Tous les articles par Katia Bayer

La Berlinale ouvre bientôt ses portes !

La Berlinale accueillera sa 74ème édition du 15 au 25 février prochain. Au programme, une multitude de courts comme de longs à se délecter. Dans la sélection des courts, on trouve Shuli Huang entre autres avec son nouveau court Jing guo (Goodbye First Love), qui nous avait déjà ému.es en 2022 avec Will You Look at Me, ou encore Joung Yumi avec Love Games en 2014 et The Waves en 2023. On a également hâte de retrouver Lin Yihan, Yuyan Wang, ou encore Francisco Lezama en compétition.

Au total, une sélection de 20 courts-métrages issus de 11 pays en compétition en lice pour les Ours d’or et d’argent de cette édition 2024 qui s’annonce passionnante.

Films en compétition

Adieu tortue, Selin Öksüzoğlu – France
Al sol, lejos del centro (Towards the Sun, Far from the Center), Luciana Merino, Pascal Viveros – Chili
Les animaux vont mieux, Nathan Ghali – France
Circle, Joung Yumi – Corée du Sud
City of Poets, Sara Rajaei – Pays-Bas
Jing guo (Goodbye First Love), Shuli Huang – Etats-Unis
Kaalkapje (Baldilocks), Marthe Peters – Belgique
Kawauso, Akihito Izuhara – Japon
The Moon Also Rises, Yuyan Wang – France
Un movimiento extraño (An Odd Turn), Francisco Lezama – Argentine
Oiseau de passage, Victor Dupuis – Belgique
Pacific Vein, Ulu Braun – Allemagne
Preoperational Model, Philip Ullman – Pays-Bas
Re tian wu hou (Remains of the Hot Day), Wenqian Zhang – Chine
Shi ri fang gu (Sojourn to Shangri-La), Lin Yihan – Chine
Stadtmuseum / Moi Rai (City Museum / My Paradise), Boris Dewjatkin – Allemagne
Tako tsubo, Fanny Sorgo, Eva Pedroza – Autriche
That’s All From Me (So Viel von Mir), Eva Könnemann – Allemagne
Ungewollte Verwandtschaft (Unwanted Kinship), Pavel Mozhar – Allemagne
We Will Not Be the Last of Our Kind, Mili Pecherer – France

Nans Laborde-Jourdàa : « Je veux assumer le goût de l’indécision »

Réalisateur, comédien et metteur en scène, Nans Laborde-Jourdàa nous livre dans Boléro un conte sensuel et galvanisant sur un danseur retournant dans sa ville natale et provoquant une transhumance érotique et organique, au rythme du Boléro de Ravel. Queer Palm et Prix Canal + (Semaine de la Critique 2023) et maintenant nommé aux César 2024 dans la catégorie court-métrage de fiction, Boléro est un film inédit. Après avoir également réalisé les courts-métrages Looking for Reiko en 2017, qui narre l’errance d’un homme à Tokyo à la recherche d’une chanteuse des années 1970, et Léo la nuit en 2021, qui explore les liens complexes entre un père et son fils, Nans Laborde-Jourdàa se confie à Format Court sur son travail pluriel et versatile.

Format Court : Ça fait quoi d’être nommé aux César ?

Nans Laborde-Jourdàa : J’étais nommé l’année dernière pour Léo la nuit, et ça avait été une énorme surprise ! Je ne savais même pas qu’il y avait des prénominations. Avec Léo la nuit, tout était surprenant pour moi, car je découvrais aussi le milieu du court-métrage. C’est un film que j’avais fait très vite. Pour Boléro, il y a eu forcément un peu plus d’attente, mais c’est toujours une grande surprise de savoir qu’on est nommé. Aux César, il y a un éventail très large de cinémas représentés. Et les événements proposés par l’Académie permettent de se rencontrer entre nous. Les César représente à la fois peu et beaucoup de choses. Je viens d’une petite ville des Pyrénées et j’allais peu au cinéma quand j’étais jeune. Le seul lien que j’avais avec ce milieu, c’était les César. J’ai regardé longtemps une cérémonie qui récompensait des films que je ne voyais pas. Les César me renvoient à l’enfant en moi qui voulait être réalisateur.

Tu allais très peu de fois au cinéma. Comment t’es venue cette passion ?

NLJ : Quand j’étais enfant, c’est le théâtre qui m’a vraiment attrapé. Le cinéma est arrivé un peu plus tard au collège, et ça a été de vrais chocs esthétiques et de découvertes de mondes. À l’école, on est allé voir Rue Cases-Nègres d’Euzhan Palcy. J’ai vu que d’autres mondes existaient en dehors de ma petite ville, et j’y ai découvert la grammaire du cinéma. Cela ne m’a jamais vraiment quitté. Des films comme On connaît la chanson, que j’ai vu avec ma famille, m’ont vraiment marqué. A l’époque, j’avais une amie qui venait chez moi l’été, et qui était en option cinéma. Elle me donnait des VHS, comme Les Glaneurs et la Glaneuse d’Agnès Varda, et j’ai eu des vrais chocs, j’ai été physiquement renversé. Avec Pierrot le Fou, j’ai presque eu des orgasmes visuels, cela m’a ouvert un monde que je ne soupçonnais pas. Il y a eu un avant et un après. Et puis ça a été un moyen de quitter ma ville et de faire un bac cinéma à 15 ans. Après une fac à Bordeaux où les études ne me convenaient pas, je suis parti à Paris faire une école de théâtre sur un coup de tête. Je suis devenu comédien, metteur en scène, et j’ai monté ma compagnie de théâtre. Mais je ne me sentais pas légitime à l’idée de faire du cinéma.

Tu diriges la compagnie Toro-Toro. Dans Boléro et ton premier court-métrage Looking for Reiko, la danse et le théâtre ont une place très importante. Que permettent de dire ces médium ?

NLJ : Avec le théâtre, je me suis rendu compte que j’aimais des choses intimes, qui n’étaient pas dans une forme réaliste. Ça m’intéresse de comprendre comment par la stylisation, on arrive à recréer du réel. J’ai travaillé avec des générations d’artistes sortant comme moi du Conservatoire du 5e. J’y ai découvert l’écriture au plateau. Tout part d’improvisations proposées et cadrées par le metteur en scènes et où le comédien écrit lui-même sa propre partition. Il y a quelque chose de l’acteur-créateur, et depuis toujours, je ne me suis jamais senti acteur, mais plutôt créateur. C’est comme cela que j’ai commencé à travailler comme comédien. Aussi, au théâtre, on m’a souvent fait danser. Je pense que j’aurai voulu être danseur quand j’étais adolescent, et je ne me le suis pas autorisé. Mais la danse a perlé mon travail de théâtre, puis de cinéma. Bien sûr, les dialogues sont importants, mais avec le corps, on raconte beaucoup avec très peu.

Tu dis te sentir plus créateur qu’acteur, mais tu joues beaucoup dans tes propres courts-métrages. Comment se dirige-t-on comme acteur ?

NLJ : Ça a toujours été très fluide. Dans Looking for Reiko, je reprenais le pouvoir sur des choses qui me dépassaient. Àl’époque, j’avais développé un film sur un an, dont le tournage avait été annulé un mois avant. Looking for Reiko s’est créé en secousse à ça, avec l’idée de partir avec un téléphone et de filmer à l’autre bout du monde, avec mes propres ressources, où je me suis mis au centre du dispositif. Jouer dans Léo la nuit était une évidence, je filmais des gens que j’aimais et que je connaissais très bien pour certains. Le rapport qu’on avait dans la vraie vie m’intéressait, même si c’était une fiction. Je crois dans l’idée que les relations entre les individus, qui existent avant le tournage, permettent de dire des choses au spectateur au-delà du scénario, qui sont impalpables. Léo la nuit a été fait très vite, dans des conditions très précaires. Je pense qu’il a vécu grâce à ces vibrations entre les personnages.

Dans Léo la nuit, un homme doit s’occuper de son fils de huit ans qu’il n’a pas vu depuis longtemps. Qu’est-ce qui t’a intéressé dans le rapport assez inhabituel du père envers son fils ?

NLJ : On m’a proposé de faire une pièce dans un festival : j’ai commencé à écrire une pastorale pyrénéenne sur mon adolescence. Je faisais venir un enfant qui devait m’incarner alors que je jouais mon père. J’ai rencontré Cuysa [Cyusa Ruzindana Rukundo Marcou, l’acteur de Léo] et j’ai adoré sa créativité. Il y avait quelque chose de très vivant, et je trouvais qu’il me ressemblait, je me projetais en le voyant. Il n’a pas voulu joué dans la pièce finalement car il était trop intimidé par la rencontre avec le public mais quelques années après, j’ai réfléchi à l’histoire d’un père et de son fils qui ne se connaissaient pas vraiment et j’ai pensé à Cuysa. Il a d’abord refusé puis accepté de jouer dans un film. J’aimais comment les choses circulaient entre nous. Léo la nuit est venu de questions sur l’amour, la famille qu’on a, celle qu’on s’invente, les enfants qu’on a, ou qu’on a pas… De base, cela devait être une série de courts-métrages. Finalement, j’ai tellement aimé filmer et monter Léo la nuit, que je n’ai pas eu besoin de continuer à développer cette relation-là, même si je voudrais beaucoup rejouer avec Cuysa et avec tous les acteurs du film.

Comment dirige-t-on un enfant ?

NLJ : C’est très surprenant. J’avais tout le temps peur qu’il veuille arrêter de jouer, ce que j’aurais compris. Mais j’ai beaucoup parlé avec lui, je lui ai fait rencontrer l’équipe. Il n’avait pas le scénario, il n’était pas au courant de choses qui auraient pu être traumatisantes. Je lui disais le dialogue une fois, et il l’apprenait immédiatement, c’en était presque déstabilisant. Travailler avec lui, et les autres, était un plaisir. Il y a avait une sorte de fluidité avec les comédiens et l’équipe technique, en laquelle j’avais confiance.

Tes personnages sont souvent caractérisés par une instabilité, et se définissent par leurs interactions avec les autres. Même s’ils ont une vie inhabituelle, on s’y identifie. Comment écris-tu tes personnages ?

NLJ : Mes personnages se définissent vraiment dans leur contexte avec l’autre. C’est pour cela que je les ai joués moi-même. On m’a souvent proposé comme comédien des rôles définis par les autres, comme un passeur. C’est très déstabilisant et désagréable à jouer. En tant que comédien, ça me dérange de me dire qu’on est seulement révélé par les autres. Mais le jouer personnellement, savoir ce que le personnage veut, me plaisait. J’ai un goût pour l’errance, je veux assumer un goût de l’indécision. On est dans une époque où il faut être offensif, savoir ce qu’on veut, le faire vite. Par mon cinéma, je veux dire l’inverse. On peut hésiter, ne pas savoir, et se réapproprier son rythme.

Boléro contraste avec Léo la nuit et Looking for Reiko, notamment en termes de rythme. Comment as-tu réfléchi à cette lenteur, cette indécision ?

