Synopsis : Un jardin fait le bonheur et l’épanouissement d’un vieux jardinier. Le jardin ne lui appartient plus mais il se sent toujours comme chez lui. Il communique avec le jardin qui lui répond, lui offrant un refuge et une riche récolte.
Ce jeudi 8 décembre 2016, à 20h30, Format Court organise sa dernière soirée de l’année au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Cinq courts-métrages français et étrangers (Belgique, Royaume-Uni, Suède, Lettonie) sélectionnés et primés en festivals, dont pas moins de trois Prix Format Court récemment attribués par notre équipe, seront projetés à cette occasion : « Ennemis intérieurs » de Sélim Azzazi, « Totems » de Paul Jadoul, « Darznieks » (The gardener) de Madara Dišlere, « Hopptornet » (Ten Meter Tower) de Maximilien Van Aertryck et Axel Danielson, « Manoman » de Simon Cartwright.
Nos invités, ce soir-là, seront Arthur Lemasson, sélectionneur au Festival de Brest et l’équipe du film « Ennemis intérieurs », réalisé par Sélim Azzazi, Prix Format Court au dernier Festival de Villeurbanne & Short listé aux Oscars 2017.
Enfin, deux exposition de dessins et croquis préparatoires vous seront également proposées autour de « Totems » de Paul Jadoul (en sélection nationale au prochain Festival de Clermont-Ferrand) et de « Manoman » de Simon Cartwright (Prix Format Court au Festival Court Métrange 2016).
Soyez au rendez-vous !
En pratique
– Projection : 20h30, accueil : 20h
– Durée de la séance : 84′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
– Evenement Facebook – Entrée : 6,50 €
– Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com – Prochaine séance : jeudi 12 janvier 2017 (séance anniversaire !)
Après la sélection labo et avant l’internationale , voici les films qui feront partie de la sélection nationale du prochain Festival de Clermont-Ferrand. 60 films la composent. Voici lesquels.
Films sélectionnés
À la chasse de Akihiro Hata
L’âge des sirènes de Héloïse Pelloquet
Alphonse s’égare de Catherine Buffat, Jean-Luc Gréco
Animal de Jules Janaud, Fabrice Le Nezet
Les animaux domestiques de Jean Lecointre
Après de Wissam Charaf
Asphalte de Lisa Matuszak
Au loin, Baltimore de Lola Quivoron
Baby Love de Nathalie Najem
Bêlons de El Mehdi Azzam
Blind Sex de Sarah Santamaria-Mertens
The Brother de Léa Triboulet
Le bruit du gris de Stéphane Aubier, Vincent Patar
Cabane de Simon Guélat
Ce qui nous éloigne de Hu Wei Chasse royale de Lise Akoka et Romane Gueret
Children de Paul Mas
Cinq nuits de Guillaume Orignac
Les corps interdits de Jérémie Reichenbach
Des résidus analytiques de Jon Boutin
Dirty South de Olivier Strauss
Du plomb pour les bêtes de Theodore Sanchez
The Empty (La chambre vide) de Dahee Jeong
En cordée de Matthieu Vigneau
L’enfance d’un chef de Antoine de Bary
Estate de Ronny Trocker
Et ta prostate, ça va ? de Jeanne Paturle, Cécile Rousset
Et toujours nous marcherons de Jonathan Millet
Féfé limbé de Julien Silloray
Le film de l’été de Emmanuel Marre
Fox-terrier de Hubert Charuel
Garden Party de Florian Babikian, Vincent Bayoux, Victor Caire, Théophile Dufresne, Gabriel Grapperon, Lucas Navarro
Goût Bacon de Emma Benestan
Guillaume à la dérive de Sylvain Dieuaide
Herculanum de Arthur Cahn
I Made You, I Kill You de Alexandru Petru Badelita
I Want Pluto to Be a Planet Again de Marie Amachoukeli, Vladimir Mavounia-Kouka
Je les aime tous de Guillaume Kozakiewiez Journal animé de Donato Sansone
Koropa de Laura Henno
Kymco de Marine Feuillade, Maxence Stamadiatis
La laine sur le dos de Lotfi Achour
Lokoza de Isabelle Mayor, Zee Ntuli
Marie salope de Jordi Périno
Mars IV de Guillaume Rieu
Les misérables de Ladj Ly
Oh oh chéri de Lola Roqueplo
Olga de Maxime Bruneel
Panthéon Discount de Stéphan Castang
Le petit de Lorenzo Bianchi
Pouvez-vous boiter ? de Petra Szocs
Que vive l’Empereur de Aude Léa Rapin
Rase campagne de Pierre-Emmanuel Urcun
La république des enchanteurs de Fanny Liatard, Jérémy Trouilh
Rhapsody In Blueberry de Gaëlle Denis
Le sens des choses de Frédéric Radepont
Sophiloscope de Daisy Sadler
Ta bouche mon paradis de Emilie Aussel
Totems de Paul Jadoul
Un ciel bleu presque parfait de Quarxx
Le couple de cinéastes Jonathan Vinel et Caroline Poggi nous donne de ses nouvelles au travers d’un clip réalisé pour le groupe Grand Blanc. Des années après leur détonnant moyen-métrage « Tant qu’il nous reste des fusils à pompes » et après avoir livré cette année un nouvel opus tout aussi puissant, « Notre héritage », ils prolongent avec ce clip l’exploration d’un imaginaire adolescent qui leur est propre. Avec cette déambulation nocturne dans les rues désertes d’une ville de campagne, l’apparition de quelques fétiches autour desquels s’agrège progressivement un petit groupe de jeunes garçons et filles désœuvrés, ce très court-métrage parvient à concentrer un grand nombre d’éléments qui font la singularité des réalisations du couple. La musique lancinante de Grand Blanc se met au diapason des images de Poggi et de Vinel, et leur mariage fait gonfler, le temps d’une chanson, une bulle de « Tendresse » absolument bouleversante.
Nous avons appris dimanche dernier la disparition de l’acteur Nicolas Granger, à l’âge de 40 ans. Après une importante carrière théâtrale étalée sur vingt ans, au cours desquels il avait notamment collaboré avec le metteur en scène Pascal Rambert, il s’était illustré ces dernières années dans plusieurs courts-métrages qui ont marqué la production française, en particulier les films « Peine perdue » d’Arthur Harari et « Il est des nôtres » de Jean-Christophe Meurisse. Ces deux films, projetés lors de la onzième édition des Rencontres du moyen-métrage de Brive en 2014, avaient remporté de nombreuses récompenses, dont le Prix Format Court que nous avions alors attribué au film d’Harari.
C’est peu dire que la performance de Nicolas Granger avait fortement conditionné notre décision à l’époque. Au milieu d’une belle distribution, qui réunissait également le jeune Lucas Harari en dragueur mal assuré et la surprenante Émilie Brisavoine en citadine farouche, il campait avec une fébrilité bouleversante le personnage de Rodolphe, vieux rapace revenu de tout mais désireux d’entraîner dans son sillage quelques proies bien choisies pour un dernier tour de piste. S’orchestrait alors une valse des désirs entre tous les protagonistes du film, qui se mouvaient au gré des humeurs du personnage de Rodolphe, sans qu’à aucun moment l’on ne soit en mesure de discerner ses intentions véritables. Le récit d’initiation que dessinait le film avec la trajectoire du jeune Alex (Lucas Harari) dont semble se jouer tout du long l’imprévisible Rodolphe se laissait progressivement contaminer par autre chose, une mélancolie profonde qu’apportait le jeu, et en particulier le regard de Nicolas Granger. La séquence finale, qui voit les deux hommes échouer sur un îlot perdu au milieu d’un lac et de la végétation, faisait culminer ce sentiment à travers un échange de regards silencieux où le couple de dragueurs un peu minables finissait par se contempler en miroir l’un de l’autre. L’on comprenait alors que, moins qu’une initiation à la dureté de la drague, c’était bien le parcours de la peine que traçait le récit du film et que le personnage de Rodolphe s’était donné pour mission de faire traverser au jeune Alex avant de s’abandonner pour de bon sur cette île.
