qu’ils avaient réalisés surtout pour les Américains et qui utilisaient le système du cache contre cache pour introduire des personnes réelles dans des dessins ou des peintures. Je trouvais ça intéressant et j’ai par conséquent voulu utiliser ce système pour réaliser mon film. Mais quand j’ai appris le prix, j’ai dû renoncer  : c’était abordable pour les gens de Hollywood, mais pas pour moi  !

Néanmoins, je ne perdais pas l’idée du procédé et j’ai donc réfléchi à la manière d’y arriver. Je ne peux expliquer la multitude de systèmes que j’ai essayé, ce serait trop nombreux. Mais par exemple, j’avais une table multi plans avec des découpes qui correspondaient à la prise de vue réelle grâce à un miroir semi transparent incliné vers le bas et la caméra au-dessus, mais la lumière qui était renvoyée vers cette découpe n’était pas suffisante. Ça ne fonctionnait donc pas. Je me suis donc demandé comment faire pour rendre ça plus lumineux et j’ai pensé aux signaux lumineux qu’on trouve partout sur les route s : ce sont des microscopiques billes en verre qui renvoient la lumière mille fois. Dès lors, j’ai demandé à un ami parti aux États-Unis de tâcher de m’acheter un bidon de ces billes et de me les envoyer. J’ai voulu les lâcher sous le plus lumineux des projecteurs éclairant les acteurs réels, mais elles se sont éparpillées dans tous les sens. Eh oui, les billes, ça roule  ! C’était une catastrophe sur le tournage  ! Finalement, j’ai acheté le même matériau, cette fois imprimé sur des feuilles de papier. À chaque fois, il fallait découper dans le papier la silhouette du personnage que j’avais choisi. Ça a pris des mois mais ça a marché.

C’était une tâche très minutieuse alors  ?

Excessivement minutieuse  ! J’avais à l’époque une assistante qui était très précise et qui avait des petits ciseaux pour couper toutes les silhouettes. Chaque fois, je devais les mettre sous le flux lumineux de façon à ce que ça ne bouge pas et que je capte vraiment le plus lumineux de l’acteur. C’était un travail énorme et fatigant. Quand j’ai terminé, je me suis dit que je ne referais plus jamais ce genre de film  ! Je me souviens de la première projection; je trouvais le film complètement raté. J’avais réuni une dizaine d’amis dont des cinéastes. On a projeté le film et j’avais vraiment peur de leurs réactions. À la fin de la projection, un silence complet a confirmé mon impression. J’étais désespéré. Après quelques minutes, un des jeunes s’est levé vers moi et m’a dit : « Raoul, c’est un chef d’œuvre ». Plus tard, comme je ne voulais plus utiliser cette méthode qui m’avait épuisé, j’ai commencé à réfléchir dans mon laboratoire. Finalement, j’ai mis au point la Servaisgraphie qui consistait donc à utiliser des plaques de cellophane sur lesquelles ne sont pas dessinés les personnages d’animation, mais des personnages réels.

Vous avez beau avoir eu recours à la collaboration avec des acteurs réels, il y a un détail récurrent dans vos films  : il n’y pas ou très peu de parole. Pourquoi avoir fait ce choix de réaliser des films quasi muets  ?

Les chefs-d’œuvre du muet n’avaient pas besoin de parole. Si on peut s’en passer, autant le faire. Je trouve ça beaucoup mieux.

On peut donc vous considérer comme un artisan-réalisateur ou un réalisateur-artisan… D’ailleurs, on a en France un réalisateur d’animation que vous connaissez certainement et qui, lui aussi, a souvent travaillé comme un artisan sur ses films : Michel Ocelot.

Oui, c’est un grand ami et je l’ai vu avant-hier. On vient d’éditer un livre sur la Servaisgraphie et Michel est venu à la présentation de l’ouvrage.

À ce propos, y a-t-il des réalisateurs d’animation d’aujourd’hui qui vous intéressent ou que vous admirez  ?

Oui, bien sûr. Frédéric Back, un réalisateur canadien qui a fait un film superbe, L’homme qui plantait des arbres. Je l’aime beaucoup en tant qu’homme et en tant que cinéaste. Michel Ocelot aussi bien sûr et Jean-François Laguionie qui est aussi un ami. J’aime beaucoup l’atmosphère de ses films.

Si on revient à la question des techniques d’animation, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez des techniques d’aujourd’hui réalisées exclusivement sur ordinateur  ?

