Anthony Ing : « Il faut essayer de cultiver quelque chose d’unique »

Jeune réalisateur britannique d’origine canadienne, Anthony Ing est l’auteur d’un film étonnant repéré cette année à Berlin. Jill, Uncredited est un film de montage centré sur une figurante, Jill Goldston, ayant tourné dans un nombre invraisemblable de films, pubs et séries TV. Le film qui lui rend hommage a été diffusé dans le focus que nous avons consacré à la Berlinale lors de notre Festival Format Court d’avril. Anthony Ing était présent pour l’occasion. Rencontre.

Format Court : Comment l’idée de Jill, Uncredited t’est-elle venue ?

Anthony Ing : J’ai commencé à travailler comme producteur sur le film d’un ami. A l’origine, je suis intéressée par la musique, l’utilisation de matériaux déjà existants, les samples. Et ça fonctionnait bien avec le film que je commençais à produire. J’ai appris à monter. J’ai étudié la philosophie à l’Université mais à cette époque j’essayais de voir ce que je pouvais créer avec des samples, de la musique ou des sons. C’est très proche du montage. Ça m’a aidé à penser les choses dans le bon sens. J’ai appris en autodidacte.

On sent dans ton film un intérêt pour le montage, bien sûr, mais aussi pour les vieux films, comme dans ton film précédent, Day After Day. Pourquoi as-tu voulu y collecter tous les souvenirs de l’actrice Doris Day ?

A. I. : Au début, pour être honnête, je ne savais pas vraiment ce qui m’a amené là. Je n’avais vu aucun des films de Doris Day, sa carrière est intéressante parce qu’elle a travaillé constamment et ça s’est arrêté soudainement. Elle n’a pas beaucoup changé physiquement. Elle a fait des films d’un genre très spécifique, des films qu’on ne voit plus, assez conservateurs et américains. J’ai pensé que ce serait intéressant de voir quelqu’un aller de films en films. Quand j’ai vu la réaction au matériel et les thèmes qui revenaient encore et encore, ça a orienté le montage du film.

Ton travail m’a fait penser au film Staging death de Jan Soldat qui mêle archives et cinéma.

A. I. : Oui, j’ai vu ce film. Je suis toujours inquiet d’être trop influencé par des choses similaires, il faut essayer de cultiver quelque chose d’unique. Mais j’adore ce genre de films et je les regarde toujours.

Comment as-tu découvert Jill Goldston ? pourquoi as-tu voulu raconter quelque chose à son sujet ?

A.I. : Parfois, tu t’immerges dans ta recherche, dans ta création et tu espères qu’un jour ça te dise quelque chose. Il ne faut pas placer la forme avant le message mais parfois la forme est utile pour trouver le fond. J’avais cette idée de faire quelque chose avec un figurant il y a sept ans. J’ai abandonné cette idée, c’était une impasse, la tâche était immense.

Des années plus tard, je procrastinais en ligne. Je cherchais des vieux films et quelqu’un avait rempli sur IMDb les noms de personnes non créditées aux génériques de ces films. Il y a un forum en ligne, BritMovie, où des fans aiment identifier les figurants au second plan. Certains ont de l’intérêt pour l’industrie de l’époque. Des gens qui ont fait des petits rôlessont crédités. Jill Goldston était mentionnée sur ce site, il y avait quelques fans qui parlaient d’elle comme quelqu’un de très prolifique. J’ai discuté avec quelqu’un qui m’a donné son numéro. Je ne sais pas comment il l’avait. Je crois que les fans sont des gens obsessionnels, ils font des listes d’informations sur les acteurs. J’ai rencontré Jill et elle m’a donné une liste de tous les jobs qu’elle avait fait, il y avait presque 2000 lignes, de la TV, des pubs aussi. J’avais une liste avec des films identifiables à côté de beaucoup de choses plus obscures. J’ai cherché le matériel puis essayé d’identifier Jill dedans.

Comment as-tu pu accéder à ses films ? Comment as-tu enquêté et trouvé les images où elle apparaissait ?

A. I. : J’ai développé une méthode. Je ne regardais pas les films en etier, je passais rapidement et je regardais les scènes avec de la foule. Et dans ces scènes, j’avançais image après image. Ce qui est pratique avec Jill, c’est qu’elle a un visage reconnaissable. J’ai commencé à pouvoir la trouver même si elle était juste floue. Parfois, je devais vérifier avec elle, je lui envoyais une image et je lui demandais si c’était bien elle. Elle a fait tellement de petits rôles qu’elle a oublié ceux dans lesquels elle apparaît, pour la grande part, elle a été coupée au montage. Souvent, je regardais les films sans rien trouver.

Est-ce devenu une obsession ?