Nous avions appris auprès d’Arthur Harari que les rôles avaient été largement influencés par les différents acteurs du film, qu’ils avaient été nourris par leurs gestes, leurs dictions, leurs vécus. On ne saurait dès lors dénouer complètement la part de fiction, de « vrai » et de « faux » dans le déchirant monologue que délivrait Granger sur la barque sous le regard médusé de Lucas Harari, le récit d’une vie faite de marginalisation progressive, d’ivresses que l’on partage en groupe puis d’errances en solitaire. Ce genre de scènes où la définition du jeu se brouille suffisamment pour lui permettre d’atteindre son expression la plus forte, la plus nue, fut salué par beaucoup et distingué en son temps (le prix d’interprétation masculine de l’ultime édition du Festival de Vendôme fut remis à Nicolas Granger pour ce rôle). Alors que se rappelle à notre souvenir cette magnifique composition, nous ne pouvons que déplorer davantage la perte de l’une des plus belles révélations que nous avait récemment offert le milieu du court-métrage. Nicolas Granger aura tout de même eu le temps de croiser la route d’autres cinéastes avant sa disparition, notamment d’Emmanuel Finkiel qui l’avait recruté pour son nouveau long-métrage inspiré de Marguerite Duras, « La douleur », ainsi que Doris Lanzmann, jeune réalisatrice que nous découvrions au premier workshop de pitchs à Brive lors de la même édition qui révéla Granger dans les films d’Harari et de Meurisse.
Parmi les jeunes réalisatrices actuelles, l’Israélienne Or Sinai, diplômée de l’École Sam Spiegel de Jérusalem, nous intéresse particulièrement. Son film de fin d’études « Anna » a fait ses débuts à la Cinéfondation (Cannes) en mai dernier où il a gagné le Premier Prix. Un mois plus tard, il obtenait le Prix Format Court au Festival de films d’écoles de Tel Aviv. Ce portrait de femme cherchant à combler sa solitude accumule les sélections dans les festivals actuels et vient d’obtenir le Grand Prix du Jury au Poitiers Film Festival ce weekend. En octobre, Or Sinai était invitée à Paris pour présenter son film à l’occasion de la reprise de nos séances au Studio des Ursulines. Entretien autour de l’art intense, du mystère court, du monteur incontournable et de l’importance des femmes.
Pourquoi as-tu voulu étudier le cinéma et aller à l’École Sam Spiegel de Jérusalem ?
Je ne savais pas quoi étudier. Je ne fais pas partie de ces gens qui ont su dès l’âge de cinq ans qu’ils deviendraient réalisateurs. Je pensais étudier la psychologie, alors je me suis inscrite en psychologie dans toutes les universités d’Israël, mais au fond de moi j’avais cette crainte qu’en allant à l’université, mon côté créatif dépérirait. Petite, j’avais déjà pour habitude d’écrire, j’avais suivi des cours de théâtre, et à l’âge de 14 ans, j’avais une caméra. J’expérimentais des choses et puis, j’ai réalisé que le cinéma pouvait être bien pour moi car c’était une combinaison de toutes ces choses que j’aimais faire. Par chance, un ami m’a parlé de l’école Sam Spiegel, cela paraissait difficile et attirant à la fois car j’ai pris cela comme un challenge. J’ai décidé d’essayer et je n’ai postulé qu’à cette école. Je me suis dit : « si je réussis, tant mieux, et si je ne réussi pas, tant pis ».
Pourquoi voulais-tu étudier la psychologie ?
Ça m’intéresse beaucoup car depuis toute petite, j’aime soigner les gens, parler de leur vie et de leurs histoires.
Qu’écrivais-tu et que filmais-tu ?
Avec mes amis, on a fait quelques courts métrages, des films d’adolescents un peu stupides. C’était pour moi une manière d’expérimenter mais je ne m’en rendais pas compte à ce moment-là. C’était juste un truc marrant, j’écrivais aussi des nouvelles et mes pensées. C’était une façon de m’exprimer. J’ai toujours la sensation de mieux réfléchir lorsque j’écris, mais je ne réalisais pas que tout cela était lié.
Tu as mentionné un ami qui t’a parlé de l’école Sam Spiegel. Pourquoi cette école en particulier ?
Vivre à Jérusalem m’intéressait, mais ce n’était pas la raison de mon choix. J’avais entendu dire que cette école était très intense et difficile. J’aime les choses intenses, je suppose que j’ai fait ce choix parce que j’étais plus jeune et que je me disais que c’était comme ça qu’il fallait étudier l’art : intensément.
Avais-tu déjà vu des films de cette école ?
Seulement après. C’est drôle car au moment des premiers tests, on doit envoyer des histoires et des photos qu’on a prises. Ensuite, on est convoqué à un entretien. Lorsqu’on m’a annoncé que je devais m’y présenter, j’avais tellement peur qu’on me pose des questions sur des réalisateurs et des films que j’ai regardé plein de films en l’espace de deux semaines ! C’est seulement après avoir intégré l’école que je suis allée à des projections.
Quelle était ta conception du court métrage avant d’intégrer cette école ?
Je n’en avais aucune. C’était un peu un mystère. Je ne savais même pas vraiment ce que j’allais étudier dans une école de cinéma. Je l’ai découvert sur place.
À l’école, j’ai étudié des choses techniques : comment écrire un scénario, qu’est ce qui peut se passer ou ne doit pas se passer dans un scénario de court, ce que devrait être une histoire courte dans laquelle il ne faut pas vouloir tout raconter. J’ai aussi étudié le montage, la photographie, le travail avec les acteurs, … .
Est-ce à partir du film « Two » que tu as trouvé une façon d’exprimer ta sensibilité et ton point de vue en tant que femme ?
« Two » est le seul film que j’ai fait tel que le préconisait l’école et j’ai réalisé « Violeta », mon documentaire, toute seule. L’école se concentre sur la fiction et ne s’intéresse pas vraiment au documentaire. C’est en train de changer mais je ne saurais pas dire pourquoi. J’ai donc fait ce documentaire avec l’aide d’un de mes professeurs, mais le directeur de l’école ne l’a vu qu’une fois terminé, afin que je ne sois pas interrompue, et cela a été bénéfique pour moi. Car quand ils s’immiscent dans la réalisation d’un film, ils vous embrouillent. En tant que monteuse, j’ai vu plein de fois des réalisateurs abandonner des éléments très importants, l’âme du film. Peut-être que ces choses ne sont pas très importantes pour l’histoire mais ils abandonnent parce que l’école exerce une forme de pression sur eux, et le film devient un autre film.
Tu as donc monté uniquement des films d’école ?
Non, je fais beaucoup de montage, pour des émissions télévisées ou des documentaires.
Est-ce quelque chose tu vois également en dehors de l’école, cette élimination d’images importantes ?
Bien sûr, et c’est toujours très déroutant, mais je pense que le monteur doit prendre soin du réalisateur, faire attention à ce qu’il ne perde pas ce qui lui semble le plus important.
Est-ce toi qui fait le montage de tes films ?
Non, je ne peux pas. Lorsque je monte mes propres films, soudainement, je ne sais plus monter…
Peut-être est-ce trop personnel.
Peut-être. Pour « Anna », j’avais une très bonne monteuse (Noy Barak). J’ai joué avec le matériel mais je ne faisais jamais rien sans elle.
Pourquoi as-tu décidé de te diriger vers le montage ?
En Israël, tout est réuni mais divisé entre les réalisateurs et les producteurs. En tant que réalisateur, on étudie un peu tout, et on décide après la première année ce qu’on veut faire.
Quand j’ai commencé mes études, j’ai découvert que le montage était quelque chose que je faisais instinctivement. J’aimais ça.
Et que penses-tu avoir appris dans cette école ? Que gardes-tu en tête ?
J’ai tout appris car je ne savais rien. J’ai regardé énormément de films, étudié les classiques et le langage du cinéma. Je pense que la chose la plus importante que j’ai apprise est comment raconter une histoire, car je ne le savais vraiment pas avant.
Est-ce que cela t’aide à écrire actuellement ton long métrage ?
Oui bien sur, parce que dans mon école il y a beaucoup de pratique, on fait nos propres films mais on travaille aussi sur ceux de nos amis, sur les castings, la production ou autre chose. On gagne en expérience, ça aide beaucoup.
Les personnes que tu y as rencontrées sont-elles celles avec lesquelles tu vas travailler ? L’équipe technique du tournage par exemple ?
Le directeur de la photographie (Saar Mizrahi) et la monteuse qui ont travaillé sur « Anna », je les emmènerai partout avec moi, c’est sûr ! C’est drôle de sentir qu’on grandit ensemble !
