Tous les articles par Katia Bayer

Les films primés à la Cinéfondation 2015

Le Jury de la Cinéfondation et des courts métrages présidé par Abderrahmane Sissako et composé de Cécile de France, Joana Hadjithomas, Daniel Olbrychski et Rebecca Zlotowski, a décerné ce vendredi les prix de la Cinéfondation lors d’une cérémonie salle Buñuel, suivie de la projection des films primés.

La sélection comprenait 18 films d’étudiants en cinéma choisis parmi 1 593 candidats en provenance de 381 écoles dans le monde.

Premier Prix : Share réalisé par Pippa Bianco – AFI’s Directing Workshop for Women, États-Unis

Syn. : Une jeune fille de 15 ans retourne à l’école après que quelqu’un a partagé une vidéo d’elle des plus explicites sur Internet.

Deuxième Prix : Locas Perdidas réalisé par Ignacio Juricic Merillán – Carrera de Cine y TV Universidad de Chile, Chili

Syn. : En 1996, Rodrigo (18 ans) est arrêté dans la boîte de nuit où il travaille comme transformiste, lors d’une perquisition filmée par la télévision. Il rentre chez lui, inquiet d’être vu aux infos par la famille. Pendant que tout le monde se prépare pour une fête, il décide de s’enfuir avec son amant, le coiffeur et ami de la famille.

Troisième Prix ex aequo :

– The Return of Erkin réalisé par Maria Guskova – High Courses for Scriptwriters and Film Directors, Russie

Syn. : Erkin est sorti de prison et tente de revenir à son ancienne vie. Mais tout a changé et il ne sait pas s’il peut vivre comme un homme libre.

– Victor XX réalisé par Ian Garrido López – ESCAC, Espagne

Syn. : Que se passerait-il si vous n’étiez pas à l’aise avec votre corps ? Si vous décidiez d’une expérience sur votre genre ?

Les prix sont accompagnés d’une dotation de 15.000 € pour le premier, 11.250 € pour le deuxième et 7.500 € pour le troisième. La lauréate du Premier Prix a également l’assurance que son premier long métrage sera présenté au Festival de Cannes.

Short Screens #50 : Corps

Enveloppe charnelle, à la fois fragile et résistante, aussi bien sublimée et idéalisée que maltraitée et humiliée. Le corps comme moyen d’expression, comme vecteur d’émotions ou comme outil de séduction est en perpétuelle évolution. Souvent libérateur de l’inertie grâce au mouvement, il peut au contraire se révéler comme étant la plus ingrate des prisons. Ce mois-ci, Short Screens s’est penché sur la question de sa représentation avec des courts métrages qui traitent de la chair comme source d’inspiration.

En présence de Laura Wandel, réalisatrice des Corps étrangers.

Un projet à l’initiative de l’asbl Artatouille et Format Court.com

Rendez-vous le jeudi 28 mai à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€

Visitez la page Facebook de l’événement ici.

Programmation

AÏSSA de Clément Tréhin-Lalanne/France/ 2014/ fiction/ 8’21

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Aïssa, une jeune Congolaise en situation irrégulière, est appréhendée par la police. Elle affirme avoir 17 ans, mais les autorités la croient majeure. Afin de déterminer si elle est expulsable, un médecin va l’examiner.

Article associé : la critique du film

CHOROS de Michael Langan & Terah Maher/États-Unis/ 2011/ expérimental/ 12’44
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Syn. : Une danseuse donne vie à une ribambelle de figures féminines dans ce « pas de trente-deux » surréaliste.

Article associé : le dossier consacré au film dans le cadre du Prix Format Court au festival Silhouette 2012

HE’S THE BEST de Tamyka Smith/États-Unis/ 2014/ fiction/ 6′

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Syn. : Pour se préparer à sa soirée avec Ryan, Clare accomplit avec soin tous les gestes qui s’imposent – détartrage, hydratation, rasage intégral. Regard intime et franc sur une femme et ses gestes de beauté.

STREET FIGHT de Julien Goudichaud/France/ 2014/ documentaire/ 6′

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Syn. : Portrait de Jacques, un sans-abri parisien passionné de bodybuilding.

CONTRACUERPO d’Eduardo Chapero-Jackson/Espagne/ 2005/ fiction/ 17′

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Syn. : Obsédée par son image, une jeune femme fait un voyage dans le labyrinthe de sa propre perception. Avec son corps, elle crée une prison exposée au monde et vit le rêve autodestructeur de devenir ce qu’elle n’est pas.