NLJ : Dans le début de Boléro, il s’agit d’un homme qui rentre chez lui, et qui erre. Je voulais créer une expérience sensitive, courte, qui durait le temps du Boléro [de Ravel]. Mon personnage retourne dans des paysages qu’il connaît, avec des gens qu’il connaît, où tout semble fantomatique. Au-delà de comprendre le côté queer, le spectateur doit pouvoir faire l’expérience d’un rythme lent, comme j’ai pu m’ennuyer dans les Pyrénnées de mon adolescence. Je ne voulais pas seulement le dire mais aussi que le spectateur se perde dans cette expérience.

En effet, la deuxième partie développe un érotisme très organique.

NLJ : Oui, le personnage principal refait surgir des figures du passé, mais aussi des figures violentes, qui le renvoient à la condition de jeune homosexuel, qui doit se construire dans la marge. Parce qu’on est invisibilisé, on rencontre des gens qui peuvent nous faire du mal, comme il rencontre cet ancien professeur avec qui une chose a dérapé. Pour moi, c’était comme aller au bout du chemin, et décider que cette errance était finie. Mais je ne voulais pas que ce soit négatif, ni trop sexuel. Le protagoniste veut danser pour réenchanter les choses, et montrer comment par l’art, on parvient à transgresser les normes et à rassembler les gens par le biais du groupe.

Il y a quelque chose de l’ordre du Sublime à la fin de Boléro, où le personnage finit par transcender son individualité pour devenir un symbole.

NLJ : Le personnage est plein de blessures, et d’une rage à l’intérieur de lui qu’il exprime par la danse, qui connecte tous les membres de ce petit village. Il rappelle la solitude et le besoin d’être ensemble. Il montre comment on parvient à faire groupe et à réinventer les choses, à se réapproprier ce monde dans lequel on vit, fragmenté et capitaliste. Dans une société où l’on est déshumanisé, je voulais montrer comment on réinvente des récits ensemble. Je voulais le mettre en scène dans une manière simple et épurée, comme un petit conte inoffensif et porteur d’une révolution.

As-tu l’impression qu’on a donné de la visibilité à ceux qui étaient invisibilisés ?

NLJ : Ça dépend. J’évolue dans une grande ville, je pense que les choses ont changé pour des gens plus jeunes que moi. Le rapport a changé, ici ou dans des zones plus reculées. Ce que j’ai vécu n’est pas la même chose que ce que vit un jeune aujourd’hui. Les mentalités ont évolué, mais la violence est toujours présente et s’est déplacée. C’est une violence de minorités, et une violence de classes.

Tu as reçu la Queer Palm et le prix Canal + à Cannes, et Boléro est maintenant nommé aux César 2024. Comment le film a-t-il été accueilli autour de toi ?

NLJ : Ça a commencé directement avec Cannes, et le retour des gens a été très chaleureux, j’ai reçu beaucoup d’amour, alors que je m’attendais à quelque chose de très dur. Et puis il y a eu la projection du film dans les Pyrénées. Montrer le film dans ma ville natale m’angoissait autant que de le montrer à Cannes. Lorsque je suis arrivé à Oloron, je m’attendais à une trentaine de personnes. Mais petit à petit, des centaines et des centaines de personnes sont venues ! Il y a eu beaucoup d’articles, mais les gens n’avaient pas vu le film. Je me disais qu’ils allaient tomber des nues, que ça allait mal se passer. Mais les retours ont été tellement chaleureux, c’était une très belle projection. Avant le tournage, j’avais très peur de comment Fran [François Chaignaud, acteur.ice principal.e de Boléro] allait être intégré.e dans ma ville natale, ce que les gens allaient dire. En fait, il y eut une communion à tous points de vue. Pour moi, même si le film n’allait jamais être montré en festival, l’expérience collective et cette réconciliation me suffisaient.

As-tu des projets pour le futur ?

NLJ : Je suis en train d’écrire un long-métrage depuis quelques mois. Ce sont de nouveaux contes queers contemporains autour de la question de l’amour et de la folie amoureuse. J’aimerais aussi refaire des courts-métrages, c’est un format que j’aime et que je n’ai pas encore exploité complètement. Avec le long-métrage, il faut tenir sur une heure et demie, et il y a des enjeux économiques. C’est un monde différent que je découvre petit à petit. En s’entourant de bonnes personnes, il faut réussir à faire précisément le projet qu’on a en tête, et rester près de ses envies.

Propos recueillis par Mona Affholder

Article associé : la critique du film

Boris Vian fait son cinéma

Boris Vian a chanté, joué, composé, écrit des romans, de la poésie, des critiques… et même des scénarios ! De son inspiration, on tire aujourd’hui Boris Vian fait son cinéma, un projet édité en DVD par Blaq Out rassemblant six courts-métrages réalisés à partir de l’œuvre littéraire de l’artiste. Un mélange bigarré qui nous donne l’opportunité de s’approprier six histoires différentes aux nuances si singulières. Une manière d’approcher les écrits, mais aussi les compositions de l’artiste, puisque chaque court-métrage est accompagné d’une de ses musiques, reprise par des interprètes contemporains.

Le court L’Autostoppeur, réalisé par Julien Paolini, semble sorti tout droit d’un roman noir. Un couple en voiture renverse un cycliste en allant dans le Sud, et l’homme décide de cacher le corps dans la voiture. Au bout du chemin, une mystérieuse silhouette apparaît… l’autostoppeur. Il n’a pas de chemin où aller, et pourrait bien s’amuser à devenir le corbeau dans l’histoire. Le court à l’accent aussi sombre que prenant vient se détacher des autres courts, et nous enthousiasme par le jeu brillant d’Annelise Hesme et Hugo Becker.

De quoi j’me mêle, réalisé par Pablo Larcuen, est l’histoire un peu tordue d’un homme qui essaie de reconquérir son ex-femme, qui elle, ne s’intéresse plus à lui faute d’argent. Toute l’histoire tient sur un – ou plusieurs – gros malentendus. Le spectateur se laisse surprendre par une spirale de quiproquos qui n’en finit plus dans un ton aussi absurde qu’amusant. De toute la sélection, il fait particulièrement écho au court poétique et rigolo de Clémence Madeleine-Perdrillat, Le cow-boy de Normandie. Jim, très amoureux de Dany, veut absolument devenir un cow-boy dans la campagne normande…mais il doit aussi se marier à 17 heures, ce qui n’est pas aussi urgent que devenir cow-boy d’après lui. Joyeux, enfantin, ou totalement extravagant, ce court nous laisse un doux goût dans la bouche.

Il devient amer avec le court d’Elsa Blayau et Chloé Larouchi, Notre Faust. Une jeune femme, Marina, interprétée sublimement par Lou de Laâge, tombe amoureuse d’un danseur. Dans la rue, elle fait la rencontre d’une mystérieuse inconnue un peu insistante, jouée par Audrey Fleurot. Passant un pacte avec cette dernière, elle espère pouvoir réaliser son souhait le plus cher. On apprécie la patte énigmatique de ce court, jonglant entre la légèreté et le morose, la danse et le fantastique.

La Rue des ravissantes est le court le plus long de l’ensemble (40 minutes), réalisé par Anne-Laure Daffis. Nous suivons deux jeunes hommes qui souhaitent réaliser un reportage en maison de retraite sur la canicule pour France 3. Cela ne se passe pas comme prévu : ils rencontrent Gaston Lampion, interprété très justement par Jacques Herlin, un vieil homme qui leur parle d’une rue très spéciale, qui accueillait autrefois tout les prostituées de la ville… Sous la forme d’un documentaire un peu bancal, le court nous plonge dans une discussion aussi touchante qu’humoristique à l’air bien réel.

Nous nous laissons embarquer par le côté absurde et rêveur bien connu de l’oeuvre de Vian, avec La mécanique des tournesols, d’Albane Bisleau, Sarah El Karkouri, Valentine Gaffinel, Rokiatou Konaté et Marie Schnakenbourg. Salif Cissé interprète Ernest, un homme qui rate son bus et monte finalement dans un autre, qui se transforme en cabinet d’analyse thérapeutique dont il devient le responsable. La consultation de ses patients devient le propre motif de son introspection. Plongé.es dans le court, nous nous familiarisons avec la psychanalyse qui était un sujet cher à Boris Vian, et nous rappelle son roman L’arrache-cœur, dans lequel le psychiatre Jacquemort est lui-même pris dans une sorte de spirale.

Spirale est d’ailleurs l’effet que donne ce rassemblement de courts, où nous nous laissons emporter par la diversité de tons, de musiques et d’histoires du projet. Une large et répandue variété d’idées qui, à l’image de l’œuvre fourmillante de Vian, nous réjouit par la qualité de ses nouvelles interprétations !

Amel Argoud

S comme Sèt Lam

Fiche technique

Synopsis : Dans le quartier d’une ville insulaire, au milieu d’un rituel de transe, une petite fille est tétanisée. Elle a peur de voir les siens se blesser ou disparaître. Sa grand-mère lui raconte alors l’étrange histoire d’Edwardo, le premier des leurs à avoir vu sa mort et à l’avoir affrontée. La petite fille est attentive, elle sent bien que sa grand-mère ne lui raconte pas cette histoire sans raison.

Genre : Fiction

Durée : 23’

Pays : France

Année : 2022

Réalisation : Vincent Fontano

Scénario : Vincent Fontano

Montage : Elodie Fouqueau

Image : Vadim Alsayed

Son : Julien Verstraete

Interprétation : Nicolas Moucazambo, Françoise Guimbert

Production : Dobro films

Articles associés : la critique du film, l’interview de Vincent Fontano

Sèt Lam de Vincent Fontano

Comment accueillir la mort ? Est-il possible de l’affronter ? En tout cas, c’est le choix qu’a fait Edwardo, un pêcheur qui a refusé de mourir. C’est également celle d’une grand-mère décidant de raconter cette histoire à sa petite-fille, sachant quant à elle que sa fin est proche. C’est de ces deux histoires qui s’entremêlent que Vincent Fontano revient avec Sèt Lam à la forme filmique et à la présélection des César après son film Blaké (2021).

Dès son titre Sèt Lam, il nous est présenté un objet cinématographique mystérieux et quoique passionnant qui puise dans le créole et la culture réunionnaise. Cela nous est confirmé d’autant plus via l’histoire ici contée d’Edwardo, de son odyssée et de sa contestation devant la mort. Un Edwardo qui nous est introduit dès le début du film par son stoïcisme et sa solitude, un aspect bouleversé par sa rencontre avec la mort, avec sa plongée dans les fonds marins. Rien que de ce prémisse, de son personnage et de son envie de traiter des cultures et des mythologies différentes, le film s’apparente à un OVNI qui explore un terrain malheureusement trop peu visible dans le cinéma français et francophone. En effet, en mettant au cœur de son sujet et de son dispositif le deuil et le rapport à la mort, Sèt Lam se distingue en nous faisant découvrir une iconographie totalement différente de celle chrétienne souvent utilisée.

