Chili 76 de Manuela Martelli

Du film politique au film psychologique

Une bourgeoise qui cache un militant anti-Pinochet : telle est la trame de fond de Chili 76, qui nous fait vivre le Chili de l’immédiat après-putsch. Le film de Manuela Martelli sort ce 21 novembre dans un DVD édité par Blaq Out.

Quand Chili 76 commence, Pinochet est au pouvoir depuis trois ans déjà. La vie des Chiliens et Chiliennes ordinaires semble avoir repris son cours et la bourgeoisie chilienne avoir définitivement gagné les rapports de forces politiques. De fait, l’opposition a été totalement éliminée, ou presque.

Presque, parce que, un beau jour, Carmen, la femme d’un éminent médecin, est sollicitée par un prêtre pour prendre soin d’un partisan d’Allende. Le jeune a pris une balle dans la jambe et ne peut, en raison de ses activités politiques, se rendre à l’hôpital : il risquerait la prison, sinon la mort. Carmen, qui a commencé des études de médecine et fut infirmière volontaire, sait soigner les blessures. C’est donc tout naturellement vers elle que se tourne le prêtre sollicité par le militant antifasciste.

D’abord hésitante, Carmen accepte de cacher le fugitif dans une grande maison de campagne qu’elle et son mari détiennent au bord de la mer. Elle est précisément en train de la rénover, ce qui éloigne les indiscret.es de ses pièces les plus reculées. C’est là qu’elle cachera, l’été durant, ce jeune homme qui se remet progressivement de ses blessures.

Le film s’intéresse moins aux militant.es politiques qu’au personnage de Carmen, qui se bat constamment contre la peur. Une peur qui évolue peu à peu en folie paranoïaque. Paranoïa vis-à-vis de la milice politique et de ce mari bien à droite, certes, mais aussi des compagnons du fugitif, dont l’attitude la déconcerte. Nous avons donc moins à faire là à un film historique ou politique qu’à un film psychologique, qui suit les évolutions de son personnage principal.

De fait, la caméra de Manuela Martelli suit Carmen du début à la fin du film. Le jeu de Aline Küppenheim, sobre mais expressif, rend bien compte des sentiments qui l’assaillent mais qu’elle se doit de cacher. Elle est peu bavarde : ses dialogues sont réduits à l’essentiel et mettent ainsi en évidence les dilemmes avec lesquels elle se bat.

À ce (relatif) mutisme répond l’expressivité du cadre et des couleurs. Sans jamais saturer l’image, ces dernières sont au cœur du dispositif du film, qui se passe en grande partie dans cette maison que Carmen a entrepris de repeindre. Métaphores du parcours de cette grande bourgeoise qui bifurque hors des sentiers que l’on avait battus pour elle, des taches de peinture, filmées en gros plans, coulent sur des escarpins jusque-là immaculés : c’est cette rencontre des symboles de l’oisiveté et du travail manuel qui annoncent la brèche que sera l’immixtion du jeune allendiste dans cette vie trop réglée. Outre son passage dans la clandestinité, cet événement sera ainsi l’occasion pour Carmen de s’interroger sur la façon dont les hommes de sa famille – époux et père – se sont octroyé le droit de régenter sa vie.

Le DVD Chili 76 est enrichi d’un échange entre l’équipe du film et la salle du cinéma L’Ecran de Saint-Denis, capté par l’équipe de Cuult. Les participant.es ont ainsi évoqué l’infiltration progressive des couleurs dans la maison de vacances de Carmen ou le traitement des musiques qui accompagnent le film dans les années 1970.

À côté de ces questions esthétiques, des questions politiques ont également été abordées, notamment les différences entre le Chili et l’Argentine. Ainsi, les dignitaires du Chili de Pinochet n’ont pas connu le même sort que la junte argentine, condamnée lors du Procès de la Junte en 1985, puis – pour revenir sur les mesures d’amnistie qui ont suivi – entre 2005 et 2009. En outre, Pinochet conserve des partisan.es, au motif qu’il aurait été à l’origine de la stabilité économique de son pays. Pour ces raisons, a indiqué la réalisatrice du film, Chili 76 a reçu un accueil très clivé au Chili en fonction des salles où il fut projeté.

Grâce à ce DVD nous replongeons dans cette époque volontiers oubliée en France et (re)découvrons ce film passionnant à bien des aspects. Le bonus permet de contextualiser cette œuvre qui n’a de sens qu’ancrée dans une histoire particulière et de mesurer les conséquences, encore aujourd’hui, de la prise de pouvoir de Pinochet.

Julia Wahl

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