Un des derniers films que j’ai réalisé, « Atraksion », était fait sur ordinateur, mon long-métrage, « Taxandria », aussi en fait. J’ai bien compris que mon système était un peu dépassé, par rapport à l’ordinateur. Un des avantages de l’ordinateur, c’est certainement de pouvoir travailler aussi bien dans un grand studio que chez soi. On peut aussi être beaucoup plus précis et beaucoup plus juste. Ça a beaucoup d’avantages en réalité. Malheureusement, ma frustration est que je ne peux pas l’utiliser. Je ne m’y connais pas bien alors je suis incapable de faire bouger des images sur ordinateur.

Oui, c’est un nouveau métier en fait.

Exactement. Alors, je travaille avec des jeunes qui me comprennent, et moi, je leur parle des effets que je recherche afin qu’ils le réalisent. Parfois, ils me disent que c’est trop onéreux et me proposent des solutions. Bref, je ne suis plus un maître.

Oui et non. On vient de sortir en France, une copie neuve du film Le roi et l’oiseau de Paul Grimault. Voyez comment même les enfants d’aujourd’hui restent friands des dessins plus classiques !

Je sais et ça me fait grand plaisir  ! J’ai connu et j’ai suivi la progression des problèmes de Paul Grimault sur ce film. Paul était un ami formidable. Figurez-vous que nous avons visité le Japon ensemble  ! Il m’a raconté les péripéties quant à la production de ce film. Il a eu avec le producteur, des ennuis qui se sont résolus lorsqu’il a récupéré les droits de son film.

C’est parfois le problème qui se pose entre le producteur qui doit répondre à des contraintes de temps et d’argent, alors que l’artiste a besoin de son propre temps de création…

Oui et c’est pour ça que j’ai toujours été mon propre producteur sur quasiment tous mes courts-métrages, à part celui que je vais faire maintenant. Si j’avais des problèmes de production, c’est avec moi-même que je devais les régler !

Concernant votre long-métrage « Taxandria », ça correspond généralement à ce qu’on lit un peu partout  : vous ne vous sentiez pas libre face à votre producteur.

Exactement.

Est-ce pour cette raison que vous avez toujours ou presque préféré le format court au format long ?

Oui. Jusqu’à « Taxandria », je n’avais jamais écrit un scénario qui nécessitait plus qu’un court-métrage. Je n’ai jamais pensé passer au long parce que je me sentais mûr pour en faire un, mais simplement parce que j’avais un scénario qui s’y prêtait. Et après, je n’ai plus écrit de scénario pour des longs-métrages, donc je n’en ai plus fait. C’est juste dommage parce que la diffusion d’un court-métrage est plus difficile. À l’époque de mes tous premiers films, j’ai pu les passer en salle en complément d’un long-métrage, en général des films de Fellini. Ça m’a fait gagner un peu d’argent ; en tout cas, suffisamment pour couvrir mes frais.

À part peut-être votre long-métrage « Taxandria », on ne peut pas dire que vos films se soient adressés aux enfants, d’autant plus s’ils étaient projetés avant Fellini  ! Les messages que vous faites passer sont toujours assez durs, ils tournent généralement autour de la notion de groupe qui anéantit l’individualité. Pouvez-vous nous expliquer votre vision  ?

Oui, il y a une constante dans mes films qui est contre l’oppression. Vu mon âge, j’ai connu la guerre et j’en ai beaucoup souffert avec mes parents. On a été complètement ruinés, des membres de ma famille ont disparu dans des camps de concentration et moi-même, à l’âge de 14 ans, j’ai été arrêté par la Gestapo. Avec la guerre, c’est le passage brutal de l’aisance à la plus grande pauvreté. Dans mon cas, j’avais 12 ans lorsque la guerre a éclaté et je suis donc passé directement de l’enfance à l’âge adulte sans passer par l’adolescence. Tout ça vous marque pour le restant de vos jours. C’était un peu ça que je voulais exprimer. Je voulais aussi un peu prévenir mes concitoyens du danger du fascisme, du nazisme, de l’oppression dictatoriale. Après, la guerre a un avantage  : vous apprenez à relativiser. Aujourd’hui, je me contente de très peu de choses  !

On constate en effet tout au long de vos films que la critique de l’oppression est un thème récurrent, qu’au départ, il est traité de manière assez poétique mais qu’ensuite, il bascule plus volontiers vers le fantastique. Par exemple, avec le film Papillons de nuit, en hommage au peintre Paul Delvaux, vous exprimez clairement un goût pour l’étrange. Pourquoi lui avoir rendu hommage avec ce film  ?

