Synopsis : Hong Kong, 6 mars 2011, 113 manifestants ont été arrêtés pour « rassemblement illicite ». Trois manifestants et trois officiers de police sont assis autour d’une table. La nuit va être longue.
Réalisation : Chun Wong
Genre : Fiction
Durée : 30′
Pays : Chine
Année : 2012
Scénario : Chor Hang Florence Chan, Chun Wong
Image : Man Pui Ki, Chun Yip Lo, Luk Ho Wong, Chi Him Yuen, Rick Lau
Son : Chun Wong
Musique pré-existante : Chochukmo
Montage : Chun Wong
Interprétation : Ka Lun Yu, Wai Kin Chan, Charles Chan, Shu Fung Cheng, Derrick Benig, Yat Ho Wong
Les hasards font bien les choses. Juste après avoir publié la critique de « Je suis une ville endormie » et l’interview de son auteur, Sébastien Betbeder, nous apprenons que le film a reçu le Prix du meilleur court métrage français, décerné par un jury de membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma. Ça méritait bien une actu de plus !
Synopsis : Une fête à Paris. Théodore fait la rencontre d’Anna. Plus tard, tandis qu’ils errent dans la ville endormie, ils décident d’escalader les grilles du parc des Buttes Chaumont. C’est là qu’ils partageront leur première nuit.
Si Pointdoc, le premier festival en ligne de films documentaires, s’est terminé le 13 février, le palmarès, lui, est arrivé aujourd’hui dans nos boîtes. Si vous les avez ratés en ligne, découvrez les quatre « coups de coeur » primés sur grand écran, le 15 mars prochain.
Palmarès
– Coup de coeur du jury « Première création » : Fort intérieur de Chris Pellerin
– Coup de coeur du public « Première création » : Heureusement que le temps passe de Ferhat Mouhali
– Coup de coeur du jury « Film jamais diffusé » : Le monde est derrière nous de Marc Picavez
– Mention spéciale du jury « Première création » : Mémoire close de Morgane Nataf et Georges Harnack
– Mention spéciale du jury « Film jamais diffusé » : Michel de Blaise Othnin-Girard
Les 4 films « coups de coeur » seront diffusés sur grand écran lors de la soirée de clôture qui se déroulera le vendredi 15 mars à la salle Jean Dame (2ème ardt de Paris / Métro sentier). Réservation : vivement conseillée en cliquant ici.
L’interview avec Sébastien Betbeder, réalisateur de « Je suis une ville endormie » n’ayant pu se faire à Clermont-Ferrand lors du festival, le rendez-vous fut pris à Paris. Le hasard faisant parfois bien les choses, la rencontre se fit tôt le matin face à l’entrée du parc des Buttes Chaumont, lieu central et mystérieux de « Je suis une ville endormie », ce film déroutant et beau qui sortira sur les écrans le 13 mars prochain dans sa version longue.
Comment vous est venue l’idée du film et surtout de filmer ce lieu, le parc des Buttes Chaumont ? Auriez-vous pu choisir n’importe quel autre parc ?
Je ne suis pas parisien de naissance, j’ai vécu dans les Pyrénées. J’habite à Paris depuis 13 ans environ et j’ai toujours vécu à proximité du parc, presque par hasard en fait, souvent pour des raisons de loyer. Cela fait donc longtemps que je le connais et le fréquente, je l’ai toujours trouvé cinématographiquement très inspirant et très mystérieux sans savoir d’où cette étrangeté pouvait venir. J’y écris souvent et l’idée de faire de ce lieu le sujet de mon film est devenue de plus en plus insistante.
Pour la première fois, , je me suis forcé à ne pas trop écrire le scénario de façon à retrouver les premières impressions face à ce lieu. Je me suis un peu renseigné sur le passé du parc en découvrant quelques pépites puis je me suis arrêté en me disant : « N’allons pas trop loin pour ne pas que ça devienne un film sur le parc ». Je trouvais ça assez fou que le lieu ait été complètement inventé par l’être humain, qu’il soit né de nulle part, comme on part d’une page blanche, que l’Homme puisse inventer un lieu aussi mystérieux.
Le couple que forment Agathe Bonitzer et Pio Marmai est un vrai couple de cinéma incarné par des acteurs de cinéma alors que vous aviez plutôt l’habitude de travailler avec des acteurs de théâtre. Ce couple donne au film un souffle très romanesque, classique et cinématographique. Comment s’est arrêté ce choix ?
Cela me fait plaisir que vous disiez ça car pour moi la réussite du projet tenait beaucoup au fait que le couple marche et qu’il y ait tout de suite chez le spectateur quelque chose de l’ordre de la référence à un cinéma classique, à une croyance dans des acteurs capables de représenter une idée du cinéma. Pio est arrivé un peu tard sur le projet mais il a accepté le projet en très peu de temps avec beaucoup de générosité car les conditions pour un court étaient assez difficiles avec un tournage très long notamment. J’avais envie d’un comédien qui ait ce mystère, qui ait quelque chose aussi de très physique et de très romantique.
Pour Agathe, c’est assez différent, c’est une des premières personnes à avoir lu l’ébauche de scénario un an et demi à l’avance. C’était impératif pour moi que ce soit elle. Peu de comédiennes ont ce pouvoir d’attraction, on parlait de canons classiques, elle a dans son visage quelque chose de très pictural.
Justement, le film fait une référence au peintre Georges de La Tour et le physique d’Agathe Bonitzer est la réplique parfaite de ces femmes au teint de porcelaine.
J’avais écrit ce passage en pensant qu’Agathe accepterait le rôle effectivement et c’est ce qui s’est passé heureusement !
A-t-il été difficile de tourner dans le parc des Buttes Chaumont, de jour comme de nuit, et d’obtenir les autorisations ?
La première condition indispensable pour faire le film a été d’obtenir l’aide de la commission du film de la Ville de Paris. Cela a été un soutien très précieux. Il n’y avait jamais eu de tournage de nuit aussi long aux Buttes Chaumont. L’appui de la Ville de Paris auprès des Parcs et Jardins a été déterminant. Les nuits étaient courtes entre mai et juin ce qui a rendu le tournage très intense. On a souvent terminé des plans à l’aube.
