Tous les articles par Katia Bayer

Chili 76 de Manuela Martelli

Du film politique au film psychologique

Une bourgeoise qui cache un militant anti-Pinochet : telle est la trame de fond de Chili 76, qui nous fait vivre le Chili de l’immédiat après-putsch. Le film de Manuela Martelli sort ce 21 novembre dans un DVD édité par Blaq Out.

Quand Chili 76 commence, Pinochet est au pouvoir depuis trois ans déjà. La vie des Chiliens et Chiliennes ordinaires semble avoir repris son cours et la bourgeoisie chilienne avoir définitivement gagné les rapports de forces politiques. De fait, l’opposition a été totalement éliminée, ou presque.

Presque, parce que, un beau jour, Carmen, la femme d’un éminent médecin, est sollicitée par un prêtre pour prendre soin d’un partisan d’Allende. Le jeune a pris une balle dans la jambe et ne peut, en raison de ses activités politiques, se rendre à l’hôpital : il risquerait la prison, sinon la mort. Carmen, qui a commencé des études de médecine et fut infirmière volontaire, sait soigner les blessures. C’est donc tout naturellement vers elle que se tourne le prêtre sollicité par le militant antifasciste.

D’abord hésitante, Carmen accepte de cacher le fugitif dans une grande maison de campagne qu’elle et son mari détiennent au bord de la mer. Elle est précisément en train de la rénover, ce qui éloigne les indiscret.es de ses pièces les plus reculées. C’est là qu’elle cachera, l’été durant, ce jeune homme qui se remet progressivement de ses blessures.

Le film s’intéresse moins aux militant.es politiques qu’au personnage de Carmen, qui se bat constamment contre la peur. Une peur qui évolue peu à peu en folie paranoïaque. Paranoïa vis-à-vis de la milice politique et de ce mari bien à droite, certes, mais aussi des compagnons du fugitif, dont l’attitude la déconcerte. Nous avons donc moins à faire là à un film historique ou politique qu’à un film psychologique, qui suit les évolutions de son personnage principal.

De fait, la caméra de Manuela Martelli suit Carmen du début à la fin du film. Le jeu de Aline Küppenheim, sobre mais expressif, rend bien compte des sentiments qui l’assaillent mais qu’elle se doit de cacher. Elle est peu bavarde : ses dialogues sont réduits à l’essentiel et mettent ainsi en évidence les dilemmes avec lesquels elle se bat.

À ce (relatif) mutisme répond l’expressivité du cadre et des couleurs. Sans jamais saturer l’image, ces dernières sont au cœur du dispositif du film, qui se passe en grande partie dans cette maison que Carmen a entrepris de repeindre. Métaphores du parcours de cette grande bourgeoise qui bifurque hors des sentiers que l’on avait battus pour elle, des taches de peinture, filmées en gros plans, coulent sur des escarpins jusque-là immaculés : c’est cette rencontre des symboles de l’oisiveté et du travail manuel qui annoncent la brèche que sera l’immixtion du jeune allendiste dans cette vie trop réglée. Outre son passage dans la clandestinité, cet événement sera ainsi l’occasion pour Carmen de s’interroger sur la façon dont les hommes de sa famille – époux et père – se sont octroyé le droit de régenter sa vie.

Le DVD Chili 76 est enrichi d’un échange entre l’équipe du film et la salle du cinéma L’Ecran de Saint-Denis, capté par l’équipe de Cuult. Les participant.es ont ainsi évoqué l’infiltration progressive des couleurs dans la maison de vacances de Carmen ou le traitement des musiques qui accompagnent le film dans les années 1970.

À côté de ces questions esthétiques, des questions politiques ont également été abordées, notamment les différences entre le Chili et l’Argentine. Ainsi, les dignitaires du Chili de Pinochet n’ont pas connu le même sort que la junte argentine, condamnée lors du Procès de la Junte en 1985, puis – pour revenir sur les mesures d’amnistie qui ont suivi – entre 2005 et 2009. En outre, Pinochet conserve des partisan.es, au motif qu’il aurait été à l’origine de la stabilité économique de son pays. Pour ces raisons, a indiqué la réalisatrice du film, Chili 76 a reçu un accueil très clivé au Chili en fonction des salles où il fut projeté.

Grâce à ce DVD nous replongeons dans cette époque volontiers oubliée en France et (re)découvrons ce film passionnant à bien des aspects. Le bonus permet de contextualiser cette œuvre qui n’a de sens qu’ancrée dans une histoire particulière et de mesurer les conséquences, encore aujourd’hui, de la prise de pouvoir de Pinochet.

Julia Wahl

3e After Short, lundi 4.12. Courts d’animation nommés aux César 2024

En collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, le magazine Format Court vous invite à son troisième After Short de l’année, organisé le lundi 4 décembre prochain, à 19h, au Forum des images (salle 300) !

L’organisation de nos 2 soirées consacrées aux court de fiction, en présence de l’intégralité des équipes nommées, les 19 octobre et 9 novembre dernier, a réuni de nombreux étudiants et s’est poursuivie par de nombreux contacts échangés entre équipes et public, autour d’un verre. Les photos de ces deux événements sont à retrouver sur notre compte Instagram.

Notre troisième rendez-vous, fixé au lundi 4 décembre prochain à 19h au Forum des images (salle 300), s’intéressera aux équipes nommées pour le prochain César du meilleur court-métrage d’animation. Pour info ou rappel, cette soirée est accessible aux étudiants comme au grand public.

Sachez également que notre quatrième et dernier After Short consacré aux courts documentaires en lice aux César 2024 aura lieu la même semaine, à savoir le jeudi 7 décembre à 19h au Forum des images (salle 500).


Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?


Un After Short, comment ça se passe ? 

En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.

Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.

Rappel : il n’y a pas de projection de films au cours de la soirée. 

Après la rencontre : un cocktail est organisé par l’ESRA au Forum des images. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.

3ème After Short, spécial animation : lundi 4 décembre 2023 – 19h. Réservations grand public : 5€, ici). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, pensez à vous inscrire gratuitement à communication@esra.edu. Attention : nombre de places limité !


Nos invités

– Kenza Manach, responsable du Département courts métrages et du Pôle éducation à l’Académie des César

Emilie Pigeard, co-réalisatrice de La vie sexuelle de Mamie, César du meilleur court-métrage d’animation 2023

Alexis Hunot, membre du comité court-métrage animation et directeur artistique du PIAFF (Festival International du Film d’Animation de Paris)

Mathilde Bédouet et Ninon Chapuis, réalisatrice et productrice (L’heure d’été) de Ete 96

Kévin Rousseau, producteur (Bandini films) de La saison pourpre de Clémence Bouchereau

Constance Le Scouarnec, productrice (Miyu Productions) de 27 de Flóra Anna Buda, Christopher at sea de Tom CJ Brown et La grande Arche de Camille Authouart

Nina Rebel-Faure, chargée de distribution (Autour de Minuit) de El after del mundo de Florentina Gonzalez

Denis Do, réalisateur de La Forêt de Mademoiselle Tang

Raphaëlle Stolz et Emmanuel Baron, réalisatrice et producteur (Komadoli Studio) de Miracasas

Hélène Mitjavile, productrice (Melocoton films) de Scale de Joseph Pierce

Virginie Giachino et Mariannick Bellot, productrice (Doncvoilà Productions) et co-scénariste de Drôles d’oiseaux de Charlie Belin

Joséphine Mancini, productrice (Remembers) de Un genre de testament de Stephen Vuillemin


En pratique

Lieu : Le Forum des images (salle 300) : 2, rue du cinéma, 75001 Paris (accès). Salle accessible aux personnes à mobilité réduite.

Accueil : 18h30, début de l’événement : 19h

Tarif (anciens/actuels) étudiants ESRA : gratuit (réservations : communication@esra.edu)

Tarif grand public : 5€ (uniquement via ce lien, dans la limite des places disponibles)

Festival du film coréen à Paris. Place au mélange des genres

Le Festival du film coréen à Paris a investi pour sa dix-huitième édition les Champs-Elysées. Il nous a présenté au Publicis cinéma une programmation diversifiée qui, entre quelques longs-métrages, a fait la part belle au court. Le choix a été fait cette année d’accorder une place de choix à l’animation et aux réalisatrices féminines.

Le dessin animé était très clairement surreprésenté parmi les films d’animation : sur les neuf films projetés lors de cette séance, huit étaient des dessins animés. À cette surreprésentation technique répondait une surreprésentation thématique : la question de l’enfance et de l’adolescence. Les rapports aux adultes apparaissaient ainsi dans Minseo and her grandpa, de Chung Hui-bin ou Seungja and me de Kim A-young. Toutefois, comme chacun∙e sait, ce sont les relations entre pairs qui sont les plus difficiles. Aussi Oolang oolang, de Jo Yeseul, raconte-t-il la timidité maladive d’une petite fille surnommée « Jieun la Gerbe », qui vomit quand elle est gagnée par l’émotion. Son acquisition – progressive – de la confiance en soi nous est racontée avec humour.

C’est toutefois The Armpit hair girl, de Jeong Da-hee et Kwon Young-seo qui joue avec le plus de distance des difficultés, à l’adolescence, à accepter son nouveau corps. Le film commence ainsi avec une situation connue de toute personne passée par l’adolescence : la survenue de poils au niveau des aisselles et la recherche frénétique de ruses pour les cacher.

Le dessin animé bascule ensuite avec malice dans le fantastique. Les poils s’avèrent rebelles à toute tentative de les dompter ou de les couper. Des yeux apparaissent. Les poils gagnent en autonomie et continuent de pousser jusqu’à concurrencer les longs cheveux de leur propriétaire… Si la parabole est un peu facile – on pourrait la résumer par une morale enjoignant chacun et chacune à s’aimer tel∙le qu’il ou elle est – l’humour fonctionne et le public entre de plain-pied dans l’imaginaire.

Le mélange des genres et des formes apparaît dans The Playground, de Rhee Grace Nayoon. Ce film de six minutes nous présente les rêveries d’adolescent∙es. L’intérêt de ce court-métrage réside toutefois bien plutôt dans sa – ou ses – formes que dans son histoire. Les jeunes sont ainsi représenté∙es par des poupées filmées en stop motion, dont les traits évoluent au fil du film.

La césure entre le réel et l’imaginaire, qui semble dans un premier temps répondre à des oppositions nettes entre le noir et blanc et la couleur ou entre le dessin animé et le stop motion, est progressivement réduite à néant, le spectateur et la spectatrice étant bien en peine d’affirmer avec certitude où se situe le départ entre réalité et fiction. Les différentes esthétiques se contaminent alors l’une l’autre, avec des incrustations de dessins dans des images à prise de vue réelle. À moins que ce ne soient les prises de vue réelles qui s’incrustent peu à peu dans le dessin : au public de faire son choix.

Cette séance, qui faisait la part belle à l’imagination, est un prélude à la séance nocturne « strange cuts ». Ou comment, deux jours après Halloween, se faire peur en regardant des courts-métrages. Se faire peur, vraiment ? Rien n’est moins sûr : les courts-métrages projetés étaient moins des films d’horreur que des films qui jouent des codes de l’horreur.

Certes, certains films, comme A Spider, de Paeng So-yeh ou Long for the missing, de Kim Jaehong, nous embarquent jusqu’au bout dans l’univers de la mort et des insectes inquiétants. D’autres, toutefois, affichent clairement leur caractère parodique.

All your fault, PD, de Kim Sun-yeun, joue par exemple avec les codes des films de zombies : une équipe de jeunes cinéastes se voit piégée par un premier zombie. Alors qu’une partie de l’équipe trouve refuge dans un van, le reste, mordu par le monstre initial, devient zombie à son tour. Il reste alors, pour cette petite équipe sans argent, à récupérer le matériel qui se trouve à présent au milieu des zombies… Quitte à sacrifier la productrice. La réussite du film repose sur l’importance du second de gré et le jeu distancié des acteurs et actrices.

Hole, de Hwang Hyein, joue également des codes des films d’horreur en nous faisant suivre une agente des services sociaux enquêtant sur l’absentéisme scolaire de deux enfants. Quand elle se rend chez eux, les parents sont absent∙es, mais les enfants lui désignent un énorme trou dans lequel se trouveraient ceux-ci. Comme dans les films d’horreur traditionnels, la catastrophe arrive par celles et ceux qui incarnent l’innocence et la protagoniste avait été prévenue : son chef lui avait bien dit de ne pas croire les enfants. Là encore, l’intérêt du film repose sur cette mise à distance des ingrédients topiques du film de genre.