À l’origine, pour « Taxandria », je comptais utiliser la peinture de Paul Delvaux. Mais pour des raisons diverses, ça n’a pas fonctionné. Alors, je me suis dit que je n’avais pas étudié sa peinture pour rien et j’ai eu envie d’en faire un film en son honneur, ça a été « Papillons de nuit ». Il en a d’ailleurs été très content, même si malheureusement, il n’a jamais pu voir le film. J’étais un grand admirateur de sa peinture et c’est l’argument essentiel de la raison pour laquelle j’ai eu envie de faire un film à son hommage. On s’est rencontré deux fois à peine, mais nous avons eu une correspondance très amicale ensemble. En revanche, j’avais un contact quotidien avec René Magritte, et j’ai travaillé sur son œuvre au début de mon travail de réalisateur.

Cette année, le Festival Paris Cinéma met à l’honneur la Belgique et son cinéma. Vos films font partie de cette rétrospective. Quel regard portez-vous sur le cinéma belge  ?

Je vais vous avouer quelque chose  : je suis un provincial, j’habite très loin des villes. La ville la plus proche est Ostende où il ne se joue que des films américains. Pour voir des films de valeur, je devrais donc aller à Bruxelles qui est à 130 km  ! Par conséquent, je ne vois jamais de films belges. Je ne peux que répondre que je ne les connais pas.

Pouvez-vous nous dire deux mots sur le film que vous en train de préparer ?

Il s’appelle « Tank » et il fait référence à la Première Guerre Mondiale. Il sera visible dans un an, je pense.

En tout cas, vous ne comptez pas prendre tout de suite votre retraite  ?

Ah non, surtout pas  ! Si vous saviez combien de projets j’ai sur papier, je crois que je ne vivrai pas assez longtemps pour tous les réaliser.

Propos recueillis par Camille Monin

E comme E-Wasteland

Fiche technique

Synopsis : Où vont nos vieux appareils électroniques ? Au Ghana, le recyclage sauvage de déchets électroniques polluants et toxiques pour en extraire les métaux rares est devenu un moyen de subsistance pour la population.

Réalisation : David Fedele

Genre : Documentaire

Pays : Ghana, Australie

Durée : 20′

Année : 2012

Image : David Fedele

Son : David Fedele

Montage : David Fedele

Production : David Fedele Films

Article associé : la critique du film

F comme Five-Star Existence

Fiche technique

Synopsis : Une souris à commande oculaire donne son indépendance à une femme handicapée. Des amateurs de jeux vidéo ont du mal à se redresser à cause des heures passées courbés devant leur écran. En Finlande des fermiers traient leurs vaches avec des robots… Nous apprécions la grande liberté et la flexibilité que nous donne la technologie. Cependant, n’est-elle pas en train de s’emparer de nos vies ?

Genre : Documentaire

Pays : Finlande, Suède

Durée : 58′

Année de production : 2011

Réalisation : Sonja Lindén

Son : Janne Laine, Samu Heikkilä

Montage : Samu Heikkilä

Production : Avanton Productions

Article associé : la critique du film

Liberté, Égalité, Technologie

Programmés en tandem dans la compétition du jeune public au festival Millenium cette année, « Five-Star Existence » et « E-Wasteland » sont deux courts traitant de manière complémentaire de la place qu’occupent les avancées technologiques dans la société d’aujourd’hui. À l’ère où les gadgets caducs et l’obsolescence programmée dictent le marché économique et que chaque individu, au Nord comme au Sud, veut prendre le train en marche, la question des effets pervers de cette croissance vertigineuse se pose.

Five-Star Existence de Sonja Lindén

Interpellée par un questionnement sur la liberté et le bonheur dans la société, face au développement hi-tech, la réalisatrice finlandaise Sonja Lindén part à la recherche de réponses. Le résultat est un documentaire à la fois colossal et fin, imposant par le trop-plein de sa mise en scène, dérangeant par les hypothèses qu’il formule.

Prenant la forme d’une série de portraits de personnes plus ou moins intimement liées au monde de la technologie – experts, techniciens, consommateurs, etc. –, ce moyen métrage tâche de rendre compte du paradoxe inhérent à cette thématique : le progrès technologique est utile pour l’humanité mais tend facilement vers l’extravagance. Sans pour autant porter de jugement, il invite à interroger ces phénomènes sans précédent, dans un monde où les enfants apprennent à manier les appareils informatiques avant même de savoir écrire, où les vaches sont traites par des machines ultra-sophistiquées et les arbres se font abattre par des mécanisées avec aucune ou très peu d’intervention humaine.