On y voit une mythologie et une iconographie noire qui se cristallisent dans ce personnage de la mort, loin des représentations européennes, et qui est traité ici avec une grande maîtrise par un auteur qui connaît très bien la Réunion et sa culture. Une mort d’autant plus marquante de par son look, de son costume européen et de ses bijoux africains. Représenté ici comme un melting-pot venant d’une île en mouvement. Une île dont il investit la géographie de ses quartiers et de sa langue, en prenant le parti radical de composer ces dialogues intégralement en créole. En somme, il fait de sa cité, de ce quartier de pêcheurs dans lequel vit Edwardo, un véritable décorum de cinéma absolument passionnant, mettant au cœur de son film un héritage réunionnais, traité ici à travers, entre autres, la forme du conte. Que ce soit à travers la narration de son film ou bien à travers le jeu de ses acteurs toujours en décalage avec leurs univers.

Vincent Fontano utilise ainsi le conte pour nous parler du deuil et de sa posture en tant qu’auteur sur les histoires et leur répercussions sur notre vie. Le film étant lui-même né du deuil de son réalisateur suite au décès de sa grand-mère, cette grand-mère qui est ici la narratrice et le pivot de ce récit. Une thématique qui nous ramène à son dernier film Blaké, un film qui évoquait déjà le conte comme un moyen de s’échapper, d’affronter une réalité d’ennui dans un parking vide.

Cependant, malgré le deuil inhérent au film et à sa genèse, on peut voir dans cette œuvre une fête, une revendication d’une culture, d’une mythologie et d’une vie. Une sorte d’énergie revendicatrice qui se laisse percevoir dès les premières minutes et en particulier via la danse. Dès son premier plan, le film nous happe, ce dernier représentant un jeune homme qui court de toutes ses forces comme pour fuir la caméra. Transposés sur une musique électronique, ses mouvements de bras se transforment pour devenir une vraie danse, un vrai combat contre la montre et contre la mort. Cette transe se prolongera ensuite dans une discothèque, où à l’écart, une grand-mère essaie de rassurer sa petite-fille, effrayée par ces corps en mouvement.

Dès son ouverture, le film nous introduit à cette danse, à cette énergie qui nous suivra pendant tout le film. Une ouverture nourrie par une mise en scène d’une grande richesse. De sa position jusqu’au-boutiste, de raconter plusieurs histoires dans une même œuvre, Fontano nous livre un film au régime de mise en scène multiple, allant de l’intimiste au spectaculaire. Avec un vrai travail dans les scènes de danse sur les corps et leurs sudations, en allant chercher notamment dans le cinéma afro-américain. Cela passe par un travail sur l’image du chef opérateur Vadim Alsayed, de par un noir et blanc tout en contraste absolument merveilleux (lauréat du prix de l’image au dernier festival Format Court), qui permet de mêler à la fois icônes et évolutions des personnages dans leur deuil.

Un noir et blanc et une mise en scène qui atteignent leur sommet dans un climax monstrueux, dans un affrontement final entre Edwardo et la mort. Une danse mortuaire s’organise ou une danse de la vie, qui puise dans la culture réunionnaise à travers le séga et le maloya. Pour nous livrer un ballet, un affrontement qui utilise le montage et la mise en scène pour entremêler ses histoires et nous faire assister à la fin d’Edwardo et de la grand-mère. Un moment figé dans le temps qui nous laisse à la fin avec les yeux mouillés.

De son envie de parler de son héritage et de son mal-être, Vincent Fontano nous livre une œuvre passionnante, un film précieux dans un paysage cinématographique francophone en proie à de nouveaux points de vue.

Dylan Librati

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de Vincent Fontano

Retour sur la 31ème édition du Court en dit long

Au sein d’un Centre Wallonie-Bruxelles métamorphosé après plus d’un an de travaux de rénovations, se tenait du 24 au 28 octobre dernier la 31ème édition du plus belge des festivals français, Le Court en dit long, sous la direction de son fidèle programmateur Louis Héliot. Habituellement au mois de juin, le festival devrait retrouver ses dates originelles dès 2024 pour sa 32e édition. Mais avant de nous plonger dans l’année à venir, regardons un peu en arrière…

Le Court en dit long 2023

D’après la sélection de Louis Héliot, 37 films en compétitions (23 réalisatrices, 24 réalisateurs) répartis en 7 programmes thématiques, y étaient entre autres présentés à un public nombreux, venu découvrir l’actualité du court-métrage belge en présence des équipes.

Films de cinéastes chevronnés, premiers films ou films d’école, fictions d’animation ou en prises de vues réelles, abordant un panel de thématiques et d’esthétiques variés, tous étaient confrontés au regard du jury de cette édition au même niveau. Le festival proposait en parallèle des projections une master class du compositeur David Reyes ou encore un ciné-concert (L’Odyssée de Choum de Julien Bisaro). Format Court revient sur trois films forts de cette édition.

Coups de coeur Format Court

Tu préfères rester seul ? a obtenu cette année le Grand Prix du jury. Mettant en scène avec finesse l’expression des traumatismes d’un jeune exilé au sein d’un hôpital psychiatrique, le réalisateur Victor Ridley déploie sa narration selon un glissement continu où se mêlent cauchemars et réalité.

Présenté au FIFF 2023, cette fiction prolonge l’exploration du réalisateur sur les thématiques du trauma et de la difficile reconstruction initiée avec son documentaire Asile (FIFF 2019).

Le travail remarquable de l’image et un sens aigu du montage et des transitions portent cette confusion de l’espace et du temps qui incarnent le déchirement du personnage. Mais cette intensité émotionnelle n’aurait pu parfaitement éclore sans la très forte prestation d’Aziz Temari (prix d’interprétation masculine), qui campe le rôle principal, celui d’Ahmad. Le jeune comédien déploie sur le fil une tension dans laquelle on ressent les extrémités de la détresse, du drame, de la panique tout comme le besoin d’amour. Le traumatisme est-il irrémédiable ?

La puissance de cette plongée dans l’enfermement physique et psychologique du personnage relève également de la qualité du travail du son (Pierre Dozin) et de la musique originale (Ruben De Gheselle) qui suivent les méandres de l’angoisse sans jamais en forcer le trait.

Après plusieurs courts documentaires (dont Vaarheim et Asile) et Tu préfères rester seul ?, Victor Ridley poursuit le chemin de la fiction en écrivant actuellement son premier long-métrage.

Le jury a également remis une mention spéciale au court-métrage Oil Oil Oil, de Manoel Dupont. Dans ce film, l’intimité et les — parfois cruels — jeux de désir se nouent entres les deux protagonistes principaux au milieu de la dynamique sauvage d’un groupe d’employés-amis qui récoltent de l’huile usée. L’alcool, la gueule de bois, les fanfaronnades, la séduction, les jeux dangereux parmi les bidons d’huiles, tout se mélange dans la moiteur d’un été étouffant dont nous scrutons les entrelacs.

Pourtant, c’est un vent de liberté et de fougue qui souffle sur ce film où l’on perçoit une grande place accordée à l’improvisation. Le pari de cette joyeuse insolence fonctionne, soutenu par une habile construction des cadres et le naturel du duo d’interprètes (Mara Taquin & Baptiste Leclere)

Le réalisateur Manoel Dupont met en duel les contingences sérieuses de la vie et le plaisir, l’urgence de vivre, qui devient la seule vraie nécessité. On pressent le poids du sentiment, on devine l’arrivée d’une contrainte, mais c’est bien dans chaque scène l’importance de vivre l’instant qui l’emporte. L’image en noir et blanc pourrait être le reflet de cette opposition qui se joue entre les lignes. Il s’agit là d’un refus de la discipline de l’épanouissement, du mode d’emploi du bonheur ; un refus d’un âge adulte plus que de l’âge adulte ?

Revenons enfin sur la prestation de Viviane De Muynck (prix d’interprétation féminine) dans la comédie vampiresque de Sarah Carlot Jaber, Les Yeux d’Olga. Nous étions heureux de retrouver la comédienne dans un registre décomplexé, où l’on sent l’amusement planer tant dans la réalisation que dans l’interprétation.

Dans ce film, Olga intègre une maison de retraite sous l’injonction de sa fille qui constate que sa mère, en tant que bon vampire, a déjà tué tout ses voisins. Bon vampire ? Pas tout à fait, puisqu’Olga est pleine de remords après avoir vidé de son sang ses victimes. Est-ce que s’en prendre à des pensionnaires en fin de vie calmera ses scrupules ?

La maison de retraite devient rapidement un terrain de jeu scénaristique, offrant au spectateur une série des situations burlesques. Viviane De Muynck, l’œil pétillant, s’empare pleinement de ce personnage qui se lèche les babines et ronge son frein à ne pouvoir se nourrir à loisir.

Cette comédie rythmée qui laisse la part belle à ses interprètes ne se départie pas pour autant d’astucieux choix de mise en scène, pleine de curiosités et de trouvailles.

Gaspard Richard-Wright

Zhenia Kazankina : « Je veux explorer le réel »

À 27 ans, la jeune réalisatrice russe Zhenia Kazankina était en compétition au Festival Entrevues de Belfort avec son court-métrage Empty Rooms, film où elle visite les appartements vides de ses proches, partis de Moscou suite à la guerre, et nous fait entendre la voix de leurs anciens habitants. Zhenia a étudié au VGIK, l’Institut national de la cinématographie S. A. Guerassimov à Moscou, la première école de cinéma au monde, fréquentée par Eisenstein et Andreï Tarkovski.

Format Court : Quel a été le processus de développement d’Empty Rooms ? Connaissais-tu déjà ces appartements ou les as-tu visités pour la première fois pour le film ?

Zhenia Kazankina : Oui, je connaissais très bien ces appartements. En fait, le processus a été très rapide et inattendu pour moi. Je venais de terminer un autre film, une fiction réalisée en 16 mm qui n’a pas encore eu sa première. Après, j’ai trouvé dans mon réfrigérateur un bout de pellicule qui restait de mon projet et j’ai décidé de l’utiliser pour ce petit documentaire. Je venais de rentrer à Moscou de Stockholm, où je développais mon film, et je me suis rendue compte qu’il n’y avait plus personne là-bas et que j’étais seule désormais.

Combien de temps es-tu restée à Stockholm ?

ZK : Moins d’une semaine, mais pendant cette semaine-là, la guerre a éclaté. Quand je suis rentrée à Moscou, j’ai trouvé une ville complètement différente. Beaucoup de mes amis avaient immigré pendant les deux premières semaines de la guerre. J’ai donc commencé à vivre une vie solitaire là-bas et j’ai trouvé ce rouleau de 16mm dans mon frigo.

Beaucoup d’hommes sont partis parce qu’ils avaient peur d’être convoqués comme soldats, mais comme ma cheffe opératrice est une femme, elle était toujours à Moscou. Je lui ai dit : « Ecoute, je veux tourner ce très court métrage. Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas comment on peut le faire, mais allons dans ces appartements vides ». Et, évidemment, on a fait des repérages avant.

Tous ces appartements étaient très importants pour moi à ce moment de ma vie. J’ai connu chacune de ces maisons et j’ai pour elles un sentiment très tendre. Des amis proches y habitaient, l’un d’eux était mon ex-petit ami qui a également émigré. C’était mon cercle de personnes à qui je rendais souvent visite. Tu as ta vie, ton cercle autour de toi, des gens qui t’accompagnent au quotidien et d’un coup, ils ne sont plus là. Je me sentais juste perdue et je ne pouvais plus fonctionner. C’est pour ça que j’ai voulu faire ce film, c’était une manière de revenir à la vie normale et de la comprendre. Le réaliser m’a beaucoup aidée.