Après l’école, beaucoup de gens peuvent engager des directeurs de la photographie ou des monteurs plus expérimentés mais je souhaite vraiment rester avec eux car on s’offre beaucoup mutuellement. On découvre des choses ensemble et je pense que cela apporte beaucoup au film.
Lorsqu’on sort d’école en Israël, est-ce facile de faire d’autres courts métrages ?
Ce n’est pas facile car il n’existe que deux fonds qui distribuent des aides aux courts métrages qui ne sont pas des films d’étudiants, et c’est très difficile de les obtenir. Il n’y a pas comme en France de chaînes de télévision qui diffusent des courts.
Il n’y a pas de courts métrages diffusés à la télévision en Israël ?
Non.
On ne peut donc les voir qu’en festivals ?
Oui.
Cela signifie que tu ne peux toucher un large public qu’en faisant des longs métrages ?
Oui.
Est-ce une des raisons pour lesquelles tu veux faire un long métrage aujourd’hui ?
En fait, j’espère faire quelques courts métrages avant le long car ça va prendre pas mal de temps.
Concernant le fond de tes films, plus particulièrement dans « Anna », tu sembles avoir un intérêt particulier pour la solitude et l’expérience du désir. Est-ce quelque chose que tu souhaites améliorer dans de futurs courts ou un long métrage ?
Avant tout, je pense que je ne peux rien raconter d’autre que des histoires féminines, ensuite, je pense que c’est important parce qu’il y a beaucoup moins de personnages féminins au cinéma, et sans vraiment savoir pourquoi, la solitude est un sujet que je traite sans arrêt. C’est drôle car il y a quelques mois, j’ai retrouvé une boîte avec des carnets qui datent de mon enfance. Vers 13-14 ans, à l’époque où je les ai commencés, j’écrivais sur la solitude et les difficultés alors que je n’ai jamais été seule. J’ai deux frères et une sœur, nous sommes une grande famille, j’ai toujours eu des amis, mais pour une raison que j’ignore, la solitude est toujours présente. Les immigrés sont aussi un sujet que j’aime traiter mais je ne saurais pas vraiment dire pourquoi. J’ai cette attirance pour les personnages immigrés parce que j’ai la sensation qu’ils ne sont pas à leur place. On doit tous gérer pas mal de choses, mais pour eux c’est un combat encore plus difficile.
En fait, si je comprends bien, tu t’intéresses aux minorités. En tant que femme et réalisatrice, tu as une responsabilité, une voix, tu racontes les histoires que tu veux et qui te semblent importantes.
Oui, et les problèmes propres aux femmes, je les vis. C’est donc important pour moi d’en parler. J’ai toujours été très proche de ma mère, on a une relation très spéciale et elle me disait toujours qu’elle avait eu une enfance malheureuse et elle m’en parlait beaucoup. Quand j’étais enfant, je trouvais ça génial que ma mère me parle de tout ça. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’était trop et à cause de ça, je ressens le besoin de raconter ses histoires dans mes films.
C’est étrange car dans ma vie, ça ne se passe pas comme ça, mais c’est comme si ses histoires étaient devenues les miennes. J’ai comme un besoin de les raconter et de faire face à ce genre de choses. C’est inconscient, mais elle est toujours tellement hantée par ces histoires que je ressens le besoin de la libérer. C’est drôle car lorsqu’elle a vu « Two », même si c’est très abstrait, elle m’a demandé d’où me venait cette histoire. Je lui ai répondu ; « Mais c’est à propos de toi ! ». Elle n’avait pas remarqué du tout ! On a filmé « Anna » dans une petite ville où ses grand-parents ont vécu mais je ne le savais pas. J’ai cherché dans tout le sud d’Israël et j’ai senti que c’était le meilleur endroit, un endroit très cinématographique. L’usine où elle travaille au début du film est aussi quelque chose qui appartient au passé familial. Ma mère se rappelle de sa mère en train de coudre. Quand sa sœur et elle ont vu le film, ça leur a rappelé beaucoup de choses, mais j’ai pris toutes ces décisions par instinct, je n’avais pas conscience des connexions avec notre famille.
Pourquoi avoir choisi Evgenia Dodina, une actrice très connue en Israël, pouvant jouer aussi bien une femme forte que fragile, pour interpréter Anna ?
Je pense que j’ai voulu travailler avec elle car je la regardais et l’admirais depuis mon enfance. Je pense qu’elle avait envie de participer au film et que ça l’intéressait parce que c’était différent de ce qu’elle avait l’habitude de jouer. Elle joue d’habitude des rôles de femmes fortes qui ne montrent pas leurs émotions, plus particulièrement au théâtre. J’ai pensé que ce serait intéressant de faire quelque chose de différent avec elle, d’essayer d’en faire une femme simple. C’est une femme très belle. On ne peut pas vraiment en faire un personnage laid, mais on peut essayer de la montrer différemment, sans qu’elle soit trop consciente de son apparence.
Pendant ton cursus scolaire, tu as réalisé « Violeta, mi vida », un portrait de femme vivant en Israël qui n’a rien d’une héroïne : celui d’une femme de ménage dont la plus jeune fille a une maladie des os. Pourquoi as-tu voulu filmer cette femme en particulier et faire de son histoire un documentaire plutôt qu’une fiction ?
Lorsque j’ai rencontré Debora, cette mère de famille, je suis immédiatement tombée amoureuse car elle est spéciale et drôle. Je cherchais un sujet pour un exercice d’école et quand je l’ai rencontrée, j’ai commencé à la filmer. J’ai réalisé qu’il y avait bien plus de matière, que ce n’était pas qu’un exercice et j’ai su dès notre première rencontre que je voulais la filmer car nous nous sommes ouvertes l’une à l’autre. Elle parlait de choses dont je me sens vraiment proche comme la maternité et le sacrifice à l’égard d’un enfant. Sa relation avec sa fille Violeta est très belle et ça se voyait tout de suite. Elles sont drôles et à la fois mère et fille l’une pour l’autre. J’ai donc commencé à les filmer et tout s’est passé très vite. Je les ai rencontrées deux mois avant la bat mitzvah de Violeta, j’ai donc tout de suite réalisé que mon histoire se tenait là et qu’il fallait que je les filme sur cette période. À vrai dire, Debora est si intéressante que je pense pouvoir écrire beaucoup d’histoires sur elle, elle m’émerveille. Elle a des millions d’histoires comme celle qui m’a fait écrire « Anna ». Mon film s’inspire d’elle mais lorsque j’ai commencé à écrire, c’est devenu un mélange entre elle et moi.
Tu as commencé l’école il y a sept ans. Tu sembles avoir changé entre la réalisation de « Two », celle de « Violeta » puis celle de « Anna ». Penses-tu te découvrir à travers tes films ?
J’ai compris ce qui m’intéressait avec le temps. Un très bon ami me dit toujours qu’on voit que je grandis à travers chaque film.
Si la télévision ne diffuse pas de courts et que tes films ne peuvent être vus qu’en festivals, comment peut-on voir un film comme « Violeta », un documentaire de cinquante minutes ?
« Violeta » est différent car une chaîne documentaire l’a beaucoup diffusé, encore jusqu’à maintenant.
« Anna » fait le tour des festivals et gagne plein de prix. Il a fait ses débuts à la Cinéfondation, à Cannes. Comment l’as-tu vécu ?
J’essaye de me dire que tout cela fait partie d’un processus, de mon processus. Depuis que j’ai commencé, chaque film constitue une étape. Concernant « Anna », ce qui est drôle, c’est que j’ai travaillé très dur pour ce film et que lors de la première projection, il y a un an au Festival de Haïfa, en Israël, nous n’avons rien remporté. J’ai pensé que le film n’irait pas dans d’autres festivals et que sa carrière ne serait pas si bonne. C’était vraiment déprimant après avoir travaillé si dur mais après quelques temps, je me suis dit très sincèrement que ce film était une étape très importante de mon processus et que j’avais appris énormément de choses en le réalisant, que je l’aimais et puis que c’était tout; cela suffisait, même si il ne voyageait pas. Ensuite il y a eu Cannes. C’était génial mais aujourd’hui, je ressens toujours la même chose. Bien sûr c’est fantastique d’avoir toutes ces sélections à la suite de Cannes, et ça sera plus facile pour faire un long-métrage, mais je pense que j’ai besoin de continuer à travailler par petites étapes. Aujourd’hui, je suis un peu perdue avec tout ça, j’oscille entre deux idées de projets mais ça me va. C’était comme ça avant « Anna » aussi. Maintenant je me dis que j’ai mon premier long en face de moi, que c’est important. Je me demande quelle en sera l’histoire, mais quand j’ai fait « Anna » je ressentais la même chose, je me disais que c’était mon film de fin d’études, que c’était aussi quelque chose de important…
« Anna » est un film plein de détails. Est-ce quelque chose de conscient au moment de l’écriture et du tournage ou quelque chose qui se décide au moment du montage ?