L’éloignement entre l’homme et la nature – autant la sienne que celle qui l’entoure – n’est pas la seule préoccupation de la réalisatrice. Des questionnements d’ordre déontologique se posent également. Quelle liberté pour cette génération exhibitionniste qui déballe sa vie privée sur les médias sociaux, et dont chaque activité est observée par les autorités aux yeux anonymes ? Quel accompagnement pour les enfants accros à Internet et leurs parents désespérés, comme le montre le cas exacerbé de la Corée du Sud ? Comment se justifie notre soif d’ubiquité, d’être disponible et connecté partout à tout moment ? Comment gérer la surcharge de stimuli qui agressent nos cerveaux et nos corps inaccoutumés et fragilisés ?

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Cependant, le film montre une certaine émancipation indéniable due à cette croissance technologique, l’exemple le plus pertinent étant celui d’une femme sévèrement handicapée qui trouve son autonomie sociale et économique en fonctionnant à l’aide d’une souris optique. Ainsi, elle échappe au sort de la plupart des gens dans ce genre de situation, à savoir être enfermé dans une institution. Par ailleurs, le simulacre du cyber monde permet aux personnes en marge de la société de retrouver l’amour-propre et l’estime de soi à l’aide des vlogs et des avatars ludiques, comme le démontrent aussi d’autres films comme « Because We Are Visual » (Olivia Rochette et Gerard-Jan Claes) et « BenX » (Nic Balthazar).

Avec ses propos nuancés, le film de Sojna Lindén invite à réfléchir aux conséquences du boom technologique, chose que l’on prend pour argent comptant. Car, face aux smart-phones et aux derniers books électroniques promus dans les quatre coins du monde comme marques de standing ou comme solution aux problèmes de communication, force est de constater que finalement, peu de gens y échappent. Et pourtant la communication n’a jamais été aussi fracturée ni la dépendance aux gadgets aussi répandue.

E-Wasteland de David Fedele

Si le documentaire de Lindén dresse l’inventaire éblouissant des merveilles que la technologie électronique peut engendrer, l’Australien David Fedele cherche, lui, à savoir ce qui arrive à ces Pygmalions élaborés en fin de vie. « E-Wasteland » démontre de façon franche et crue le recyclage sauvage des quantités pharaoniques de déchets électroniques que le monde développé envoie chaque année vers les pays pauvres, en l’occurrence le Ghana. Ces déchets sont « traités » (brûlés en plein air) dans les conditions les plus abjectes pour la santé des travailleurs et l’environnement, et les matières premières récupérées sont renvoyées en Occident. Ironie et injustice abondent donc dans cette ignoble pratique de « e-dumping », sorte de colonisation contemporaine mais pire car elle consiste à faire faire le sale boulot du groupe dominant par le groupe dominé.

Même si ces faits ne sont pas inconnus (rappelons-nous le récent cas tragique de usines à sueur bangladeshis), il est très tentant et facile de les ignorer, derrière le confort du dicton « ni vu, ni connu ». Le rôle du documentariste engagé est justement de bousculer nos sensibilités complaisantes et nos comportements d’autruche. C’est ce que fait Fedele, en filmant de près ces « autres » méconnus de la vision du monde occidentale, habitant des bidonvilles où le paysage confond campements humains surpeuplés et détritus organiques et électroniques. Formellement à l’opposé du film de Lindén, sa mise en scène est sans façon, son montage brut, sa narration délibérément prosaïque, et par conséquent, le message est aussi fort qu’un coup de poing en pleine figure.

Le parti pris du cinéaste est donc de mettre l’humanité – et sa maltraitance – au centre de son sujet, sans adultérer son documentaire avec des témoignages personnels qui, mal gérés, risqueraient de provoquer des excès d’émotion et de desservir le propos. Au contraire, il opte pour un style épuré où la caméra traduit de manière la plus objective possible les faits dénoncés par le biais d’intertitres. Alors que ce choix est entièrement défendable, il est intéressant de rapporter dans le cadre de la présente, une question posée en salle par une spectatrice d’origine congolaise. Celle-ci essayait en vain de savoir pourquoi le réalisateur n’avait pas cherché à connaître les véritables motivations des jeunes Ghanéens qui se livraient à ce travail malsain et dégradant, alors qu’ils sont issus d’une culture et une tradition riche et digne. Même si la portée politique et historique de la question était perdue à la traduction, la réponse que Fedele a su y apporter, à savoir l’évocation de la condition socio-économique actuelle du pays, reste néanmoins pertinente et applicable pour bon nombre de pays soumis à un esclavagisme moderne à peine déguisé.

