Rodri de Franco Lolli

L’art et la maîtrise du portrait

Avec « Rodri », Franco Lolli renoue des liens avec son film de fin d’études de la Fémis, « Como todo el mundo » : même équipe de tournage, même regard sociologique porté sur la société colombienne, même recours aux comédiens non professionnels. Le premier film avait déjà bien circulé en festival (à Clermont-Ferrand, entre autres, où il avait remporté le Grand Prix en 2008). « Rodri » lui emboîte le pas (Quinzaine des Réalisateurs, Festival Côté Court de Pantin, Premiers Plans d’Angers et maintenant, Clermont-Ferrand).

Format Court avait interviewé le jeune réalisateur alors qu’il sortait tout juste de La Fémis : son discours était déjà bien construit et il manifestait des envies ainsi qu’un style bien personnel. Aujourd’hui, à 29 ans, le jeune homme poursuit sur sa lancée et surtout, il prouve avec « Rodri », qu’il est resté fidèle à ses idéaux de cinéma d’il y a quatre ans en maintenant son intérêt pour l’intime, les gens, les rapports de classe.

Comme son titre l’indique, le film « Rodri » raconte l’histoire de Rodrigo Gómez, alias Rodri, quadragénaire vivant à Bogotá, entretenu par sa sœur aînée, Leticia. On suit pendant quelques jours cet homme au physique fragile, à l’allure un peu attardée, profondément paumé et détruit par sa relation avec son ex-femme.
Le film débute par une scène filmée dans un cabinet médical où l’insistance de la sœur de Rodri confirme la présence acerbe de celle-ci dans la vie de son frère. Femme au caractère autoritaire, elle décide de tout ce que doit faire, dire ou manger son frère sans que celui-ci n’ose réagir.

Y succèdent différentes scènes de la vie de Rodri, presque toujours accompagné de sa sœur : les achats pour une nouvelle paire de lunettes, la prise du petit-déjeuner à l’appartement, le premier jour d’un nouvel emploi et la fête d’anniversaire en famille dans une propriété à la campagne. Tout du long, Rodri ne cesse d’être considéré comme un enfant par Leticia, voire par tous les membres de sa famille. Et à chaque fois qu’il se permet de refuser une situation ou bien d’imposer un de ses choix, il récolte la colère et les critiques de sa sœur. Si bien que la conjoncture n’évolue pas vraiment : il n’a pas envie de faire d’efforts pour convenir à sa sœur puisqu’il ne souhaite qu’une chose, qu’on le laisse tranquille ; et elle, persuadée qu’elle doit rester vivre à ses côtés afin qu’il s’en sorte, persiste à jouer un rôle démesurément maternel.

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En Colombie tout particulièrement, la famille est sacrée, malgré les tensions qu’elle peut engendrer. Franco Lolli a tendance à souligner dans ce film comme dans le précédent, que l’on peut voir dans le devoir familial, une grande générosité aussi bien qu’un enfermement. On est par conséquent touché par ce personnage si malheureux intérieurement qu’il n’arrive pas à s’imposer dans cette famille tellement envahissante.

Le travail de Franco Lolli ne se résume pas seulement à raconter des histoires familiales ou sociales, mais plus volontiers à livrer des moments de vie, à filmer des individus sous forme d’une parenthèse de leur quotidien. C’est-à-dire qu’il les (sur)prend à un moment A et les laisse à un moment B pour tourner entre ces deux points. Ces héros-là (ou plutôt, ces anti-héros) ont eu une vie avant le film et celle-ci se poursuivra sa fin. On remarquera à ce propos que le réalisateur a pris l’habitude de signaler la période et le(s) lieu(x) de tournage à la fin des génériques de ses films, ce qui leur donne un aspect proche du documentaire et un regard assurément sociologique. Par exemple, « Rodri » a été tourné entre le 27 septembre et le 9 octobre 2011, entre Bogotá et Arbelaez en Colombie.

Concernant l’approche sociologique, Lolli maîtrise à merveille l’art du portrait. Que l’on soit sensible ou pas aux personnalités choisies par le réalisateur, on est conquis par ce qu’il filme, par la justesse du jeu des comédiens, par la crédibilité de la mise en scène, par l’intimité créée par ses choix de caméra, par la véracité des dialogues.

Le réalisateur dirige des comédiens qui ne sont pas professionnels avec une recherche de vraisemblance et de réalité, un peu comme l’auraient fait les frères Dardenne dans leur style. En l’occurrence, pour « Rodri », il s’agit de la propre famille du réalisateur. Autre remarque qui donne au film un aspect réel et authentique est le choix de ne pas accentuer l’émotion par la musique. Elle est effectivement absente du film sauf au moment du générique final où le Vallenato prend place pour rappeler les appartenances latino-américaines du réalisateur.

Franco Lolli nous offre, à travers « Rodri », une carte postale vivante, un regard unique et intime sur un contexte familial assez général où chacun pourrait finalement y trouver des similitudes avec sa propre famille. Notons que le réalisateur travaille aujourd’hui activement au développement de son long-métrage, « Gente de bien », avec la même « patte » sociologique et les mêmes thématiques qui lui sont chères.

Camille Monin

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