L’interview d’un psychiatre au beau milieu du film intervient comme une coupure nette du rythme narratif et fictionnel. C’est aussi un pont vers la suite du film et cela ne laisse que peu de doutes sur le futur de Théodore. Quand ce choix-ci s’est-il fait ? Au scénario, au moment du montage ?
Les interruptions de la fiction, comme l’idée des images d’archives au début du film, étaient prévues dans le scénario. Cette intervention du psychiatre devait en effet avoir des conséquences directes sur la suite du film. J’ai toujours été intéressé par les effets de l’environnement sur la psychologie. J’avais été très intrigué par le syndrome de Paris qui touche ces Japonais qui fantasment un lieu et qui tombent dans la dépression suite à une déception. Je me suis renseigné et il y a des histoires comme ça aux Buttes Chaumont.
Déjà dans vos films précédents, « Les mains d’Andréa », « La vie lointaine » et « Yoshido », la place accordée à la nature était essentielle. Ici, c’est un film « urbain » qui prend la ville comme décor mais finalement Paris est comme mangée par la force du parc des Buttes Chaumont. Cette présence de la nature est-elle un élément indissociable de votre cinéma ? Qu’est-ce qu’elle lui apporte?
Je ne suis pas un citadin « naturel » et ça ne me paraît pas naturel de vivre en ville, pourtant je le fais par obligation et par goût aussi. Je suis toujours frappé de voir à quelle vitesse se fait l’acclimatation en ville pour quelqu’un qui viendrait de la campagne. Et vice versa. Il y a quelque chose de fou de voir qu’on puisse oublier l’idée de la nature.
J’ai toujours tendance, de manière presque inconsciente, à écrire des films où mes personnages s’évadent de la ville. Dans ce film-là, l’idée que les passages des grilles du parc puissent en quelque sorte symboliser l’inversement des territoires me plaisait beaucoup. Que le parc devienne la ville et que la ville devienne l’extérieur. Dans mon prochain film, les personnages quitteront par deux fois Paris pour la montagne, en Suisse et en Auvergne.
Votre choix répété de réaliser des films courts entre 50 et 60 minutes amène à la question de la diffusion car beaucoup de festivals – notamment internationaux – ne retiennent pas ce qu’on appelle les « moyens métrages » et ceux-ci sortent très rarement en salles. Comment se passe la discussion avec le producteur autour du projet et quels sont les avantages d’une telle durée en termes de création ?
C’est une démonstration de courage hallucinante de la part des producteurs et des sélectionneurs – je suis d’ailleurs très reconnaissant à Clermont pour avoir sélectionné le film sachant la place qu’il prend dans un programme. C’est un format que j’adore, ce qui se passe autour d’une heure. Je trouve absurde le principe du passage du moyen (même si le terme n’existe pas) au long et les incidences que cela peut avoir sur la vie d’un film. J’ai vécu ça avec difficulté sur « La vie lointaine » même si le film avait plutôt bien marché. Environ 80% des festivals prennent des longs à partir de 1h01 et des courts jusqu’à 30 minutes. Ici, on est dans un espace qui n’existe pas du tout. « Je suis une ville endormie » a été financé comme un court métrage mais le premier montage qui nous convenait tournait autour d’1h10. On a donc fait deux versions. Ce qui est étonnant c’est qu’avec la version longue – qui est sensiblement la même – on a eu des sélections dans des festivals comme un long métrage (à Toronto notamment) et je pense que le film n’aurait pas existé de la même façon avec sa version de 59 minutes. On se retrouve avec deux versions d’un film pour répondre à des critères de visibilité.
« Je suis une ville endormie » deviendra bientôt « Les nuits avec Théodore » dans une version agrémentée de 7 minutes supplémentaires qui sortira au cinéma le 13 mars prochain. Présenté pour la première et unique fois à Clermont Ferrand dans sa version courte (59 min tout de même), le film de Sébastien Betbeder – à mi-chemin entre le conte et le documentaire – est un essai passionnant et libre. L’histoire d’un homme, Théodore, qui tombe amoureux d’une femme, Anna, et d’un parc, les Buttes Chaumont.
Acte I. C’est l’été à Paris. Lors d’une fête, Théodore voit Anna. Anna voit Théodore. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils se plaisent. La rencontre se poursuit sur le trottoir le long des grilles du parc des Buttes Chaumont bientôt escaladées par les deux amoureux d’un soir. Ils y passeront leur première nuit ensemble et initialiseront ainsi un rituel sans se douter de l’engrenage déclenché.
Le parc des Buttes Chaumont – véritable personnage à part entière – nous est présenté lors des trois premières minutes du film (qui pourraient ressembler au début d’un documentaire) à travers des images d’archives et des prises de vues actuelles. Pourtant, déjà l’étrangeté et le mystère sont comme palpables, et la voix off de Natalie Boutefeu n’y est pas pour rien. Douce et secrète, elle évoque les légendes du parc dont un réseau de galeries qui mèneraient à une salle cachée aux pouvoirs magiques. L’expression « le décor est planté » n’aura jamais été aussi juste.
Théodore (Pio Marmai) et Anna (Agathe Bonitzer) se revoient la nuit suivante et celle d’après, retournent au parc où ils fêtent les 28 ans de Théodore aux chandelles et au champagne. En voix off Anna nous dit, « bientôt nous renoncions à ce qui faisait notre quotidien pour profiter de nos nuits dans le parc ».
Acte II. L’épisode romantique de la rencontre est interrompu net au milieu du film par l’interview face caméra d’un psychiatre. Celui-ci raconte l’histoire d’un patient qui traversait chaque jour les Buttes Chaumont et qui, suite à une mutation en province, tomba gravement malade. Le retour quotidien au parc fut son seul salut.
Il est alors clair que Théodore – qui souffre de crises d’asthme lorsqu’il est loin du parc – va suivre le même chemin. Ses demandes de rendez-vous nocturnes dans le parc se font plus pressantes et systématiques. Il s’y rend même seul et, perché dans les arbres, observe un groupe de gens méditant mystérieusement sur la pelouse. Anna, inquiète de la situation, l’emmène loin de Paris, mais les crises de Théodore le reprennent (« le répit ne dura que trois petit jours »), rattrapant le couple et le précipitant vers sa chute.