LES CORPS ÉTRANGERS de Laura Wandel/Belgique/ 2014/ fiction/ 15′

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Syn. : Lors de sa rééducation dans une piscine municipale, un homme doit apprendre à faire face à son nouveau corps, alors qu’il n’est pas prêt à l’assumer. En présence de la réalisatrice

HOLE de Martin Edralin/Canada/2014/fiction/15′

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Syn. : Billy, un handicapé d’âge moyen, vit seul mais se sent tout aussi isolé lorsqu’il sort et qu’il est en public. Tout ce qu’il connaît en guise d’amitié, ce sont les visites quotidiennes de l’aide-soignant. Aspirant à l’intimité d’une relation dans sa vie solitaire, Billy erre dans la ville en quête d’une aventure…

Quinzaine des Réalisateurs, Prix Illy du court métrage 2015

Même si la Quinzaine des Réalisateurs est une section non compétitive, certains de ses partenaires attribuent des prix lors de la cérémonie de clôture, ayant eu lieu hier soir. Sur les 4 prix remis, l’un est consacré au court métrage via la marque de café Illy.

Le jury composé cette année de Lolita Chammah, Peter Debruge, Sophie Reine, Marc Sanchez et présidé par Olivier Jahan a distingué « Rate Me » du jeune réalisateur Fyzal Boulifa parmi les 11 films sélectionnés. Il y a trois ans, le jeune réalisateur anglais d’origine marocaine avait obtenu la même récompense pour le très beau « The Curse » que nous avions diffusé lors de l’une de nos premières séances Format Court à Paris. Le réalisateur d’avant-garde autrichien Peter Tscherkassky obtient, lui, une mention pour « The Exquisite Corpus ».

Pour info et rappel, toute la sélection de la Quinzaine (courts et longs) fera l’objet d’une reprise au Forum des images du 28 mai au 7 juin prochain.

Prix illy du court métrage : Rate me de Fyzal Boulifa (Royaume-Uni, Maroc, Too True Films)

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Synopsis : Portrait d’une escort girl adolescente : Coco.

Mention : The Exquisite Corpus de Peter Tscherkassky (Autriche, Prod. : Peter Tscherkassky)

The Exquisite Corpus-Peter Tscherkassky

Synopsis : The Exquisite Corpus est construit à partir de divers films érotiques ainsi que d’extraits de publicités. Je joue à la manière du «cadavre exquis» utilisé par les surréalistes, inventant une constellation de créatures magiques à partir de morceaux de corps. D’innombrables fragments s’entremêlent en un rêve sensuel, humoristique, macabre et extatique.

R comme Le Repas dominical

Fiche technique

Synopsis : C’est dimanche. Au cours du repas, Jean observe les membres de sa famille. On lui pose des questions sans écouter ses réponses, on lui donne des conseils sans les suivre, on le caresse et on le gifle. C’est normal, c’est le repas dominical.

Genre : Animation

Durée : 14’

Pays : France

Année : 2015

Réalisation : Céline Devaux

Scénario : Céline Devaux

Animation : Céline Devaux

Musique : Flavien Berger

Montage : Chloé Mercier, Céline Devaux

Voix : Vincent Macaigne

Production : Sacrebleu Productions

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Le Repas dominical de Céline Devaux

Drolatique + mélancolique à souhait, Le Repas dominical de Céline Devaux fait partie des 9 entrées sélectionnées au menu officiel du Festival de Cannes 2015. Demain, le jury présidé par Abderrahmane Sissako déterminera si ce film d’animation français remportera la Palme, une Mention spéciale ou rien du tout.

La réalisatrice n’est pas une inconnue dans le monde adulte de l’animation : Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine, son film de fin d’études, avait révélé cette ancienne étudiante de l’École Nationale des Arts Décoratifs de Paris, aujourd’hui illustratrice (en dernière page) de la revue Le 1.

Un synopsis ? C’est dimanche. Au cours du repas, Jean observe les membres de sa famille. On lui pose des questions sans écouter les réponses, on lui donne des conseils sans les suivre, on le caresse et on le gifle, c’est normal, c’est le repas dominical.