Les courts-métrages vus au Festival du film coréen à Paris ont ainsi montré ainsi une réelle diversité de genre et d’esthétique. S’il eût été bienvenu de ne pas limiter – à l’exception d’un film – l’animation au dessin animé, la sélection a néanmoins témoigné de la possibilité, pour cette forme, de s’illustrer dans différentes thématiques. L’importante place accordée au court a également permis de mettre en valeur la multiplicité des genres du cinéma coréen : horreur, comédie romantique… Une sélection qui, sans épuiser le sujet, participe d’une appréhension globale du cinéma coréen.

Julia Wahl

M comme Maurice’s bar

Fiche technique

Synopsis : En 1942 dans un train, une ancienne drag-queen se remémore les nuits passées dans l’un des premiers bars queer de Paris. Les échos des ragots des clients racontent ce bar légendaire et Maurice, son mystérieux propriétaire juif algérien.

Genre : Animation

Durée : 15’

Année : 2023

Pays : France, Israël

Réalisation : Tom Edery, Tom Prezman

Scénario : Tom Edery, Tom Prezman

Production : Sacrebleu Production

Musique : Tom Edery

Production : Sacrebleu Productions

Article associé : la critique du film

Maurice’s Bar de Tom Prezman et Tzor Edery

Maurice’s Bar de Tom Prezman et Tzor Edery, présenté à la 22ème fête du cinéma d’animation pour le prix Reynaud, est notre coup de coeur ! Les deux réalisateurs du film de 15 minutes, disponible sur Court-Circuit, ont fait leurs études à la Bezalel Academy of Art and Design, située à Jérusalem. Les deux artistes queer souhaitaient mettre en lumière l’histoire maghrébine, juive et queer, grâce à leur film qui porte le nom d’un patron de bar clandestin « Maurice », traduction française de MoÏse.

« En 1942, dans un train vers nulle part, une ancienne drag queen se remémore une nuit de son passé dans l’un des premiers bar queer de Paris ». Voilà le résumé que l’on trouve dans la brochure du festival, aussi énigmatique que le film lui-même. L’histoire est racontée par une ancienne habituée du bar, une drag queen ayant côtoyé la figure légendaire de celui qu’on ne voit que brièvement : Maurice, juif algérien queer, tenant ce bar clandestin au début du 20ème siècle. Le personnage est avant tout raconté par les autres, la voix off en premier lieu, puis au travers des racontars des habitués qui rivalisent, à son sujet, d’anecdotes dont on ne sait l’exactitude. Finalement, un homme sort du noir, descend un escalier en diva, et laissant tomber son élégant manteau de fourrure, découvre un corps sculpté, dont les nombreux tatouages racontent les aventures. Maurice est queer, assume sa féminité mais fait aussi état d’une masculinité sans équivoque.

Ce portrait s’inspire d’un personnage réel nommé Maurice qui aurait ouvert un bar en 1906 à Paris, mais dont on ne sait rien car « l’histoire l’a effacé ». Faute de plus d’informations, les deux réalisateurs se sont sentis libres d’imaginer tout le reste. Dans le bar de Maurice, les drag queen, les hommes et femmes queer se retrouvent en secret pour se divertir, jouer aux cartes, raconter des anecdotes, rire, défier l’ordre social, se donner du plaisir.. Bref, le bar de Maurice semble une terre « safe » pour les personnes LGBTQ+ et les libres penseurs, un lieu « gay friendly » comme on dirait aujourd’hui.

Pourtant, la morale rôde. Si l’intérieur du bar est gage de liberté car à l’abri des regards, l’extérieur est un espace dangereux. Dans le noir de la nuit, la police et ses chiens enragés guettent les habitué.e.s du bar, matraque en main. Comble de l’ironie, le chef de la police, symbole de la morale religieuse de l’époque, de l’ordre patriarcal, et social en général, reluque les drag depuis l’autre coté de la vitre. Pétri de pulsions qu’il n’assume pas pour celleux qu’il combat et semble haïr, le policier apparaît comme le symbole d’une masculinité étriquée à l’homophobie assumée mais au désir sous-jacent.

L’histoire fait ainsi écho à des réalités que les réalisateurs jugent nécessaire de faire connaître au grand public. Il le font notamment avec un sens de l’humour propre à l’esprit « queer » et un dessin poétique, intemporel. Tom et Tzor ont intégré des techniques de gravure, très à la mode à cette époque, en hommage à Toulouse-Lautrec qui gravait aussi et baignait dans le monde des cabarets. Tzor explique que le design du film n’est pas très réaliste ; les lignes sont courbes et imparfaites. Étant aussi tatoueur, il a utilisé certaines techniques du tatouage pour donner plus de mouvement aux lignes afin de déformer les personnes et les objets, pour leur donner plus de vie et les rendre paradoxalement plus réels. Dans ce réalisme visuel, s’ajoute les voix des personnages, doublé magnifiquement, par de vraies drag queen peut-être ? On entend dans les voix l’humour grinçant, le goût des intrigues sulfureuses, la brisure sous-jacente et le panache de celles qui aiment raconter des histoires et se célébrer à travers elles.

Nous célébrons nous-même ce joli récit qui est né du souci de raconter l’identité queer et l’identité maghrébine et de réconcilier les deux. En effet, la plupart des drag queen du bar sont maghrébines, aux allures orientales et jouent avec l’imaginaire des différentes cultures, empruntant tantôt le charme mystérieux des chanteuses orientales tantôt la luxure des danseuses de cancan françaises.

Maurice’s Bar est un film haut en couleur qui sort du lot tant par son propos que par son animation sensuelle et magnétique. On nous conte si bien l’histoire de ce tenant de bar que l’on croirait l’avoir nous-mêmes connus, et on se remémore « la bonne vieille époque » assis dans le métro, comme si nous étions une drag queen dans un train.

Anouk Ait Ouadda

Consulter la fiche technique du film

Le court, bien présent au Festival du film coréen

Le Festival du film coréen (FFCP) à Paris revient pour sa 18ème édition. Un événement qui se tient du 31 octobre au 7 novembre au Publicis Cinémas (129, avenue des Champs-Elysées) et qui propose aux spectateurs une autre vision de la Corée.

Au menu, un focus sur Lim Oh Jeong (avec la projection, en sa présence, de Hail to hell, Empty lies, No more no less, The Shelter et Call if you need me) et une sélection de films de genres divers (comédie romantique, fantastique ou policier, parmi d’autres).

Le court-métrage, bien sûr, est à l’honneur, avec des séances spéciales les 3, 4 et 5 novembre respectivement à 18h50, 14h45 et à 18h30. Et, en prime une séance spéciale horreur (« strangecuts ») le 2 novembre à 20h50 et une autre à destination des enfants (« shortcutskids ») le 2 novembre à 14h30, où il sera beaucoup question d’animation, avec un titre évocateur « young, wild and free ». Parmi ces films d’animation, beaucoup mettent à l’honneur le rêve, comme Samsara de Joo Hyun-joon, ou mettent en scène notre rapport ambigu avec les objets qui nous envahissent et détériorent l’air que nous respirons. Ainsi de The Isle of trash de Choi Yeoleum ou de Overlapping Universe de OK Seyoung.

Parmi les courts-métrages destinés aux plus grands, la question du temps revient comme un leitmotiv à la séance de 14h45 du 4 novembre, avec par exemple Resilience de Choi Yunie ou The Sea on the days when the magic returns de Han Ji-won. Celle de 18h30 le 3 novembre nous embarquera pour sa part dans un monde volontiers absurde, tandis que celle de 18h30 le 5 s’interrogera sur le monde contemporain.

La billetterie est ouverte depuis ce lundi et propose des cartes permettant de bénéficier de tarifs préférentiels. Infos : http://www.ffcp-cinema.com/programme#shortcuts

2ème After Short, jeudi 9.11 : Courts de fiction 2/2, en lice aux César 2024

En collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, le magazine Format Court vous invite à son deuxième After Short, organisé le jeudi 9 novembre prochain, à 19h, au Forum des images (salle 500) !

Notre premier rendez-vous, organisé jeudi 19 octobre, a mis en avant 12 équipes de films de fiction en lice pour le César du meilleur court-métrage 2024. Dominique Moll, réalisateur de La Nuit du 12 et membre du nouveau comité artistique des César, était présent à cette soirée complète, marquée par la présence de très nombreux étudiants. Pour info, les photos de ce premier événement sont à retrouver sur notre compte Instagram.

Notre deuxième rendez-vous, fixé au jeudi 9 novembre prochain à 19h au Forum des images (salle 500), s’intéressera aux 12 autres équipes nommées pour le prochain César du meilleur court-métrage. Pour info ou rappel, ces soirées sont accessibles aux étudiants comme au grand public et deux autres dates suivront pour les courts d’animation et documentaires en lice aux César 2024.

Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?


Un After Short, comment ça se passe ? 

En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.

Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.

Rappel : il n’y a pas de projection de films au cours de la soirée. 

Après la rencontre : un cocktail est organisé par l’ESRA au Forum des images. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.

2ème After Short : jeudi 9 novembre 2023 – 19h : catégorie fiction 2/2 (réservations/grand public : 5€, ici). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, pensez à vous inscrire gratuitement à communication@esra.edu. Attention : nombre de places limité !


Nos invités

– Kenza Manach, responsable du Département courts métrages et du Pôle éducation à l’Académie des César

Brigitte Pardo, Responsable des Préachats et des Achats aux Programmes courts et Créations de CANAL+, et membre du comité d’experts

Alice Douard et Marie Boltard, réalisatrice et productrice (Les films de June) de L’attente

Michelle Keserwany et Noel Keserwany, réalisatrices de Les chenilles

Maïté Sonnet et Ethan Selcer, réalisatrice et producteur (Quartett production) de Des jeunes filles enterrent leurs vies

Julia Kowalski, Yann Gonzalez et Flavien Giorda, réalisatrice et producteurs (Venin Films) de J’ai vu le visage du diable

Paul Rigoux et Marcello Cavagna, réalisateur et producteur (Le GREC) de Rapide

Martin Mauvoisin, producteur (Dobro Films) de Sèt Lam de Vincent Fontano

Garance Kim, réalisatrice de Ville éternelle

Anne-Sophie Nanki, réalisatrice de Ici s’achève le monde connu

Basile Vuillemin et Thomas Guentch, réalisateur et producteur (Blue Hours Films) de Les Silencieux

Nans Laborde-Jourdàa et Margaux Lorier, réalisateur et productrice (Wrong Films) de Boléro

Margaux Lorier, productrice (Wrong Films) de I promise you paradise de Morad Mostafa

Mael Le Mée et Claire Bonnefoy, réalisateur et productrice (Bobilux) de La machine d’Alex


En pratique

Lieu : Le Forum des images (salle 500) : 2, rue du cinéma, 75001 Paris (accès). Salle accessible aux personnes à mobilité réduite.

Accueil : 18h30-19h, début de l’événement : 19h

Tarif (anciens/actuels) étudiants ESRA : gratuit (réservations : communication@esra.edu)

Tarif grand public : 5€ (uniquement via ce lien, dans la limite des places disponibles)

El Agua de Elena López Riera

Alors que l’automne débute, les dernières chaleurs d’été (ou un réchauffement climatique inquiétant) nous donnent l’occasion de redécouvrir l’une des sorties DVD estivales, une des révélations de la Quinzaine des Réalisateurs 2022 : El Agua de Elena López Riera. Avec ce premier long métrage, la réalisatrice, déjà connue des festivals pour ses courts-métrages, dont un premier passage à la Quinzaine avec Pueblo, nous plonge dans un récit de femmes, de légende et d’eau ; une mise en avant de la parole, de la jeunesse et de la région d’Alicante. Ce DVD édité par Blaq Out, ayant bénéficié d’un jeu-concours sur notre site, est accompagné en bonus du Q&A en présence de la réalisatrice et de l’actrice principale Luna Pamies à Cannes en 2022.

L’eau est le mot d’ordre dans ce film d’une intensité mystique sur la jeunesse et le sud de l’Espagne. Source de légende ou présence géologique, elle lie les protagonistes tout au long de ce le long-métrage. Selon les dires des femmes du village, porte-paroles d’une légende fatidique, elle est aussi dangereuse. Ainsi débute l’histoire d’Ana, jeune adolescente terminant le lycée et issue d’une lignée de femmes soi-disant maudites. Elle vit avec sa mère, gérante du bar proche de l’autoroute et sa grand-mère, porteuse des récits qui bercent son quotidien. Comme celui qui parle de l’eau qui monte dans le corps des femmes, les envahit et pour cause : le fleuve. Il jetterait son dévolu sur une femme du village et, dès lors, elle n’aurait que deux solutions : s’abandonner à lui ou lui résister, advienne que pourra. Ces mythologies, avec lesquelles elle a grandi, sont un point de départ pour la réalisatrice qui souhaite à travers son film questionner la place des femmes dans cette parole commune. Comment une légende s’accapare le corps d’une femme, lui octroie une tragique destinée, prend le contrôle de son désir et de sa peur, selon les dires de Elena López Riera.