Adi Chesson

Consultez les fiches techniques de « Five-Star Existence » et de « E-Wasteland »

Les Enfants terribles : European First Film Festival

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À Format Court, on aime la nouveauté surtout si elle concerne le court métrage. C’est avec plaisir et curiosité que nous accueillons la création d’un nouveau festival belge : Les Enfants terribles! Dans la petite ville de Huy, ce nouvel évènement a pour but de suivre le premier travail des jeunes réalisateurs européens. À l’initiative de l’asbl FIDEC, la première édition aura lieu à Huy du 17 au 20 octobre 2013. Entre vingt et trente premiers courts-métrages sélectionnés, seront présentés en compétition. Des premiers longs-métrages, des séances thématiques ainsi que des programmes à destinations des écoles et des familles complèteront la grille de diffusion.

Les inscriptions pour la première édition des Enfants terribles, festival des premiers films européens*, sont en cours et possibles jusqu’au 31 juillet 2013.

Sont acceptés en pré-sélection :

• Les premiers courts-métrages professionnels et/ou auto-produits (les œuvres antérieures réalisées pour la télévision ou dans le cadre d’une école de cinéma ne sont pas comptabilisées).

• Les films d’écoles.

• Réalisés après le 1er janvier 2012.

• D’une durée maximale de 30 minutes.

• Produits ou coproduits majoritairement en Europe.

Avant de nous faire parvenir vos films, merci de prendre connaissance du règlement.

Les DVDs des films, accompagnés des documents d’inscription dument remplis, doivent être déposés ou envoyés à l’adresse suivante :

Les Enfants terribles
FIDEC asbl
Avenue Delchambre, 7a
4500 Huy
Belgium

Les inscriptions par e-mail sont autorisées. Les fichiers ou liens, obligatoirement accompagnés des documents d’inscription dument complétés, doivent être envoyés à l’adresse info@fidec.be.

Les réalisateurs des films sélectionnés seront prévenus par mail début septembre.

Pour plus d’informations, consultez le site internet du festival.

Festival CourtsCourts 2013, les films en compétition

Le Festival CourtsCourts, perché dans les collines du haut Var, proposera du 25 au 27 juillet 2013, trois soirées de projections en plein air, au terme desquelles seront attribués les prix du Jury et du Public. 12 films y seront présentés, à l’occasion de cette nouvelle édition.

Sélection 2013

Accords perdus, de Marion Morin
Argile, de Michael Guerraz
Barbe rousse, de Julien Hérisson
Dorasi, de Uriel Jaouen Zrehen
Faim, de Mathilde Rousseau
La téléformation, de Guillaume De Ginestel
Lifever, de Ted Hardy-Carnac
Narvalo, de Christophe Switzer
Premiers pas, de Gregory Lecocq
Réunion au sommet, de Romain Tuilier
Vertige, de Christophe Gautry et Mathieu Brisebras
White swan, de Olivier Lallart

Plus d’infos sur : www.festivalcourtscourts.fr

Festival du film court en plein air de Grenoble, le palmarès & la reprise parisienne (soirée Format Court)

Le 36ème Festival du film court en plein air de Grenoble s’est achevé samedi soir. Parmi les 34 titres retenus en compétition, les différents jurys se sont prononcés pour les mêmes films. Le palmarès du Festival sera projeté à Paris, à l’occasion de la première soirée Format Court de l’année, le jeudi 12 septembre 2013, au Studio des Ursulines (5ème). Cette séance bénéficiera de la présence des équipes de films, des membres des différents jurys et de Guillaume Poulet, directeur de la Cinémathèque et du Festival de Grenoble. En attendant cette soirée de rentrée, les entretiens des différents lauréats seront publiés ces jours-ci sur Format Court.