Je pense que quand j’écris, ce qui m’aide le plus c’est simplement de m’imaginer ce qui se passerait si j’étais à la place des personnages. Des petites choses me viennent, par exemple, je m’imagine faire ceci ou cela avant d’ouvrir la porte quand quelqu’un est à l’intérieur, et je pense que quand j’écris, tout est déjà là. Aussi, lorsque j’écris une scène de sexe, je l’écris parfois de façon très générale et ensuite je n’arrive pas à la mettre en scène parce que c’est trop abstrait. Finalement, je l’imagine, comme toutes ces choses qui se produisent dans la vie, comme le moment où Anna se retrouve coincée dans sa robe et n’arrive pas à l’enlever. J’aime imaginer ce genre de choses parce que ça semble plus réel.
Penses-tu que les femmes ne sont pas assez considérées dans le cinéma israélien ?
Je pense que c’est en train de changer et qu’il y a une vague de réalisatrices douées, des jeunes femmes comme Yaelle Kayam, Talya Lavie et d’autres. Mais avant il y avait surtout des hommes, c’est pour ça que je pense que c’est important de raconter des histoires sur les femmes. Quand je travaillais sur « Anna », je faisais des projections-tests et les hommes réagissaient étrangement face au film. Beaucoup d’entre eux n’aimaient vraiment pas son personnage, ils ne la comprenaient pas. Ils se demandaient pourquoi elle ne flirtait pas, pourquoi elle n’était pas féminine, … . Pour moi, c’était intéressant parce que c’est exactement ce que je voulais faire, montrer des femmes sous un autre angle, parce qu’il existe en effet des femmes qui ne recherchent que du sexe et qu’il y a des femmes fortes, et que c’est important de le montrer.
Pourquoi était-ce important d’avoir l’avis des hommes ?
Parce que je pense que c’est important d’avoir les deux points de vue. Je savais que les femmes aimeraient davantage mon film mais je voulais savoir ce que les hommes ressentiraient et en fait, quand on travaille sur un film, on veut que tout le monde l’aime. Mais maintenant, j’ai des supers retours d’hommes. Certains m’ont dit que c’était très courageux car le film traite de la solitude. Il nous arrive à tous de se sentir seul et « Anna » en parle de façon très directe.
Tu disais qu’avant d’intégrer l’école tu ne savais pas ce qu’était un court métrage et aujourd’hui, tu dis vouloir en réaliser d’autres. Qu’est-ce qu’un court métrage pour toi désormais ? Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce format ?
J’aime le court métrage parce que c’est très précis, que rien ne détourne votre attention et aussi parce que ça peut être très petit. J’adore les petites histoires bien plus que les grandes.
Qu’est-ce qu’une petite histoire ?
Dans un court métrage, tout peut être petit. Par exemple, Anna, c’est une femme qui cherche un partenaire sexuel, le film traite d’une journée dans sa vie. C’est ça l’histoire et c’est très simple. Je pense que ce genre d’histoires, parce qu’elles sont petites et peu dramatiques, peuvent contenir beaucoup de choses et être très riches de sens.
En compétition internationale au Festival Court Métrange 2016, « A Coat Made Dark », film d’animation irlandais réalisé par Jack O’Shea et produit par Still Films, en tous points insolite et captivant, met en scène deux cambrioleurs devenus riches après avoir dérobé un manteau mystérieux dont les poches renferment une fortune considérable. Le film, que l’on peut voir comme une illustration du mal parvient pourtant, à travers ses personnages atypiques et ambivalents, à en proposer une vision positive.
Les personnages, à défaut d’être des héros, écopent d’emblée d’une obscurité que relaye l’esthétique du film. Ainsi cette illustration de la notion du mal passe d’abord par l’aspect formel et en particulier par des éléments du genre fantastique tels que cette couleur noire qui envahit souvent le cadre et ne laisse la place qu’aux personnages, eux-mêmes souvent très sombres. Un contraste se fait ensuite avec la découverte du manteau, d’un rouge vif et piquant, il vient rajouter à l’étrange un fort sentiment d’angoisse.
Une esthétique formelle d’une qualité remarquable, qui prend sens avec cette histoire sombre de domination et de pouvoir entre un chien et un homme. Un jeu de domination qui se voit poussé à l’extrême avec un manteau mystérieux. Le réalisateur construit, dès lors, des personnages complexes qui font preuve d’une certaine ambivalence, ce qui lui permet de dresser une vision positive de cette notion du mal.
Cette construction dramaturgique particulière a le mérite aussi d’illustrer un sentiment presque morbide d’interdépendance entre deux personnages diamétralement opposés : un homme ingénu et un chien anthropomorphe d’une grande avidité. Leur relation que scelle le manteau, sonne comme une erreur de parcours que les mots de l’homme (« I don’t know how I ended up with just him as company »), soulignent. Une erreur de parcours qui, rapidement, prend la forme d’un cauchemar déconcertant. Lorsque le chien se laisse tenter par la fortune du manteau en y plongeant sa main au fond d’une des poches, le réalisateur fait le choix de la répétition du geste et de l’accumulation. Par milliers, des pièces d’argent dorées formant comme une galaxie s’amoncellent sur un fond noir et créent un effet hypnotique qui confirment l’idée du cauchemar. Dès lors, l’aspect étrange de leur relation nous apparaît tout à fait cohérent.
Jack O’Shea, jeune réalisateur irlandais, illustre dans son film, avec un certain humour noir, les vices humains, mais tente surtout de sortir d’un discours manichéen trop souvent présent dans une certaine tendance du cinéma, disons à grand public. Il a à cœur d’interpeller son spectateur par l’étrange et le fantastique en lui proposant un récit sombrement loufoque et criant de vérité. Ici, ce qui semble mauvais a priori ne l’est pas totalement et inversement. C’est cette nuance qui permet de saisir, qui plus est par l’animation, une réalité du monde plus juste.
La 39e édition du Festival international du Court Métrage se déroulera à Clermont-Ferrand, du 3 au 11 février 2017. Trois compétitions (Internationale, Nationale et Labo) réuniront une sélection très restreinte parmi les près de 8.000 films reçus de tous pays.
La compétition Labo, qui distingue les courts métrages les plus aventureux formellement, est la première à être dévoilée avec 30 films et 17 nationalités représentés. Parmi ceux-ci, le nouveau court de Andrew Kavanagh (Australie), de Ondrej Svadlena (France, République tchèque), de Réka Bucsi (Hongrie, France) et de Jonas Odell (Suède), des auteurs qu’on aime bien à Format Court.
Pour info, le formidable court-métrage « Hopptornet » de Axel Danielson et Maximilien van Aertryck (Suède) sera diffusé avant le festival, à l’occasion de la prochaine séance Format Court, organisée le jeudi 8 décembre 2016 à 20h30 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).
