Gabriel Gauchet : « Même dans les limites, j’arrive à trouver toutes les libertés que je veux »

Dans quelques jours, Gabriel Gauchet présentera « Z1 », en compétition internationale au Festival de Locarno. L’an passé, il y a remporté le Pardino d’or pour « The Mass of Men », que nous vous avons présenté il y a quelques jours sur Format Court. En voyant ce film d’école au dernier Festival de Grenoble où il a obtenu le Grand prix, le Prix du jury presse et une Mention spéciale du jury jeune, nous avons été surpris par l’originalité de son sujet, sa tension palpable et la qualité d’interprétation de ses deux comédiens principaux. Il y a quelques années, nous avions brièvement rencontré Gabriel Gauchet pour un autre film d’école, « Efecto Domino ». À Grenoble, nous l’avons retrouvé, cette fois plus longuement, pour échanger autour de son parcours, de ses intérêts, et de ses envies de cinéma.

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Il y a pas mal de films d’école dans ton parcours. Comment se fait-il que tu aies accumulé les formations ?

C’est une nécessité. Pour faire des films, j’ai dû trouver un moyen pour obtenir des financements. Je me suis renseigné sur les bourses. Comme j’étais trop jeune pour commencer une école de cinéma, j’ai appris les langues africaines et je me suis spécialisé dans le Sénégal. J’ai reçu une bourse pour y aller et grâce à l’argent, j’ai commencé à faire des films là-bas. Ces films, je les ai envoyés en même temps que mon dossier de candidature à l’école de Cologne, la KHM (Kunsthochschule für Medien Köln). J’ai été pris et j’ai pu accéder à tout le matériel et à l’aide que je voulais pour faire de nouveaux films. C’est comme ça que tout a commencé. Après, j’ai reçu d’autres bourses dont une qui m’a permis d’étudier à Cuba. J’ai ainsi pu faire « Efecto Domino » à la Havane.

Quand je suis rentré en Europe, je sentais que ce n’était pas encore le moment de vraiment me lancer dans la profession parce que je me doutais que ça allait durer plusieurs années pour développer un premier film. « Efecto Domino » marchait très bien en festival mais personne n’avait vraiment l’air intéressé de prendre un café avec moi. J’ai donc demandé une autre bourse pour continuer mes études et faire d’autres films. C’est dans le court, un format loin d’être commercial, qu’on peut vraiment expérimenter, trouver la liberté.

Tu penses que tu ne retrouveras pas cette liberté après l’école ?

J’observe beaucoup et je demande à mes amis réalisateurs comment ça se passe pour eux. Ils ont tous des problèmes avec les maisons de production. Dès que tu as le soutien de l’État, on te demande de changer des choses à ton scénario. Les sociétés de production pensent beaucoup à la télévision et ont un standard en tête pour les films. Pour les courts, je pense qu’il ne faudrait pas avoir de standard, mais qu’il faudrait pouvoir raconter qu’on veut, développer les choses dont on a envie. Après tout, on prend moins de risques que sur un long.

Penses-tu que tu feras d’autres courts, après l’école ?

Les courts, ça ne finira jamais. Je vois que mes professeurs font autant de courts que de longs. Ils me disent que si j’ai une idée pour un court, il faut que j’en fasse un. Le film que je viens de finir est un mélange d »horreur et de drame. Ça a été une grande expérience, mais en dehors de l’école, personne ne m’aurait donné la possibilité de le faire, aucune production ne se serait montrée intéressée. On m’aurait dit que c’était un bon pitch, une bonne idée, mais que ça aurait été difficile à produire. La vérité, c’est qu’ils n’aiment pas expérimenter. Tout le monde parle de nouveauté, mais à la fin, personne n’ose, tout le monde a peur. En même temps, je comprends : il y a beaucoup d’argent en jeu et une réputation à tenir.

À Cologne, tu as fait un film plutôt expérimental (« Die Kneipe »), à la Havane, tu as travaillé autour de la violence, le hors champ, la tension, et à la NFTS, tu as pu tenter d’autres choses. Qu’est-ce que les trois formations t’ont apporté ? Sont-elles complémentaires ?

L’école à Cologne est une école d’art, elle n’est pas organisée comme une école de cinéma. À l’époque, on pouvait faire des films comme on voulait. Je pouvais disparaître, faire mon film quelque part, revenir et le montrer aux professeurs. C’est le contraire de la NFTS par exemple où en dix mois, tu tournes trois films et tu développes plusieurs projets et univers différents, ce qui est très difficile à faire. À Cologne, j’ai appris à faire des films comme j’en avais envie. J’ai eu le temps de trouver mon style de me poser des questions au sujet des acteurs. Quand je suis allé à Cuba, j’ai eu de super professeurs. On travaillait tout le temps avec les acteurs, ce qu’on ne faisait pas à Cologne. Tout à coup, j’étais dans la pratique, je n’avais plus peur des comédiens. J’étais amené à jouer des petites scènes, je devenais moi-même acteur, j’expérimentais. J’avais accès aux cinq des plus grands acteurs cubains, c’était un luxe de pouvoir travailler avec des personnes qui savaient ce qu’elles faisaient. Ils comprenaient le scénario, il ne fallait pas tout leur expliquer, on pouvait travailler dans les détails, et au final, la qualité était beaucoup plus élevée. Soudain, j’ai vraiment compris ce que c’était que d’être réalisateur et ce que j’attendais d’un acteur. Ce repère est devenu un standard.

Avant, j’aurais pris le premier acteur venu qui aurait eu envie de jouer dans mon film au lieu de trouver la bonne personne. Pour faire  « The Mass of Men », en Angleterre, on n’a pas trouvé les bons acteurs tout de suite, on a repris nos recherches, on a regardé 4.000 showreels pour trouver les deux acteurs principaux. On en a invité 30 et on a fait un casting avec les gens qu’on avait vraiment envie de voir. Et ça a payé !

