War Pony de Gina Gammell et Riley Keough

Lauréat de la Caméra d’Or à Cannes en 2022, War Pony, film américain réalisé par Gina Gammell et Riley Keough, est sorti en DVD chez Blaq Out. L’édition compte un riche bonus : une analyse du film faite par le critique Mathieu Macheret. Les commentaires permettent aux spectateurs de découvrir et en savoir plus sur ce beau film qui nous emmène dans la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud, pour découvrir une facette moins connue des États-Unis.

War Pony est réalisé par deux femmes dont c’est le premier film : Riley Keough, actrice notamment connue pour son rôle de Daisy Jones dans la série homonyme, et Gina Gammell, productrice de films indépendants comme Dixieland (2015).

L’histoire est née d’une rencontre. Pendant le tournage d’American Honey d’Andrea Arnold (2016), film dans Keough joue, l’actrice a fait la connaissance de deux figurants qui étaient habitants de Pine Ridge et qui lui ont raconté leurs expériences de vie dans cette réserve. Les deux hommes se nomment Franklin Sioux Bob et Bill Reddy, ils sont devenus les scénaristes de War Pony. Les réalisatrices ont voulu que le film se rapproche le plus possible du témoignage de Bob et Reddy, créant un portrait sincère de la vie difficile de cette communauté ignorée par l’administration publique.

Deux histoires se déroulent séparément dans un court rayon de distance. Nous suivons à travers un montage parallèle deux membres de la tribu Oglala Lakota. Bill, 23 ans, doit se débrouiller pour trouver un travail et aider ses deux enfants pendant qu’il essaie de se remettre avec la mère du cadet. Matho, 12 ans, vit dans un foyer hostile et essaie de se faire de l’argent en vendant la drogue de son père.

Sans aucun investissement public dans la région, ces Amérindiens vivent dans une situation précaire, dans le chômage généralisé. L’économie locale repose en grande partie sur la vente de la drogue, à laquelle énormément d’habitants sont accros. Ne pouvant pas payer la somme totale de ce qu’ils souhaitent acheter, les gens négocient et échangent des articles pour compenser une portion de la valeur demandée.

Issus d’une extrême pauvreté, les personnages sont contraints de travailler dès leur plus jeune âge, ils commencent à boire et à fumer dès l’enfance, ce qui en fait des gamins précoces et des adultes immatures, comme c’est le cas des deux protagonistes. Bill, qui doit agir comme un adulte et subvenir aux besoins de ses enfants, décide d’élever des caniches sans même savoir à qui les vendre, car il ne connaît personne qui aurait les moyens de les acheter. Inexpérimenté mais optimiste, le jeune homme n’a jamais dépassé l’adolescence mentalement. Matho, à son tour, se précipite pour devenir adulte en fumant, en buvant et en gagnant de l’argent, actions qu’il réalise sans aucune préméditation, avec l’immaturité et la naïveté d’un enfant.

Les cinéastes nous insèrent géographiquement et socialement dans la réserve indigène en embrassant l’espace avec la caméra. Des plans d’ensemble dominent les images. En utilisant le format 2.40:1, Keough et Gammell mettent en valeur ce lieu, dont les personnages et leurs caractères sont fondamentalement ancrés. La réserve, baignée par le soleil et couverte de poussière, est captée par le chef opérateur David Gallego qui fait usage majoritairement de la lumière naturelle. Ce choix transmet un sentiment de chaleur et brutalité, portrait plastique des conditions de vie de la communauté.

Le colonialisme culturel est abordé dans le film avec une subtilité convaincante, Bill étant le personnage le plus éloigné de son héritage. Un membre de la tribu qui ne parle pas la langue, s’habille en streetwear américain, et n’écoute que du rap. Ironiquement, à l’occasion de la soirée de Halloween de son patron, le jeune homme et ses amis, engagés pour servir un groupe de blancs aisés, observent un des invités « déguisé » en indigène. Les Lakotas ont appris les codes des blancs, mais ces derniers voient la culture de leurs voisins comme caricaturale.

Gina Gammell et Riley Keough ont choisi de ne pas engager d’acteurs professionnels (les deux seuls acteurs expérimentés sont ceux qui jouent Tim et Allison), mais des originaires de cette réserve. La justesse de leur performance ne vient pas de la formation des comédiens, mais d’une expérience personnelle dans ce milieu. Un effet d’immersion du public dans la vie à Pine Ridge est organiquement produit à travers le jeu, les décors, et les plans.

L’avant-dernière séquence est pour la première fois dessinée dans des couleurs vives, sans ombres, comme aucune autre scène du film. Les lumières dans l’image sont si vives que le sentiment de liberté domine la scène.

Les chemins de Bill et Matho se croisent tard dans le film, mais cette interaction lie toute l’histoire et montre une belle évolution des personnages. Bill assume finalement son rôle d’adulte et père responsable, pendant que Matho accepte sa condition d’enfant à être pris en charge. Dans leurs immaturités et précocités, les deux trouvent un terrain d’entente qui leur fait devenir ce qu’ils avaient besoin d’être : des personnes de leur propres âges. Cette rencontre représente un cycle qui se termine, les histoires de ces deux jeunes hommes vont maintenant recommencer sous une nouvelle lumière.

Bianca Dantas

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