« Je suis une ville endormie » convoque souvent la simplicité et la puissance des tragédies jouées à l’opéra. Celle de personnages, mués par la passion, en proie à un destin auquel ils ne peuvent échapper, à des forces qui souvent les dépassent. C’est le cas de Théodore, impuissant face à l’appel du parc et incapable de revenir à la raison, même prévenu par Anna qui tente de le sauver. Comme dans toutes les tragédies, le spectateur sait que l’histoire finira mal et qu’il arrivera malheur, soit par un sacrifice soit par une mort.
Le film de Sébastien Betbeder ne déroge pas à la règle mais se joue aussi des codes. En mélangeant images d’archives, interviews, fiction, faits réels, couple de cinéma et récit à la première personne, Betbeder prend un malin plaisir à brouiller les pistes narratives en explorant le champ des possibles filmiques.
Déjà avec « La vie lointaine » (2009) et « Yoshido » (2011), le cinéaste optait pour des films courts flirtant avec les soixante minutes, limite imposée du court métrage. En s’autorisant ce format il se permet aussi d’expérimenter et d’emporter son récit vers une amplitude et une ambition plus grandes. Réjouissons-nous que la sortie au cinéma du film rebaptisé « Les nuits avec Théodore » lui permette de toucher un public plus large que celui des festivaliers.
Synopsis : Une fête à Paris. Théodore fait la rencontre d’Anna. Plus tard, tandis qu’ils errent dans la ville endormie, ils décident d’escalader les grilles du parc des Buttes Chaumont. C’est là qu’ils partageront leur première nuit.
Sélectionné au Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand en compétition nationale, « Ce n’est pas un film de cow-boys » poursuit sa belle carrière. Ce huis clos, mettant en scène deux paires d’adolescents parlant du film « Brokeback Mountain », évoque la façon dont ces jeunes communiquent entre eux sur le thème de l’homosexualité. Benjamin Parent revient sur la réalisation de son film, de l’écriture au tournage.
Il y a environ sept ans avec Joris Morio, mon co-scénariste, on voulait développer un programme court qui se passait dans les toilettes d’un collège. Chaque épisode parlait de conversations d’ados. On a écrit quelques épisodes dont un autour de « Brokeback Mountain ». À l’époque, on s’était centré sur deux garçons. Cet épisode plaisait bien, on a commencé à le développer. Finalement, on a rajouté des filles, envisagé un montage parallèle, avec l’idée de montrer comment les garçons et les filles de cet âge-là traitent un même sujet. Et puis, finalement, ce projet est resté au fond d’un tiroir pendant des années.
Quand je me suis remis à la mise en scène, j’ai montré les scripts des épisodes à mon producteur et il m’a dit : « C’est celui-là qui doit être ton premier court métrage ». Je l’ai ré-écrit pour en faire quelque chose de plus personnel, au-delà du sketch. Par exemple, dans la première version, les garçons étaient copains, ils discutaient tranquillement et j’ai commencé à changer ça. J’ai mis en place l’idée d’un mec un peu dur à cuire qui tout à coup est ému par une histoire d’amour entre deux hommes. Ça le bouleverse mais il ne peut pas en parler à ses amis. Donc, il va en parler au premier de la classe parce qu’il sait que le type peut éventuellement l’aider et surtout qu’il ne va pas parler dans son dos, sinon il se fera casser la gueule.
L’idée est venue de là. C’est devenu un film personnel qui parle en fait beaucoup de ma famille, de mon père, de mon frère, de ma mère. Je suis en train de me rendre compte que tous mes projets en tant que réalisateur parlent de ma famille de manière plus ou moins détournée. C’est mon truc.
Comment as-tu trouvé un producteur prêt à te suivre sur ce projet ?
Je travaillais en agence de publicité comme concepteur. J’avais écrit des films pour Ikea et j’ai eu un bon contact avec un des producteurs des Télécréateurs, Arno Moria. Deux ans plus tard, il m’a présenté David Frenkel, producteur chez Synecdoque, je lui ai pitché des idées qu’il a aimé.
Et puis, Canal+ a organisé la collection « Écrire pour Nathalie Baye ». Avec le réalisateur Didier Barcelo, on a décidé d’écrire ensemble sur ce thème. Il regardait plein de films avec la comédienne, et un matin il m’a dit : « J’ai rêvé cette nuit qu’elle n’était plus dans ses films ». J’ai rebondi sur cette idée en envisageant qu’il y avait quelqu’un d’autre à sa place. De là, on a écrit un script en trois jours, on l’a envoyé à la collection, ils l’ont adoré mais Nathalie Baye, elle, n’a pas aimé… . Entre-temps mon producteur, qui avait lu le scénario, l’a récupéré. On a fait le film « The End », c’est Charlotte Rampling qui a joué le personnage principal et le film a été sélectionné à Berlin il y a un an.
À partir de là, j’ai repris le projet de « Cow-boys » et je l’ai retravaillé. Ça m’a permis de ré-injecter encore plus de choses personnelles et cinématographiques. Après ça, le CNC et Canal+ ont suivi. On ne peut pas vraiment dire qu’on a eu du mal pour le financement. La seule chose qui a été longue, ça a été le casting, il a duré cinq mois. En même temps les acteurs sont au cœur du film.
Peux-tu nous raconter le déroulement de ce casting ?
Cinq directrices de casting ont travaillé successivement sur le projet. On ne trouvait pas les comédiens et, au début, je m’emballais parfois trop, j’avais un désir de tourner qui était un peu trop fort. Et puis, on a trouvé Malivaï Yakou (Moussa). Son frère jumeau est comédien. Au début c’est lui qu’on voulait voir mais c’est Malivaï qui est venu. Quand sa famille a su qu’on était intéressé mais qu’on voulait quand même voir son frère, celui-ci a refusé en disant qu’il ne voulait pas passer une audition qui pourrait priver son frère de ce rôle.
Ensuite, on a trouvé Garance Marillier (Nadia). C’est la directrice de casting Judith Chalier qui nous a montré ses essais pour le film « Junior ». Garance a cette colère en elle qui collait avec le rôle. Et pour Leïla Choukri (Vanessa), ça a été du casting sauvage.