Crois-tu que le fait d’avoir utilisé de la pellicule ajoute quelque chose au film ?

ZK : Oui, bien sûr. J’aime beaucoup filmer sur pellicule, et pas seulement à cause de l’image. Bien sûr, je pense que l’image faite avec la pellicule a sa propre structure, ce look vintage, mais cela n’est pas l’essentiel pour moi. Ce qui compte le plus est le manque de contrôle, car il faut faire confiance au processus, il faut faire confiance à la caméra. On ne peut pas dire : « Peut-être que nous pourrions filmer ceci, puis ceci, puis cela, et quand je monterai le film, je verrai ce que j’utilise ». Non, avec de la pellicule, on a des limites et si tu veux tourner à un moment précis, il faut s’y consacrer autant que possible. Tout ce qu’on voit dans le film semble peut-être chaotique parfois, mais tout a été pensé.

On dirait que les voix qu’on entend viennent d’un vieil appareil radio. Comment as-tu recueilli ces témoignages ?

ZK : Ils ont été enregistrés à partir d’appels téléphoniques. L’idée du film était de filmer ces lieux vides puis de les remplir avec des voix. J’ai demandé à mes amis de m’envoyer des notes vocales pour que je puisse les mettre dans le film. Certains de ces messages se trouvent dans la version finale, mais je me suis rendue compte que ça marchait mieux quand on parlait directement à la personne, quand on avait une conversation. Quand les gens s’enregistrent, ils ont la possibilité de se réécouter avant d’envoyer et je voulais garder cette spontanéité, je voulais vraiment mettre ces personnes dans ces pièces vides à travers leurs voix.

Tu sais quand tu es derrière la porte d’un appartement et que tu entends des voix à l’intérieur ? Ça veut dire qu’il y a des gens là dedans, que la pièce n’est pas vide. C’était mon idée, créer ce sentiment comme si j’étais derrière une porte fermée et que quelqu’un était toujours à l’intérieur, que ces voix étaient toujours là dans ces appartements vides.

Je pense que le cinéma est le seul moyen qui a le pouvoir de combiner image et voix. Ce n’est que pendant le processus de montage qu’on peut les mettre ensemble et qu’une pièce vide peut se remplir avec des voix.

La chanson qu’on entend au générique [Я останусь с тобой» (Je resterai avec toi) de Natalia Vetlitskaya] transmet une grande nostalgie. On dirait qu’il s’agit d’un morceau qui était populaire à l’époque de nos parents mais que les gens connaissent encore. Pourquoi tu l’as choisie et que représente-t-elle ?

ZK : Ce que j’aime le plus dans la musique pop, c’est que les gens disent ce qu’ils pensent sans être timides. C’est très difficile pour nous de dire des mots tels que : « Je veux rester avec toi, je t’aime ». Ce sont des mots lourds pour nous, ils sont assez intimes, on ne les dit qu’à des personnes spéciales. Pourtant, dans les chansons pop, on exprime tout. Ces chansons peuvent exprimer tous ces moments intimes de manière très simple, sans maladresse. Dans cette chanson, en fait, la fille dit simplement : « Je veux rester avec toi ». Directement, sans être timide, c’est quelque chose de charmant pour moi.

Et, oui, cette chanson vient de l’époque de mes parents. Quand j’étais petite, cette chanteuse était très populaire en Russie. Je me souviens que ma mère l’écoutait dans la voiture, donc ça me rappelle beaucoup cette époque. Elle me fait vraiment penser à ma mère, à ma maison, à ma famille, à ces moments très chaleureux. J’ai juste su que je voulais utiliser cette chanson, donc je ne l’ai pas remise en question.

Tes autres films sont des fictions. Comment s’est passée la transition vers le documentaire ?

ZK : Quand j’étais en train de monter ce projet, je ne pensais pas que je voulais faire un documentaire. J’expérimentais juste J’ai tourné ce film comme une lettre d’amour à ces personnes, je voulais leur montrer mon attachement à ces lieux et à ces souvenirs de notre temps passé ensemble dans ces appartements.

En vrai, je n’avais pas pensé à distribuer ce film parce que j’étais sûre qu’il ne serait pas accepté car il est trop court. Aussi, je pensais que les gens croiraient que c’est juste de l’exploitation et qu’ils ne comprendraient pas les vrais sentiments derrière. Pourtant, pour moi, le film était très précieux et j’y ai vraiment mis mon âme.

J’ai montré ce court à un ami qui est critique et distributeur et il m’a dit d’essayer de l’envoyer à des festivals, c’est ce que j’ai fait. En vrai, il a un très beau parcours. Aussi, je ne m’attendais pas à ce qu’il fonctionne bien car c’est un film russe. Avec mon précédent film, Continuity of Parks (2022), j’étais sûre qu’il aurait du succès dans des festivals, mais il n’a été sélectionné dans aucun d’entre eux. Je pense que ce n’était tout simplement pas le bon moment de le sortir car en 2022, tous les films russes ont été « boycottés ». Certains festivals l’avaient dit ouvertement, d’autres ne l’avaient pas annoncé, mais ne les avaient pas acceptés non plus.

As-tu envie d’explorer davantage le circuit du documentaire ?

ZK : Oui ! J’aime beaucoup travailler avec des non-acteurs et des lieux réels. J’ai essayé d’explorer cela dans mon dernier film de fiction où l’action principale se déroule aussi dans un appartement. Je voulais trouver un appartement qui correspondait à mes propres critères et au scénario, et qui ressemblerait exactement à ce que je souhaitais. J’ai compris que je n’aime pas l’idée du décor. Peut-être qu’avec le temps, ça changera, mais pour l’instant, je n’aime pas quand le lieu donne l’impression que l’artiste est entré et a mis des choses à leur place pour que tout soit parfait. J’aime beaucoup cette approche documentaire. Je veux explorer des lieux réels, des choses réelles autour de moi et ne pas essayer d’imposer mes propres conceptions de la vie à de vraies personnes ou à de vrais lieux.

Je ressens la même chose avec les acteurs. Je préfère les vrais visages des gens qu’on connaît. Parfois, on rencontre quelqu’un et on se dit que ça pourrait être un personnage. Pour moi, c’est un processus douloureux d’essayer d’adapter la réalité à ma vision. Je suis sûre que je ne pourrais pas faire un film sur un plateau décoré, cela me donnerait la sensation de travailler sur un projet commercial.

Tu te sens donc vraiment connectée à l’espace dans lequel tu filmes.

ZK : Oui, c’est très important pour moi et c’est lié à mon processus d’écriture. Je ne suis pas capable de simplement m’asseoir à la maison et écrire. Pendant le processus de création, j’essaie de trouver des idées, d’explorer la vie, j’ai besoin d’aller dans des endroits pour voir les gens. Cela fait fonctionner ma créativité, c’est mieux que de rester assise dans ma propre chambre à essayer de sortir de moi-même des idées, d’imaginer des endroits que je n’ai jamais vus.

Comment vois-tu le format court ? Considères-tu le court-métrage comme un moyen d’accéder au long ou comme quelque chose que tu souhaites explorer en soi ?

ZK : Je suis très critique avec moi-même et j’ai toujours beaucoup de doutes. Il est assez difficile de m’en débarrasser. Cependant, quand je fais un court métrage, c’est plus facile parce que je me dis : « C’est juste un court, c’est un film de 15 minutes, ne sois pas si dure avec toi-même, il n’y a pas de budget énorme à gérer ». Il n’y a pas ce poids en termes d’argent, et cela m’aide.

J’essaie d’écrire un long-métrage, j’ai fait beaucoup de brouillons mais chaque fois je me dis : « Pourquoi veux-tu le faire ? Es-tu prête à assumer la responsabilité d’un budget aussi énorme, à embaucher tous ces gens ? » Je pense que si je me pose ces questions, cela veut dire que je ne suis pas prête et que je devrais faire encore un autre court métrage. Alors peut-être qu’à un moment donné, je me sentirai plus à l’aise et je ne me torturerai pas avec ces doutes.

Propos recueillis par Bianca Dantas

Article associé : la critique du film

J comme J’ai vu le visage du diable

Fiche technique

Synopsis : Dans une bourgade du nord de la Pologne, de nos jours, Majka, 18 ans, est convaincue d’être possédée. Elle décide de s’en reporter aux compétences d’un prêtre du coin pour conjurer le démon, ce qui ne l’empêche pas de commenter en rigolant L’Exorciste de William Friedkin avec sa meilleure copine. Les séances n’en seront pas moins sidérantes.

Genre : Fiction

Durée : 36′

Pays : France

Année : 2023

Réalisation : Julia Kowalski

Scénario : Julia Kowalski

Image : Simon Beaufils

Son : Olivier Pelletier, Olivier Dandré et Olivier Goinard

Montage : Isabelle Manquillet

Musique : Daniel Kowalski

Production : Venin Films

Interprétation : Maria Wróbel, Wojciech Skibiński

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

J’ai vu le visage du diable de Julia Kowalski

La réalisatrice de Crache cœur (sélectionné à l’ACID Cannes en 2015) Julia Kowalski nous plonge avec J’ai vu le visage du diable dans les angoisses d’une jeune femme qui se bat contre ses pulsions homosexuelles. Pour Majka, imprégnée de foi catholique, la seule issue se trouve dans des exorcismes violents, auxquels elle se soumet avec résolution. Ce court-métrage de trente-six minutes a été sélectionné à la Quinzaine des cinéastes à Cannes en 2023, est en lice aux César du court-métrage 2024 et a remporté récemment le Prix Jean Vigo du court-métrage.

Exorcisme et religion

À première vue, Majka a tout d’une jeune fille ordinaire : à dix-huit ans, elle fréquente le lycée et danse volontiers avec sa sœur sur de la musique contemporaine. Peut-être remarque-t-on tout de même, à son cou, une médaille de baptême qu’elle semble brandir comme un étendard : la foi est une part importante de l’identité de la jeune femme.

Toutefois, jusqu’à quel point cette imprégnation religieuse est-elle, dans la Pologne actuelle, un signe particulier ? Les parents de Majka sont tout aussi religieux et la cinéaste Julia Kowalski nous montre des églises qui, à l’heure de la messe, sont bien pleines.

Non, la singularité de Majka est ailleurs : la jeune femme souffre d’un terrible tourment, elle est attirée par les filles. Une « déviance sexuelle » qui ne peut, selon la jeune fille, s’expliquer que par une possession démoniaque. Aussi se rend-elle chez un prêtre exorciste dans l’espoir d’extraire le Diable de son corps encore bien jeune.

Entre film documentaire et film fantastique

La réussite première du film tient à la voie étroite qu’il pave entre film documentaire et film fantastique. On l’aura compris, la réalité de la Pologne contemporaine, avec son intolérance aux sexualités non orthodoxes et à toute pensée hors du canon romain informe l’intégralité de J’ai vu le visage du diable. Aux plans d’ensemble sur les églises pleines à craquer succèdent ainsi des rassemblements de foules nombreuses, au cours desquels des dignitaires religieux prient, pêle-mêle, contre le « communisme », la « franc-maçonnerie » ou, bien sûr, les « déviances sexuelles ».