Palmarès

Grand prix, Prix du jury presse &  Mention spéciale du jury jeune : The Mass of Men, de Gabriel Gauchet (Royaume-Uni)

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Prix du meilleur scénario : Avant que de tout perdre, de Xavier Legrand (France)

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Prix spécial du Grand jury, Prix du jury jeune & mention spéciale du jury de presse : Lettres de femmes de Augusto Zanovello (France)

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Prix d’aide à la création, Prix du public : As it Used to Be, de Clément Gonzalez (France)

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Mention du Grand Jury : Shavi Tuta, de Gabriel Razmadze (Georgie, France)

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Coupe Juliet Berto : Amal, de Alain Descheres (France)

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Concours de scenario : Fabien Daphy pour Zone imprévue

Stage d’écriture : Cédric Para pour Entre les lignes d’horizon

Stage d’écriture : Daisy Dahmane pour C’est pas une histoire d’amour

Bourse des festivals : Yves Bichet pour Roues libres (produit par Barney Production)

Composition des Jurys

Grand Jury (Christine Gendre, Fejria Deliba, Béatrice de Pastre, Hubert Gillet, Jean-Pierre Beauviala); Jury presse (Marion Pasqier, Katia Bayer, Gilles Colpart, Sylvain Angiboust, Jean-Pierre Andrevon); Jury jeune (Marie Sarrazin, Camille Viala, Marilou Niedda, Ludivine Casemode, Arthur Chevallier)

La présence du court à Paris Cinéma

Parallèlement aux longs métrages en sélection officielle (dont on vous conseille le très esthétique et bouleversant « Kid » de Fien Troch), le Festival Paris Cinéma propose une grosse sélection de courts métrages jusqu’à mardi prochain. Parmi eux, figure « Taipei Factory », un programme de quatre courts réalisés en tandem par des réalisateurs taïwanais, chilien, français, sud-coréen et iranien), présentés à la dernière Quinzaine des Réalisateurs, dont on vous reparlera très prochainement.

En séance spéciale, 13 courts métrages sont proposés en hors compétition, le temps de quatre programmes. Leur optique :  « offrir une fenêtre à des formats libres, des points de vue audacieux et des auteurs singuliers ». L’audace promise se constate, certes, dans les ludiques « Les Lézards » de Vincent Mariette, « Chef de Meute » de Chloé Robichaud, le puissant et émouvant « Le Jour a vaincu la Nuit » de Jean-Gabriel Périot, l’esthétisant « Nous ne serons plus jamais seuls » de Yann Gonzalez ». Mais pas dans les non substantiels « Condom Lead » des frères Nasser (pourtant en compétition à Cannes, cette année) et « Les Navets blancs empêchent de dormir » de Rachel Lang.

Quelques autres courts figurent par-ci par-là, dans le programme. Quelques uns font partie du micro focus sur l’Afrique du Sud : « Dirty Laundry » de Stephen Abbot, « I think u freeky », un clip de Roger Ballen, et « The Tunnel » de Jenna Bass. Trois autres traversent l’hommage rendu à William Kentridge, artiste sud-africain perçu comme un magicien des images. C’est ainsi que « Ubu tells the Truth », « Shadow Procession » et « Journey to the Moon », réalisés à partir de dessins au fusain entre 97 et 2003, seront présentés en de fin de semaine au Forum des images.

Mais c’est surtout dans le panorama belge proposé cette année que Paris Cinéma fait preuve du plus gros effort en matière de courts, avec le concours du Centre Wallonie-Bruxelles, expert dans le domaine (le festival annuel Le court en dit long parle pour lui). Le panorama a débuté avec une surprise non indiquée dans le programme : « Pas de C4 pour Daniel Daniel », présenté vendredi passé au Louxor en prélude de « C’est arrivé près de chez vous » de Remy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde. Le court datant de 87, réalisé par les mêmes doux dingues que le long, annonce déjà un Poelvoorde en grande forme, un humour belge de situation et un cynisme à toute épreuve. Son défaut, par contre, réside dans l’état de la copie, non restaurée, et du son de très mauvaise qualité en corollaire.

De nombreux autres films participent à cet hommage belge. Si vous ne les avez pas vus, galopez comme des bons boeufs estoniens au Centre Wallonie-Bruxelles pour voir les films de Thierry Knauff, d’Olivier Smolders, de Raoul Servais, de Félix Van Groeningen, de Jaco Van Dormael et de Joachim Lafosse (dont on vous renvoie au reportage sur deux de ses courts présentés en salle, « Tribu » et  « Avant les mots »).