Porté par une partition extrêmement bien ficelée (signée Flavien Berger) et une voix reconnaissable entre tous (celle, cassée, de Vincent Macaigne, décidément de tous les coups/courts), Le Repas dominical démarre noir, jaune, vert, musical, sifflotant, alcoolisé, hurlant. C’est parti pour 14 minutes ininterrompues de voix, de sons, de dessins en tous genres. L’anti-héros, Jean, se rend donc comme chaque semaine au repas familial où les invariables et inégalables convives ordinaires (ses parents, ses vieilles tantes vierges et sa grand-mère) passent leur temps à picoler et à commenter son homosexualité vécue comme un « curieux mélange de défaite et d’exotisme ». Les ennuis ne tardent pas à se pointer en même temps que les éternelles questions fâcheuses (études, logement, vie perso et sexuelle).

D’un verre à l’autre, le particulier devient collectif et chacun se met à commenter la vie, le monde, les lampadaires, les taxes, etc. Là, tout s’emballe, le film, Macaigne, l’animation, la couleur, la musique, …. : ça hurle, ça s’agite, ça s’excite dans tous les sens, les voix se font écho, provoquant ici et là des sourires, des rires, des surprises et des clins d’œil au film précédent (cf. les fantasmes de la mère) ou à un peintre admiré (Magritte, par exemple).

Et puis, le film prend une toute autre tournure : des silences s’installent, la voix se calme en même temps que la musique. Jean commence à observer sa mère délurée qu’il aime et son père taciturne qu’il aime tout autant et referme à un moment la porte. Il sait bien qu’il reviendra dimanche prochain, que le même cirque recommencera et que l’observation de/par ses pairs reprendra comme à chaque fois.

Le tour de force de Céline Devaux est bel et bien de jouer sur les deux tableaux, le déluré et le mélancolique et de bien s’entourer (une production, Sacrebleu, en phase avec l’anim’ de qualité, un compositeur, Flavien Berger qui collabore à tous ses projets sans jamais avoir vraiment travaillé dans le cinéma, et un comédien, Vincent Macaigne qu’on n’attendait pas sur un projet pareil, animé donc). Visuellement, le film en jette, chaque plan faisant preuve d’originalité, de délire, lié autant à l’alcoolémie des sujets qu’à leur inconscient, et tout cela colle au tempo du film très bien rythmé.

Le film précédent, Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine était déjà porté par une voix-off , des décors en noir et blanc, la transformation des corps, un subtil mélange entre son et image et une petite dose d’humour. Seulement, ce projet de fin d’études n’allait pas toujours au bout des choses. Dans le cas présent, Devaux se lâche, tord ses personnages, règles ses comptes au passage avec quelques repas de famille douloureux, s’éclate, et chose intéressante, manie avec brio la couleur, la folie, les parti-pris (le son pluridirectionnel par exemple) et les variations musicales d’une séquence à l’autre. Souffle de liberté, transition nécessaire, étape professionnelle ? Le film est une sacrée réussite et devrait rallier bon nombre de convives à sa table, tant du côté des sélectionneurs que des spectateurs.

Katia Bayer

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Article associé : l’interview de la réalisatrice

# Cannes 2015

Cannes s’achève, les paillettes rentrent chez elles, le quotidien reprend ses droits. Voici notre focus évolutif autour des courts repérés et primés dans le festival le plus médiatique de la planète.

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Retrouvez dans ce dossier :

La critique de « Kung Fury » de David Sandberg (Suède, Quinzaine des Réalisateurs)

La critique de « Copain » de Jan et Raf Roosens (Belgique, compétition officielle)

Concours : 10 places à gagner pour la reprise des courts de la Semaine de la Critique à la Cinémathèque française

Cinéma de poche/Cinémathèque : reprise de la Cinéfondation 2015 aujourd’hui et demain

La critique de « Presente Imperfecto » d’Iair Said (Argentine, compétition officielle)

L’autre Palme d’or

Les films primés à la Cinéfondation

– Quinzaine des Réalisateurs, Prix Illy du court métrage 2015

La critique de « Le Repas dominical de Céline Devaux » (France, compétition officielle)

Les courts primés à la Semaine de la Critique

Semaine de la Critique 2015, les 10 courts et moyens sélectionnés

Quinzaine des Réalisateurs 2015, les 11 courts-métrages sélectionnés

Cannes 2015 : la sélection de la Cinéfondation

Cannes 2015, les 9 courts métrages en compétition officielle !