À Orihuela, ville d’origine de la cinéaste, de Luna Pamies et théâtre de ce récit, les forces de la nature font perdurer l’ardeur de ces légendes : les crues sont historiques et n’échappent pas au tournage de ce film déjà enclin aux restrictions sanitaires du Covid. Elena López Riera utilise alors habilement les images numériques filmées par les habitants en proie à la catastrophe. Avec ce montage d’archives documentaires, la réalisatrice apporte une nouvelle dimension encrée dans le réel. Un aspect important dans son travail qui brouille les frontières entre la fiction et le documentaire, notamment avec des témoignages face caméra de femmes originaires de la région.

Toujours dans une approche documentaire de porter le récit d’une jeunesse qui occupe ces terres du sud de l’Espagne, la caméra accompagne les mouvements d’un groupe d’ami·e·s, puis d’une famille au sein d’un village aux traditions et aux mentalités clivées. L’été est le berceau des premiers amours, des soirées et des va et vient estivaux. La ville est animée par un fluide d’activité autoroutière. Plus qu’une image des aspirations d’une jeunesse confrontée aux enjeux climatiques et aux problématiques générationnelles, c’est une représentation des moralités prédisposées aux genres. Une femme, un homme, ou bien une personne, les rôles sont établis, les coutumes et les travaux, la tradition, se perpétuent de façon presque archaïque. La mise en scène scinde le quotidien de ses protagonistes, elle met en lumière ces différentes réalités. L’héroïne espère échapper à cela et fuir le lieu de toutes les messes basses. Fuir aussi cette sensation qui l’appelle, qui tente de la retenir : l’eau qui monte en elle.
Plus qu’un amour fataliste, cette eau peut représenter tous sentiments, ceux qu’on opprime, ceux que les femmes ne sont pas censées exprimer.

C’est aussi le vide, la sensation de ne plus avoir sa place dans ces lieux si familiers qui deviennent parfois étouffants. C’est un moment de notre vie, un passage, une transition vers un âge adulte, une maturité : une décision à prendre sur la personne que l’on souhaite devenir. Le film se conclut sur les mots d’Ana qui prend son destin en main, elle ne laissera personne d’autre conter son histoire. Cela fait écho au désir de la réalisatrice quand à l’importance de la parole des femmes, notamment des mots de celles qui parlent et témoignent face caméra. Elles qui, comme l’explique Elena López Riera à la Quinzaine des cinéastes, pensent que leurs paroles ne comptent pas, n’existent même pas. Affermir leur témoignages si frontalement, était d’une portée politique pour la réalisatrice : rendre digne leur parole. À travers l’émancipation d’Ana, c’est une lignée de transmission orale qui est reconnue est prend place dans El Agua.

Garance Alegria

Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand

Dans un petit village du sud de la France, Mirales et Dog entretiennent une amitié tumultueuse et routinière. Leur quotidien est bouleversé par la rencontre avec Elsa, une jeune auto-stoppeuse dont Dog tombe amoureux. Mirales est laissé derrière, sans parvenir à rattraper le monde autour de lui. Comment aller de l’avant dans cette France où, comme Jacques Brel le chantait dans “Ces gens-là” : On ne s’en va pas Monsieur, On ne s’en va pas ?

Chien de la casse est le premier long-métrage réalisé par Jean-Baptiste Durand, qui a déjà remporté le Prix du public au Festival Premiers Plans d’Angers 2023 et qui est sorti en salles en avril dernier. Dans ce DVD édité par Blaq Out, figure l’un de ses premiers court-métrages, Il venait de Roumanie (22 min, 2014), ainsi que le court-métrage mi making-of mi documenteur L’Acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension avec le brillant Raphaël Quenard, une co-réalisation de ce dernier avec Hugo David tourné pendant le tournage de Chien de la casse, nommé au César du meilleur court-métrage documentaire 2024.

Chien de la casse, c’est l’histoire d’un triangle amoureux, comme toutes les grandes fictions l’ont dépeint. Mais quand l’histoire est souvent celle des êtres aimés (ici interprétés par Anthony Bajon, dont nous avions parlé dans La Troisième Guerre, et Galatea Bellugi), le film recentre sa perspective sur Mirales, magnifiquement joué par Raphaël Quenard, un beau parleur confus et explosif, jaloux et tendre. Ce chien de la casse, c’est aussi l’animal aimé de Mirales, qui lui donne une raison d’être quand rien n’a de goût. A la fois reflet de l’humanité de son maître et miroir de son animalité, c’est à lui que Mirales se confiera le plus, comme s’il libérait la parole entravée du jeune homme. En commençant directement par une amitié qui se fragmente, Jean-Baptiste Durand développe les envers d’une amitié masculine qui ne dit pas ses mots, dont les protagonistes semblent s’éloigner de manière floue et taciturne. Car Dog et Mirales ne sont pas les reflets d’une même pièce : rares seront leurs moments de complicité. Leurs deux énergies, subtilement confrontées par un jeu d’acteur orageux, ne s’opposent pas mais s’imbriquent mal, comme un rouage cassé.

Quand Mirales dit qu’il n’est pas adapté à l’environnement dans lequel il évolue, qu’il tente de sortir les autres de leur ennui tout en étant coincé dans un quotidien monotone et assez triste (avec une mère dépressive, un ami absent et aucune perspective d’avenir), le décalage émouvant se fait d’autant plus sentir auprès du spectateur, confronté au comportement parfois odieux d’un Mirales baratineur et jaloux. En effet, il ne parvient pas à dire sa souffrance, qui passe par un rejet d’Elsa qu’il voit comme perturbatrice d’un équilibre qu’il pensait maîtriser.

Le réalisateur crée cette émotion étrange dans la dynamique entre Dog et Mirales, où l’on reconnaît à la fois de l’affection, de la toxicité, de la bienveillance et de la jalousie maladive. Par l’art du dialogue, et de son absence, une longue mélancolie se tisse dans cette France des oubliés où la jeunesse s’ennuie, et s’oublie. Des scènes basculent dans de manière imprévisible dans une violence verbale très dure de Mirales envers Dog, qui dira de lui qu’il est “un imbécile heureux, qui n’est même pas heureux”. Dans L’Acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension, disponible sur le DVD et réalisé par Hugo David et Raphaël Quenard, qui traite du processus de création, d’écriture et d’interprétation au cinéma, Jean-Baptiste Durand s’exprime sur la tragédie de n’exister que dans le regard de l’autre à la manière de l’existentialisme de Sartre : dans Chien de la casse, le pathétique du rôle de Raphaël Quenard est celui de n’exister que dans le rejet de l’individu qu’il affectionne le plus au monde, Dog.

Dans cette relation masculine inégale, le réalisateur développe les abîmes d’un personnage pris dans une situation qu’il ne contrôle plus, aussi touchante que déchirante dans un paysage aussi esseulé que lui. Ces thèmes avaient déjà été évoqués dans Il venait de Roumanie où une bande d’amis se remémorent la vie de Clément, un jeune homme taciturne décédé dont la présence hante encore ses proches. Par les récits qu’on fait de lui, par les vidéos qui restent, par sa chambre intouchée, ses répétitions tentent de se réconcilier avec leur mémoire, notamment par les deux protagonistes aux caractères opposés, qui rappellent fortement ceux de Dog et de Mirales. Dans Chien de la casse, Jean-Baptiste Durand pose ce très beau regard sur des relations humaines qui font mal, à la fois fragiles et intouchables, par une mise en scène sobre et juste et par une impressionnante direction d’acteur d’Anthony Bajon et de Raphaël Quenard, dont les personnages imparfaits et incompris tentent néanmoins de recoller les morceaux d’une amitié, d’apparence, qui ne cesse de se briser. Original et poignant, Chien de la casse reste fidèle à lui-même en creusant avec brio une relation circulaire dépareillée et saisissante d’un regard de cinéaste dont on attendra avec impatience les prochaines créations.

Mona Affholder

Nos coups de cœur au festival Court Métrange

Du 21 septembre au 1er octobre 2023 s’est déroulé à Rennes la 19ème édition de Court Métrange, un festival qui se targue de ne pas se conformer aux films traditionnels, mais qui met en valeur des films de genre, des expérimentations et, dans le meilleur sens du terme, de l’étrangeté. Dans une programmation osée où 9 prix ont été décernés, Format Court a choisi quelques coups de cœur à partager avec ses lecteurs.

Un genre de testament (France), qui a fait ses débuts à la Berlinale 2023 et qui est en lice pour le César 2024 du meilleur court-métrage d’animation, est le premier film de l’animateur Stephen Vuillemin. Nous suivons l’histoire d’une femme qui découvre un site web sous son nom avec plusieurs animations très complexes basées sur ses photos Facebook. Le réalisateur utilise une palette de couleurs, signature à la fois vibrantes et morbides, pour créer un univers visuel psychédélique et opulent qui plonge le spectateur dans ce voyage absurde.

Plus qu’une enquête sur les raisons pour lesquelles ces animations ont été mises en ligne, le court métrage explore la mystérieuse relation en miroir de ses personnages. Le film rassemble plusieurs couches à mesure que les animations du site Web commencent à se mélanger avec l’histoire de la femme dont elles sont inspirées.

L’utilisation des médias sociaux et de la technologie constitue un aspect important de l’esthétique et de l’histoire du film, qui incorpore plusieurs dispositifs dans les images et la narration. Des dispositifs qui ont été essentiels pour la création de ce projet. Le film en soi est intrinsèquement lié à une époque numérique et au métier d’animateur lui-même.

Dans La Pursé (Brésil), réalisé par Gabriel Nóbrega et Lucas René, une vieille dame qui refuse de nourrir son chat qu’elle croit être déjà trop gros, est courtisée en permanence par son voisin, qui lui propose d’étranges cadeaux. Le film se déroule dans une banlieue d’une calme inquiétante, avec des grandes maisons qui semblent hantées et où personne ne se balade dans la rue. L’image est désaturée, contribuant à une sensation morbide, en accord avec la profession (ou peut-être même le hobby) du voisin.

La réussite de ce film se trouve dans son positionnement entre l’horreur et le film pour enfants par des éléments différents. L’usage de plans diagonaux à la Hitchcock et le décor inquiétant, composé de maisons spacieuses avec peu de meubles et un faible éclairage, contrastent avec les personnages qui semblent sortis d’un dessin animé pour enfants. Ces grosses têtes sur des petits corps seraient assez amusantes à regarder si on oubliait dans quelle bizarre et même tragique situation ils se trouvaient.

Alors que les biopic hollywoodiennes deviennent chaque jour plus nombreux, Erik van Schaaik les utilise pour créer une drôle satire du star system américain. The Smile (Pays-Bas), qui était aussi présent dans la sélection officielle d’Annecy 2023, raconte la trajectoire de l’une des plus grandes stars du cinéma de son époque, une idole qui a conquis le cœur du pays avec son sourire : Knud Dendermonde. Le seul détail à retenir est que Knud est un crocodile.

Se plongeant dans l’E! Entertainment, The Smile représente l’étrange relation qu’entretient Hollywood avec son star system. Quand Knud est accusé d’avoir dévoré ses co-stars, certains des ses ex-collègues refusent de voir son lien avec les crimes, tandis que d’autres, même croyant à sa culpabilité, sont toujours charmés par son glamour. Utilisant des artifices comme les entretiens et les images d’archives, Van Schaaik réussit à explorer un genre qui se prend trop au sérieux, parfois au prix du ridicule, et à l’exagérer pour en extraire une critique comique et absurde.

Dans Les dents du bonheur (France, Belgique), de Joséphine Darcy Hopkins, Madeleine, 8 ans, accompagne sa maman esthéticienne lors d’un rendez-vous de travail. Elle passe son temps à jouer avec les filles des clientes de sa mère à un étrange jeu de société : le jeu de la reine, dont « le but, c’est de devenir la reine. » L’annonce du concept de jeu est déjà une constatation du véritable sujet du film : le rapport des classes. Alors que les filles riches incarnent le stéréotype des familles bourgeoises, servies par des employés qui leur parlent en anglais, Madeleine est victime d’une violence qui devient de moins en moins subtile.