Au même endroit, sont projetés deux programmes de comédies belges (dont le formidable « Walking on the Wild Side » de Dominique Abel et Fiona Gordon et les moins connus mais tout aussi drôles « Révolution » de Xavier Diskeuve, « Kwiz » de Renaud Callebaut et « Le Généraliste » de Damien Chemin). Deux écoles de cinéma, enfin, complètent ce large panorama : les sélections de l’IAD de Louvain-la-Neuve et de l’INSAS de Bruxelles proposent leurs regards d’étudiants le temps de deux séances. Entre temps, ces réalisateurs ont quitté l’école et sont passés au long, mais il reste intéressant de découvrir les premiers travaux, méconnus, de cinéastes tels que Frédéric Fonteyne (« Les Vloems), de Jean-Marc Moutout (« En haut et en bas »), d’Ursula Meier (« Le songe d’Isaac »), de John Shank (« Un veau pleurait la nuit »), de Mathias Gokalp (« Rachid et Martha») et d’Alessandro Comodin (« Jagdfieber »). Par leur ancienneté, leur nationalité et leur format, ces films sont suffisamment difficiles d’accès pour qu’on se prive de leur vision.

Katia Bayer

Paris Cinéma 2013

Jusqu’au 9 juillet, le Festival Paris Cinéma propose dans bon nombre de salles parisiennes un assortiment de nouveaux films, d’hommages et de rétrospectives. La programmation de ce festival, présidé par Charlotte Rampling, propose – on le sait moins – bon nombre de courts métrages en séances spéciales (hors compétition) et en panorama (belge notamment). Format Court s’y intéresse et vous propose son propre focus pour accompagner cette édition 2013.

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Retrouvez dans ce Focus :

L’interview de Felix Van Groeningen (Belgique)

L’interview de Raoul Servais (Belgique)

 

Fenêtre sur le court documentaire bangladais

Pour sa 5ème édition, le Millenium International Film Festival s’est offert un programme de 7 films entièrement consacrés au cinéma du Bangladesh. Pays de 150 millions d’habitants, l’ancien Pakistan oriental compte parmi sa production cinématographique quelques perles documentaires d’une qualité surprenante, dont trois réalisées par une même cinéaste, Yasmine Kabir.

My Migrant Soul de Yasmine Kabir

Yasmine Kabir est de ces cinéastes pour qui cinéma rime avec engagement. Amoureuse de son pays natal, elle en révèle les failles avec humanisme et ferveur. Au départ de « My Migrant Soul », il y a une histoire individuelle, celle de Shah Jahan Babu, un jeune homme parti travailler en Malaisie avec l’espoir d’améliorer son futur et celui de sa famille. Mais au lieu de trouver un accueil chaleureux, il n’y a rencontré que désillusion et misère liées à une condition de vie innommable qui le vit rentrer au pays dans un « joli » cercueil. Touchée par ce fait-divers, Yasmine Kabir a décidé de retrouver les traces de Shah Jahan Babu afin de donner une voix à tous ces travailleurs anonymes qui chaque jour, risquent leur vie dans le sillon de l’esclavage moderne. Pour appuyer son propos, elle se sert des enregistrements vidéo que le Bangladais avait envoyés à sa famille. La réalisatrice mêle ceux-ci aux témoignages de la mère et de la sœur du jeune homme auxquels elle ajoute des plans filmés en Malaisie. Ainsi, on suit sa descente aux enfers. Grâce à cette narration à la fois classique et singulière, Kabir arrive à nous faire ressentir la solitude et l’isolement de Shah Jahan, victime d’un système socio-économique où « tout est à vendre » et où l’âme humaine, en revanche, ne vaut rien.

A Certain Liberation de Yasmine Kabir

« A Certain Liberation » dresse le portrait de Gurudasi Mondol, jeune paysanne qui, suite à la guerre de libération de 1971, sombre dans la folie lorsque toute sa famille est assassinée sous ses yeux par les Razakars (des collaborateurs pro-Pakistan). Dès les premiers instants, la caméra à l’épaule de Yasmine Kabir suit les pérégrinations de Gurudasi dans les ruelles étroites et chaotiques de Kopilmoni. L’image tremblante met mal à l’aise et suggère la nécessité de filmer cette femme, de retracer son terrible passé. Des chemins de terre au logis de Gurudasi, la cinéaste aime montrer à quel point celle que l’on considère comme la « folle » est devenue une légende dans son village et sa folie lui confère des laissez-passer dans la société bangladaise qu’aucune autre femme n’aurait le droit d’avoir: armée de son bâton, elle frappe les hommes, leur vole de l’argent, leur hurle des injures sans qu’ils n’osent protester. Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, Gurudasi s’expose et s’exhibe, sans aucune gêne, comme seule la folie le permet. Mais plus tard, quand elle se raconte et se dévoile fragilement, la caméra de la documentariste se fixe enfin. C’est une femme blessée et vulnérable qui, sous ses airs d’insoumise, s’offre pudiquement au regard du spectateur. Et pour un instant, la douce folie fait place à une froide lucidité et à une immense tristesse. « A Certain Liberation » traite de la cruauté des Hommes, de la folie d’une femme, et du manque de liberté aussi. Ironie du sort, en sombrant dans la folie, Gurudasi semble avoir symboliquement traversé les frontières de toute soumission.