Il ne nous restait plus que le dernier rôle, celui de Vincent. On avait trouvé un gars qui n’était pas mal, un peu plus petit, le visage très fermé qui proposait une autre couleur. On lui doit d’ailleurs des répliques qui sont restées après le casting. Mais un samedi, la dernière casteuse m’a dit : « Viens, j’ai deux gars ». J’ai vu le premier, vraiment bien : grand, long, qui pouvait sembler gay alors qu’il ne l’est pas, avec une ambiguïté que je trouvais intéressante. Mais juste après, Finnegan Oldfield – qui a reçu entre temps le prix ADAMI d’interprétation pour son rôle dans le film, au Festival de Clermont – est entré dans la pièce. Physiquement déjà, c’est comme ça que je voyais le personnage : hyper sec, avec un look très anglais. Il a parlé 15 secondes : c’était lui. Finnegan a appris à jouer la comédie à 14 ans, il a un jeu super instinctif. C’est un petit punk qui est adorable. Il a énormément de cœur. II a beaucoup de générosité, il est très pro, il écoute sur le tournage. Quand il parle d’une scène, on la voit dans ses yeux. L’anecdote qui est super avec lui, c’est que je lui disais de regarder le film « Brokeback Moutain » avant de tourner, et qu’il ne le regardait pas. Finalement, il l’a regardé la veille du tournage. Quand il parle du film dans « Cow-boys », il l’a vraiment vu la veille !
Pourquoi avoir choisi de tourner dans un espace confiné comme les toilettes ? Comment as-tu trouvé le décor du film ?
On a fait un casting de toilettes et on a trouvé le décor dans le lycée Marie Curie de Sceaux qui date de la Seconde Guerre mondiale. Les toilettes étaient immenses. En fait, celles des filles et des garçons du film sont dans le même espace réel, il n’y a pas de mur entre les deux. On a construit un mur pour les séparer et une sortie pour que la caméra puisse passer « entre les murs ». On a aussi créé des portes battantes.
Le choix du décor est dû au fait qu’au collège je me souviens que quand j’allais aux toilettes avec des copains, on y restait et on discutait. Les gens aux toilettes passent, repartent mais c’est aussi là qu’on s’isole. Je voulais montrer les toilettes à la fois comme un confessionnal mais aussi comme un saloon. Dans le film, il y a beaucoup de détails de western que les gens ne captent pas forcément. Même si on ne les voit pas, on les sent, par exemple dans la bande son : on entend des trains, des corbeaux, du vent, des trucs qui roulent. Les vêtements sont aussi référencés avec des codes de western : quand Vincent marche, on entend des éperons qui sont symboliquement les étoiles blanches de ses converses.
Les toilettes devaient être un endroit très intime, un sanctuaire en opposition à la cour très bruyante, chaotique et devait justifier la raison pour laquelle ils étaient là : le lieu est silencieux, les gens peuvent se parler. Cet endroit préserve de la violence de la cour du collège, mais c’est aussi un endroit qui porte les stigmates de tout ce qui a trait à l’homophobie ou au sexisme. Énormément d’insultes de ce genre sont écrites sur les murs, je voulais qu’à l’image, les personnages soient entourés de tags agressifs à connotation sexuelle.
Dans le film, avec le montage en parallèle, on voit les garçons et les filles qui parlent du même sujet, le film « Brokeback Mountain », mais parlent-ils vraiment de la même chose ?
Chez les garçons, Vincent est sur le film et pas sur sa portée, il n’est pas sur l’après. Chez les filles, le film est juste le point de départ pour discuter de l’homosexualité du père. L’idée, c’est aussi de montrer que garçons et filles ne savent même pas qu’ils peuvent parler ensemble, qu’ils peuvent échanger. Dans la construction de la masculinité chez les garçons, on parle de filles, et quand on veut devenir un homme j’ai l’impression qu’à cet âge-là, il ne faut peut être pas trop traîner avec des filles, il faut être un dur.
Tu as fait une fac de cinéma plus théorique que technique. Comment as-tu abordé le rôle de réalisateur ?
Je me suis toujours un peu sous-estimé dans la mise en scène. Je pense notamment que c’est parce que je ne savais pas quoi raconter, et que je ne savais donc pas comment filmer. J’ai fait un court métrage amateur quand j’avais vingt-trois ans, je ne savais pas ce que je filmais, je n’apportais aucun sens aux images. Il y a l’histoire et il y a ce que l’on raconte. Pour moi, la façon dont on raconte les choses est la plus importante.
Un de mes producteurs en habillage, Eric Nung, qui a été l’un des premiers à lire le script, m’a dit qu’il fallait que je le réalise, que je saurais le faire. Je pense que j’avais vu et emmagasiné plein de films et puis il y a eu un déclic, tout a pris du sens. Apparemment, j’ai trouvé mon propre style, mais je suis, comme beaucoup de réalisateurs, pétri de doutes. Mon producteur reçoit toutes mes angoisses.
Où en sont tes projets ?
J’ai plusieurs projets, notamment un court-métrage d’animation qui sera une fable sur la filiation et puis il y a mon premier long-métrage. Ça fait pas mal de temps que je suis sur l’écriture de celui-ci avec ma co-scénariste. C’est un film qui est difficile à écrire. Je vais bientôt attaquer la continuité dialoguée. J’ai envie de tourner l’année prochaine. Le sujet traite de la masculinité et de la façon dont on devient un homme.
Donato Sansone avait déjà été repéré avec son animation précédente « Videogioco » qui avait fait le tour des festivals dont celui d’Anima. Il revient au Festival d’Animation de Bruxelles avec son nouveau court, « Topo glassato al cioccolato », une pépite audacieuse et ténébreuse.
Entièrement construite à partir de dessins au crayon noir, cette très courte animation en 2D présente une panoplie d’images en constante métamorphose, plus cauchemardesques qu’oniriques, sexuelles, parfois violentes et des associations tantôt claires tantôt obscures (un coup de balle éclate dans la tête d’un homme; une personne androgyne en sort; à son tour, celle-ci se divise en deux et déclenche une volée d’oiseaux qui se transforme en poissons; un mystérieux lapin observe toute la scène). Dans cette fantasmagorie décousue, abondant en « symboles de la métamorphose » à la Jung, la cohérence est assurée par la bande son. Austère et puissante, celle-ci conduit les différents détails visuels et les transitions des fois abruptes, notamment les passages entre les éléments de l’air, de l’eau et du feu.