Films en sélection
Kaltes Tal de Florian Fischer, Johannes Krell, Allemagne
Kaputt de Alexander Lahl, Volker Schlechtv Allemagne
Personne de Christoph Girardet, Matthias Müller, Allemagne
United Interest de Tim Weimann, Allemagne
Welcome Home Allen de Andrew Kavanagh, Australie
Desert Bloom de Florian Kindlinger, Peter Kutin, Autriche, Etats-Unis
Play Boys de Vincent Lynen, Belgique
The Unnatural de Marcos Sanchez, Chili
Shit de Yong Zeng, Chine
Killing Klaus Kinski de Spiros Stathoulopoulos, Colombie
Det Sjunkne Kloster de Michael Panduro, Danemark
489 années de Hayoun Kwon, France
L’exilé du temps de Isabelle Putod, France
Film, Beyonder III de Pierre Feytis, France
For real tho de Baptist Penetticobra, France
Immagine de Gérard Cairaschi France
Lupsus de Carlos Gomez Salamanca, France , Colombie Decorado de Alberto Vazquez, France, Espagne
A Brief History of Princess X de Gabriel Abrantes France, Portugal
Time Rodent de Ondrej Svadlena, France, République tchèque
Johnno’s Dead de Chris Shepherd, France, Royaume-Uni
Love de Réka Bucsi, Hongrie, France
On the Origin of Fear de Prihantoro Filemon Bayu, Indonésie
Green Screen Gringo de Douwe Dijkstra, Pays-Bas
The Dockworker’s Dream de Bill Morrison, Portugal, Etats-Unis
Sit and Watch de Matthew Barton, Francisco Forbes Francisco, Royaume-Uni
This Far Up de Ewan Morrison, Royaume-Uni
Thought Broadcasting de Nick Jordan, Royaume-Uni
Hopptornet de Axel Danielson, Maximilien van Aertryck, Suède
Jag var en vinnare de Jonas Odell, Suède
Fin octobre, Montpellier accueillait le Festival de cinéma méditerranéen Cinemed. De très nombreux courts-métrages figuraient au programme de cette 38ème édition. Parmi eux, un certain nombre de films récents, passés pour certains par Cannes 2016, mais aussi quelques raretés issues du catalogue de la Cinémathèque Française. Pour la première fois, Format Court suivait les programmes courts et vous en propose, un mois plus tard, une sélection de films brillants, d’autres beaucoup plus ternes.
Talents en court, Panorama, Filmer en région
Commençons par les séances parallèles, toujours moins exposées que celles se rapportant aux films en compétition. « Le Bleu Blanc Rouge de mes cheveux » de Josza Anjembe, un premier court de fiction issu de la section « Talents en court » raconte l’histoire de Seyna, une jeune fille d’origine camerounaise passant le bac avec succès et aspirant à tout prix à devenir française, en dépit du refus viscéral de son père. Un film tout simple à la croisée des cultures, entre conflit de générations, frustration et espoir, cadre et hors cadre, porté par une jeune comédienne à suivre, Grace Seri, dont le jeu et les grands yeux nous attrapent et ne nous lâchent pas.
En panorama, quatre films ont pour point commun la sobriété de leur mise en scène et le jeu passionnant de leurs actrices. Tout d’abord, « Renaître » de Jean-François Ravagnan, qui avait obtenu notre Prix Format Court au Festival de Namur l’an passé et dont le visuel a servi d’affiche au Festival Cinemed cette année. Ce premier film de fiction, tourné entre la Belgique et la Tunisie, scénarise des thèmes aussi souvent abordés que le désir, l’amour et le sexe, mais à travers la question du choix et du point de vue féminin. Intense, le film est porté par une Nailia Harzoune belle et libre à la fois.
« El Adiós » de Clara Roquet (Espagne, États-Unis) est le portrait de Rosana, une femme de ménage bolivienne servant dans une famille bourgeoise espagnole. Confrontée à la disparition de la maîtresse de maison dont elle était très proche, elle se heurte à la fille de celle-ci, devenue sa nouvelle patronne. Ce très beau film qui s’intéresse à la perte, aux différences entre classes sociales, au choix, au rejet et surtout à la dignité, est servi par une mise en scène très épurée et une actrice épatante, à la retenue séduisante, Jenny Rios.
« Moins un » de Natassa Xydi (Grèce) s’intéresse aux conséquences de la crise grecque sur la vie de plusieurs familles athéniennes n’ayant pas d’autre choix que de louer leurs appartements à des touristes et de vivre pendant ce temps dans leur cave avec leurs voisins. Dans cette configuration bien étrange, Elsa, une jeune fille essaye tant bien que mal de vivre sa première histoire d’amour. La crise, la débrouille, les rêves et les désillusions sont les mots-clés de ce film pas mal, interprété côté féminin par Anna Kladi, une jeune comédienne à l’énergie solaire.
« Aya va à la plage » de Maryam Touzani (Maroc) est l’histoire d’Aya, une jeune domestique de 10 ans au service d’une femme riche de Casablanca, rêvant d’aller à la mer pour la fête de l’Aïd et se liant d’amitié avec la voisine de palier, âgée et esseulée, négligée par sa famille. Entre émotions et rires, ce film tout simple nous intéresse par la complicité de ses deux comédiennes (Nouhaila Ben Moumou, Fatima Harrandi) et l’arrière-plan peu flatteur d’une société marocaine exploitant ses enfants et abandonnant ses parents.
Une des particularités du Festival Cinémed est de s’intéresser à l’exil, aux migrants, à l’intégration et aux frontières. « Frontière », c’est justement le titre du film de Paolo Zucca, également retenu dans la section « Panorama ». Ce très court d’une minute, propose un travelling latéral, filmé dans une piscine, allant de nageurs en mouvement à un enfant mort (en référence au petit réfugié syrien Aylan Kurdi mort sur la plage d’une station balnéaire turque).
Le réalisateur, auteur de « L’Arbitro », Prix Spécial du Jury au Festival de Clermont-Ferrand 2009, a probablement voulu réveiller ici nos émotions et conscientiser notre sens politique, mais c’est complètement raté. Même si le film ne fait qu’une minute, cette juxtaposition de plans n’apporte rien, ne suffit pas pour provoquer un électrochoc. On a beau se référer au synopsis (« Une frontière. Deux bords. Deux courses bien différentes »), on a du mal à adhérer à la façon dont le réalisateur traite cette idée de frontière. Le sentiment de malaise demeure, mais pour de mauvaises raisons.
En parlant de films bien faibles, poursuivons sur notre lancée avec deux films retenus dans la section « Filmer en région ». En premier lieu, dans « Jamais ensemble » de Nadja Harek (France), un frère beur fait la guerre à ses deux plus jeunes soeurs en leur interdisant de sortir alors que lui-même se laisser aller à tous les excès. Le film sans intérêt touche vaguement à la question de l’intégration, au choc des cultures et au machisme des cités, mais il n’apporte absolument rien de concret et de pertinent, tellement son histoire est inexistante et son scénario pauvre d’intérêt.
On peut aimer les moyens-métrages et ne pas supporter la durée. « La Fontaine de l’amour » d’Adeline Boit est un très long documentaire absolument ridicule sur une fontaine de l’amour se trouvant à Lasalle, un village des Cévennes. Un sujet sur l’eau naturelle, un refus de la consommation, pourquoi pas ? Seulement, la « réalisatrice » a beau interroger les nombreux puiseurs d’eau qu’elle rencontre, elle se retrouve vite à perdre son sujet, n’arrive pas à couper quand il le faut, fait des images moches et confond documentaire de création et film du dimanche.
En compétition
On ne présente plus « Anna » d’Or Sinai, « Import » d’Ena Sendijarevic, « Il Silenzio » d’Ali Asgari et Farnoosh Samadi Frooshani et « Journal animé » de Donato Sansone, tous aussi qualitatifs les uns que les autres (et on ne dit pas ça parce que le premier est un Prix Format Court et qu’on a diffusé les quatre au Studio des Ursulines, à Paris !). Parlons de 8 autres films.
Commençons par « Zvir » (La Bête) de Miroslav Sikavica (Croatie), ayant fait ses débuts à la Quinzaine des Réalisateurs cette année et lauréat d’une Mention Format Court au tout récent Festival de Villeurbanne 2016. Le film suit un père de famille, ouvrier de son état, rencontrant des difficultés à accomplir son travail de démolisseur dans une station balnéaire, face à des habitants excédés, refusant de voir disparaître leurs maisons, et devant faire face à l’innocence de son fils, invité surprise dans l’habitacle de sa pelleteuse. Le film, soutenu par une belle photo, s’intéresse à la perdition, à l’expropriation et à l’opposition riches-pauvres, à l’innocence propre à l’enfance et à sa dure confrontation à la réalité des adultes. Si on bossait à Télérama, on lui donnerait plein d’étoiles.
Poursuivons avec deux films short listés aux Oscars. Tout d’abord, « Timecode » de Juango Giménez (Espagne) qui cartonne dans le milieu : il a eu la Palme d’Or à Cannes cette année et a remporté à Montpellier le Prix du public. Il s’agit d’une comédie bien insignifiante sur deux gardiens de sécurité travaillant l’un de jour, l’autre de nuit, communiquant par écrans vidéo, en se laissant de mystérieuses indications sur des post-it. Un film follement basique, navrant de A à Z (sans parler de sa chute pathétique) qui intéresse bon nombre de sélectionneurs sans qu’on comprenne vraiment pourquoi. Si on bossait à Télérama, le petit personnage ferait vraiment la gueule.