Abderrahmane Sissako, Président du Jury de la Cinéfondation et des courts métrages au prochain Festival de Cannes

Les courts primés à la Semaine de la Critique

En attendant de découvrir le palmarès de l’officielle cannoise demain soir, les différentes sections annoncent leurs palmarès personnels. Commençons avec la Semaine de la Critique qui a dévoilé hier ses deux prix liés aux courts sélectionnés. Pour info et rappel, toute la sélection (courts et longs) fera l’objet d’une rétrospective à la Cinémathèque française du 3 au 8 juin.

Palmarès

Prix Découverte Sony CineAlta : Varicella de Fulvio Risuleo (Fiction, 14′, 2015, Italie, REVOK S.r.l.)

Synopsis : La varicelle est inoffensive pour un enfant, mais elle peut être très dangereuse pour un adulte. Quand Maman l’apprend, elle s’inquiète pour son petit Carlo, qui ne l’a pas eue. Il grandit rapidement et il faut donc agir immédiatement. Elle doit trouver le moyen de le rendre malade. Mais qu’en pense Papa?

Prix Canal + : Ramona de Andrei Crețulescu (Fiction, 20′, 2015, Roumanie, KINOSSEUR PRODUCTIONS)

Synopsis : Une fille. Une voiture. Une nuit. Aucune coïncidence.

Héloïse Pelloquet : « Je voulais raconter dans mon film la naissance d’une individualité à l’intérieur d’un groupe d’enfants, élaborer un parcours pour quitter le protagoniste sur un geste d’émancipation »

En avril dernier, Format Court a décerné un prix au moyen-métrage « Comme une grande » lors de la dernière édition du festival de Brive. Cette chronique adolescente simple et émouvante, projetée jeudi dernier lors de la séance Format Court, avait convaincu notre jury par l’élégance de sa mise en scène et la révélation d’une jeune actrice pleine d’énergie et de fantaisie, Imane Laurence. Rencontre avec Héloïse Pelloquet, la réalisatrice du film, et son actrice.

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© Marion Mirou-Sirot

Héloïse, comment es-tu arrivée au cinéma ?

Héloïse Pelloquet : Mes parents font du théâtre. Mon père est metteur en scène et je l’accompagnais souvent sur ses répétitions quand j’étais petite. Je crois que mon goût pour le jeu et la fiction est né de là. En grandissant, je suis partie faire des études littéraires à Paris, avec l’envie d’intégrer la Fémis par la suite. Je pense que j’ai voulu intégrer la section montage à cause de mes souvenirs du club vidéo au lycée où l’on bricolait des films en groupe et où l’étape du montage était toujours un peu délaissée car elle nécessitait beaucoup de patience. Moi, j’adorais ça, alors je m’y suis mise et j’ai commencé à me passionner pour ce travail et à observer plus attentivement le montage dans les films.

La Fémis a pour grande qualité de donner à ses étudiants la possibilité d’explorer plusieurs disciplines. J’ai pu donc y réaliser des films en même temps que j’y apprenais le montage. Je me suis rendue compte que la réalisation me plaisait tout autant car cette activité enrichissait mon travail de monteuse et inversement. Aujourd’hui, je ne veux pas me poser de question de statut, et j’aimerais pouvoir continuer à travailler en tant que monteuse sur les projets d’autres cinéastes tout en continuant à réaliser mes propres films.

Le cœur de ton film de fin d’étude « Comme une grande » semble être la personnalité d’Imane, sa singularité étant le principal moteur de la fiction dans le film. Comment vous-êtes vous rencontrées et à quel moment as-tu décidé de réaliser un film dont elle serait l’héroïne ?

H.P. : Imane est la fille d’amis de la famille. Je l’ai connue alors qu’elle était toute petite, j’étais sa baby-sitter. Pour ce court-métrage, j’avais envie de filmer l’adolescence, de raconter une fiction autour de cet âge et de l’inscrire dans le cadre de la ville de Noirmoutier. Je savais qu’Imane avait envie d’être comédienne depuis ses sept ans, et l’idée de lui faire jouer le premier rôle s’est rapidement imposée à moi. Pas seulement parce que je la connaissais très bien, mais parce que j’ai perçu chez elle un appétit pour le jeu, une disponibilité et une liberté dans sa façon de communiquer avec les adultes qui faciliterait le dialogue et nous permettrait de construire un personnage ensemble.