Conforme à son pseudonyme entre pathologique et angélique, Milkyeyes (yeux opaques ou rêveurs, c’est selon), le jeune animateur italien aime manifestement provoquer. À l’instar du flip-book animé en volume qu’était « Videogioco », « Topo glassato » n’a rien d’innocent. Le titre non appétissant se traduit comme « souris glacée au chocolat », sous-entendant un jeu de mots emprunté de l’anglais entre mouse et mousse, mais défaillant autant en italien qu’en français. Au-delà d’un exercice de style, qu’il faut reconnaître comme très réussi, le film se prête à une lecture complexe : les identités plurielles, l’être fractionné, le cycle de la création, la mort et la renaissance… Sansone semble creuser au fond de lui-même pour nous livrer un portrait déroutant de la psyché collective.
À l’occasion de la 32ème édition du festival d’animation de Bruxelles (Anima, 8-17 février 2013), Format Court a attribué son deuxième Prix Format Court, après « Tussilago », remis à Jonas Odell en 2011, dans la catégorie films professionnels.
À la clôture du Festival, qui s’est déroulée hier soir à Bruxelles, le Prix Format Court a été attribué à Ainslie Henderson pour son film, « I Am Tom Moody » (Edinburgh College of Art, Ecosse), « pour sa sensibilité, l’expressivité de ses marionnettes animées, et le travail de qualité effectué sur le son.
Les membres du Jury se sont laissé porter par l’habile jeu autour de la multiplicité des voix, celle de l’enfant, de l’adulte, ou de l’artiste angoissé, des voix qui les ont fait voyager dans le subconscient de Tom Moody, et qui les ont incitées à retourner chercher, tout comme lui, l’enfant et le rêveur qui sommeillent en chacun de nous ».
Ainslie Henderson bénéficiera d’un focus personnalisé sur le site ainsi que d’une projection de son film jeudi 09 mai 2013 dans le cadre des soirées Format Court, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).
I Am Tom Moody, Ainslie Henderson , GB, 2012, 6’55’’
Synopsis : Une virée surréaliste dans le subconscient d’un musicien étouffé qui voudrait chanter.
Ce dimanche 17 février 2013, s’est clôturé la 32e édition du Festival Anima, le festival international du film d’animation de Bruxelles. En voici le palmarès.
COMPETITION INTERNATIONALE
Prix décernés par le jury
Grand Prix Anima 2013 offert par la Région Bruxelles Capitale : « Feral » de Daniel Sousa
Prix Anima 2013 du meilleur court métrage, catégorie films professionnels : « Palmipedarium » de Jérémy Clapin
Mention spéciale: « The People Who Never Stop » de Florian Piento
Prix Anima 2013 du meilleur court métrage, catégorie films d’étudiants : « Pripad / The Case » de Martin Zivocky
Mention spéciale : « Soeur et frère » de Marie Vieillevie
Prix Anima 2013 du meilleur clip vidéo : Converse “Doyathing” de Jamie Hewlett
Prix Anima 2013 du meilleur film publicitaire : Russian Railways “175 years of Russian Railways” de Alexander Petrov et Dima Petrov
Prix Anima 2013 du meilleur court métrage, catégorie films pour jeune public (jury Radio Bobo) : « The Fantastic Flying Books of Mr Morris Lessmore » de William Joyce et Brandon Oldenburg
Mention spéciale : « L’Automne de Pougne » de Pierre-Luc Granjon et Antoine Lanciaux
Prix décernés par le public
Prix Fluxys du meilleur court métrage : « Fear of Flying » de Conor Finnegan
Prix du public pour le meilleur court métrage, catégorie films pour jeune public : « L’Automne de Pougne » de Pierre-Luc Granjon et Antoine Lanciaux
Prix du public du meilleur court métrage de la nuit animée : « Oh Sheep! » de Gottfried Mentor
Prix du public du meilleur long métrage, parrainé par FedEx : « Le Voyage de Monsieur Crulic » de Anca Damian
Prix du public du meilleur long métrage jeune public : « Tad l’Explorateur. A la recherche de la cité perdue » d’Enrique Gato
Prix décernés par les partenaires
Prix BeTV du meilleur long métrage : « Le Voyage de Monsieur Crulic » de Anca Damian
Prix Format Court du meilleur court métrage, catégorie films d’étudiants : « I am Tom Moody » de Ainslie Henderson
COMPETITION NATIONALE
Prix décernés par le jury
Grand Prix de la Fédération Wallonie -Bruxelles : « Deux Îles » d’Eric Lambé, Adrien Cellieres, Nicolas Debruyn, Florian Guillaume, Guillaume Franck, Sarah Heinrich, Lucile Martineau, Gilles Pirenne, Valery Vasteels
Film d’anticipation d’une noirceur troublante sur les difficultés de la survie en temps de crise, le film « Peau de Chien » était ces derniers jours en compétition dans le programme national du 35ème Festival de Clermont-Ferrand. L’auteur, Nicolas Jacquet, nous parle de son travail, un cinéma d’animation en photos découpées.
Peux-tu nous parler de ton parcours personnel ?
J’ai d’abord commencé aux Beaux-Arts à Nantes. Mais en fait j’étais surtout intéressé par les installations vidéo, ce qui à l’époque se faisait assez peu. Je suis donc entré à l’école des Gobelins à Paris où j’ai suivi une excellente formation technique. Il faut dire qu’à cette époque, la formation n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, et, à la fin de mes études, quand j’ai commencé à faire des courts métrages, j’ai dû apprendre pas mal de choses tout seul. Ensuite, j’ai beaucoup travaillé dans les studios à Paris où je gagnais bien ma vie, mais je me sentais loin de mes ambitions créatives. Je suis alors allé à Laval où il n’y avait pas de travail. Ca m’a obligé à aller au fond de ce que je voulais faire. Je m’étais mis en danger et il fallait m’en sortir. C’est ce qui m’a amené à trouver des projets, des financements et à me réaliser.
Tes films sont réalisés en photos découpées. Peux-tu nous parler de la façon dont tu procèdes techniquement ?