Autre film à faire partie de la dream team des 10 courts nommés aux Oscars, « The Rifle, the Jackal, the Wolf and the Boy » de Oualid Mouaness (Liban) montre deux jeunes frères décidant de tuer un chacal malgré l’interdiction de leur père d’utiliser son fusil de chasse. C’est à peu près tout ce qu’on peut dire de ce film gentillet qui ne restera pas longtemps en mémoire, malgré une bonne photo et un jeune comédien tout mignon.
Toujours en compétition, mais du côté des courts moins visibles, arrêtons-nous sur le franchement scandaleux court-métrage « La Pierre de Salomon » de Ramzi Maqdisi (Palestine, Espagne). L’histoire ? Celle d’Hussein, un jeune arabe israélien habitant Jérusalem, se rendant à la poste pour récupérer un colis inconnu. Pour savoir ce qu’il contient, il doit payer la somme de 20.000 dollars. Curieux et franchement con, il vend sa maison pour s’acquitter de cette somme et récupérer au final une pauvre pierre dénuée de toute valeur. Ayant perdu ses biens, devenu la risée de tout le monde, il décide de créer un faux musée autour de cette pierre en toc et fait croire aux touristes que celle-ci a une valeur historique, à l’image de celles de Jérusalem. Que dire de ce court-métrage à part le fait que son scénario est très restreint, que les Israéliens y sont caricaturés à souhait (Ramzi Maqdisi a quelques soucis avec l’Etat et ça se voit) et que sa morale politique (« je suis contre l’occupation ») ne marche pas un seul instant. Ah, on apprend que le réalisateur a reçu une bourse pour préparer son premier long à Cinemed, ça promet…
On finit par une note plus positive. « Mare Nostrum », réalisé par Rana Kazkaz et Anas Khalaf, un couple de réfugiés syriens, avait de bonnes raisons de nous intéresser. Le film a sa part de mystère : pourquoi ce père de famille syrien emmène-t-il tous les jours sa petite fille à la plage, scrute-t-il la mer avec inquiétude et se met-il du jour au lendemain à la jeter, en pleurs, dans l’eau alors qu’elle ne sait pas nager ? Entre culpabilité et ressentiment, le film repose sur cette dualité père-fille qui apporte quelque chose de très différent à la sélection. Il n’évite malheureusement pas une fin faible : la petite apprend à nager, quitte la Syrie sur une embarcation de fortune, survit à la traversée en mer et paf.. Le réel nous revient en pleine tronche : des images filmées par la télévision et un commentaire en off de journaliste égrenant le nombre de survivants nous arrivent, en gros voyeurs que nous sommes. Dommage, le film nous proposait un autre regard sur la réalité syrienne, avec de très bonnes idées de mises en scène. Il eût été intéressant de rester dans la seule fiction, de conserver l’idée de déchirement et de suspense et d’éviter à tout prix le recours télévisé.
« Hyménée » de Violaine Bellet (Maroc, France) a lui aussi quelques atous. Au Maroc, deux jeunes gens se découvrent pour la première fois le jour de leur mariage. Lors de leur nuit de noces, ils se cherchent, se rapprochent et s’éloignent entre désir, peur et maladresse. Mariés traditionnellement, ils doivent rendre des comptes à leurs familles respectives en faisant sortir de la chambre le drap nuptial taché du sang de l’épouse. Malgré une idée finalement très classique et une fin également faible, le film nous intéresse par son ancrage culturel, ses sons, sa musique, ses couleurs et surtout ce huis clos centré sur ce couple enfermé dans cette chambre, partagé entre attirance et répulsion.
À Format Court, on aime bien la sobriété. On clôt donc ce regard rétrospectif sur Cinemed avec deux films très différents. En premier lieu, « On est bien comme ça » de Mehdi M. Barsaoui (Tunisie), un film tout simple sur la relation qui unit un jeune adolescent à son grand-père prétendûment atteint de la maladie d’Alzheimer. Un joli court-métrage qui fait le lien entre les générations et qui parle de petits arrangements avec la réalité, d’amour et d’incompréhension, le tout servi par deux comédiens très spontanés et touchants, Nouri Bouzid et Youssef Mrabet.
Enfin, « Ecrit/Non écrit » nous fait découvrir un nouveau cinéaste roumain, Adrian Silisteanu, connu comme chef opérateur sur les films d’Adrian Sitaru, un autre lauréat de nos Prix Format Court. Dans le couloir d’une maternité, un couple de Gitans attend que leur fille mineure accouche. Le père, de mauvaise humeur, voit d’un mauvais oeil l’apparition d’une nouvelle fille dans le cercle familial, sans compter le fait que l’administration se mêle de leurs histoires personnelles. Le film a le mérite d’offrir un regard tendre sur la Roumanie contemporaine, toujours partagée entre tradition et modernité. Dôté d’un sens de l’absurde cher au cinéma de l’Est, d’un rythme vif, de dialogues percutants et d’un bien beau plan de fin, « Ecrit/Non écrit » fait beaucoup de bien dans cette sélection. Cela se sent : le film à obtenu à Montpellier le Grand prix du court métrage, le Prix Canal + et une Mention du Prix jeune public.
Bonne news pour les mordus d’animation comme nous. Deux des 10 films d’animation semi-finalistes aux Oscars, soutenus par l’Office national du film du Canada (l’ONF), sont en ligne sur le site web de Court-Circuit, la case courte d’Arte : « Vaysha, l’aveugle » de Theodore Ushev et « Une tête disparaît » de Franck Dion.
« Vaysha, l’aveugle » est une adaptation de la nouvelle « Blind Vaysha » de Georgi Gospodinov. Il a obtenu le Prix du Jury & Prix du Jury Junior pour un court métrage au Festival du film d’animation d’Annecy en 2016 et est visible jusqu’en mars 2017.
Synopsis : Vaysha n’est pas une petite fille comme les autres. Son œil gauche ne voit que le passé, et son œil droit ne voit que le futur. Les gens l’appellent « Vaysha l’aveugle ».
« Une tête disparaît » de Franck Dion, que nous avons interviewé en novembre 2012, lauréat du Cristal du meilleur court-métrage au Festival du film d’animation d’Annecy en 2016, est une chronique poétique et fantastique sur la maladie d’Alzheimer. Il s’agit du quatrième court-métrage de son auteur après « L’inventaire fantôme », « Monsieur Cok » et « Edmond était un âne », projeté en juin 2012 aux Ursulines.
Synopsis : Jacqueline n’a plus toute sa tête mais qu’importe, pour son voyage au bord de la mer, elle a décidé de prendre le train toute seule, comme une grande !
Format Court a le plaisir de vous inviter le jeudi 8 décembre 2016à 20h30 à sa dernière soirée de l’année au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Cette projection mettra en avant cinq courts-métrages français et étrangers (Belgique, Royaume-Uni, Suède, Lettonie) sélectionnés et primés en festivals, dont pas moins de trois Prix Format Court récemment attribués par notre équipe.
Pour l’occasion, nous accueillerons Arthur Lemasson, programmateur au Festival de Brest et l’équipe du film « Ennemis intérieurs », réalisé par Sélim Azzazi, Prix Format Court au dernier Festival de Villeurbanne & Short listé aux Oscars 2017.
Deux exposition de dessins et croquis préparatoires vous seront également proposées autour de « Totems » de Paul Jadoul (en sélection nationale au prochain Festival de Clermont-Ferrand et de « Manoman » de Simon Cartwright (Prix Format Court au Festival Court Métrange 2016).
Programmation
Ennemis intérieurs de Sélim Azzazi, fiction, 27’30 », 2015, France, Qualia Films. Short listé aux Oscars 2017, Présélectionné aux Césars 2017, Prix Format Court au Festival de Villeurbanne 2016.En présence de l’équipe
Synopsis : Dans les années 90, le terrorisme algérien s’invite en France. Deux hommes. Deux mémoires. Deux identités. Un affrontement.
Totems de Paul Jadoul, animation, 9’11 », 2015, France, Belgique, Les Films du Nord. En compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand 2017, sélectionné au Festival Côté Court 2016
Synopsis : Un bûcheron travaille dans la forêt quand un arbre s’écrase sur lui et l’immobilise. La détresse réveille alors l’animal caché en lui.