La réalisatrice concrétise devant nos yeux ce problème social. Elle le traduit dans les règles du jeu, dans les costumes et dans les espaces. Quand Madeleine est emmenée dans la salle de jeux, on imagine une belle ludothèque colorée avec plein de jouets. Le spectateur est vite frappé à la découverte d’un énorme salon vide avec seulement une petite table entourée par les antipathiques Eugenie, Clemence et Emeraude. Cet usage des grands espaces vides, au style The Shining, crée une ambiance hostile qui produit la tension du film.

Darcy Hopkins donne de la complexité aux personnages d’enfant, leur accordant des moments de gentillesse, candeur, compétitivité, et même méchanceté. Les dents du bonheur est un film d’horreur qui réussit à créer des personnages captivants de bout en bout.

Abordant différents genres comme l’horreur, le suspense et la comédie, à travers des esthétiques uniques, le festival Court Métrange présente un concept assez rare en France : explorer des films inhabituels, des œuvres où les auteurs peuvent expérimenter et se plonger dans la création d’un nouvel univers mais aussi dans la distorsion du nôtre.

Bianca Dantas

Nouveau Cycle After Short. À la rencontre des équipes de courts en sélection officielle aux César 2024

En collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, le magazine Format Court vous invite à la reprise de ses After Short, organisés cette année au Forum des images (salle 500) !

Ce nouveau cycle, organisé entre octobre et décembre, proposera pas moins de 4 rencontres autour des équipes des courts-métrages en lice aux César 2024, accessibles aux étudiants comme au grand public. 

Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?

Les 2 premiers After Short, dédiés à la fiction, auront lieu les jeudis 19/10 (fiction 1/2) et 09/11 (fiction 2/2) au Forum des images (salle 500), en présence de nombreux·ses professionnel·les (réalisateur·ices, producteur·ices). Deux autres dates suivront en novembre et décembre pour les courts d’animation et documentaires en lice aux César 2024.


Un After Short, comment ça se passe ? 

En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.

Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.

Rappel : il n’y a pas de projection de films au cours de la soirée. 

Après la rencontre : un pot est organisé par l’ESRA au Forum des images. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.

Nous démarrons les After Short avec 2 soirées consacrées aux courts-métrages de fiction. Pour information/rappel, 24 films sont sélectionnés aux prochains César. Et on est plutôt heureux de vous annoncer que toutes les équipes de films seront présentes à nos événements, à savoir 12 pour la catégorie fiction 1/2 et 12 pour la fiction 2/2 !

1ère date : jeudi 19 octobre 2023 – 19h : catégorie fiction 1/2 (réservations/grand public : ici. Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, pensez à réserver votre place gratuite à communication@esra.edu


Nos invités

Dominik Moll, réalisateur et membre du Comité Artistique des César

Kenza Manach, responsable du Département courts métrages et du Pôle éducation à l’Académie des César

Robin Robles, producteur (Topshot Films) de Partir un jour de Amélie Bonnin, César du meilleur court-métrage 2023

Claudia Bottino et Hélène Mitjavile, réalisatrice et productrice (Melocoton films) de A trois 

Camille Degeye, réalisatrice de Almost a kiss

Atsushi Hirai et Martin Bertier, réalisateur et producteur (MLD films) de Oyu

Pablo Dury, Julien Graff et Thomas Hakim, réalisateur et producteurs (Petit chaos) de 💔 et Le Soleil dort

Katia Khazak, productrice (Aurora Films) de Snow in September de Lkhagvadulam Purev-Ochir

Blanca Camell Galí et Mathilde Delaunay, réalisatrice et productrice (Barberousse Films) de Castells

Ninon Chapuis, productrice (L’Heure d’été) de Les enfants perdus de Lola Cambourieu et Yann Berlier

Martin Bertier, producteur (5 à 7 Films) de Euridice, Euridice réalisé par Lora Mure-Ravaud

Juliette Marrécau, réalisatrice de De la folie des hamsters

Clara Marquardt, productrice et chargée de développement (Les Valseurs) pour Big Bang de Carlos Segundo

Mahaut Adam, réalisatrice de Mon p’tit papa


En pratique

Lieu : Le Forum des images (salle 500) : 2, rue du cinéma, 75001 Paris (accès). Salle accessible aux personnes à mobilité réduite.

Accueil : 18h30-19h, début de l’événement : 19h

Tarif (anciens/actuels) étudiants ESRA : gratuit (réservations : communication@esra.edu)

Tarif grand public : 5€ (uniquement via ce lien, dans la limite des places disponibles)

Erenik Beqiri et Luàna Bajrami, à propos de A Short Trip, Prix Orizzonti du meilleur court à Venise

Erenik Beqiri est un réalisateur albanais ayant signé un premier court professionnel, The Van, qui figurait en compétition officielle à Cannes 2019. Luàna Bajrami est une comédienne et réalisatrice franco-kosovarde ayant joué dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, Les Deux Alfred de Bruno Podalydès, L’Événement d’Audrey Diwan ou Ibrahim de Samir Guesmi. Elle est passée à la réalisation avec des courts et un premier long, La Colline où rugissent les lionnes (Quinzaine des Réalisateurs 2021).

À Venise cette année, tous deux présentaient A Short Trip, le nouveau film d’Erenik Beqiri qui a remporté à la fois le Prix Orizzonti du meilleur court à Venise et une nomination pour les European Films Awards 2023. Luàna Bajrami accompagnait également son deuxième long-métrage, Bota Jonë, programmé dans la section Orrizonti Extra. Conversation autour de leur collaboration-amitié, des erreurs, du processus d’écriture, du rapport au temps, de l’audace, des histoires personnelles et de la fameuse vie normale.

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Format Court : Erenik, tu as commencé par faire des courts-métrages. Quel relation entretiens-tu avec ce format ?

Erenik Beqiri : J’ai commencé à réaliser moi-même des courts-métrages avant d’entrer dans une école de cinéma à Tirana, en Albanie. On m’a en quelque sorte donné de l’espace pour les réaliser. Mais je ne me sentais pas à l’aise dans cette école, dans la façon dont nous faisions les courts-métrages. Je ne fais partie que de la deuxième génération qui est allée à l’école, nous n’avions pas de formation avant. Il y avait un conflit entre les films que je voulais faire et la manière dont on nous a dit de les faire. C’était un peu difficile. Après être sorti de l’école, j’ai essayé de réaliser des courts-métrages pendant plusieurs années. Par la suite, j’ai été mis en contact avec une boîte de production française Origine Films qui m’a donné l’espace pour faire mon film, The Van. Notre collaboration a débuté ainsi.

Tu mentionnes des attentes envers cette école. Comment y est enseigné le cinéma ?

E.B : Des réalisateurs y donnaient cours. Certains d’entre eux étaient bons, d’autres un peu moins. Je pense qu’être un bon réalisateur ne veut pas dire être un bon enseignant. Parfois, j’ai ressenti la liberté d’explorer et le besoin de faire des erreurs. Mais si l’étudiant essayait de faire quelque chose par lui-même, ce n’était pas bien vu. On nous dictait ce qu’il fallait faire. Au bout d’un moment, on s’y habitue.

Etre jeune, ça veut aussi dire gérer ses sentiments.

E.B : Oui, tu dois faire face à tes sentiments. Mes premiers tournages étaient vraiment mauvais. C’est un processus : tu commences à te comprendre toi-même, à comprendre où tu veux aller. Tu commences à grandir pour devenir mature et à vraiment aborder les choses qui te sont personnelles. Il a simplement fallu un peu de temps pour que je m’en rende compte. On devrait toujours essayer de raconter ce qu’on aime, ce qu’on ressent.

Luàna, tu es originaire du Kosovo. Comment as-tu appris à faire des courts-métrages ?

Luàna Bajrami : Je viens du Kosovo, et ce n’est pas pas du tout la même industrie. C’est très différent : quand j’ai commencé, j’ai appris à réaliser en tournant mes premiers films. Je ne suis pas allée en école de cinéma. J’ai commencé comme actrice, j’ai juste appris sur le plateau, je crois. Ma première ambition était de faire un long-métrage, même si j’ai fait quelques courts-métrages amateurs. Ces films étaient des tests, des expériences professionnelles pour moi. Je pense que le format des courts-métrages est beaucoup plus difficile à écrire que celui des longs-métrages parce qu’on n’a pas cette liberté de construire et de développer les éléments. Oui, je pense qu’il est plus difficile d’être puissant et efficace dans ce format.

« A Short trip »

Qu’as-tu l’impression d’avoir appris sur le tournage de ton premier court ? C’est une chose de jouer pour d’autres réalisateurs, c’en est une autre d’avoir sa propre équipe.

L.B. : J’ai appris beaucoup de choses lors de mon premier tournage. J’avais juste envie d’être dans un monde complètement différent, nouveau. C’était un test, je ne savais pas exactement comment faire. C’est plus instinctif qu’autre chose : c’était la première fois que je devais exposer précisément mes ambitions artistiques à propos de ce que j’avais écrit. J’ai aussi appris à gérer une équipe, parce que j’étais habituée à travailler seule.

Vous vous êtes rencontrés à Cannes. Quel a été votre intérêt à travailler ensemble ?

E.B : De mon côté, j’ai vu sa performance dans le film de Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu. J’ai vraiment aimé la façon dont elle jouait et l’intensité du film. Puis, j’ai vu un autre film, un court italien qui était à la Cinéfondation (Deux égarés sont morts de Tommaso Usberti, 2017). Nous avons de bons acteurs en Albanie, mais dans l’état actuel des choses, c’est difficile d’avoir beaucoup de choix. Si je trouve quelqu’un qui, à mon avis, peut exprimer certaines émotions, je développe son personnage. C’est ce qui s’est passé avec Luàna. J’ai écrit A Short Trip pour elle. Mon projet a commencé après l’avoir regardé jouer, j’ai été fasciné. D’une certaine manière, cela m’a aussi aidé à écrire. J’avais vraiment envie de travailler avec elle. J’avais une idée de ce que nous pouvions faire, de ce que nous pouvions accomplir ensemble. Il en a été de même pour le long-métrage que j’ai écrit, dans lequel elle jouera.

Et pour toi, Luàna ?

L.B. : Tout d’abord, j’étais curieuse de connaître le travail de Erenik et notre rencontre m’avait intriguée (rires) ! C’était marrant. Et bien sûr, j’aime soutenir les nouveaux talents. On ressentait un peu les mêmes sentiments, on avait le même regard sur certaines choses. J’étais fan de The Van, alors j’ai répondu : « Super, allons-y ». Nous étions également curieux de savoir comment cela allait fonctionner sur le plateau.

E.B : C’est exactement ça. Nous avions le même projet de film, c’est là que nous sommes devenus vraiment amis.

« La Colline où rugissent les lionnes »

En quoi est-ce important pour vous de revenir d’où vous venez, de montrer la société dans laquelle vous avez grandi ?

L.B. : Je n’ai pas envie de revenir. J’ai envie de quitter les lieux. Cela a un impact assez puissant, car La Colline où rugissent les lionnes est le premier film qui parle de ce que l’on ressent au Kosovo. D’une certaine manière, j’y suis restée. Je pense que ce lieu et cette langue m’inspirent beaucoup. Maintenant, avec un peu de distance, je peux dire que cela a évidemment un impact, et que je suis fière d’avoir abordé la perspective de quelqu’un qui vient de chez moi. Mais j’insiste aussi sur l’aspect universel des choses : mes deux films sont deux histoires qui parlent de la jeunesse, c’est un peu les mêmes situations en France et au Kosovo. Tout vient de cette confrontation entre ce qui se passe en France, et ce qui se passe au Kosovo.

Tu filmes la jeunesse kosovare : que peux-tu dire à propos de son intérêt et de sa volonté à faire du cinéma ?

L.B. : Il y a une grande industrie qui est en train de se développer au Kosovo. Nous avons de nombreux réalisateurs très jeunes. Il existe une grande communauté d’artistes.

E.B : Mais c’est compliqué pour eux car le processus d’obtention de financement réel et le processus d’écriture sont très longs.

Luàna, est-ce qu’il y a des choses qui te manquent, que tu regrettes lorsque tu travailles avec des réalisateurs français ?

L.B. : Non, je ne regrette rien. Je pense que chaque fois qu’on rencontre un réalisateur, on doit déjà le connaître, parce qu’il travaillera à sa façon. En tant qu’actrice, il faut adapter les choses et essayer d’intégrer sa réflexion au lieu d’être simplement passive. Avec certains réalisateurs, il y a le feeling, tout devient authentique. Parfois même sans parler, juste avec un regard, on se comprend.

Tu as travaillé avec d’autres réalisateurs dont c’était le premier film, comme Samir Guesmi. Comment sélectionnes-tu les scénarios que tu reçois ? Maintenant que tu as plus d’expérience en tant que cinéaste, les choisis-tu différemment ?