Mais à ces images de foule aux allures de reportage répondent les séquences d’exorcisme, resserrées sur le personnage de Majka. Réalité de la possession ou pouvoir de suggestion d’un prêtre par trop « charismatique » – dans tous les sens du terme ? Toujours est-il que le corps de Majka est pris de tressautements et que parle soudain par sa bouche la voix d’un être qui revendique clairement son essence démoniaque. Dehors, sur les troncs des arbres débarrassés de leurs feuilles roussies par l’automne, le bleu de la mousse donne aux paysages une dimension fantastique qui s’accorde à merveille à la thématique satanique.

Un adieu à l’horreur ?

Le Diable est donc partout dans ce film. Pourtant, nous prévient un prêtre, il ne s’agirait pas de le craindre : c’est là l’une des ruses de Satan que de vouloir nous effrayer. Il convient au contraire de le combattre assidûment, avec conviction, sans jamais baisser les bras.

Le thème de la peur est donc au cœur de l’écriture de J’ai vu le visage du Diable : peur de Majka devant ses penchants homosexuels, peur de son père d’avoir « mal élevé » sa fille, peur des institutions religieuses de voir de nouvelles valeurs prendre leur place. Le réquisitoire du prêtre contre la peur qui sidère le fidèle et l’empêche de lutter semble paradoxalement se confondre avec une profession de foi esthétique de la cinéaste. En traçant un entre-deux entre reportage alarmant et film fantastique terrifiant, elle ouvre la voie à un cinéma d’exorcisme où l’horreur cèderait le pas au doute et au questionnement.

Julia Wahl

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Article associé : l’interview de la réalisatrice

Vos films préférés en 2023 !

En janvier, Format Court fêtera ses 15 ans (bouchon !). Après avoir publié il y a quelques jours notre propre Top 5 des meilleurs courts-métrages de l’année, retrouvez les résultats de votre propre Top, suite à notre appel publié récemment sur notre site internet. Voici les 5 films, vus cette année, qui ont remporté le plus de suffrages du côté des internautes.

1. La Cour des grands de Claire Barrault

2. Caillou de Mathilde Poymiro

3. La Vie au Canada de Frédéric Rosset

4. Cultes de David Padilla

5. Binaud & Claude de Mélanie Laleu

Retour sur le festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec

Le festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec s’est achevé en novembre dernier. Il accorde une large part au court-métrage, grâce à une compétition et une soirée dédiée. C’est dans ce cinéma historique qu’est le Trianon, ancien café reconverti en salle de projection, qu’a eu lieu la douzième édition du festival. Une édition centrée autour du Liban, marrainée par la réalisatrice franco-libanaise Chloé Mazlo et avec pour parrain d’honneur Costa-Gavras.

Des courts-métrages en compétition

Le court-métrage, au festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec, c’est avant tout une triple compétition, avec pas moins de cinq prix : les Prix de la Meilleure Fiction et du Meilleur Documentaire du Public, les Prix de la Meilleure Fiction et du Meilleur Documentaire du Jury, et enfin le Prix des Lycéens et Lycéennes de Noisy-le-Sec et Romainville. En effet, grâce à des ateliers d’analyse filmique, les élèves des lycées Liberté de Romainville et Olympe de Gouges de Noisy-le-Sec ont pu élire le meilleur film des huit présentés en compétition, composés de 4 fictions et 4 documentaires. Ceux-ci avaient été sélectionnés sur un ensemble de 78 films reçus et 12 présélectionnés.

Nombre de ces films ont accordé une place de choix aux questions liées aux migrations. Elu Meilleur Film de Fiction par le Jury professionnel, La Voix des autres, de Fatima Kaci, met ainsi en scène une interprète de l’OFPRA (Rim) qui se trouve face à un dilemme : sortir de son simple rôle de traductrice en aiguillant les réfugié.es dans leurs demandes, ou se contenter de traduire mot à mot ce qu’ils et elles disent et participer à l’inhumanité de ce système qui enjoint à chacun.e de prouver l’improuvable pour prétendre obtenir le statut de réfugié.e.

L’intérêt du film de Fatima Kaci réside dans cette façon latérale de rendre compte des méandres administratifs qu’est la reconnaissance du statut de réfugié. En effet, en centrant son film, non sur une migrante, mais sur une interprète, la réalisatrice fait un pas de côté vis-à-vis de ce qui est maintenant un genre en soi : le film de migrant.es. Grâce à ce dispositif narratif, nous suivons non pas un, mais plusieurs migrant.es, aux histoires à la fois très proches et très diverses, et découvrons de l’intérieur – ou presque – cette machine à fabriquer des clandestin.es qu’est l’OFPRA et sa difficulté à reconnaître la singularité de chaque parcours.

La caméra suit ainsi durant l’essentiel du film le visage d’Amira Chebli, qui incarne le personnage principal. Avec une grande économie de moyens, la comédienne exprime la volonté et la révolte intérieure de son personnage, bien déterminée à utiliser sa place d’interprète pour aider ces réfugié.es. La mise en scène des entretiens de l’OFPRA évolue ainsi au cours du film : alors qu’ils sont d’abord filmés dans un dispositif qui isole tour à tour le demandeur et l’interprète, ceux.lles-ci sont ensuite filmé.es de face, côte à côte, s’épaulant mutuellement face à une fonctionnaire peu compréhensive.

L’une des réussites du film est également d’accorder une large part à la vie quotidienne de Rim : il commence ainsi par la façade d’un HLM avant de pénétrer dans l’un de ses appartements, celui de l’interprète. Nous la voyons alors trier son linge en même temps qu’elle passe un coup de téléphone professionnel, son métier et sa vie privée empiétant dès le début l’un sur l’autre. A l’instar du personnage de Rama, dans le film Saint-Omer d’Alice Diop, qui s’identifiait à son sujet, Rim peine en effet à se différencier des migrant.es qu’elle accompagne, récusant l’affirmation de l’un de ses collègues : « Ce n’est pas ton histoire ».

Le trouble identitaire, non des migrant.es, mais des enfants d’immigré.es, apparaît pour sa part dans Rentrons, de Nasser Bessalah. Le réalisateur nous emmène en Kabylie, où nous suivons deux jeunes qui semblent s’ennuyer fermement dans ces montagnes éloignées de Paris. Alors que Nouria veut à tout prix rentrer en France pour fuir un père autoritaire sur le point de se remarier, son ami Abdel est suspendu entre son attachement réel pour l’Algérie et sa mère, restée mourante à Paris. Iels échafaudent alors, sans trop y croire, des stratégies pour rentrer en France, à la manière d’enfants qui fantasment un tour du monde loin des adultes.

Le personnage de Nouria, joué par Melha Bedia, est particulièrement intéressant : la jeune femme ne parle ni l’arabe ni le kabyle, ce qui la rend tributaire de son ami, mais marque aussi sa volonté de se distinguer de cette Algérie qui lui paraît pour l’heure trop étouffante. Elle refuse ainsi de faire de son monolinguisme un handicap et le brandit au contraire comme un étendard. Grâce à cette jeune femme qui ne rêve que de Paris, Nasser Bessalah inverse le sens usuel de la notion de retour, qui signifie d’ordinaire le rêve, pour les enfants d’immigré.es, retourner dans le pays de leurs aïeux.

Côté film documentaire, Bye bye Benz Benz, de Jules Rouffio et Mamoun Rtal Bennani, a raflé les deux Prix du Meilleur Film Documentaire (Jury et Public). Les deux réalisateurs sont avant tout photographes : leur projet était initialement de photographier ces « grands taxis » qui sillonnent le Maroc à la manière de petits autobus.

Ce désir s’articule à une réalité politique : le gouvernement marocain a lancé un grand renouvellement des grands taxis, en accordant une importante prime à la casse aux chauffeurs qui se sépareraient de leur antique Mercedes pour une voiture plus moderne.

Pour ce faire, ils ont suivi Kbir, un chauffeur de taxi attaché à sa vieille Mercedes. Les deux photographes filment les éléments symboliques de cette voiture que sont son tableau de bord et sa boîte de vitesse tout en laissant la voix du conducteur emplir l’habitacle de sa nostalgie. Leur caméra se promène aussi par les vitres de la voiture, saisissant les différents espaces du Maroc qui défilent ainsi sous nos yeux, mais aussi les dépotoirs où l’on retrouve çà et là quelques Mercedes désossées. Ce film vaut surtout pour son expression de la nostalgie de Kbir, mais aussi pour la précision de l’image qui témoigne de la patte des photographes.

Du côté du documentaire comme du côté de la fiction, les courts-métrages sélectionnés au Festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec accordent donc une part importante au réel et à la société contemporaine. De façon inattendue, c’est finalement Bye bye Benz Benz, film documentaire doublement primé, qui accorde la plus grande place à la nostalgie et à l’écriture symbolique, signe, peut-être, d’une relative labilité, sinon caducité, des catégories de la fiction et du documentaire.

Julia Wahl

Le nouveau Top 5 de l’équipe de Format Court

Depuis 14 ans déjà, les membres de Format Court se prêtent à l’exercice du Top 5 des meilleurs courts-métrages vus pendant l’année écoulée. Rituel oblige, voici les films qui ont le plus marqué notre équipe cette année, par ordre de préférence !

Retrouvez également les résultats du Top 5 des internautes. D’avance, nous vous souhaitons une bonne et heureuse année 2024, remplie de jolis courts !