Darznieks (The gardener) de Madara Dišlere, fiction, 20’36″, 2016, Lettonie, Tasse Film. Prix Format Court Festival de Brest 2016
Synopsis : Un jardin fait le bonheur et l’épanouissement d’un vieux jardinier. Le jardin ne lui appartient plus mais il se sent toujours comme chez lui. Il communique avec le jardin qui lui répond, lui offrant un refuge et une riche récolte.
Hopptornet (Ten Meter Tower) de Maximilien Van Aertryck et Axel Danielson, documentaire, 17′, 2016, Suède, Plattform Produktion AB. Sélectionné à la Berlinale 2016, en compétition Labo au Festival de Clermont-Ferrand 2017
Synopsis : Une tour de plongée de 10 mètres. Les gens arrivés là-haut doivent choisir entre sauter ou redescendre : combattre sa peur ou affronter l’humiliation.
Manoman de Simon Cartwright, animation, 10′, 2015, Royaume-Uni, The National Film and Television School. Sélectionné à la Cinéfondation (Cannes) 2015, Prix Arte du meilleur film d’animation au Festival Premiers Plans d’Angers 2016, Prix Format Court au Festival Court Métrange 2016
Synopsis : En sortant d’une séance de thérapie, Glen expulse hors de son corps son double primitif, un jumeau préhistorique sauvage qui l’entraine dans une folle nuit très psychédélique.
– Projection : 20h30, accueil : 20h
– Durée de la séance : 84′ – Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
– Evenement Facebook – Entrée : 6,50 € –Réservations vivement recommandées :soireesformatcourt@gmail.com
– Prochaine séance : jeudi 12 janvier 2017 (séance anniversaire !)
« Faits et dits de Nasreddin II », le court-métrage de Pierre-Marie Goulet, en sélection au Festival du Film Court de Brest 2016, met en scène Nasreddin, un personnage mythique de la culture musulmane qui représente l’ingénuité, prodiguant à ceux qui l’écoutent des enseignements aussi absurdes que rationnels. Ce personnage déconcerte ses interlocuteurs, qui restent pantois, face à sa manière personnelle de voir le monde, bien différente de la leur. Il explique par exemple, contre la logique qui voudrait que ce soit moins cher et meilleur de fabriquer soi-même sa halva, pourquoi lui, l’achète tout fait : il n’a tout simplement jamais eu chez lui tous les ingrédients réunis au même moment ou si ça a pu être une fois le cas, c’est lui-même qui n’était pas là.
Pierre-Marie Goulet vient du documentaire et la sobriété de son traitement cinématographique le prouve. Il agit comme un documentaliste pourrait le faire s’il suivait un personnage réel. Il pose une caméra objective, fixe et filmant principalement en plan large et laisse agir Nasreddin devant elle, ses faits et gestes se suffisant à eux-mêmes. La trame dramatique fonctionne par un montage rythmé de plusieurs scénettes successives, indépendantes les unes des autres, chacune possédant une unité de lieu, de temps et de narration. Elles mettent en scène plusieurs exemples d’interactions qu’a pu avoir Nasreddin avec ses concitoyens, dans différentes situations : dans la rue avec ses voisins, chez lui avec sa femme, au hammam avec les employés de celui-ci, au souk avec un marchand, …
Luis Rego, acteur confirmé qui interprète Nasreddin, brille de simplicité. Sur son visage ne transparait que la candeur d’un homme qui expose naturellement son point de vue sur les choses et les situations. Son expression n’est pas celle d’un homme fier de se démarquer des autres par sa façon de penser mais celle d’un homme qui accepte sereinement de ne pas avoir la même logique que ses semblables. Il ne se sent ni supérieur ni inférieur, ni même différent. On pourrait presque croire qu’il ne se rend même pas compte qu’il perturbe les gens qui l’écoutent. Son assurance entraîne même parfois certains à accepter de se repositionner et à le suivre dans sa logique. Une jeune fille l’aide par exemple à chercher ses clefs à l’extérieur – où on y voit plus clair -, même si tout deux savent pertinemment que les clefs en question ont été perdues à l’intérieur. Le sens de l’absurde provient du sens commun du spectateur qui est bousculé par les réflexions de Nasreddin et le décalage entre sa quiétude et l’embarras des autres renforce l’aspect comique des situations.
Le film de Pierre-Marie Goulet, sur fond de beaux paysages portugais (l’intégralité du film est tournée à Mértola, petit village du sud du Portugal) et à travers un personnage à la philosophie déconcertante, perturbe le spectateur en remettant en cause, toujours en s’amusant, sa manière de pressentir les choses, les autres et les relations qu’ils entretiennent entre eux. Au final, pourquoi ne pas simplifier nous aussi nos relations sociales, comme Nasreddin le fait avec une de ses connaissances, en s’évitant les banales politesses précédant toute discussion ? Pourquoi ne pas essayer de transformer par exemple un lac en yaourt… « Et si ça fonctionnait » ?
Synopsis : Les histoires de Nasreddin procèdent à un renversement de « point de vue » qui fait voler en éclat notre manière établie de voir les choses, les gens, le monde et leurs relations. Au-delà du sourire, elles ont d’infinies résonances. Ce qui va de soi pour lui met en cause ce qui semble aller de soi.
Durée : 29’
Année : 2016
Pays : Portugal, France
Réalisation : Pierre-Marie Goulet
Scénario : Pierre-Marie Goulet
Image : Acácio de Almeida
Son : Pedro Melo, Ève Corrêa-Guedes, Hugo Leitão
Montage : Pierre-Marie Goulet
Interprétation : Luis Rego, António Cunha, Teresa Garcia, João Calvário
À l’occasion du Festival Paris Courts Devant, l’École de la SRF propose ce jeudi 1er décembre un rendez-vous autour de la relation & la collaboration entre cinéaste et producteur.
Passer du court au long-métrage est une étape déterminante dans la carrière d’un cinéaste. Le désir de bâtir, ensemble, dans la durée, une filmographie commune avec le même producteur peut être un défi, un risque, un succès ou un échec. Qu’est-ce qui détermine la relation d’un duo cinéaste/producteur et sa pérennité ?
Ces questions seront abordées à travers les parcours artistiques des auteurs-réalisateurs, Léa Mysius et Morgan Simon, et de leurs producteurs respectifs, Fanny Yvonnet (Trois Brigands Productions) et Amaury Ovise (Kazak Productions).
Le débat sera animé par Luc Battiston, cinéaste, élu au Conseil d’administration et délégué au court métrage de la SRF.
Jeudi 1er décembre 2016 – 18h – Entrée libre
Lieu : « Le Chapiteau Paris Courts Devant » – Esplanade du MK2 Bibliothèque, 128-162 Avenue de France, 75013 Paris.
La rencontre sera suivie d’un moment convivial autour d’un verre.
Chez moi de Phuong Mai Nguyen. Animation, 12’, France, 2014, Papy3D Productions
Short-listé l’an passé pour les Oscars et présélectionné pour les César, « Chez moi » de Phuong Mai Nguyen est un fabuleux conte animé aux couleurs magnifiques, sans paroles, tout en émotions.
Le petit Hugo, 6 ans, en proie à la solitude, découvre un jour une plume bleue chez lui. Plume à l’oreille, il prend son petit-déjeuner tranquillement (des céréales Kwak) quand il découvre, stupéfait, un parfait étranger aux habits d’homme mais à l’apparence de corbeau, très proche de sa mère.
« Chez moi » est un film très personnel sur la différence, le sentiment d’insécurité et la famille recomposée, nourri par un univers très étrange, proche du fantastique, à l’univers sonore et visuel très maîtrisé. En réalisatrice attentionnée, Phuong Mai Nguyen se soucie du moindre détail et entremêle subtilement des oppositions (enfant/adulte, homme/animal, réel/imaginaire) pour nous offrir un film poétique, à travers les émotions d’un enfant sensible en quête de lien maternel et confronté du jour au lendemain à un bien étrange beau-père. Chez lui, dans sa maison comme dans son coeur, il devra faire un choix. Quitte à y laisser quelques plumes…
Depuis trois ans, Format Court est partenaire du Festival de Villeurbanne et remet un prix au sein de la compétition européenne. Cette année, le Jury Format Court (composé de Clément Beraud, Lila Toupard, Aziza Kaddour et Katia Bayer) a choisi d’attribuer une Mention spéciale en plus de son Prix, parmi les 43 films sélectionnés.