L.B. : En tant qu’actrice, je n’aime pas être trop absorbée par le travail du réalisateur, trop intervenir. Mais bien sûr, cela a eu un impact à la fois sur mon travail d’actrice et de réalisatrice. Au début, je n’avais pas vraiment le choix. Mais après avoir entamé ma carrière, ce que j’avais en tête, c’était juste que je voulais créer des personnages qui n’étaient pas toujours les mêmes. Je voulais vivre des expériences différentes.

« The Van »

Sur vos plateaux respectifs, quels sont les défis les plus difficiles pour vous ?

E.B : Je pense que le grand défi est d’être dans le bon timing. On veut toujours consacrer plus de temps, plus de plans, plus de jours à nos projets. Ce que j’ai essayé de faire, même avec The Van, c’était de donner de l’espace à l’équipe. Je scénarise toujours tout avec le storyboard, mais je ne l’utilise pas à moins qu’il n’y ait un plan en particulier et que j’aie vraiment envie de le faire. Parfois, pour un plan différent, on doit se rendre à un autre endroit car le planning est très serré. Je pense donc que c’est un défi d’en faire toujours plus avec moins de temps. À l’heure actuelle, j’essaie d’être vraiment flexible pas seulement pour les acteurs, mais pour tous ceux qui sont impliqués dans le processus de création. Je veux qu’ils m’offrent quelque chose parce que je ne pense pas être la personne la plus sage du plateau. Je veux qu’ils se sentent vraiment libres de suggérer des choses et d’essayer. Et parfois, il faut vraiment prendre une décision.

L.B. : Oui, le temps est un défi. C’est drôle parce quand on écrit quelque chose, on projette puis on doit le rendre réel. Et parfois, il est difficile de savoir comment y arriver, surtout lorsque on a une vision, qu’elle ne fonctionne tout simplement pas dans la vraie vie et qu’on doit s’adapter.

E.B : Le plateau, c’est aussi résoudre des problèmes, quand tout n’est pas exactement comme on voudrait l’être. A ce moment-là, on se dit : « OK, ce n’est pas vraiment comme ça que j’y pensais, mais je dois trouver un moyen de le faire fonctionner ».

Cette manière de travailler influence-t-elle votre vie ?

E.B : On n’est pas les mêmes lorsqu’on entre sur le plateau, on se transforme. Dans la vie, je n’ai pas envie de décider, je laisse les autres choisir pour moi, sauf si c’est quelque chose que je veux vraiment, bien sûr.

L.B. : Je suis différente, et toi aussi, c’est dingue (rires) ! Mais ce qui est fou, c’est aussi le rapport entre réalité et fiction, parce que nous sommes toujours en train d’écrire quelque chose.

E.B : Oui, on passe de l’un à l’autre.

Etre en festival, c’est un petit peu comme être dans une bulle hors de la vie normale.

E.B : Ça fait du bien de partager et d’essayer de profiter. Je ne me sens ni bien ni mal, je m’y suis juste habitué.

« Portrait de la jeune fille en feu »

Comment garder une certaine distance avec tout ce qui se passe ?

L.B. : Le film de Sciamma a été un tournant, mais je ne l’ai pas jamais envisagé de cette manière. Je n’ai pas été submergée par les événements. Même si même je suis fière d’être actrice et réalisatrice, j’essaie de ne pas prendre le melon, je suis trop concentrée sur le travail. Du moment où l’on choisit d’être réalisatrice, on sait qu’on n’aura pas une vie normale en partant au boulot à 8 heures et en revenant à la maison à 17 heures. C’est une relation totalement différente au temps, à la façon dont on organise son temps. On ne fonctionne par exemple pas par semaine ou par mois mais par projet.

E.B : En même temps, on a des délais et on doit rédiger un scénario. Dans la vraie vie, si je peux l’appeler ainsi, c’est comme si on pensait constamment au processus d’écriture parce que, bien sûr, même si le tournage prend cinq jours, en réalité, l’écriture prend des années. On est vraiment dans ce processus quotidien. Si je voyais cela comme un travail, je ne le ferais pas.

L.B. : Il n’y a pas le cinéma et la vie. Le cinéma, c’est la vie.

Quand vous étiez enfant, comment voyiez-vous le futur, votre futur ? Et quels conseils donneriez-vous aux nouvelles générations ?

E.B : Quand j’étais enfant, en Albanie, nous venions de sortir du communisme, c’est-à-dire d’un demi-siècle très difficile. Nous avions la télévision italienne et c’est comme ça que j’ai appris l’italien. A part ça, il n’y avait pas grand chose à faire sauf jouer au football. On passait tout notre temps à regarder des films. A un moment, je me souviens m’être dit : « OK, mais comment sont-ils faits ?” Et j’ai commencé à apprendre petit à petit. Il n’y avait pas Internet. J’ai donc lu des livres à la bibliothèque et j’ai commencé à comprendre le processus. Je crois que c’est arrivé comme ça. Mais sinon, mes parents m’ont dit que lorsque j’étais enfant, je voulais être pilote, mais je ne m’en souviens pas du tout.

Je ne sais pas trop quoi dire aux nouvelles générations. C’est difficile parce que j’avais l’habitude de regarder ce que les autres réalisateurs conseillaient et tout le monde donnait des conseils tellement différents ! Je pense que si je devais résumer, ce serait d’essayer de raconter l’histoire que vous aimez, de créer l’histoire la plus personnelle possible parce que vous allez y passer beaucoup de temps, voire des années. Je pense donc que c’est un processus qui consiste à essayer vraiment d’aimer votre histoire et à vous entraîner parce que c’est la seule manière d’apprendre. Mon autre conseil serait aussi de ne pas avoir peur de l’idée de faire des erreurs, car rien n’est aussi magnifique que d’accepter cela sur le plateau.

L.B. : Quand j’étais petite, je voulais tout être. J’avais envie de créer des choses comme les scientifiques, puis j’ai découvert la lecture, les histoires. Je voulais en raconter mais je ne savais pas comment. J’ai donc d’abord voulu être écrivain, journaliste, .… Puis à 10 ans, j’ai découvert le plateau de cinéma. C’était une évidence, c’était fou. Je le voyais comme un jeu. La caméra me fascinait, tout comme la possibilité de capturer le moment avec elle. J’imitais le travail des autres, j’essayais à ma façon.

Aux nouvelles générations, je leur dirais de foncer, de sauter le pas pour faire ce qu’elles aiment. Ayez confiance en vous-mêmes et imposez-vous dans l’industrie. Si je n’avais pas eu le soutien de mes proches et la confiance, je ne serais jamais devenue réalisatrice. J’avais la conviction que ça allait arriver, que ce n’était qu’une question de temps. Je voulais capturer le moment, et je n’avais pas peur de mes erreurs.

« A Short Trip »

Que pensez-vous que les festivals vous ont apporté ?

L.B. : Un festival, surtout le premier auquel on assiste, c’est comme une fenêtre : on écrit seul, mais on écrit pour montrer son travail au plus de gens possibles.

E.B : A quoi bon faire des films pour les garder pour soi ? Le festival permet à de nombreuses personnes de voir notre travail, et c’est une belle chose. C’est curieux de voir comment beaucoup de gens de cultures différentes réagissent à nos histoires, et nous font voir des points de vue auxquels on n’avait jamais pensé. C’est le propre même du partage.

Propos recueillis par Katia Bayer 
Retranscription : Mona Affholder

Mauro Gervasini : « On se demande toujours si on a fait le bon choix en prenant un film ou en ne le prenant pas »

Conseiller en programmation à la Mostra depuis plus d’une dizaine d’années, le critique italien Mauro Gervasini s’occupe en particulier de la section Orizzonti qui regroupe à la fois les courts et les premiers longs sélectionnés à Venise. Dans cet entretien, il est question de programmation bien sûr mais aussi de territoires, de générations et de progression, d’exigence et de francophilie.

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Format Court : Comment as-tu été amené à travailler dans la critique, à entrer dans ce triptyque du critique-programmateur-passeur ?

Mauro Gervasini : J’ai commencé comme journaliste dans un quotidien local, du côté de Milan. J’ai fait ma formation là-bas et puis je suis passé à un hebdomadaire très célèbre et populaire en Italie, Film Tv. J’ai été Rédacteur en chef, maintenant, je suis collaborateur. Pendant ces années-là, Alberto Barbera (ndlr : directeur artistique de la Mostra de Venise) m’a proposé de rejoindre l’équipe, vers 2012, ça a été ma première sélection. J’ai commencé tout de suite à m’intéresser aux courts-métrages. J’ai toujours eu un intérêt particulier pour ce format que j’ai essayé de cultiver.

Tu as été contacté pour mettre en valeur les courts, pour donner un nouveau souffle à la section Orizzonti ?

M.G : Orizzonti existait déjà et il y avait déjà des courts-métrages. Il n’y avait pas de limite de durée, maintenant, la limite est de 20 minutes. Alberto ne m’a pas demandé de rejoindre l’équipe pour les courts mais pour les longs. La première fois qu’on a discuté, c’était pour faire autre chose dans la sélection. Il s’est rendu compte que j’étais très intéressé par le court-métrage. Alors, on a décidé ensemble de continuer ce travail sur le court. Je ne fais pas seulement ça. À l’époque, il y avait Enrico Vannucci qui s’occupait de la présélection, Clara Vulpiani a pris le relais. On reçoit beaucoup de courts-métrages jusqu’à la fin du mois de mai, après le festival de Cannes. On commence à s’occuper de la présélection à ce moment.

Qu’est-ce qui distingue ce projet d’Orizzonti ? C’est une section qui rassemble à la fois les courts et les longs, qui sont d’ailleurs au même niveau.

M.G : Il s’agit d’une intuition d’Alberto Barbera d’avoir le même jury pour les longs et les courts. C’est notre façon de dire qu’ils sont au même niveau. Evidemment, Venise n’est pas un festival de courts-métrages, on en prend seulement 12-14 par an.

Orizzonti aurait pu s’appeler “nouveaux horizons”, “perspectives”, “explorations”… Est-ce que tu peux revenir sur ce terme ?

M.G : Le projet d’Orizzonti – l’horizon d’aujourd’hui – c’est d’ouvrir le regard aux choses nouvelles, pas seulement expérimentales ou de recherche. Aller chercher quelque chose de nouveau dans le cinéma de genre, le cinéma narratif aussi. C’est notre premier objectif. Avant, cette section était plus connotée comme une section expérimentale. Depuis une dizaine d’années, on a encore cette caractéristique de découverte de nouveaux réalisateurs. On veut voir toutes les choses qu’on peut, de tous les territoires, avec une attention particulière aux premiers films.

En quoi ton travail de critique a pu influencer ton travail de programmateur, et inversement ?

M.G : Comme programmateur, j’essaie de ne pas me faire trop influencer par mes goûts et les choses que je préfère. J’ai étudié intensément le cinéma français. J’ai publié il y a 20 ans le premier livre en français sur le polar, ça m’a donné la possibilité de connaître beaucoup de metteurs en scène et de collègues français. Le bagage culturel que j’ai comme critique – métier que je fais depuis 30 ans ! – est indubitablement présent. Mais je pense que c’est quelque chose d’important, c’est une valeur ajoutée.

Sortons de Venise un peu et regardons le territoire italien. Il y a une forme de frustration des réalisateurs ici qui ne réussissent pas toujours à faire exister leurs films.

M. G : On a beaucoup de festivals de courts en Italie mais il y a une difficulté à les distribuer et à les rendre visibles. Il y a quelques espaces dédiés sur la télévision publique mais à des horaires impossibles. Sinon il faut aller les chercher sur Youtube ou sur RaiPlay, le site internet de la télévision publique. Ce n’est jamais immédiat pour les trouver, ils ne sont pas sur la page d’accueil. On n’a pas Arte qui s’intéresse beaucoup plus aux courts-métrages et qui les met en valeur. Maintenant, quelque chose va changer. Un nouveau site de visionnement est très intéressé par les courts-métrages et ils ont besoin de remplir leur contenu. C’est effectivement le problème, c’est très difficile en Italie de voir des courts en dehors des festivals.

Est-ce qu’en 30 ans, tu as le sentiment que les choses ont changé dans le milieu de la critique ?