J’écris mes histoires et ensuite, à partir du storyboard, je fais un découpage technique. Je focalise d’abord mon travail sur les personnages et le storyboard me permet de voir tout ce dont je vais avoir besoin : les tailles de personnages, les angles de prise de vue, les dimensions, les détails. Je cherche autour de moi les gens qui m’intéressent. Je fonctionne beaucoup à l’affectif, et en général, les gens que je photographie sont des personnes que je connais et que j’aime bien. Ensuite, un peu comme cela se fait en 3D pour imprimer du volume, je photographie mes modèles sous tous les angles pour avoir la gamme de position de regards ou de bouches nécessaire. Après ça, je découpe mes photos et j’anime sur un banc-titre avec des baguettes. Le travail sur les décors et les fonds vient après en jouant avec des codes et des repères que tout le monde connaît. Pour le moment j’aime bien travailler sur les détails. Un peu comme dans les films d’Hitchcock, j’aime bien glisser des indices discrets dans l’image. Par exemple dans « Peau de Chien », à la fin du film, le rideau du boucher est en dentelle mais on pourrait presque voir des petites têtes de mort mexicaines à l’intérieur. De même, quand le chien arrive devant la maison du boucher, les fils électriques dans la rue forment comme une toile d’araignée. Je n’ai pas forcément envie que ces détails se voient, mais ça m’amuse beaucoup d’en parsemer l’image.
Quel est ton rapport avec la matière photographique ?
J’aime beaucoup le travail des photographes et des cinéastes surréalistes parce qu’ils se positionnent entre le réel et l’imaginaire. Avec la photo, je ne veux pas trop m’éloigner du réel, du témoignage, du vivant. J’interviens doucement sur les photos parce qu’ensuite, le travail d’animation s’effectue à l’intérieur. À l’inverse de l’animation classique qui joue sur les contours et sur les formes, je cherche l’animation à l’intérieur du sujet animé. Je veux qu’on sente un poids, qu’il y ait une existence palpable, un défaut. Je cherche vraiment l’efficacité en essayant d’animer la psychologie.
Dans « Peau de Chien » comme dans ton film précédent « Le vol du poisson », le personnage du chien est construit avec des photos de toi…
C’est intéressant de voir qu’à l’époque où tout le monde est connecté sur les réseaux sociaux, il y a comme une forme de surexposition de l’identité, une extension de l’identité. Mais au delà de ça, avec « Peau de Chien » je me sentais très concerné par le personnage du chien. Moi, je suis français, mais mes grands-parents ne l’étaient pas. Prendre mes yeux et ma peau pour le chien me paraissait honnête car je me sens assez proche de lui. C’est une manière de me reconnaître.
As-tu une fascination pour le personnage du boucher que tu avais déjà mis en scène dans ton film « Tueurs Français » ?
Le boucher est un peu symbolique dans la société. Tout comme le prêtre, le psy ou le médecin, c’est un métier qui est en contact avec une forme d’intimité, en l’occurrence avec le corps. C’est un métier étrange qui tourne autour de la mort et du corps mort. Il y a là comme un mystère, car sur l’étal du boucher, on voit la viande mais pas le mort.
L’univers de « Peau de Chien » est très sombre, voulais-tu avec ce film, faire une critique sociale ?
Je sais que les histoires que j’écris n’ont rien à voir avec la société dans laquelle je vis. Il n’y a pas de rapport de miroir direct où l’on puisse reconnaître la réalité, mais j’aime exagérer au maximum, forcer le trait. Pendant que je faisais le film, Sarkozy voulait faire passer une loi où les gens accueillant des sans-papiers devenaient susceptibles d’être mis en prison. Je me rendais bien compte que cela n’était pas réaliste, que c’était anecdotique. Mais petit à petit, les idées passent. C’est comme les négationnistes de l’Holocauste. Il ne faut pas oublier tout ça, il faut le rappeler sans cesse, c’est très utile.
Tu travailles beaucoup de façon solitaire ?
C’est vrai que dans l’animation c’est assez courant. L’animation permet à l’artiste de s’accaparer toutes les phases du travail, ce qui est impossible en fiction. Dans mon cas, il est vrai aussi que je travaille seul car cela relève d’un engagement. Je ne suis jamais sûr de faire un autre film après, alors je m’engage tout entier dans mes projets, et j’ai beaucoup de mal à demander à d’autres d’y adhérer. Je suis aussi le producteur de mes films, mais ça je ne le recommande à personne, c’est trop schizophrène.
Et pour le son ?
Quand le film a été fini, il était silencieux. J’avais enregistré moi-même des voix mais ce n’est pas mon métier et le résultat était catastrophique. J’ai commencé à chercher quelqu’un, mais je ne voulais pas de musique et je pensais qu’il serait difficile de trouver quelqu’un qui aille dans le même sens que moi. Je me suis alors tourné vers les gens de la fiction et j’ai rencontré Renaud Bajeux avec qui ça s’est très bien passé. Comme le film est à la lisière de la fiction, il fallait que le son soit assez réaliste, presque documentaire, tout en étant très perturbant. Renaud a très bien compris tout ça, et il a amené de la poésie en approchant la bande son de manière assez autonome. Je voulais qu’il puisse raconter l’histoire de son côté. Il ne fallait pas que le son illustre l’image, il fallait plutôt qu’il l’incarne.
Quelle est la carrière de ton film ?
Il a été sélectionné au Festival de Vendôme, de Bruz et maintenant de Clermont-Ferrand. C’est la première fois que je viens à Clermont et j’avoue que je suis enthousiaste. Ici, les salles sont pleines et le public participe beaucoup. Quand vous entrez dans un café, vous croyez que tout le monde travaille dans le cinéma, mais en fait, vous rencontrez des spectateurs qui s’intéressent au court métrage. Ici, il y a une vraie culture du court métrage.
Qu’est-ce qui te plaît dans le court métrage ?
Le court métrage croise les idées et invente des formes, ce qui est rarement le cas du long. Moi, j’ai fait un film qui est glauque, intrusif et désagréable. Je n’aime pas mettre les gens à l’aise. Quand je vais au cinéma, je n’aime pas être à l’aise. Je ne viens pas digérer ma journée. J’aime qu’on me surprenne.