Mona Affholder

Runaway de Salomé Kintsurashvili – Géorgie, Russie
Basri and Salma in a never ending comedy de Khozy Rizal – Indonésie
Le film que vous allez voir de Maxime Martinot – France
Midnight Skin de Manolis Mavris – Grèce
Boléro de Nans Laborde-Jourdàa – France

Amel Argoud

Le Vide de Mandana Ferdos – France
Basri and Salma in a never ending comedy de Khozy Rizal – Indonésie
Tjejtoan 4-ever de Angelika Abramovitch – Suède
Please hold the line, Tan Ce Ding – Malaisie
Money and happiness, Ana Nedeljkovic et Nikola Majdak Jr.- Serbie, Slovaquie, Slovénie

Agathe Arnaud

La herida luminosa de Christian Avilés – Espagne
Pacific club de Valentin Noujaïm – France
Aralkum de Daniel Asadi Faezi et Mila Zhluktenko – Uzbekistan, Allemagne
Marinaleda de Louis Séguin – France
En attendant les robots de Natan Castay – Belgique

Katia Bayer

J’ai vu le visage du diable de Julia Kowalski – France
Box cutters de Naomi Van Niekerk – Afrique du Sud, Pays-Bas, France
Jill Uncredited de Anthony Ing – Royaume-Uni, Canada
Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues de Wissam Charaf – Liban, France
My Mother Has Two Sons : Me and a Squirrel de Tom Krawczyk – Etats-Unis

Bianca Dantas

Les dents du bonheur de Joséphine Darcy Hopkins – France, Belgique
Empty Rooms de Zhenia Kazankina – Russie
Sea salt de Leila Basma – Tchéquie
Un genre de testament de Stephen Vuillemin – France
Cross My heart and Hope to Die de Sam Manacsa – Philippines

Dylan Librati

Sèt Lam de Vincent Fontano – France
Les silencieux de Basile Vuilemin – France, Suisse, Belgique
Ici s’acheve le monde connu de Anne-Sophie Nanki – France
Snow in September de Lkhagvadulam Purev-Ochir – France, Mongolie
Les dents du bonheur de Joséphine Darcy Hopkins – France, Belgique

Augustin Passard

Les silencieux de Basile Vuilemin – France, Suisse, Belgique
Rapide de Paul Rigoux – France
Ice Merchants de João Gonzalez – Portugal, Royaume-Uni, France
Big Bang de Carlos Segundo – Brésil, France
L’acteur de Hugo David et Raphaël Quenard – France

Gaspard Richard-Wright

Snow in September de Lkhagvadulam Purev-Ochir – France, Mongolie
Herbe Verte d´Élise Augarten – France
Boléro de Nans Laborde-Jourdàa
Les Rossignols de Juliette Saint Sardos – France
Déshabille-moi de Florent Médina & Maxime Vaudano – France

Julia Wahl

La Perra de Carla Melo Gampert – France, Colombie
Maurice’s Bar de Tom Prezman et Tzor Edery – France, Israël
La Grande Arche de Camille Authouart-  France
Intelligence de Jeanne Frenkel et Cosme Castro – France
Safety Matches de Pauline Bailay – France

Les 45 courts présélectionnés aux Oscars 2024

L’Académie des Oscars vient d’annoncer les films shortlistés dans 10 catégories dont celles liées aux courts-métrages. À ce stade, 45 films sont en lice pour l’Oscar du meilleur court 2024, que ce soit en fiction, en animation et en documentaire. Les nominations seront annoncées le 23 janvier tandis que la cérémonie des Oscars aura lieu le 10 mars prochain.

Certains de ces courts en présélection sont visibles en ligne (grâce au projet Op-Docs du New York Times et aux comptes You Tube/Vimeo des réalisateurs). On vous invite à les voir et à les partager 😉

Courts-métrages documentaires

The ABCs of Book Banning de Trish Adlesic, Nazenet Habtezghi & Sheila Nevins

The Barber of Little Rock de John Hoffman & Christine Turner

Ours (Bear) de Morgane Gaëlle Frund

Between Earth & Sky de Andrew Nadkarni

Black Girls Play: The Story of Hand Games de Joe Brewster & Michèle Stephenson

Camp Courage de Max Lowe

Deciding Vote de Robert Lyons & Jeremy Workman

How We Get Free de Samantha Knowles & Geeta Gandbhir

If Dreams Were Lightning: Rural Healthcare Crisis de Ramin Bahrani

Island in Between de S. Leo Chiang

The Last Repair Shop de Kris Bowers & Ben Proudfoot

Last Song from Kabul de Kevin Macdonald & Ruhi Hamid

Nǎi Nai & Wài Pó de Sean Wang

Oasis de Justine Martin

Wings of Dust de Giorgio Ghiotto

Courts-métrages d’animation

Boom de Gabriel Augerai, Romain Augier, Charles Di Cicco,  Yannick Jacquin & Laurie Pereira de Figueiredo

Eeva de Lucija Mrzljak & Morten Tsinakov

Humo (Smoke) de Rita Basulto

I’m Hip de John Musker

A Kind of Testament de Stephen Vuillemin

Koerkorter (Dog Apartment) de Priit Tender

Letter to a Pig de Tal Kantor

Ninety-Five Senses de Jared Hess

Once upon a Studio de Dan Abraham & Trent Correy

Our Uniform de Yegane Moghaddam

Pachyderme de Stéphanie Clément

Pete de Bret “Brook” Parker

27 de Flóra Anna Buda

War Is Over! Inspired by the Music of John & Yoko de Dave Mullins

Wild Summon de Saul Freed & Karni Arieli

Courts-métrages de fiction

The After de Misan Harriman

The Anne Frank Gift Shop de Mickey Rapkin

An Avocado Pit de Ary Zara

Bienvenidos a Los Angeles de Lisa Cole

Dead Cat de Annie-Clause Caron & Danick Audet

Good Boy de Tom Stuart

Invincible de Vincent René-Lortie

Invisible Border de Mark Gerstorfer

Knight of Fortune de Lasse Lyskjær Noer

The One Note Man de George Siougas

Red, White and Blue de Nazrin Choudhury

The Shepherd de Iain Softley

Strange Way of Life de Pedro Almodóvar

The Wonderful Story of Henry Sugar de Wes Anderson

Yellow de Elham Ehsas

La solitude de l’intérieur à Belfort 2023

Entrevues. Le 38º Festival International du Film de Belfort a eu lieu du 20 au 26 novembre 2023. Dans un riche programme qui comprenait des rencontres, avant-premières et ressorties, la compétition de courts et moyens métrages a abordé plusieurs genres. Parmi eux, deux films documentaires, liés par une thématique en commun, ont attiré notre attention.

24 février 2022. La guerre en Ukraine éclate. Par peur de la convocation, par crainte du danger, pour s’enfuir de la crise, ou pour d’autres raisons, une grande quantité de Russes émigrent. Ceux qui sont restés dans leur pays ont dû vivre avec l’absence de leurs chers. Empty Rooms, de la jeune réalisatrice russe Zhenia Kazankina, fait face à ce manque à partir de l’espace.

La cinéaste ne met pas en scène les personnes parties, mais le vide qu’elles ont laissé. Des pièces inoccupées, encore décorées de photos et d’affiches, pleines d’objets mais vides, car les gens qui y vivaient ne sont plus là.

Ce creux se remplit dans le film par des sons. On entend les voix des occupants qui parlent de leurs départs, des éléments dans leurs chambres, de leurs vies antérieures, et de ce qu’ils ont laissé derrière eux. Ces discours, enregistrés lors de conversations au téléphone semblent être reproduits depuis des anciens appareils radio, effet qui harmonise avec l’image pour produire un sentiment de nostalgie. La réalisatrice incite l’œil et l’oreille à vouloir retourner au passé.

Le grain de la pellicule, la superposition de la narration aux images des lieux, et la mélancolie de ce court-métrage évoquent la beauté et nostalgie de Lost, Lost, Lost de Jonas Mekas. La caméra tremble constamment, une instabilité qui rappelle la vision de quelqu’un qui court, comme si il était en train de s’enfuir et, en plein mouvement, regarde en arrière pour avoir un dernier souvenir de la maison.

La chambre, lieu si personnel, semble l’outil idéal pour faire le portrait de quelqu’un sans sa présence physique. Elle contient des souvenirs de son habitant en forme de photos, ses peintures préférées, son odeur gardée dans un flacon de parfum, les meubles qu’il a choisis, le lit qu’il trouve idéal pour dormir… La chambre est un espace où on peut apprendre des choses personnelles sur quelqu’un et le reconnaître. Empty Rooms est un film délicat sur ce qui reste d’un lieu quand les personnes qui l’occupent s’en vont. Zhenia Kazankina réussit à former des portraits sensibles et intimes de ses proches et leurs quotidiens sans même les nommer.

Si Empty Rooms parle des personnes qui ont dû quitter leur pays, Losing Ground traite d’un pays qui a été arraché de son peuple.

Un jour, la mère du narrateur, qui reste anonyme, le réveille en lui disant : « Lève-toi, l’armée prend le contrôle du pays ». C’est le coup d’État de 2021 en Birmanie. Le pays est depuis ce jour soumis à un dur et violent régime militaire anti-démocratique qui menace la liberté de sa population.

Une génération entière perd son avenir, ses opportunités. Les citoyens protestent, ils trouvent des façons créatives de manifester leur opposition à travers la performance, mais les militaires sont impitoyables. Le réalisateur, arrêté pendant 8 mois pour son opposition au régime, raconte dans ce documentaire son incarcération et ce qui a suivi sa libération.

L’image de la fenêtre devient un élément central dans son film, car c’est la seule sortie vers le monde depuis son petit appartement, où le protagoniste est coincé, puisque la maison emprisonne autant que le pénitencier. Dans une chambre noire, la seule lumière qui rentre vient de ce petit trou connecté avec l’extérieur, et à travers cette sortie, le narrateur peut avoir un petit sens de liberté. Par cette fenêtre, nous regardons un quartier populaire de Yangon, ville arrachée de sa population.

Losing Ground est un film est très silencieux. On entend que des voix et, parfois, des instruments joués intradiegétiquement sans accompagnement. Le son apporte une grande solitude, qui est, en fait, une des conditions du régime militaire. L’armée n’autorise pas des rassemblements de plus de cinq personnes dans les deux plus grandes villes du pays. Le silence est devenu une habitude dans la vie du protagoniste.

Une autre figure qui prend une place symbolique dans le film est l’oiseau, dans sa cage, impossibilité de voler. Il représente la jeunesse birmanienne qui ne pourra pas suivre ses objectifs, profiter de son avenir car elle est emprisonnée sur sa propre terre.

Le film dénonce le coup militaire même après la disparition des images. L’anonymat du cinéaste en soi en dit long sur la censure et la peur vécues par la population tous les jours. Sa liberté d’aller et venir, ainsi que celle d’expression, lui a été enlevée.

Empty Rooms et Losing Ground parlent, tous les deux, de la guerre. Le premier montre ce qui arrive quand les gens fuient le conflit et le deuxième ce qui se passe quand on est obligé de rester et d’obéir. Dans deux situations, les deux cinéastes capturent un regard très humain sur ce sujet et montrent comment la guerre impacte la vie, les liaisons affectives et la liberté de ses victimes.

Bianca Dantas

Votez pour les meilleurs courts de l’année 2023 !

En janvier, Format Court fêtera ses 15 ans d’existence (bouchon !). Comme chaque année, notre équipe prépare son Top 5 annuel des meilleurs courts-métrages, exercice réalisé depuis 13 ans déjà. Depuis 8 ans, vous avez également la possibilité de voter pour vos 5 courts-métrages préférés de l’année par mail.

L’an passé, 5 films avaient remporté le plus de suffrages : La Ventrière de Anne-Sophie Bailly, Trois Grains de gros sel de Ingrid Chikhaoui, Le Ciel s’est déchiré de Germain Le Carpentier, Ville Éternelle de Garance Kim et Donovan s’évade de Lucie Plumet.

Faites-nous part jusqu’au mercredi 27 décembre inclus de vos 5 courts-métrages favoris remarqués cette année, tous pays et genre confondus, par ordre de préférence, en n’oubliant pas de mentionner leurs réalisateurs et pays d’appartenance.

Nous ne manquerons pas de publier les résultats de vos votes sur Format Court !

À vos top, prêts ? Partez !

War Pony de Gina Gammell et Riley Keough

Lauréat de la Caméra d’Or à Cannes en 2022, War Pony, film américain réalisé par Gina Gammell et Riley Keough, est sorti en DVD chez Blaq Out. L’édition compte un riche bonus : une analyse du film faite par le critique Mathieu Macheret. Les commentaires permettent aux spectateurs de découvrir et en savoir plus sur ce beau film qui nous emmène dans la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud, pour découvrir une facette moins connue des États-Unis.