M. G : La critique a beaucoup changé, il y a sûrement une nouvelle génération. Je sais qu’il y a des jeunes qui vont voir les films avec un œil complètement différent de mes passions et de mes goûts initiaux. Je pense que c’est une question essentiellement générationnelle. Je ne saurais pas te dire en quoi la critique a changé sinon que la considération des moyens techniques est différente. Les jeunes ont une ouverture différente – mentale et de regard – vis-à-vis du cinéma, d’un cinéma fait au téléphone, en réalité virtuelle, avec de l’intelligence artificielle… Je suis encore un peu dans la case de la classicité. Par exemple, je vois beaucoup de choses tournées avec les nouveaux moyens de prises d’images numériques. Pour moi, c’est compliqué. Il y a des critiques, des journalistes et des collègues plus vieux que moi qui ont encore plus de difficultés à accepter et à comprendre ce genre de mouvements de la cinématographie.

En Italie, depuis les dix dernières années, les écoles de cinéma ont beaucoup évolué. On le voit très bien dans les courts-métrages parce qu’on en reçoit beaucoup plus, 150 par an. C’est pas mal pour l’Italie. À la Semaine de la Critique (ndlr : sur le modèle de la Semaine de la Critique cannoise, cette section mise en place par des critiques italiens a lieu en marge de la Mostra) aussi. Ils passent un court avant chaque long et surtout un court italien. Ils sont très attentifs à ce qui se déroule dans le contexte du court-métrage italien. Je sais qu’en France aussi il y a eu un changement de perspectives. Pour les critiques ici, nos trois points de référence restent Libé, les Inrocks et les Cahiers.

La critique italienne traditionnelle a toujours été francophone. Beaucoup des vieux maîtres ont étudié en France. Le premier, Paolo Mereghetti, qui a toujours été le critique du Corriere della Sera et qui est maintenant à la retraite ou Goffredo Fofi qui a écrit à Positif. La critique aujourd’hui est absolument anglophone et en Italie, on étudie moins le français à l’école. Mais la critique historique est francophone et francophile.

Comment les programmateurs de la Venise se positionnent-ils par rapport aux sélections des autres festivals, que ce soit en longs ou en courts ?

M.G : Il y a évidemment une compétition entre festivals. On fait notre sélection pour la première partie en parallèle avec Cannes et avec Locarno aussi. Ils clôturent leur sélection avant nous. Par la suite, on a peut-être un peu de compétition avec les festivals américains, mais ça concerne surtout les films des gros studios. Toronto, par exemple, a intérêt à avoir ces films, ça correspond à leur marché.

Est-ce que tu as des regrets ou des fiertés par rapport à des programmations que tu as faites ?

M.G : Il y a beaucoup de fiertés. Je suis très content qu’on ait pris il y a quelques années, en 2018, le film de Sara Fgaier, Les Années. Il a gagné l’EFA (European Film Awards) l’année suivante, j’étais très heureux. Il y a beaucoup de films… On se demande toujours si on a fait le bon choix en prenant un film ou en ne le prenant pas. C’est propre à la sélection, on ne peut pas les avoir tous et on doit choisir. C’est toujours compliqué. Toucher juste, c’est recueillir la complicité du public après les séances. J’aime voir les réactions du public, c’est très important pour moi. Travailler pour Orizzonti est prenant, c’est exigeant. Tu dois découvrir de nouvelles voix alors qu’en parallèle, tu as des auteurs et autrices célèbres en compétition internationale.

Tu as 12 ans d’expérience en tant que programmateur. Comment fais-tu pour ne pas te répéter, pour que chaque édition soit différente ? Comment à la fois imprimer sa patte et s’intégrer dans un historique ?

M.G : C’est une question surtout pour le directeur artistique. Selon moi, c’est lui qui doit conserver les liens avec le passé. Par exemple, en considérant toujours le cinéma italien. Venise est un festival international mais il a une grande histoire avec le cinéma italien. Comme Cannes avec le cinéma français. Il doit surtout rechercher une ligne éditoriale originale parce que le festival doit progresser. Il faut trouver cet équilibre entre le passé glorieux de la Mostra et le présent et peut-être le futur aussi.

As-tu le sentiment d’avoir rencontré des difficultés, que ce soit en programmation, par rapport à des enjeux de société ou dans le monde des festivals, un milieu fragile ?

M.G : Il y a beaucoup de défis, surtout au niveau du contenu, des défis culturels, cinématographiques. Je sais qu’il y a beaucoup de programmateurs qui sont mal payés ou pas payés. La seule réelle difficulté à laquelle je pense, c’est la quantité de films. Je pense que c’est commun à tous les festivals. C’est très difficile parce qu’il faut commencer la programmation bien en avant parce qu’il y a beaucoup de films. Pour être un bon programmateur, tu dois avoir le temps, la patience, la lucidité, la concentration. C’est parfois difficile de maintenir tout cela sur la durée. Je me suis aperçu par contre que j’ai appris beaucoup de choses et pas seulement en progressant dans la sélection, mais dans la relation avec les autres programmateurs. Le travail en équipe est la clé aussi.

Propos recueillis par Katia Bayer 
Retranscription : Agathe Arnaud

Ils sont sélectionnés aux César 2024

Ce mercredi 27 septembre 2023, les Comités Court Métrage de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma se sont réunis pour établir les 3 sélections officielles des César 2024, en animation, documentaire et fiction. Voici les 48 films en lice aux prochains César.

Bon à savoir : comme chaque année, Format Court organisera des After Short (soirées de Q&A en présence des équipes) en lien avec ces sélections, en partenariat avec l’ESRA.

Courts-métrages en lice pour le César 2024 du meilleur court-métrage d’animation

27 réalisé par Flóra Anna Buda

Christopher at Sea réalisé par Tom CJ Brown

Drôles d’oiseaux réalisé par Charlie Belin

El After del Mundo réalisé par Florentina Gonzalez

ÉTÉ 96 réalisé par Mathilde Bédouet

La forêt de Mademoiselle Tang réalisé par Denis Do

La Grande Arche réalisé par Camille Authouart

Ice Merchants réalisé par João Gonzalez

Miracasas de Raphaëlle Stolz et Augusto Zanovello

La Saison pourpre réalisé par Clémence Bouchereau

Scale réalisé par Joseph Pierce

Un Genre de Testament réalisé par Stephen Vuillemin

Courts-métrages en lice pour le César 2024 du meilleur court-métrage documentaire

L’acteur réalisé par Hugo David et Raphaël Quenard

L’effet de mes rides réalisé par Claude Delafosse

Langue des oiseaux réalisé par Érik Bullot

La lutte est une fin réalisé par Arthur Thomas-Pavlowsky

La mécanique des fluides réalisé par Gala Hernández López

Pacific club réalisé par Valentin Noujaïm

Le passage du col réalisé par Marie Bottois

Saintonge Giratoire réalisé par Quentin Papapietro

Sauvage réalisé par Léonore Mercier

Thun-le-paradis ou la balade d’éloïse réalisé par Éléonor Gilbert

Tutto apposto gioia mia réalisé par Chloé Lecci López

Un pincement au cœur réalisé par Guillaume Brac

Courts-métrages en lice pour le César 2024 du meilleur court-métrage de fiction

Pour la première année, deux comités fiction ont travaillé conjointement pour établir la liste des films de court métrage qui vont concourir pour le César 2024 du Meilleur Film de Court Métrage de Fiction. Le Comité Artistique, composé de Frédéric Baillehaiche, Irène Drésel, Louis Garrel, Guslagie Malanda, Dominik Moll et Pierre Salvadori, s’est réuni pour sélectionner 24 courts métrages parmi une liste établie par un comité d’experts composé de professionnels du court. Les films retenus sont les suivants :

A trois réalisé par Claudia Bottino

Almost a kiss réalisé par Camille Degeye

L’attente réalisé par Alice Douard

Big Bang réalisé par Carlos Segundo

Boléro réalisé par Nans Laborde-Jourdàa

Castells réalisé par Blanca Camell Galí

Les chenilles réalisé par Michelle Keserwany et Noel Keserwany

💔 réalisé par Pablo Dury

De la folie des hamsters réalisé par Juliette Marrécau

Des jeunes filles enterrent leur vie réalisé par Maïté Sonnet

Les enfants perdus réalisé par Lola Cambourieu et Yann Berlier

Euridice, Euridice réalisé par Lora Mure-Ravaud

I promise you paradise réalisé par Morad Mostafa

Ici s’achève le monde connu réalisé par Anne-Sophie Nanki

J’ai vu le visage du diable réalisé par Julia Kowalski

La machine d’alex réalisé par Mael Le Mée

Mon p’tit papa réalisé par Mahaut Adam

Oyu réalisé par Atsushi Hirai

Rapide réalisé par Paul Rigoux

Sèt Lam réalisé par Vincent Fontano

Les silencieux réalisé par Basile Vuillemin

Snow in september réalisé par Lkhagvadulam Purev-Ochir

Le soleil dort réalisé par Pablo Dury

Ville éternelle réalisé par Garance Kim

Sam Manacsa : « Je suis en train de découvrir la façon dont j’ai envie de faire des films »

Réalisatrice philippine de 29 ans, Sam Manacsa a réalisé un court-métrage Cross my heart and hope to die qui a fait sa première en compétition ce mois-ci à Venise. Ce premier film professionnel est un polar suivant une jeune femme intriguée par des coups de fil d’un inconnu, sur son lieu de travail. Le film est l’un de nos coups de coeur du festival cette année. Lors de sujets abordés dans cet entretien-conversation, il est question de Chantal Akerman, Apichatpong Weerasethakul, d’atmosphère plutôt que dialogues, de confiance en soi, d’images statiques et d’impressions de Venise.

© KB

Format Court : Vis-tu de ton métier aux Philippines ?

Sam Manacsa : Je travaille actuellement comme chef déco, c’est mon travail principal. Je ne travaille pas vraiment en tant que réalisatrice. Le premier film que j’ai réalisé était, en fait, mon film de fin d’études, car je suis diplômée en cinéma à l’Université des Philippines. Ce film a été projeté à Clermont-Ferrand l’année d’après. Je n’ai rien fait après parce que je n’étais pas sûre que les choses que j’aimais allaient réellement aboutir, alors j’ai senti que je pourrais faire quelque chose d’autre où je pourrais gagner de l’argent. J’ai décidé de faire de de la décoration puisque c’est dans ce domaine que j’ai fait mon stage et j’ai décidé de poursuivre là-dedans au lieu de réaliser. Je fais principalement des projets commerciaux. Nous nous occupons des décors et des accessoires en général, mais surtout pour les publicités, pas vraiment pour les films.

Quelle est la situation du court-métrage aux Philippines ?

S.M : Ces dernières années, il y a eu davantage de soutien de la part du département des arts du gouvernement. Il existe peu de programmes auxquels on peut postuler et qui peuvent ensuite participer au financement. C’est très minime, on peut y accéder tous les six mois. Même s’il y a beaucoup de films à faire, il n’y a pas vraiment beaucoup d’opportunités. En parallèle, il y a aussi les festivals. Actuellement, il n’y a qu’un seul festival local qui finance des projets et un autre où on soumet son film déjà réalisé.

Le festival finance les courts-métrages ?

S.M : Oui, il y a un festival qui finance des courts-métrages. Il s’appelle QCinema. Mais si l’on pense aux courts métrages aux Philippines, c’est quelque chose que les gens font juste avant de réaliser leurs longs métrages. C’est comme un film d’entraînement. La seule raison pour laquelle les gens veulent continuer à créer des courts-métrages est parce qu’ils les voient comme une passerelle qui leur permet de créer des longs.

Comment ça s’est passé pour ton film ?

S.M : Je n’avais pas vraiment d’idée d’aller vers un long-métrage complet lorsque je l’ai écrit. J’ai vraiment senti que l’histoire correspondait parfaitement au format court, alors j’ai décidé de le faire. J’ai commencé à le développer en 2019 et comme je n’avais vraiment pas beaucoup de financement, j’ai continué à le réécrire jusqu’au début de cette année, puis j’ai décidé de le tourner.

J’ai essayé de solliciter des financements dans le festival dont j’ai parlé. Il y a d’autres financements pour des courts-métrages aux Philippines que j’ai tenté d’avoir, ainsi que d’autres financements pour des courts asiatiques, mais je n’en ai pas vraiment obtenus. C’est pour ça que j’ai, en quelque sorte, arrêté pendant un moment, mais ensuite j’ai été acceptée dans un atelier pour réalisateurs en Thaïlande. C’est à ce moment-là que je suis devenue un peu plus sûre de moi et que j’ai voulu vraiment faire le film.

Parfois, c’est trop compliqué d’attendre.

S.M : Oui, j’ai pensé que si je ne le faisais pas maintenant, j’aurais été capable d’abandonner à nouveau. Et puis, peut-être que j’aurais dû attendre encore une demi-décennie avant de vouloir faire un autre film…

Pourquoi était-il si important pour toi de tourner ce film, de raconter cette histoire ?