Film d’école issu de la Cambre, Si j’étais un homme s’est fait remarquer notamment au FIDEC (Huy), où il a reçu le Prix Queer, et au Festival Media 10-10 (Namur), où il a remporté le Prix de la Meilleure Animation. En compétition belge à Anima (Bruxelles) cette année, ce court allègre de Margot Reumont offre un beau moment de divertissement tout en suscitant une réflexion sur la notion des genres aux yeux de la jeunesse d’aujourd’hui.
Cinq filles se mettent devant la caméra de Margot Reumont et se laissent emporter par l’hypothèse évoquée dans le titre. La réalisatrice démarre son film avec des plans frontaux en live-action, choix inhabituel pour un film d’animation, mais on comprend vite qu’il s’agit des coulisses de l’animation. En effet, sitôt que les interlocutrices expriment leurs pensées franches et intimes, Reumont se met à gommer les prises de vue réelles par son dessin dextre et épuré. En illustrant le discours imaginaire, elle y ajoute tout un métadiscours autour des idées projetées. Le médium de l’animation vient compléter la narration verbale, qu’il porte plus loin. Avec une originalité qui relève du génie, la réalisatrice mélange les genres, le monde du réel représenté par la live-action et l’imagination féminine montrée par le biais du dessin en 2D. Parfaite synergie entre forme et fond.
Le contenu des monologues est en lui-même fascinant et interpellant, remarquablement perspicace et en même temps très naturel. Des stéréotypes d’une masculinité vigoureuse et sans failles, insouciante et nonchalante, jusqu’au fantasme d’un homme-à-femmes sensible : les témoignages rendent compte de la complexité de la construction de genres à nos jours, fort libérée par rapport à nos aïeux mais toujours ancrée dans des clichés. Reumont puise dans l’iconographie (Serge Gainsbourg, la figure du père, le bûcheron, …) pour incarner ces différentes facettes de la virilité perçue. En même temps, les représentations que se font les filles de ce qu’est un homme sont révélatrices des « problèmes de base » propres à la féminité : les craintes et les insécurités du « sexe faible » et le statut subalterne que même les sociétés les plus évoluées ne se privent pas d’inculquer tacitement.
Mario et Clemens pourraient être deux amants. « Mediation » (Ausgleich) de l’Allemand Matthias Zuder, présenté à Clermont-Ferrand ces jours-ci, commence dans le métro et s’y termine dans des circonstances assez troubles. Au début du film, Mario prend l’escalator pour prendre le métro. Il se sait suivi par Clemens quelques mètres plus loin. Et si Mario a la mâchoire contractée, rien dans son comportement n’exprime une colère, une peur ou une envie de se soustraire à la filature que lui impose Clemens. Un peu comme dans les films d’Atom Egoyan, nous comprenons que les deux protagonistes sont liés par un secret ou une intimité indécelable à l’œil nu. Alors, si nous voulons en savoir davantage, il nous faut continuer à les regarder et monter dans la rame de notre propre voyeurisme.
Dans les faits, la relation entre les deux hommes se résume à leur rencontre dans le métro et à l’agression de l’un (Clemens) par l’autre (Mario). « Mediation » alterne crescendo des scènes où la victime suit celui qui l’a agressé avec d’autres où les deux hommes, assis autour d’une table, entreprennent une médiation en présence d’un homme plus âgé, modérateur et bienveillant.
Le thème de la médiation dans ce film surprend : le médiateur ressemble davantage à un prêtre ou à un travailleur social qu’à un juge ou un avocat, et sa pratique est peu courante voire inexistante en France. Or, ici, celle-ci semble établie. Après une agression, agresseur et victime peuvent donc se retrouver calmement autour d’une table. Un peu trop beau pour être vrai ?
Aussi volontaires que soient les deux hommes, entre Mario, l’agresseur, et Clemens, la victime, il y a une impasse : la restitution de la mémoire de « l’événement » ( l’agression). Produire poliment son mea culpa tel un élève appliqué, par oral et par écrit, c’est bien. Mais, pour cela, encore faut-il se rappeler des faits, les détailler et les assumer devant la mémoire. Or, entre le traumatisme de Clemens et l’amnésie de Mario, la mémoire de l’événement se balade entre les deux hommes, devenant une partie de poker voire une séance de spiritisme dont les règles échappent au médiateur. Entre mensonge et mysticisme, la violence de l’agression échappe aux bonnes intentions avancées. Clemens, obsédé/aliéné par son besoin de savoir, rappelant alors le mari endeuillé du long métrage « L’Homme qui voulait savoir » de Georges Sluizer, se met alors à suivre Mario à la trace dans le métro. Là où tout a commencé.
Synopsis : Un soir, dans le métro, Clemens, un homme d’une trentaine d’années, s’est fait agresser par Mario. Les deux hommes se retrouvent face à face en présence d’un médiateur. Cette médiation doit permettre à Mario de faire son Mea Culpa, d’éviter peut être la prison, et à Clemens de comprendre ce qui s’est passé.
Genre : Fiction
Durée : 9’09 »
Pays : Allemagne
Réalisation : Matthias Zuder
Année : 2011
Dialogues : Ralph Thiekötter
Interprétation : Enno Trebs, Alexander Wüst, Tilo Werner
Près de dix ans après « Le conte du monde flottant » où il abordait le drame d’Hiroshima, Alain Escalle revient cette année dans le programme national du Festival de Clermont-Ferrand avec un nouveau film d’animation de 35 minutes. Version apocalyptique du Bardo Thödol tibétain, « Le Livre des Morts » est une œuvre troublante qui raconte le voyage métaphysique d’un homme au crépuscule de sa vie, confronté aux démons de sa mémoire. Quelque part entre la Russie et la Pologne, l’homme fait face aux souvenirs traumatiques de la déportation et de l’extermination concentrationnaire nazie dans une cérémonie expiatoire, comme une purge de la mémoire, où il exhume les fantômes de l’Holocauste pour s’en libérer.