War Pony est réalisé par deux femmes dont c’est le premier film : Riley Keough, actrice notamment connue pour son rôle de Daisy Jones dans la série homonyme, et Gina Gammell, productrice de films indépendants comme Dixieland (2015).

L’histoire est née d’une rencontre. Pendant le tournage d’American Honey d’Andrea Arnold (2016), film dans Keough joue, l’actrice a fait la connaissance de deux figurants qui étaient habitants de Pine Ridge et qui lui ont raconté leurs expériences de vie dans cette réserve. Les deux hommes se nomment Franklin Sioux Bob et Bill Reddy, ils sont devenus les scénaristes de War Pony. Les réalisatrices ont voulu que le film se rapproche le plus possible du témoignage de Bob et Reddy, créant un portrait sincère de la vie difficile de cette communauté ignorée par l’administration publique.

Deux histoires se déroulent séparément dans un court rayon de distance. Nous suivons à travers un montage parallèle deux membres de la tribu Oglala Lakota. Bill, 23 ans, doit se débrouiller pour trouver un travail et aider ses deux enfants pendant qu’il essaie de se remettre avec la mère du cadet. Matho, 12 ans, vit dans un foyer hostile et essaie de se faire de l’argent en vendant la drogue de son père.

Sans aucun investissement public dans la région, ces Amérindiens vivent dans une situation précaire, dans le chômage généralisé. L’économie locale repose en grande partie sur la vente de la drogue, à laquelle énormément d’habitants sont accros. Ne pouvant pas payer la somme totale de ce qu’ils souhaitent acheter, les gens négocient et échangent des articles pour compenser une portion de la valeur demandée.

Issus d’une extrême pauvreté, les personnages sont contraints de travailler dès leur plus jeune âge, ils commencent à boire et à fumer dès l’enfance, ce qui en fait des gamins précoces et des adultes immatures, comme c’est le cas des deux protagonistes. Bill, qui doit agir comme un adulte et subvenir aux besoins de ses enfants, décide d’élever des caniches sans même savoir à qui les vendre, car il ne connaît personne qui aurait les moyens de les acheter. Inexpérimenté mais optimiste, le jeune homme n’a jamais dépassé l’adolescence mentalement. Matho, à son tour, se précipite pour devenir adulte en fumant, en buvant et en gagnant de l’argent, actions qu’il réalise sans aucune préméditation, avec l’immaturité et la naïveté d’un enfant.

Les cinéastes nous insèrent géographiquement et socialement dans la réserve indigène en embrassant l’espace avec la caméra. Des plans d’ensemble dominent les images. En utilisant le format 2.40:1, Keough et Gammell mettent en valeur ce lieu, dont les personnages et leurs caractères sont fondamentalement ancrés. La réserve, baignée par le soleil et couverte de poussière, est captée par le chef opérateur David Gallego qui fait usage majoritairement de la lumière naturelle. Ce choix transmet un sentiment de chaleur et brutalité, portrait plastique des conditions de vie de la communauté.

Le colonialisme culturel est abordé dans le film avec une subtilité convaincante, Bill étant le personnage le plus éloigné de son héritage. Un membre de la tribu qui ne parle pas la langue, s’habille en streetwear américain, et n’écoute que du rap. Ironiquement, à l’occasion de la soirée de Halloween de son patron, le jeune homme et ses amis, engagés pour servir un groupe de blancs aisés, observent un des invités « déguisé » en indigène. Les Lakotas ont appris les codes des blancs, mais ces derniers voient la culture de leurs voisins comme caricaturale.

Gina Gammell et Riley Keough ont choisi de ne pas engager d’acteurs professionnels (les deux seuls acteurs expérimentés sont ceux qui jouent Tim et Allison), mais des originaires de cette réserve. La justesse de leur performance ne vient pas de la formation des comédiens, mais d’une expérience personnelle dans ce milieu. Un effet d’immersion du public dans la vie à Pine Ridge est organiquement produit à travers le jeu, les décors, et les plans.

L’avant-dernière séquence est pour la première fois dessinée dans des couleurs vives, sans ombres, comme aucune autre scène du film. Les lumières dans l’image sont si vives que le sentiment de liberté domine la scène.

Les chemins de Bill et Matho se croisent tard dans le film, mais cette interaction lie toute l’histoire et montre une belle évolution des personnages. Bill assume finalement son rôle d’adulte et père responsable, pendant que Matho accepte sa condition d’enfant à être pris en charge. Dans leurs immaturités et précocités, les deux trouvent un terrain d’entente qui leur fait devenir ce qu’ils avaient besoin d’être : des personnes de leur propres âges. Cette rencontre représente un cycle qui se termine, les histoires de ces deux jeunes hommes vont maintenant recommencer sous une nouvelle lumière.

Bianca Dantas

« J’ai vu le visage du diable » de Julia Kowalski, Prix Jean-Vigo du court-métrage 2023

Succédant à Virgil Vernier et son Kindertotenlieder, primé l’an passé, Julia Kowalski vient de remporter le nouveau Prix Jean Vigo pour son film J’ai vu le visage du diable, ayant fait ses débuts à la Quinzaine des Cinéastes cette année.

Syn. : À Kościerzyna, petite bourgade du nord de la Pologne, de nos jours. Majka, 18 ans, est convaincue d’être possédée. Elle décide de rencontrer le père Marek Rogala, un prêtre exorciste.

La réalisatrice était venue parler de son film en lice aux César 2024 à notre dernier After Short César le 9 novembre dernier au Forum des images, en compagnie de ses deux producteurs, Yann Gonzalez et Flavien Giorda (Vénin Films). Entre secret, désir et refoulement, ce moyen-métrage est le fruit de recherches effectuées pour l’écriture de son deuxième long-métrage en prépararion.

Julia Kowalski avait réalisé un premier long, Crache cœur, sorti en 2015. À Format Court, nous l’avions découverte en 2012 avec son premier court, Musique de chambre.

Wissam Charaf : « Un réalisateur est fait pour réaliser, comme un avion est fait pour voler et non pas rester au sol »

Cinéaste libanais, Wissam Charaf a réalisé un court Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues, sélectionné en compétition à Venise en septembre dernier et qui a remporté une Mention spéciale à Cinemed, il y a un mois. En décembre, il sera l’invité du Poitiers Film Festival pour une rétrospective et un dialogue avec d’autres réalisateurs libanais. 

Auteur de deux longs (Dirty, Difficult, Dangerous – 2022; Tombé du Ciel – 2016) et de nombreux courts, tous produits par Aurora Films, il évoque, dans cet entretien réalisé pendant la Biennale, son initiation au cinéma, certaines de ses rencontres, la production au Liban et ses partis pris en tant que réalisateur.

Format Court : Tu as démarré avec la radio indépendante. As-tu encore des activités dans la presse ?

Wissam Charaf : Oui, je travaille régulièrement pour ARTE, TV 5, France 24, … Le cinéma ne rapporte pas assez. J’ai appris le métier en faisant de la radio indépendante dès mes 16 ans. Je passais de la musique comme animateur sur une radio pirate à Beyrouth en pleine guerre civile. Je ne te raconte pas l’expérience que c’était ! On était une bande de potes, on passait ce qu’on voulait sur un émetteur minuscule : ça allait de The Sisters of Mercy en passant par de la house, Michael Bolton ou Whitney Houston. Chacun avait ses spécialités. Ensuite, la radio a fermé après la guerre, quand il y a eu des lois pour légaliser tout ça Après, je suis passé par la télé. J’ai été caméraman, monteur.. Puis, je suis parti en France.

Tu gardes de bons souvenirs de tes débuts ?

W.C. : Oui, mais ce n’était pas payé et c’était vraiment amateur alors ma mère m’engueulait : « Qu’est-ce que tu vas encore foutre dans cette station (rires) ?! ». Je jouais de la guitare, j’avais les cheveux longs, j’écoutais du rock. À l’époque, on se créait, grâce à la radio, une normalité européenne et occidentale dans un pays de fous.

Comment as-tu fait le pas jusqu’au cinéma ?

W.C. : À la radio, on avait besoin de jingles parce qu’on n’avait pas les moyens d’en reproduire. On avait des potes qui vivaient à New York et qui nous en enregistraient sur cassettes. Mon métier, entre autres, consistait à mettre le nom de notre radio à la place de la radio américaine ! Ça s’appelait « du montage audio ». J’ai appris seul à faire ça. Un copain qui bossait dans une télé en tant que monteur m’a vu faire et m’a dit que ça ressemblait à du montage vidéo. C’est comme ca que j’ai appris à filmer et à monter. En arrivant à Paris, j’ai appris qu’ARTE cherchait des gens sachant tourner et monter. J’ai alors commencer à bosser pour eux. De la radio à Beyrouth à ARTE, comme quoi ! A chaque fois, j’évolue grâce à des rencontres, j’apprends en autodidacte, je n’ai jamais fait un cours technique.

Comment s’est constituée ta cinéphilie ?

W.C. : J’ai commencé comme stagiaire régie avec Danielle Arbid. Elle tournait à Beyrouth son premier court Raddem. À Paris, j’ai continué à bosser avec elle. Dans le même temps, j’ai fait la connaissance de Henri-Jean Debon, un réalisateur français qui était un cinéphile incroyable et qui avait une bibliothèque de films extraordinaire. Chaque semaine, j’emportais cinq cassettes avec moi. J’ai pu faire une formation express en quelques années. Et puis, j’étais à Paris… Cela signifiait l’accès aux salles de cinéma. Les Tsai Ming-liang, Monteiro, Bresson, Dreyer.. C’était fabuleux.

Tu crois que ton cinéma aurait été différent si tu avais suivi une formation ?

W.C. : Bien sûr, sinon j’aurais fait du cinéma comme tout le monde. Et ça aurait été bien, très probablement, mais ça n’aurait pas été mon cinéma. Je ne serais pas à Venise si je faisais des films comme tout le monde, sans vouloir me vanter (rires) ! Je remercie le ciel de m’avoir fait manquer d’argent ! Mes films sont caractérisés par le mélange des genres. C’est dramatique, en même temps un peu burlesque etc.. Ce qui fait que c’est souvent difficile à défendre devant les commissions parce que c’est parfois antinomique dans le ton, les gens se trouvent déconcertés. Et ceux qui doivent investir de l’argent dedans se disent : « Ce pauvre type ne sait pas ce qu’il veut ! « .

Est ce que la difficulté à convaincre les commissions t’a empêché de tourner comme tu voulais ?

W.C. : Oui, évidemment ! Je n’ai tourné que deux longs-métrages à 50 ans, je suis super en retard ! Alors que j’ai commencé à travailler à 16 ans. Mais chaque projet m’a pris dix ans à mettre en place, pour finir par tourner pendant quinze jours au final (rires) ! Cependant, j’apprends de mes erreurs. Avant, je ne présentais qu’un projet et je le défendais jusqu’au bout. Tandis que maintenant je prépare toujours plusieurs projets à présenter. En ce moment, par exemple, j’écris trois longs en même temps.