S.M : C’est en fait une histoire très proche de moi que j’ai entendu en grandissant, ça m’a vraiment marquée. J’ai décidé de baser librement mon film sur un événement dont on m’a parlé. J’ai imaginé que je pourrais explorer davantage le voyage émotionnel de mon personnage, Mila.

Tu as mentionné la confiance en soi. Comment s’est passé le travail en équipe ?

S.M : J’étais à l’aise avec l’équipe de tournage parce que j’ai tourné avec des amis très proches, avec qui je travaille déjà depuis des années, même sur des projets commerciaux. Ce n’était pas vraiment une sensation nouvelle de me retrouver sur un plateau avec eux. Quand j’ai décidé de tourner, je leur ai déjà dit que c’était avec eux que je voulais travailler. Ma productrice, mon directeur de la photographie, mon chef décorateur sont mes amis.

Peux-tu me parler de la tradition du cinéma philippin ?

S.M : Aux Philippines, les cinémas projettent surtout les films de Hollywood. Beaucoup de grandes sociétés de production sont très orientées vers Hollywood, donc j’ai grandi en regardant ces films-là.

Mais le cinéma, ce n’est pas qu’Hollywood.

S.M : Je n’ai vraiment découvert ce que je voulais faire que deux ans avant d’obtenir mon diplôme. J’avais un cours de cinéma expérimental et le professeur montrait tout ce qui n’avait aucun rapport avec Hollywood, comme du cinéma asiatique intéressant et du cinéma européen. C’est dans ce cadre-là que j’ai pu voir Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce de Chantal Akerman et cela a touché quelque chose en moi.

Tu te souviens de quoi ?

S.M : Je pense au fait de regarder le personnage de Jeanne Dielman, pendant tout ce temps, à l’expérience d’être là avec elle. Je me suis demandée comment capturer ce moment où l’on a envie de rester longtemps avec un personnage. C’est aussi pendant ce court que j’ai pu voir le travail de Apichatpong Weerasethakul. Ce n’est pas exactement le même cinéma, mais les deux réalisateurs aiment rester avec les personnages et prendre leur temps.

Ton film, Cross my heart and hope to die, est plutôt un polar. Souhaites-tu poursuivre dans la voie du film noir ?

S.M : Je sens que je suis en train de découvrir la façon dont j’ai envie de faire des films. J’ai l’impression que mes films sont assez différents, même s’ils se ressemblent avec de longues images statiques. Je sens qu’il existe encore une manière différente de voir mes personnages, mais je suis toujours en train de découvrir le type de concept avec lequel je veux jouer avant d’en créer un autre.

A quoi ressemblent tes scénarios ? Comment était celui-ci, par exemple ?

S.M : J’essaye surtout de décrire l’espace où se trouve le personnage. Le dialogue est la dernière chose que je mets. Je m’intéresse plutôt à l’atmosphère, au mouvement, à l’endroit où se déplacent les personnages qu’à leurs conversations. Je commence toujours par ce qu’ils disent, mais jamais vraiment par le dialogue lui-même. Je passe beaucoup de temps à écrire sur l’espace. C’est quelque chose dont j’essaie de m’inspirer dans les films : plus que les personnages, la façon dont l’espace autour d’eux est construit se répercute dans mes films.

Comment t’es-tu retrouvée à Venise ? As-tu un distributeur ?

S.M : Une fois le montage du film terminé, nous avions encore besoin d’un peu plus d’argent pour terminer la post-production. Ma productrice a décidé de postuler pour une bourse à Singapour. Flavio Armone de Lights On faisait partie du jury. Il nous a envoyé un e-mail demandant s’il pouvait représenter le film, et c’est ainsi que nous avons obtenu un partenariat avec Lights On. Je n’avais pas de grand espoir en termes de diffusion. Je me suis dit : « même si cela n’est pas projeté, ce n’est pas grave, nous trouverons un endroit pour que ma mère puisse le regarder ! ». Finalement, elle ne l’a pas vu car la première a eu lieu à Venise.

Que t’a apporté ce festival ?

S.M : C’est un très grand événement. J’ai pu rencontrer quelques réalisateurs de courts-métrages. C’était intéressant de rencontrer d’autres personnes. Après avoir visionné quelques-uns des projets, certaines personnes ont exprimé leur intérêt à travailler ensemble. Nous avons eu des conversations vraiment intéressantes. Je trouve que les festivals de cette envergure sont bons pour le networking. Il y a des producteurs qui nous ont dit qu’ils aimaient le projet. Ils sont très intéressés au cas où nous aurions un prochain projet, mais malheureusement nous n’en avons pas encore. J’écris toujours, mais j’ai l’impression que c’est trop tôt.

Quel est ton intérêt pour le format court ?

S.M : En ce moment, j’essaie d’écrire un long-métrage, mais c’est assez compliqué. C’est plus facile pour moi d’imaginer comment l’histoire se déroulerait dans un court laps de temps. Je l’envisage comme une histoire, comme un souvenir. Il est donc beaucoup plus facile pour moi d’écrire sur un format court. Je pense que 15 ou 18 minutes suffisent pour les histoires que je raconte.

Quels souvenirs as-tu gardé de tes études ?

S.M : J’ai étudié à l’Université des Philippines à Manille. Je n’avais pas de formation artistique. Mon père était ingénieur, ma mère avait beaucoup de métiers en même temps. Nous aimions beaucoup passer notre temps en famille à regarder des films, mais ce n’était pas vraiment quelque chose qui m’inspirait. Quand je suis allée à l’université, j’ai d’abord étudié la physique. J’ai vite réalisé que n’était pas pour moi.

De quelle manière ?

S.M : C’est assez difficile. Beaucoup d’étudiants là-bas, avant de commencer leurs études de physique, étaient allés dans une école de sciences spécifiques, donc ils avaient cette base en sciences et en mathématiques, ce qui n’était vraiment pas mon cas. J’ai vraiment senti que cela avait des conséquences néfastes sur ma façon de comprendre la physique.

J’ai réalisé que je n’arrivais pas à suivre, alors peut-être qu’il était temps de faire autre chose. J’étais vraiment sur le point d’abandonner mon diplôme. Je passais mon temps de l’autre côté de l’université avec les étudiants en cinéma, parce qu’il y avait une salle où ils projetaient des courts-métrages d’étudiants, des films indépendants de nouveaux réalisateurs. Ce n’était vraiment pas cher, alors quand j’étais frustrée, j’y allais. J’ai trouvé du réconfort en regardant des films pendant une période très difficile de ma vie et je me suis dit que peut-être je pourrais changer et faire du cinéma, sachant simplement que c’était quelque chose dans lequel je me sentais bien J’ai postulé et j’ai été admise. J’aimais beaucoup faire des projets de films avec d’autres étudiants, car nous en faisions beaucoup, alors j’ai décidé de rester. Je n’avais pas vraiment de but, je voulais juste être là, dans le même espace. Quoi qu’il m’arriverait après, j’allais me débrouiller.

Propos recueillis par Katia Bayer 
Retranscription : Bianca Dantas

Festival Format Court 2024, appel à films !

Merci pour vos participations : l’appel à films est clos depuis ce 30 novembre, minuit !!! 

👑 902 films ont finalement été soumis à notre appel à films. Merci à tous et à toutes pour vos candidatures. Le comité de sélection a du boulot !

Les deux dernières années, nous avions reçu 500 films pour notre festival. On sent un engouement pour le Festival Format Court et on en est ravi !

⏰ La sélection finale sera annoncée le 25 février 2024 !
Rendez-vous en salles, pour notre 5ème édition, du 25 au 28 avril prochain, au Studio des Ursulines !


Chères toutes, chers tous,

Depuis le 15 septembre, l’appel à films de la 5ème édition du Festival Format Court est ouvert. Il est actif jusqu’au jeudi 30 novembre 2023 minuit. Plus de 900 films nous ont déjà été envoyés ! À vous de jouer !

Vous avez réalisé ou produit un court (hors film d’école) de fiction, d’animation, documentaire ou expérimental de 30 minutes maximum, qu’il soit en prises de vues réelles ou animées ?

Vous avez jusqu’au jeudi 30 novembre 2023 minuit pour postuler à notre nouvelle compétition dont la sélection finale sera soumise aux regards de nos 3 jurys (professionnel, presse, jeune) ainsi que par le public !

Le Festival Format Court se déroulera du jeudi 25 au dimanche 28 avril 2024, au Studio des Ursulines (Paris, 5e).
 
Nous sommes impatients à l’idée de découvrir vos œuvres !

Pour postuler :

– Prendre connaissance du règlement téléchargeable sur le site de Format Court

– Vous rendre sur la plateforme Film Fest pour inscrire votre film.

L’annonce de la sélection officielle sera consultable sur le site de Format Court, relayée par ses différents réseaux sociaux, et communiquée aux réalisateur.ices ou producteur.ices par e-mail le 25 février 2024.

C’est désormais à vous de jouer !

À très vite,

L’équipe de Format Court

Charlotte Abramow. Le sens de l’image

Jurée des formats courts au Champs-Elysées Film Festival en juin dernier, la photographe et réalisatrice Charlotte Abramow, s’est fait connaître par son travail photo, ses couvertures de magazines et ses clips, notamment pour sa compatriote Angèle. Elle revient sur son parcours, son lien à l’image, son regard sur les femmes et sa curiosité pour les vraies et belles personnes, issues du quotidien.

© Capucine Henry

Format Court : Comment t’es-tu retrouvée à passer par les Gobelins ? Qu’y as-tu appris ?

Charlotte Abramow : Avant l’école, j’étais autodidacte. Je travaillais avec mon petit appareil photo en lumière naturelle mais je ne savais pas du tout gérer la lumière artificielle et je me rendais compte que ça limitait ma créativité. Je m’étais renseignée sur les écoles en Belgique, je n’avais pas spécialement envie de faire une école d’art, j’avais vraiment une envie technique. Je savais que les Gobelins faisaient de la préparation au terrain. J’avais été au stand des Gobelins aux Rencontres d’Arles, j’avais aussi bien accroché avec des professeurs qui y étaient présents. Du coup, ça a été évident de faire cette école et j’ai pu la faire après moult péripéties. Il fallait un Bac +2. Je faisais déjà de la photo au lycée, je me suis demandée ce que j’allais faire après. J’ai essayé d’étudier à l’ULB (Université libre de Bruxelles) en histoire de l’art. J’ai tenu 3 mois. Je n’ai pas été au bout, j’ai tenté un dossier de dérogation qui est passé et j’ai réussi le concours d’entrée des Gobelins. Je suis arrivée en 2013. Ca a été assez intense parce que je suis passée d’une photographie un peu plus lifestyle à la vraie page blanche du studio, ça m’a ouvert une nouvelle voix. J’ai fait beaucoup de studio. C’était très intéressant de composer à partir de « rien » et de voir tout ce qu’on peut apporter dans l’image de manière très précise dans un environnement neutre.

Tu as commencé très jeune. Qu’est-ce qui t’a introduit à la photo?

C.A : Mes parents m’avaient donné un appareil photo jetable quand j’étais petite. Je crois que ma mère faisait aussi beaucoup de photos de famille, j’aimais bien l’idée de « collecter des souvenirs ». Je n’avais pas du tout une vision artistique de la photo, mes parents n’avaient pas forcément de connaissances en la matière. Entre les magazines de mode et Google images, j’ai fini par tomber sur des photographes comme Paolo Roversi ou Peter Lindbergh. J’étais fascinée. Tout de suite, c’est devenu une obsession. J’ai commencé vraiment vers 13-14 ans. Je faisais des petites photos de chats, de fleurs, de canettes de Red Bull, de Converse, de mégots de cigarettes, de mon quotidien que je mettais sur mon blog. Vers mes 16 ans, je shootais mes copines et des filles d’autres lycées que je ne connaissais pas forcément, des parents voyaient mes photos sur ma page Facebook. La rédactrice en chef du magazine Elle Belgique a découvert mon travail et m’a proposé une première série, puis une couverture. C’était chouette parce que j’étais vraiment jeune, ça m’a donné de la confiance pour en faire quelque chose de plus professionnel. Je savais que j’allais vivre à Paris, c’était un peu acté dans ma tête. Ça fait 10 ans maintenant que j’y suis.

Pourquoi fallait-il passer par Paris ?

C.A : En termes de mode, même de magazines, il n’y a pas beaucoup d’opportunités à Bruxelles. Je pense que maintenant je pourrais faire le chemin inverse, je peux avoir un plus grand atelier à Bruxelles, je suis plus installée, mais quand tu démarres, tu as besoin de construire ta patte.

Tu as fait Le Cri défendu, un court pour Arte dans la série des courts-métrages réalisés par des femmes. En venant du monde des shootings en studio, comment cette étape s’est-elle passée ?