The Last Rites de Yasmine Kabir

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Troisième et dernier documentaire de Yasmine Kabir présenté dans ce panorama sur le Bangladesh, « The Last Rites » se veut être un poème visuel, une ode muette à ces milliers de travailleurs des chantiers de démolition de navires de Chittagong qui, par leurs efforts physiques, travaillent nuit et jour au milieu des déchets toxiques, des restes de navires, de la poussière d’amiante pour un salaire de misère. Si les deux films précédents s’attachent à raconter l’histoire d’un individu et n’hésitent pas à filmer le personnage (ou sa famille) de près, pour « The Last Rites », Yasmine Kabir reste volontairement distante. L’homme a dès lors perdu son individualité, sa particularité pour ne devenir qu’une masse mouvante et anonyme, un ensemble, une machine. Le son plus dysharmonique que cohérent, renforce le décalage avec l’image et permet une vraie réflexion sur le rapport de force et de pouvoir des uns par rapport aux autres. Visuellement interpellant, « The Last Rites » apparaît dès lors comme une efficace diatribe contre la pensée politico-économique dominante.

The Projectionist de Shaheen Dill-Riaz

Dans le cadre d’un projet pour la télévision allemande, Shaheen Dill-Riaz a réalisé « The Projectionist », un court métrage documentaire sur Rakib, un enfant de 7 ans. Le film retrace une journée de sa vie, du lever au coucher. Partagé entre l’école, la famille et la salle de projection d’un cinéma de quartier où il apprend le métier de projectionniste, il connaît les répliques du grand acteur de Bollywood, Shahrukh Khan par cœur. Et dans la moiteur des soirées bangladaises, la magie du cinéma permet à tout un chacun d’oublier ses problèmes le temps du film. Shaheen Dill-Riaz porte un regard tendre et complice sur Rakib, sans jamais outrepasser les frontières du voyeurisme. Avec subtilité, il arrive à dessiner l’essence d’une enfance en quête de rêves tout en la plaçant dans la plus commune des routines. Un joli pari réussi !

Marie Bergeret

Consultez les fiches techniques de « My Migrant Soul », « A Certain Liberation », « The Last Rites » et « The Projectionist »

P comme The Projectionist

Fiche technique

Synopsis : Dans une petite ville portuaire, Rakib, sept ans, découvre une bobine de film en 35 mm. Il apprend rapidement à faire fonctionner un projecteur et à l’âge de dix ans, il travaille déjà comme projectionniste. Depuis, il jongle entre l’école, le cinéma et son foyer. À la maison, il réussit à garder un esprit enfantin, malgré les conflits permanents entre ses parents et ses frères et sœurs. Par contre, au cinéma, tant que le projecteur tourne, tout va bien. Mais souvent, les bobines s’emmêlent, des pannes d’électricité surviennent et le public se fâche. Or le film doit se poursuivre, sinon ce qui reste de son enfance s’envolera.

Genre : Documentaire

Pays : Allemagne/Bangladesh

Année : 2012

Durée : 29’

Réalisation : Shaheen Dill-Riaz

Directeur de la photo : Shaheen Dill-Riaz

Montage : Andreas Zitzmann

Son : Rebekka Kaufmann

Production : Mayalok Film Production

Article associé : Fenêtre sur le court documentaire bangladais

L comme The Last Rites

Fiche technique

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Synopsis : Ce film muet nous emmène dans les chantiers de démolition de navires à Chittagong. Chaque année, des milliers de personnes à la recherche d’emploi viennent y risquer leur vie, entre poussière d’amiante et déchets toxiques.

Réalisation : Yasmine Kabir

Genre : Documentaire

Pays : Bangladesh

Année : 2008

Durée : 17’

Directeur de la photo : Yasmine Kabir

Montage : Yasmine Kabir

Production : Yasmine Kabir

Article associé : Fenêtre sur le court documentaire bangladais