Les humeurs de Mademoiselle Humeur

L’année passée, à la même période, Mademoiselle Humeur était maussade. Obligée de rester à Paris, elle suivait de loin les 50 ans du festival d’animation d’Annecy. Elle s’était bien nourrie d’une (grosse) miette, en regardant le DVD spécialement édité pour l’occasion, mais elle râlait quand même un peu dans son coin. Cette année, la donne a changé : Humeur a commencé à y croire. Elle a pu se libérer, trouver un logement à la dernière minute, prendre le train à la Gare de Lyon, faire la connaissance d’un certain Ficus, lapin de son hôtesse, commencer à regarder les films. … Et n’a pas compris. Que s’est-il passé cette année au festival ? Pourquoi les films courts et les films d’étudiants ne l’ont pas transportée comme auparavant ? Était-elle moins en lien avec l’animation que dans le passé ? Ne s’était-elle pas encore remise de son festival de Cannes ? Était-elle trop distraite par Poupou ? Avait-elle raté le cochon d’Inde en ne venant pas l’année précédente ? Et bien, non. Les films n’étaient tout simplement pas à la hauteur de ses attentes. D’ailleurs, elle n’était pas la seule à le penser.

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Ficus

En tendant ses oreilles non percées, Mademoiselle Humeur a vu et entendu des choses. Certains films, pourtant bons, n’avaient pas été retenus, d’autres, franchement inintéressants, provoquaient moult soupirs et petits éclairs animés auprès des spectateurs. À qui la faute ? Aux comités de sélection qui avaient laissé passer les mauvais films et écarté les bons, aux connaisseurs de plus en plus exigeants en matière d’images, aux sous-titres souvent inexistants pour les films américains mis à l’honneur cette année, au festival qui, à force de multiplier les séances, isole de plus en plus les films ?

Humeur, vaguement chauvine, pourrait prétexter que les meilleurs films d’Annecy ont été repérés en amont par ses Monsieur Madame informés et courtois (« Switeź » de Kamil Polak, « Big Bang Big Boom » de Blu, « A Lost And Found Box Of Human Sensation » de Martin Wallner, Stefan Leuchtenberg, « Miss Daisy Cutter » de Laen Sanches, « Les Arbres Naissent Sous Terre » de Sarah et Manon Brûlé). Mais ce serait trop facile. Elle pourrait aussi, palmarès 2D à l’appui, écrire en toutes lettres qu’attribuer le Cristal du court métrage à un film aussi connu et peu inspirant que « Pixels » équivaudrait à faire bouffer des frites à un mec comme Ronald Mc Donald. Mais ça aussi, ce serait trop facile.

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Ernest et Célestine, croquis de travail

Humeur n’est pas du style à cracher dans la purée. Annecy a bel et bien ses avantages : des avant-premières de courts métrages de Pixar et Disney, des longs métrages qui valent la peine d’être vus (« Chico et Rita », « Le Chat du Rabbin »), des séances fabuleuses (le souvenir du work in progress d’« Ernest et Célestine » est aussi figé qu’un post-it), une ambiance hors du commun (concours de bruits de carpe, hystéries « lapinales »), un lac super autorisant de sacrés tours en vélo, des déclinaisons fromagères intéressantes (raclette, fondue, tartiflette), et un Quick incontournable pour tout malbouffeur qui se respecte.

Mais le festival a aussi ses inconvénients : un système d’inscription en ligne complexe, des files d’attente interminables, un cercle professionnel invisible, et un réel problème dans la production de cette année. Car face à certains courts, l’émotion, la vraie, est introuvable. Exemples parmi d’autres : « Paths of Hate » de Damian Nenow, pourtant lauréat d’une mention spéciale, prouve par le sang et l’inutilité qu’on peut jouer à la guerre sans être en mesure de raconter une histoire pour autant, « Nullarbor » d’Alister Lockhart et Patrick Sarell pourrait se baser sur sa première syllabe pour qualifier sa course poursuite inutile et aride entre un homme et un vieillard, « Xing » de Michael Naphan, comédie de base, faiblit très rapidement, malgré un design sympa et un intérêt pour les rennes débiles.

Et pourtant, cette année, il y avait des courts intéressants à Annecy. Sauf qu’il y en avait peu, en tout cas selon les critères d’Humeur, qui s’est laissée seulement séduire par une poignée d’entre eux. Deux se laissaient apprécier en compétition officielle : « Don’t tell Santa you’re jewish » de Jody Kramer (pour son humour juif et son esprit de tolérance), « Zbigniev’s Cupboard » de Magdalena Anna Osinska (pour la beauté de ses personnages taillés dans le bois). Et quatre figuraient parmi les films de fin d’études : « De volgende » de Barbara Raedschelders (pour son aspect documentaire, chargé de souvenirs), « Condamné à vie » de Vincent Carrétey et Hanna Letaïf (pour son absurdité et son accent impayable), « M’échapper de son regard » de Chen Chen (pour la simplicité de son trait et son amour des poules) et « Bridge » de Dina Velikovskaya (pour son traitement muet et doux du divorce). Humeur a beau être une pauvre nouille en math, six films sur 101 en compétition officielle, ce n’est pas beaucoup.

Katia Bayer

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