C.A : Ça a commencé d’abord par les clips, avec ceux d’Angèle. J’ai abordé mon premier clip (La loi de Murphy) comme une suite de photos, puisque c’est une série de plans fixes. Comme je peux raconter des histoires à travers une série de photos, je peux aussi mettre en forme une séquence d’images qui deviennent une vidéo avec de la musique. Je me suis formée avec le clips et puis, je suis arrivée au court. Finalement, pour ce projet, j’ai gardé un peu cet esprit assez découpé que m’apportait le texte de l’écrivaine Jo Güstin, qui était déjà très théâtral. Son texte est presque un poème. Ça m’a tout de suite inspirée. En fait, je « prémonte » les films dans ma tête avant de les tourner, ce qui me donne une idée très précise de ce que je veux faire. C’est ma manière de travailler jusqu’à maintenant et ça a marché aussi sur ce court-là.

Est-ce que tu penses que quand tu réalises une vidéo, tu envisages autant l’image que l’histoire ? Les Passantes (réalisé pour la Journée Internationale des Droits des Femmes) est extrêmement visuel, par exemple.

C.A : C’est drôle parce que dans Les Passantes, j’ai travaillé la chanson de Georges Brassens de manière un peu particulière. Sur les chansons d’Angèle, j’ai la structure d’une chanson pop qui m’aide à « délimiter » les différentes séquences du clip. Pour Les Passantes, c’était un long tunnel : il n’y avait plus que la voix et la manière dont Brassens dit les mots et les phrases qui me permettent finalement de découper. J’ai découpé vers par vers pour faire cette séquence de tableaux. Ça m’intéresse aussi de prendre certaines images en contre-pied du vers. Par exemple, à un moment, on entend dans la chanson « silhouette fluette » et je mets un gros fessier plein de cellulite ! J’adore l’image et, avec le son et la parole, je peux parfois créer un combo désarçonnant que je trouve intéressant.

En termes d’image, est-ce que tu penses à une idée et après, tu te donnes des moyens pour trouver les modèles ?

C.A : Oui, c’est ça. Même si mon image doit être belle et travaillée, je veux toujours qu’elle ait un sens, qu’elle raconte quelque chose et ne soit pas gratuite, et après, je trouve les personnages correspondants. Ce n’est pas mon truc, les agences de mannequinat.

Tu as envie de vrais gens, en fait.

C.A : Oui. J’ai créé une adresse e-mail de casting. Je poste des annonces et n’importe qui peut m’écrire. Parfois, il y a des personnes que je contacte deux ans après parce qu’elles correspondent à un profil. Après, forcément, quand il y a du jeu en compte, il faut parfois un peu d’expérience. Mais sinon, pour des photos et des clips, ça peut m’arriver de contacter quelqu’un qui n’a jamais rien fait.

Si je comprends bien, tu te crées une sorte de bibliothèque de profils pour des projets à venir.

C.A : C’est ça. J’adore recevoir des visages. J’ai un peu une passion pour les visages. Pendant le Covid, c’était horrible à cause des masques. Quand on les a enlevés, je me suis dit : « Waouh, les gens sont trop beaux ! ».

Tu le penses toujours ?

C.A : Oui. Mais personne ne s’en rend compte, tout le monde se trouve moche. Même les gens qui sont dans les carcans, les mannequins, pensent qu’ils sont moches.

Tu parlais d’une image gratuite. Qu’est-ce que c’est pour toi ?

C.A : C’est difficile à définir, mais c’est juste que j’aime le fait que l’image puisse interroger ou raconter quelque chose. Je me sens moins légitime quand je capte des instants où je me dis : « OK, ma photo est jolie, mais ça va intéresser qui ? » Si j’essaie d’ajouter un message, ça va amener un début de conversation ou de débat. Une image, c’est presque un prétexte, même si j’adore la travailler. J’aime toujours essayer d’amener du sens dans une image.

Justement, dans tes images, on voit que tu travailles avec plusieurs artistes féminines et que tu as ta manière de filmer le corps feminin. On parle beaucoup du female gaze, est-ce important pour toi de trouver une autre manière d’illustrer le corps feminin ?

C.A : Je pense que ça a été assez instinctif, même avant que j’ai des notions féministes ou théoriques. C’est encore plus passionnant d’en comprendre le sens, de l’analyser. Finalement, c’était ma manière naturelle de regarder les femmes. Déjà jeune, ce côté désirable, bonne, je trouvais ça tellement étriqué, complexant et horrible. J’avais envie de montrer qu’il y a plein d’autres voix et que c’est possible d’exister en tant que femme et de se sentir bien, belle et forte.

Cela t’a été transmis par ta famille, la vision de la femme ?

C.A : Je ne sais pas. Ma maman était obèse quand j’étais petite et je ne comprenais pas les regards sur elle. Pour moi, c’était une personne qui avait le droit d’exister en tant que telle comme les autres.

Comment perçois-tu les courts et moyens métrages, as-tu l’habitude d’en voir ?

C.A : Non et je trouve ça hyper triste qu’ils ne soient pas mieux diffusés. Tu peux voir des TikTok, des clips, des films sur Netflix, mais pas des courts aussi facilement. Je suis un peu frustrée parce qu’ils ne sont pas plus accessibles, à part dans les festivals. Dans un court, tu peux avoir une bombe d’informations ou d’émotions toute aussi impactant, ou parfois plus impactant que dans un long. En plus, nous sommes dans une société où les gens sont de moins en moins concentrés. J’ai l’impression qu’ils commencent à se désintéresser même aux clips vidéos, que c’est trop long par rapport à un TikTok de 15 secondes. Je pense que le format court a, peut-être, du coup un avantage à jouer.

Propos recueillis par Katia Bayer et Anouk Ait Ouadda
Retranscription : Bianca Dantas

A Short Trip de Erenik Beqiri, récompensé à Venise 2023

Erenik Beqiri, réalisateur albanais dont nous avions découvert et aimé le court précédent, The Van, en compétition officielle à Cannes 2019, vient de recevoir le Prix Orizzonti du meilleur court-métrage à Venise pour son nouveau film A Short Trip, tourné à Marseille. Le film, produit par Origine Films et Moteur S’il Vous Plaît, a également obtenu une nomination pour les European Films Awards 2023.

Syn. : Mira et Klodi, un jeune couple albanais, arrivent à Marseille avec une mission cruciale. Alors qu’ils font face à un rendez-vous fatidique et à une salle pleine d’hommes, le temps est compté. Tout en affrontant l’urgence de leur choix, ils doivent également faire face à la nécessité de se séparer.

Article associé : notre interview du réalisateur et de sa comédienne, également réalisatrice, Luàna Bajrami.

Appel à projets / La Scénaristerie

Partenaire du Festival Format Court, La Scénaristerie, association créée en 2015, lance une nouvelle résidence : Le Labo Court-Métrage qui s’intéresse de près à la relation scénariste/réalisateur.rice.

L’appel à projet est destiné aux scénaristes porteur.euse.s de deux projets de courts-métrages qu’il.elle.s ne souhaitent pas réaliser eux.elles-même.

La première semaine de résidence aura lieu du 11 au 15 décembre 2023 à la Maison des Auteurs de la SACD à Paris.

Suite à cette première session, sera lancé, fin janvier 2023, un appel à réalisateur.rice.s cherchant à collaborer avec des scénaristes. Les réalisateur.ices devront être à l’aise avec l’idée de travailler sur un projet qu’il.elle.s n’ont pas initié.

Pour candidater, il vous suffit d’envoyer les pitchs de vos projets jusqu’au 24 septembre minuit à courtmetragelelabo@gmail.com. Les scénaristes sélectionné.e.s seront prévenu.e.s par mail le 8 octobre.

En janvier 2024, à la manière d’un speed dating, 4 binômes de scénaristes/réalisateur.rice.s seront formés, avec chacun un projet sur lequel travailler.

La 2ème semaine de résidence aura lieu en mars 2024 afin d’aboutir à une version dialoguée des courts-métrages.

Enfin, la présentation des projets de et des duos scénaristes/réalisateur.rice.s devant des producteur.rice.s, aura lieu à l’occasion du prochain Festival Format Court en avril 2024 au Studio des Ursulines (Paris, 5).

Plus d’infos : https://www.scenaristerie.com/s-projects-basic

Les courts de Venise, entre animation et questions de société

À Venise, la Biennale bat son plein jusqu’à ce samedi 9 septembre. Au programme de la section cinéma, la compétition, bien sûr, les classiques, aussi, mais surtout ses Orizzonti (« Horizons ») qui présente, à côté de dix-huit longs-métrages, treize courts-métrages.

Place aux questions de société

La sélection 2023 accorde une place importante aux questions de société. Area Boy, par exemple, du réalisateur britannique Iggy London, présente un personnage d’adolescent en proie au doute. Avec sa très belle scène de baptême par submersion complète, ce film aborde les questions de dysphorie de genre et des relations adolescentes, mais aussi la place du religieux. Le poids des injonctions faites aux femmes et des narcotrafiquants dans la Colombie des années 1990 apparaissent pour leur part dans Bogotá Story, du réalisateur colombien Esteban Pedraza.

La situation des immigrés traverse également de nombreux films. A côté de Sentimental Stories, de la réalisatrice roumaine Xandra Popescu, sur les conditions de vie de travailleuses immigrées en Allemagne, A Short Trip, du réalisateur albanais Erenik Beqiri, nous présente un couple albanais dont la femme est prête à contracter un mariage blanc pour pouvoir rester en France. La misère du couple comme des aspirants au mariage, prêts à épouser une inconnue pour quelques euros, est au cœur de l’écriture du film.

Le poids du regard des hommes sur le corps des femmes apparaît en filigrane dans Sea Salt, de Leila Basma, également parcouru par la question migrante : Nayla, une adolescente de dix-sept ans, subit les remarques de son frère, qui trouve son short trop court. A travers cette relation fraternelle difficile, le film nous montre l’attirance paradoxale du lointain sur la jeunesse libanaise. La jeune fille est en effet confrontée à un dilemme : suivre son frère au Canada, où la vie est sans doute moins compliquée qu’au Liban, ou rester à Beyrouth près de ses amis et, surtout, de son amoureux secret, et échapper ainsi à ce frère pour le moins envahissant.

C’est toutefois Cross My Heart and Hope to Die, de la réalisatrice philippine Sam Manacsa, qui retient l’attention parmi tous ces films de société. Sa peinture de la vie humble et répétitive de Mila, une modeste employée de bureau, doit beaucoup à son travail de l’espace et de la profondeur de champ. Les murs et les plafonds étouffants, la création de lieux hermétiquement clos et le travail de la lumière reproduisent une atmosphère asphyxiante qui extrait le court-métrage du seul film à sujet pour l’orienter vers quelque chose de beaucoup plus singulier.

Un coup de projecteur sur l’animation

Film politique et film d’animation tout à la fois, The Meatseller, de la réalisatrice italienne Margherita Giusti, nous fait suivre le parcours vers l’Europe d’une jeune Nigériane, Selinna, qui rêve de devenir bouchère. Un parcours chaotique, difficile et semé d’obstacles, retransmis par la simplicité d’un dessin qui joue de l’opposition du rouge de la viande au noir et blanc des contrées traversées.

Le beau In the Shadow of the Cypress, des réalisateurs iraniens Hossein Molayemi et Shirin Sohani, nous embarque dans un univers moins déterminé, fait de pêche au cachalot, de nostalgie et de mélancolie. Les couleurs pastel du début cèdent la place à des couleurs plus franches, qui parviennent à créer un univers étrange et paradoxal, conjointement inquiétant et rassurant.

Un peu d’humour, peut-être, avec Wanted to wonder, de la réalisatrice néerlandaise Nina Gantz, parodie des shows TV pour enfants. Des marionnettes, filmées en stop-motion, répondent avec un enthousiasme un peu forcé aux questions existentielles de leurs jeunes téléspectateurs (par exemple : « Peux-tu dire à Maman que les rollers ne sont pas dangereux ? »). Surtout, plus que les marionnettes, c’est le show lui-même qui devient le personnage principal du film. Aussi découvrons-nous l’envers du décor, des coulisses sombres et glauques, aux antipodes de la joie factice de l’émission de télé. L’humour du début a cédé sa place à un univers inquiétant, qui transforme la parodie en une satire acerbe de la société.

La sélection de Venise ne brille donc pas par son optimisme, mais est sans doute à l’image du monde contemporain. On y observe une certaine unité de ton et de thèmes, qui parle des angoisses d’une époque où les uns et les autres peinent à trouver leur place.

Julia Wahl