« Efecto Domino » et  « The Mass of Men » touchent à la fois aux questions de société, à la tension et à la violence physique et verbale. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette combinaison ?

C’est plus une réaction qu’autre chose. Je lis beaucoup de journaux, j’entends beaucoup d’histoires. Je suis fasciné par la violence parce que j’en ai peur et il m’arrive d’être choqué par les réactions des gens. Parfois, ça me pousse à penser, à faire des recherches. Ça devient un thème, une histoire, puis un film. Ca part souvent d’un choc. Pourquoi les gens se font-ils du mal ? Qu’est-ce qui les pousse à devenir des monstres ? Qu’est-ce que la société fait avec eux ? C’était le cas, par exemple, pour « Efecto Domino ». Je suis parti des limites du machisme et j’ai découvert plein de choses sur la société en écrivant l’histoire et en travaillant avec les acteurs. Pour  « The Mass of Men », c’était la même chose. J’avais des idées et des images de violence et de vengeance en tête que je voulais transposer dans un film. Avec ma compagne, on était fasciné par les évènements à Londres, l’année dernière, et on sentait que notre film avait un rapport avec cela. On commençait à regarder des vidéos sur YouTube et à juger des jeunes qui cassaient la gueule à d’autres jeunes. On sentait qu’ils n’avaient plus rien à perdre. Tout d’un coup, David Cameron a fait un discours qui nous a choqué. Il a réagi à la violence en traitant ces jeunes comme des bêtes, en séparant la société en deux : l’élite qui juge, qui condamne et en face, ceux qui ne peuvent même plus se défendre. Quand on a entendu ce discours, ma copine, Rungano Nyoni, également réalisatrice, m’a proposé de reprendre les mots de David Cameron et de les faire prononcer par une assistante sociale. On a vu que cette transposition marchait et que ça apportait quelque chose de fort au scénario.

Comment avec des idées pareilles, on détermine ce qu’on montre et ce qu’on ne montre pas ? Comment garder le message intact et ne pas se focaliser sur la violence ?

On me demande pourquoi certaines scènes de mes films sont tellement violentes. Volontairement, elles ne sont pas parfaites et je ne montre jamais en détail ce qui se passe. Ce n’est pas comme les films d’horreur qui s’approchent de la pornographie à force de montrer des armes s’introduire dans la peau. Je ne montre pas ce genre de choses, je filme juste un peu avant et après. Je filme surtout des gens témoins de la violence. Ce qui est violent, ce sont les motifs de la violence, pas l’acte physique. Dans  « The Mass of Men », l’acte violent, c’est ce qui se passe entre l’homme et la femme, la façon dont l’assistante sociale traite le demandeur d’emploi.

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Est-ce que tu t’es basé sur des situations réelles pour ces deux films ?

Les personnages de mes films sont toujours liés à des gens que je connais, que j’ai rencontrés dans mes recherches. Je crois que tous les films ont une base réaliste. Les films que je fais sont presque des documentaires. Avec « Efecto Domino », j’écoutais les hommes draguer les filles. Je me suis mis à côté d’eux en toute discrétion et j’ai écrit les phrases qu’ils ont prononcés. Quand j’ai fait le casting, j’ai recherché des gens qui avaient la même énergie, je leur ai expliqué ce que j’avais vu, ce qui me semblait important à savoir et ils se sont montrés très naturels. Souvent, je vois des clichés dans les films, mais je ne sens pas la vie dedans. Il faut savoir de quoi on parle quand on fait du cinéma.

Est-ce que tu as rencontré des limites à l’école ?

Je me bats toujours pour faire ce que je veux. Je pousse, j’essaye d’avoir plus. Les limites, c’est l’argent et les jours de tournage. Mais même dans les limites, j’arrive à trouver toutes les libertés que je veux. Personne ne peut rien dire. Par exemple, mes professeurs n’ont pas aimé  « The Mass of Men » mais je l’ai quand même fait.

Pourquoi ?

On m’a dit que ça allait justifier la violence. J’ai dit que ça l’expliquait, que ça ne la justifiait pas. L’école ne peut pas mettre son veto, c’est ça qui est beau à la NFTS. À la fin, quand j’ai présenté le film, presque tous les professeurs étaient touchés alors qu’ils n’y avaient pas cru au début et que tout le monde me dissuadait de le faire.

Peux-tu me parler de ton dernier film, « Z1 » ?

C’est mon film de fin d’études à la NFTS. Il s’agit d’une histoire classique qui mélange la violence familiale avec des éléments d’horreur et de fantastique. On m’a dit à l’école que je ne pouvais pas mélanger les genres, alors je me suis à nouveau entêté ! Il faut être têtu parce que dès que tu as des idées anormales, un peu différentes, les gens ont du mal à s’imaginer, à se projeter.

Tu vises une nouvelle école après la NFTS ?

Non, là, c’est fini ! Maintenant, on me donne l’impression que ça va marcher. J’ai rencontré un producteur français, Julien Berlan, qui a travaillé sur « Rubber » et qui s’intéresse à moi. J’ai l’impression que ça va être un bon partenaire. Il va être très têtu, moi aussi ! On est optimiste, on espère que ça va marcher, qu’on va pouvoir faire un film ensemble. J’ai des idées que j’aimerais bien réaliser un jour. J’ai envie de faire des films intéressants qui poussent à la réflexion, comme mes précédents courts. Les réactions en salle ont toujours été assez fortes, et je veux retrouver la même chose dans mes prochains films.

Propos recueillis par Katia Bayer

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