A. I. : Oh oui, c’est devenu une obsession ! C’était impossible de tout voir. Je ne savais pas exactement à quoi le film allait ressembler, je l’interviewais aussi. J’ai continué, c’est devenu une obsession de construire avec le plus de matériel possible. Je n’avais pas commencé à faire le film et pourtant, d’une certaine manière, je l’ai initié en collectant des images. Je ne savais pas si ça allait fonctionner ou pas mais je continuais en espérant qu’une fois avec suffisamment de matériel, je pourrais créer quelque chose.

Pourquoi était-ce important d’entendre le son du montage ?

A. I. : Ce que je voulais transmettre, surtout au début du film, c’est l’aspect tactile du processus de montage : couper les images, les ralentir, leur donner un autre sens. Au fur et à mesure du film, on devient plus familier avec elle, en connaissance, plutôt qu’avec l’idée simple d’une figurante qui apparaît au premier plan. On la connait, on découvre son histoire, et le film traite moins du processus. Tu penses d’abord au système du montage et, au fur et à mesure, à la personne.

Qu’as-tu appris à propos des figurants en faisant ce film ? Pour toi, ce sont des gens qu’on ne voit pas au début, mais que situés dans l’arrière-plan, ils permettent à ceux du premier plan d’exister.

A.I. : Ils sont tout à fait essentiels. Sans eux, le film n’existe pas. Une chose que j’ai apprise, c’est qu’ils sont bons pour la plus petite performance possible. Cette performance, on peut la considérer comme un premier rôle. Ce petit moment peut contenir beaucoup d’art. Quand j’ai discuté avec Jill de ses figurations, ce qui m’intéressait c’est qu’elle restait immergée. Quand elle jouait des scènes de fête, tout le monde célébrait cela et le moment était d’une authentique joie. Et c’est l’opposé lorsque c’est une tragédie. Jill a fait des scènes comme ça mais il y a quelques petites figurations qu’elle a refusé, pas à cause des conditions de tournage, mais surtout pour l’émotion de refaire une scène difficile. Les acteurs parlent de ça, c’est la même chose pour les figurants.

Jill a abandonné le cinéma maintenant. Pour une fois, elle est au centre d’un film. Tu as collecté les souvenirs de sa carrière. Quelle a été sa réaction devant ton travail ?

A. I. : Elle a vu le film à Londres, au London Film Festival. Elle a dit que c’était comme si elle voyait sa vie défiler devant ses yeux. Personne ne peut avoir l’expérience qu’elle a eu en voyant le film, elle connaît le contexte de chacune des scènes, les gens qu’elle a côtoyé, sont sur les images, ce sont ses amis. Elle a commencé vers les 17 ans et elle a arrêté à presque 70 ans. C’est toute une vie. Pendant la première du film, il y a une scène où elle est dans un cinéma. Je me suis tourné vers elle qui était dans un cinéma et qui se regardait être dans un cinéma. C’était surréaliste (rires) !

Quel est ton intérêt pour la création dans le court-métrage ?

A.I. : J’aime l’aspect du contenu dans le court. Certains sujets sont possibles en étant des courts parce que c’est le bon format. Quand j’ai commencé ce film, je ne savais pas quelle durée il pouvait avoir. Je l’ai pitché comme un moyen-métrage. Je ne savais pas encore ce que je faisais. Il y a des courts qui pourraient être des longs et des longs qui pourraient être des courts.

J’ai fait un peu de montage pour des reportages TV, j’ai aussi travaillé sur les archives de Charlie Chaplin. En ce moment, je travaille sur un projet qui est plus proche de l’exposition. D’une certaine manière, il y a des similitudes avec Jill, Uncredited. C’est une adaptation d’un roman anglais, oublié, des années 60. Je cherche à voir comment le sujet du roman peut s’appliquer de nos jours. Cette sensibilité se retrouve déjà dans Jill, Uncredited. Je sens que je ne vais pas arrêter les films d’archives mais je n’ai pas d’idée immédiate, pas de suite logique après Jill, Uncredited.

Pourquoi as-tu créé ta société Loop ? Pourquoi as-tu senti le besoin de produire tes films par toi-même, et de les distribuer ?

A. I. : Nous ne sommes pas vraiment faits pour l’aspect industriel du cinéma mais, à la base, on voulait mettre en place notre propre structure. On a commencé vers 2015, on a travaillé ensemble sur un film avant, on ne savait pas vraiment ce qu’on faisait mais c’était notre première collaboration. Nous avons apprécié travailler ensemble et on voulait avoir un espace pour créer les idées de chacun. On avait eu des expériences précédentes où il était difficile d’être créatif avec les autres entreprises. On a compris qu’il serait intéressant de fonder notre société. On échange les rôles, on fait beaucoup de choses nous-mêmes et on se débrouille, on trouve des moyens. ça crée un environnement de travail très sympa et surtout créatif.

Plusieurs de tes films, comme compositeur, réalisateur ou producteur, sont en ligne. Pourquoi ?

A. I. : Oui, c’est la vie des films. Les gens regardent les films qu’on fait. Après la carrière des films en festival, le plus important c’est surtout l’accessibilité pour tout le monde.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Agathe Arnaud

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