Ton cinéma s’inscrit dans un registre comique par lequel tu montres le Liban d’une autre façon. Pourquoi ce choix ?

W.C. : Je n’aime pas traiter les choses au premier degré, en tire-larmes, je préfère passer par la comédie. Par exemple pour Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues, l’idée du personnage de Raed est venue d’une anecdote personnelle. J’étais au Liban, je me baladais avec ma famille sur le bord de mer, il y avait des travaux et des gardiens empêchaient les gens d’accéder à l’eau. Je me suis dit que c’était un drôle de concept alors j’ai imaginé cette histoire d’un homme qui interdit aussi aux gens d’aller à la mer.

Tu as tendance à revenir au court métrage, est-ce parce que les longs sont compliqués à faire ?

W.C. : Oui, en un sens. C’est plus facile car ça prend moins de temps et il y a moins d’enjeux d’argent, les commissions comprennent plus les projets extravagants. En règle générale, j’essaye de varier pour continuer de tourner, quoi qu’il arrive. Que ce soit court ou long, j’en tire le même plaisir.

Comment les gens se forment-ils au cinéma au Liban, quels sont les moyens pour faire un film ?

W.C. : On s’en est tellement pris de choses dans la gueule qu’on a forcément beaucoup de choses à raconter ! Pour financer les films, chacun trouve les moyens qu’il peut. Il n’y a pas d’aides, donc tous ceux qui réussissent ont du mérite, c’est certain !

Ce qu’on sent, c’est que beaucoup de gens reviennent au pays.

W.C. : C’est vrai que c’est une habitude au Liban, de se former à l’étranger et de revenir. Aujourd’hui, malheureusement, les gens partent pour toujours. Il y a quelques 10.000 jeunes qui quittent le pays tous les mois. C’est grave. C’est pire que la dévaluation de la monnaie et les coupures d’électricité. La fuite des cerveaux, c’est ce qui conduit à faire un peuple d’abrutis inféodés à des milices de mafieux politico-religieux. C’est terrible. Moi, j’ai fait le choix de rester parce que j’ai vu comment c’était à l’étranger et que j’ai choisi le Liban. Mais peut-être qu’au fond, je suis aussi un peu rassuré par mon passeport français. Je sais que s’il y a besoin, je pourrai partir.

En refaisant des courts-métrages, sens-tu que tu continues à te former ?

W.C. : J’ai toujours l’impression de m’améliorer. C’est l’un des rares métiers où on a l’occasion de pratiquer tous les cinq ans, ça laisse le temps de perdre la main. Un réalisateur est fait pour réaliser, comme un avion est fait pour voler et non pas rester au sol. Je sens qu’avec le temps, mon style évolue. Quand j’ai fait mon premier film (Hizz Ya Wizz) en 2003, il y avait principalement des plans-séquences, ça donnait un certain rendu. Aujourd’hui, je fais différemment mais j’ai parfois l’impression d’avoir regardé trop de mauvais films et de mauvaises séries et de m’être fait pollué. Je me suis surpris un jour à faire des champs-contrechamps à la chaîne. Mon chef opérateur, Martin Rit (par ailleurs réalisateur – La Leçon de guitare), heureusement me ramène toujours à la dure réalité du cinéaste que je suis et des plans qui me ressemblent. Il me dit : « N’oublie pas qui tu es  (rires) ! ».

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription, mise en forme : Anouk Ait Ouadda

4e After Short, jeudi 7.12. Les courts documentaires en lice aux prochains César

Une semaine, deux After Short ! Le mois de décembre commencera bien : lundi 4, nous mettrons le cinéma d’animation à l’honneur à 19h au Forum des images avec notre 3ème After Short spécial César du court, en présence de quasi toutes les équipes nommées.

Et jeudi 7, ce sera au tour du cinéma documentaire d’être valorisé. En collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, le magazine Format Court vous invite en effet à son quatrième After Short de l’année. Y participeront également presque toutes les équipes en lice aux prochains César.

Ce quatrième et dernier rendez-vous, fixé au jeudi 7 décembre prochain à 19h au Forum des images (salle 500), s’intéressera, cette fois-ci, aux équipes nommées pour le prochain César du meilleur court-métrage documentaire. Pour info ou rappel, cette soirée est accessible aux étudiants comme au grand public.


Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?


Un After Short, comment ça se passe ? 

En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.

Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.

Rappel : il n’y a pas de projection de films au cours de la soirée. 

Après la rencontre : un cocktail est organisé par l’ESRA au Forum des images. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.

After Short Documentaire / Jeudi 7  décembre 2023 – 19h. Réservations grand public : 5€, ici). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, pensez à vous inscrire gratuitement à communication@esra.edu. Attention : nombre de places limité !


Nos invités

– Kenza Manach, responsable du Département courts métrages et du Pôle éducation à l’Académie des César

Laure Tarnaud, membre du comité court-métrage documentaire et Secrétaire générale du Cinéma du Réel

Helen Olive, productrice (5 à 7 Films) de Maria Schneider, 1983, réalisé par Elisabeth Subrin, César du meilleur court-métrage documentaire 2023

Hugo David et Anaïs Bertrand, co-réalisateur avec Raphaël Quenard et productrice (Insolence Productions) de L’Acteur

Jordane Oudin, producteur (Hippocampe Productions) de Saintonge Giratoire, réalisé par Quentin Papapietro

Gala Hernández López et Lucas Le Postec, réalisatrice et producteur (L’Heure d’été) de La Mécanique des fluides

Manon Messiant, productrice (Iliade films) de Pacific Club, réalisé par Valentin Noujaïm

Éléonor Gilbert et Raphaël Pillosio, réalisatrice et producteur (L’atelier documentaire) de Thun-le-Paradis ou la balade d’Éloïse

Claude Delafosse et Yves Bouveret, réalisateur et producteur (Am Stram Gram) de L’Effet de mes rides

Léonore Mercier et Clarisse Tupin, réalisatrice et productrice (Paraiso Production) de Sauvage

Arthur Thomas-Pavlowsky et Marcello Cavagna, réalisateur et producteur (Le Grec) de La Lutte est une fin

Marie Bottois, réalisatrice de Le Passage du col

Chloé Lecci López et Gautier Raguenes, réalisatrice et producteur (Les Films Hatari) de Tutto apposto gioia mia

En pratique

Lieu : Le Forum des images (salle 500) : 2, rue du cinéma, 75001 Paris (accès). Salle accessible aux personnes à mobilité réduite.

Accueil : 18h30, début de l’événement : 19h

Tarif (anciens/actuels) étudiants ESRA : gratuit (réservations : communication@esra.edu)

Tarif grand public : 5€ (uniquement via ce lien, dans la limite des places disponibles)

Chili 76 de Manuela Martelli

Du film politique au film psychologique

Une bourgeoise qui cache un militant anti-Pinochet : telle est la trame de fond de Chili 76, qui nous fait vivre le Chili de l’immédiat après-putsch. Le film de Manuela Martelli sort ce 21 novembre dans un DVD édité par Blaq Out.

Quand Chili 76 commence, Pinochet est au pouvoir depuis trois ans déjà. La vie des Chiliens et Chiliennes ordinaires semble avoir repris son cours et la bourgeoisie chilienne avoir définitivement gagné les rapports de forces politiques. De fait, l’opposition a été totalement éliminée, ou presque.

Presque, parce que, un beau jour, Carmen, la femme d’un éminent médecin, est sollicitée par un prêtre pour prendre soin d’un partisan d’Allende. Le jeune a pris une balle dans la jambe et ne peut, en raison de ses activités politiques, se rendre à l’hôpital : il risquerait la prison, sinon la mort. Carmen, qui a commencé des études de médecine et fut infirmière volontaire, sait soigner les blessures. C’est donc tout naturellement vers elle que se tourne le prêtre sollicité par le militant antifasciste.

D’abord hésitante, Carmen accepte de cacher le fugitif dans une grande maison de campagne qu’elle et son mari détiennent au bord de la mer. Elle est précisément en train de la rénover, ce qui éloigne les indiscret.es de ses pièces les plus reculées. C’est là qu’elle cachera, l’été durant, ce jeune homme qui se remet progressivement de ses blessures.

Le film s’intéresse moins aux militant.es politiques qu’au personnage de Carmen, qui se bat constamment contre la peur. Une peur qui évolue peu à peu en folie paranoïaque. Paranoïa vis-à-vis de la milice politique et de ce mari bien à droite, certes, mais aussi des compagnons du fugitif, dont l’attitude la déconcerte. Nous avons donc moins à faire là à un film historique ou politique qu’à un film psychologique, qui suit les évolutions de son personnage principal.

De fait, la caméra de Manuela Martelli suit Carmen du début à la fin du film. Le jeu de Aline Küppenheim, sobre mais expressif, rend bien compte des sentiments qui l’assaillent mais qu’elle se doit de cacher. Elle est peu bavarde : ses dialogues sont réduits à l’essentiel et mettent ainsi en évidence les dilemmes avec lesquels elle se bat.

À ce (relatif) mutisme répond l’expressivité du cadre et des couleurs. Sans jamais saturer l’image, ces dernières sont au cœur du dispositif du film, qui se passe en grande partie dans cette maison que Carmen a entrepris de repeindre. Métaphores du parcours de cette grande bourgeoise qui bifurque hors des sentiers que l’on avait battus pour elle, des taches de peinture, filmées en gros plans, coulent sur des escarpins jusque-là immaculés : c’est cette rencontre des symboles de l’oisiveté et du travail manuel qui annoncent la brèche que sera l’immixtion du jeune allendiste dans cette vie trop réglée. Outre son passage dans la clandestinité, cet événement sera ainsi l’occasion pour Carmen de s’interroger sur la façon dont les hommes de sa famille – époux et père – se sont octroyé le droit de régenter sa vie.

Le DVD Chili 76 est enrichi d’un échange entre l’équipe du film et la salle du cinéma L’Ecran de Saint-Denis, capté par l’équipe de Cuult. Les participant.es ont ainsi évoqué l’infiltration progressive des couleurs dans la maison de vacances de Carmen ou le traitement des musiques qui accompagnent le film dans les années 1970.

À côté de ces questions esthétiques, des questions politiques ont également été abordées, notamment les différences entre le Chili et l’Argentine. Ainsi, les dignitaires du Chili de Pinochet n’ont pas connu le même sort que la junte argentine, condamnée lors du Procès de la Junte en 1985, puis – pour revenir sur les mesures d’amnistie qui ont suivi – entre 2005 et 2009. En outre, Pinochet conserve des partisan.es, au motif qu’il aurait été à l’origine de la stabilité économique de son pays. Pour ces raisons, a indiqué la réalisatrice du film, Chili 76 a reçu un accueil très clivé au Chili en fonction des salles où il fut projeté.

Grâce à ce DVD nous replongeons dans cette époque volontiers oubliée en France et (re)découvrons ce film passionnant à bien des aspects. Le bonus permet de contextualiser cette œuvre qui n’a de sens qu’ancrée dans une histoire particulière et de mesurer les conséquences, encore aujourd’hui, de la prise de pouvoir de Pinochet.

Julia Wahl