Il y a deux ans, Format Court a primé « Le Sens du toucher » de Jean-Charles Mbotti Malolo, un premier film subtil et vibrant à la croisée du mouvement, des couleurs et des sentiments. L’an passé, notre site internet a distingué « In uns das universum » de Lisa Krane, un film d’école passionnant et poétique sur la danse, les rêves et la maladie, porté par un montage et une photographie de qualité.
Notre Prix Format Court 2016 revient à « Ennemis intérieurs » de Sélim Azzazi, un premier film d’actualité à mi-chemin entre le polar et le huis clos, traitant de l’identité, des identités, de l’humain, de l’immigration, de l’intégration et des préjugés. Un film intense servi par une tension présente de la première à la dernière minute et des comédiens à la hauteur d’un scénario finement écrit et construit.
Ennemis intérieurs de Sélim Azzazi. Fiction, 27 »30′, France, 2015, Qualia Films
Synopsis : Dans les années 90, le terrorisme algérien s’invite en France. Deux hommes. Deux mémoires. Deux identités. Un affrontement.
Pour accompagner ce prix, un focus sera consacré au réalisateur sur Format Court, le film sera très prochainement diffusé au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) dans le cadre de nos projections mensuelles et un DCP (relatif au film primé ou au prochain dans un délai de deux ans) sera créé et doté par notre partenaire, le laboratoire numérique Média Solution.
Le Jury Format Court a également décidé de donner une Mention Spéciale au film croate « Zvir » de Miroslav Sikavica, un film dans lequel l’innocence propre à l’enfance se confronte durement à la réalité sociale des adultes.
Zvir de Miroslav Sikavica. Fiction, 15′, Croatie, 2016, Propeler Film
Synopsis : Un ouvrier de l’arrière-pays croate se dirige vers la côte pour démolir des habitations dans une station balnéaire. En chemin, il réalise que pour mener à bien sa contestable mission et conserver son autorité paternelle, il va devoir se débarrasser d’un « témoin » indésirable.
L’Académie des Oscars a annoncé aujourd’hui les noms des 10 courts métrages d’animation en lice pour la 89ème cérémonie des Oscars, sur les 69 présélectionnés. Les membres du comité court devront choisir 5 films sur cette liste de 10 pour le 2ème tour. Les nominations pour la cérémonie des Oscars seront annoncées le mardi 24 janvier 2017. Le vainqueur sera connu le dimanche 26 février 2017.
Films sélectionnés
Blind Vaysha de Theodore Ushev (Office national du film du Canada)
Borrowed Time de Andrew Coats et Lou Hamou-Lhadj (Quorum Films)
Happy End de Jan Saska (FAMU – Film and TV School of the Academy of Performing Arts, Prague)
Gagnant du Prix France Télévisions au 13ème Festival Court-Métrange, projeté également au Festival de Brest, Spoetnik de Noel Loozen est, contrairement à la thématique spatiale qu’introduit son titre, une fable humaniste et une comédie romantique tout droit venue d’un conte de fée.
Sam, un jeune garçon à scooter file sur la route et s’accidente devant un camion-restaurant à l’apparence rudimentaire. Gilles, son propriétaire, en profite pour l’engager. Sam apprend à cuisiner le spoetnik, une brochette de quatre tranches de bœuf haché et trois d’oignons, fris et agrémenté de sauce. Un mets délicieux que vient commander Zola, une prostituée de la maison close d’en face. C’est l’amour fou au premier regard, mais le proxénète de Zola va tout mettre en œuvre pour la garder à son service.
Ce que l’on remarque dès la première image, c’est la forme : le cadre se caractérise par une frontalité inhabituelle. Lorsque Sam se déplace en scooter, la caméra est embarquée face à lui, en plan serré, de sorte que nous ne percevons pas le déplacement de l’engin, seulement le buste de Sam et les cimes d’arbres qui défilent de chaque côté, floues, interdisant toute impression de profondeur.
De même, tout le film se construit sur une opposition en vis-à-vis. Pour opposer le camion-restaurant et la maison-close, Noel Loozen filme l’un depuis l’autre, avec un angle de vue perpendiculaire à leur façade. Cela a pour effet de couper toute ligne de fuite et de laisser paraître le conflit des deux commerces radical, comme si leurs façades se regardaient en chien de faïence.
La scénographie pourvoie à la même cause que le cadre, puisque la seule issue du décor, entrée et sortie possible, est une route à la trajectoire rectiligne qui sépare les deux commerces, marquant d’autant mieux leur opposition spatiale réelle. C’est par cette route que Sam rentre dans l’histoire, et c’est celle qu’il devra emprunter avec sa dulcinée s’il parvient à la délivrer des griffes de son souteneur. C’est le voyage du héros que Sam doit entreprendre, tel que défini par Joseph Campbell dans son livre « Le Héros aux mille visages » (1949).
La force des contes de fée, c’est qu’ils accentuent le ton de tous les éléments du film sans les rendre caricaturaux. Dans « Spoetnik », Sam est un jeune qui endosse un petit boulot, il porte des survêtements de sport, c’est l’homme du peuple en qui se cache un grand chevalier. Gilles, qui le secourt quand il va mal, tout juste tombé de son scooter, va lui tendre la main et lui transmettre son savoir, c’est le maitre spirituel du conte. Même si ici, le savoir est de cuisiner une brochette spoetnik. Zola, c’est la princesse prisonnière dans le donjon. Tenue à la fenêtre pour appâter les clients, elle est condamnée à regarder le paysage qu’elle n’arpentera jamais. Et bien sûr le dragon de l’histoire, à tel point que son arme est la flamme de son briquet, est le proxénète, muet et massif.
Mais l’amour aura raison de tout. Lorsque Zola rencontre Sam, le champ-contre-champ frontal qui accompagne leur échange de regard « trop » long et passionné, et la mélodie aux sonorités de fête foraine, devient bouleversante par son artificialité. La situation, comme devant tant d’autres du film, fait rire par son côté simple et décalé, mais à chaque fois le rire s’essouffle et la scène dure toujours jusqu’à nous laisser sans voix. C’est que, dans ces cadres formels, dans cette esthétique de façade des commerces et de posture des personnages, le sentiment amoureux, et celui de détresse, sont désarmants.
Sam doit donc sauver Zola des griffes de son souteneur. Mais cet affrontement repose sur une conquête spatiale (un autre trait d’humour net en référence au titre), il doit traverser la route qui dessine une frontière entre les deux espaces s’il veut secourir celle qu’il aime. Il doit aller là où il n’est jamais allé. Noel Loozen capture alors l’exploit par le seul mouvement de caméra du film, un travelling latéral qui traverse la route pour porter son preux chevalier durant son parcours, avec musique synthétique et apparition d’un faisceau de lumière de boite de nuit inexpliqué à l’appui. La scène est dépossédée de tout côté réaliste et n’en sert que mieux sa lecture enchanteresse.
La lutte est victorieuse, mais s’éloigner du dragon, fuir la menace, c’est quitter ce décor pour ne plus y revenir. Il faudra que Sam reprenne sa monture, son scooter accidenté, pour s’éloigner vers la ligne d’horizon avec Zola, loin de ce monde de façade, d’opposition binaire, s’il veut finir sa quête et clôturer le film. L’occasion se présente dans l’unique plan de « Spoetnik » où les personnages peuvent se déplacer dans la profondeur, où les lignes de fuites sont ininterrompues. Et comme exagération suprême, pour rajouter une dernière touche de fable, le réalisateur pose un raccord qui transforme le phare arrière du bicycle en une étoile scintillante perdue dans le ciel étoilé, loin, très loin du dragon et du monde qui le tolère.
Dix minutes, c’est le temps qu’il faut à « Spoetnik » pour nous faire tomber amoureux de l’amour. En reprenant les codes surannés du prince et de la princesse, Noel Loozen parvient dans un environnement artificiel, contemporain, codé et bridant, à déployer toute la force des sentiments indomptables qui font la pureté des grandes idylles amoureuses. On ne vous conseille plus de surveiller la case court-métrage de France 2, dans l’attente de l’y trouver. La chaine lui a décerné son prix, il devrait donc y être diffusé un jour prochain.