Certes le thème est lourd, et d’entrée de jeu, Alain Escalle nous plonge dans l’univers sombre et inquiétant d’une ville en ruine, comme le symbole d’une mémoire en lambeau et une référence évidente au ghetto de Varsovie. Dans le souffle froid de bourrasques hivernales, un livre tourne ses pages laissant apparaître comme autant de destins, des listes de noms numérotés par matricules. Une voix off sortie d’outre-tombe révèle en russe les secrets du livre alors que des murmures inaudibles accompagnent des chants d’enfants russes. Des visages fantomatiques tordus de douleur apparaissent en surimpression entre les pages, alors que des plans de coupe nous montrent dans des cadres de photo en noir et blanc des portraits d’hommes et d’enfants souriant et des icônes de la vierge. Entre la multitude de rats envahissant les rues et le cri sinistre des corbeaux, l’homme referme le livre dans une valise et, comme pour répondre à un appel intérieur, quitte la ville pour un pèlerinage rédempteur vers les spectres de son passé.
Avec un esthétisme graphique très poussé où se mélangent des images en prises de vues réelles travaillées en rotoscopie et une 3D qui se joue des pesanteurs, Alain Escalle pose un univers visuel impressionnant où le fantasmé s’imbrique dans un réalisme brutal. La narration se déstructure autour de tableaux oniriques et cauchemardesques où se confondent le froid parcours d’un homme sur la fin de sa vie, et le voyage intérieur et quasi mystique qui le confronte aux souvenirs de l’abomination finale. Le thème du corps décharné, torturé, sert comme une récurrence à passer de l’un à l’autre, reliant l’aspect charnel de la souffrance à celui de l’esprit dans une mise à nu symbolique. Entre mouvements symphoniques et dissonances calculées, la musique de Flemming Nordkrog attise parfaitement l’ambiance dramatique du film, tout comme les chants en russe et la tonalité du violoncelle lui confèrent l’accent grave et déchirant des âmes slaves martyrisées.
« Le Livre des Morts » nous met face à l’un des pans les plus atroces de l’histoire de l’humanité. Les trains de la honte, les camps, les chambres à gaz et les charniers, tout y est. Mais au-delà d’un film sur les horreurs de la Shoah, « Le Livre des Morts » est une œuvre qu’on peut percevoir de façon plus intime. Tout comme le livre tibétain du même nom, Alain Escalle aborde surtout ici la question de l’affranchissement de l’âme de ses corps de souffrance, et le cheminement spirituel vers la libération au moment de la mort.
Synopsis : Dans le quartier en démolition d’une ville d’un pays de l’Est, Micha est aux prises avec les fantômes du passé et des visions voilées, images meurtries d’un camp de concentration qui se révèle peu à peu.
Genre : Animation
Durée : 35’
Pays : France
Année : 2012
Réalisation : Alain Escalle
Scénario : Alain Escalle
Image : Florian Kuhn, Alain Escalle, Stephen Barcelo
Tout le monde a déjà entendu parler de ce bon vieux Raspoutine, conseiller du Tsar de Russie que l’on qualifia bien souvent de sorcier. Mais connaissez-vous réellement son histoire ? C’est en tout cas celle-là que souhaite nous conter le narrateur de Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine, film de fin d’études de Céline Devaux, récompensé du Prix du Meilleur Film d’Animation francophone (S.A.C.D.) au dernier Festival de Clermont-Ferrand et présenté ces jours-ci au Festival Anima à Bruxelles. Celui-ci commence non pas par une image mais par une voix qui s’exprime en vers, celle du conteur. Cette voix profonde interpelle le spectateur. « Bienvenue à toi » nous dit-elle, et, interpellé par cette invitation chaleureuse et par un décor plongé dans le noir au sein duquel seuls apparaissent des yeux, on s’installe et se prépare à entrer dans la sombre vie de Grigori Efimovitch Raspoutine.
L’image, soudain, s’éclaircit, et voici un loup de Russie ! Le récit commence, et le tout, image et voix, s’accompagne d’une musique intrigante qui évoque les heures sombres d’un Est lointain. Cette création musicale est l’œuvre originale de Flavien Berger, et accompagne chaque image et chaque mouvement des personnages en créant une atmosphère juste, tantôt légère, tantôt inquiétante. Raspoutine, quant à lui, se meut parfaitement dans ce décor en noir et blanc. Il s’agit d’un personnage filiforme qu’on nous présente avec une liste d’adjectifs aussi longue que le titre du film, aussi longue que le personnage est grand.
Pour Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine, Céline Devaux joue sur les formes, les transformations des corps, les apparitions et disparitions du personnage dans le décor. La silhouette de Raspoutine se tord constamment, se courbe devant le Tsar, se pavane devant les femmes et se faufile devant l’ennemi, à l’instar du personnage qui parvient à intégrer la cour et à séduire toute la Russie, suscitant par la même occasion passions et jalousies. Les corps se transforment à l’image selon le texte et les situations, alliant parfaitement le son et l’image dans une maîtrise avérée de l’expression par le mouvement.
Le film est une animation de peintures sur celluloïd, une matière plastique qui a servi à la production de pellicules pour l’industrie cinématographique. On ressent dans le travail de Céline Devaux une envie de rendre hommage au cinéma comme à la peinture. Le choix du support, du noir et blanc, ainsi que du panneau annonçant le titre rappellent les films muets du cinéma des premiers temps, tandis que le graphisme évoque des influences picturales variées. Les dessins, très détaillés, sont composés de multiples formes géométriques qui foisonnent à l’écran, sous forme de damiers ou de mosaïques. Ces riches toiles de fond, la partition occasionnelle de l’écran en plusieurs parties et les formes mouvantes et abstraites font de cette œuvre un objet cinématographique très riche dans lequel se livre une véritable danse des corps et des formes, le tout savamment alimenté par une musique originale et un texte non dépourvu d’humour.
Synopsis : Au début du XXème siècle, un moine errant arrive à la cour des derniers Tsars de Russie : Raspoutine. Négligé et lubrique, le moujik s’introduit néanmoins dans le cénacle fermé de la famille impériale. Ce qui n’est pas au goût de certains aristocrates…
Genre : Animation
Durée : 10′
Pays : France
Année : 2012
Réalisation : Céline Devaux
Scénario : Céline Devaux
Montage : Céline Devaux
Musique : Flavien Berger
Voix off : Yves Dufournier
Production : Ensad, École Nationale des Arts Décoratifs