De fait, son parcours et sa personnalité ont croisé ceux du personnage du film. La campagne pour devenir représentante de sa région, par exemple, est un épisode qu’Imane a réellement vécu. Je trouvais que tous ces éléments rendaient sa personnalité singulière et correspondaient au caractère que je recherchais pour le personnage, celui d’une fille téméraire, impatiente de grandir et avant tout battante, résolue.

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Comment avez-vous construit le personnage et son itinéraire à l’intérieur du film ?

H.P. : Pour moi, l’adolescence est un âge où l’on se définit beaucoup par rapport aux autres. Je voulais raconter progressivement la naissance d’une individualité à l’intérieur d’un groupe d’enfants, élaborer un parcours pour finalement quitter le protagoniste sur un premier geste d’émancipation. J’ai donc assez rapidement eu besoin de constituer une bande d’amis autour du personnage d’Imane, et elle m’a présenté ses quatre camarades que j’ai trouvé superbes, chacun avec sa personnalité bien distincte. Nous avions déjà élaboré la trame du personnage d’Imane à ce moment là, et nous l’avons enrichie de tout ce que pouvaient apporter les personnages secondaires pour qui les rôles étaient écrits sur mesure.

Nous avons mélangé différents profils pour constituer le casting du film : les parents d’Imane jouent leurs propres rôles, le personnage de la cousine est interprété par ma sœur qui est comédienne, un des professeurs de l’école est campé par un acteur alors que c’est leur vraie professeur de musique qui apparaît dans le film, … J’avais envie que les personnages secondaires aient tous leur place à part entière, que l’on prenne le temps de les regarder de la même façon que le personnage principal. J’y accordais une attention particulière, car les enjeux du film se dessinent à travers le regard qu’Imane pose sur les autres, la manière dont elle se positionne par rapport à son entourage, ce qu’elle projette chez les uns et chez les autres.

La narration du film est ponctuée de courtes séquences enregistrées sur différents supports, comme la webcam ou la caméra du téléphone portable. Elles interviennent comme autant d’instantanés qui documentent le quotidien des personnages et nourrissent le récit. Quelle est la nature exacte de ces vidéos et à quel moment avez vous décidé de les intégrer au film ?

Imane Laurence : J’avais réalisé certaines vidéos qui apparaissent dans le film des années avant le début du tournage, comme la première séquence où j’imite Hanna Montana devant ma webcam. J’avais pris l’habitude depuis mes dix ans de tourner des vidéos, seule ou avec mes amis, sans penser qu’un jour elles seraient utilisées dans un film de cinéma. Pour d’autres vidéos, Héloïse nous donnait des indications en nous demandant de jouer des scènes avec nos propres mots.

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H.P. : Là aussi, tout est un peu mélangé. Certaines vidéos sont préexistantes au film, d’autres ont été mises en scène au moment du tournage. J’ai passé aussi commande aux acteurs de vidéos entre les différents moments du tournage. Je ne voulais pas m’imposer de dogme moral quant à l’authenticité de ces séquences au fort aspect «documentaire». Pour moi, ces instantanés font partie intégrante de la fiction, il ne fallait pas avoir peur de jouer avec au moment de leur conception.

Ces vidéos nous ont beaucoup aidés au moment de l’écriture dans un premier temps pour élaborer le récit, puis essentiellement au moment du montage. Je m’étais un peu égarée au début du processus, en essayant de les intégrer de manière un peu artificielle dans chaque séquence. Elles ont trouvé leur place lorsque j’ai décidé d’en faire des séquences à part entière, ce qui m’a permis de donner au film une forme plus fragmentaire et elliptique. Ces vidéos fonctionnent comme des leviers de discontinuité, elles permettent de créer des ruptures de rythme et surtout de basculer à la première personne en nous invitant dans la subjectivité d’Imane.

Comment s’est déroulée la direction d’acteur au moment du tournage ?

I.L. : Nous n’avions pas de texte à apprendre, Héloïse nous donnait juste une direction avec les sujets qu’il fallait aborder dans les scènes en nous laissant les transformer avec nos mots. Je pense que c’était une façon pour elle de nous rendre plus naturels face à la caméra, de nous mettre à l’aise.

H.P. : J’ai recherché d’emblée un jeu assez naturaliste et la direction d’acteur s’est précisée au fur et à mesure du tournage qui s’est étalée sur quatre saisons et s’est déroulé dans la chronologie. La mise en place des séquences impliquait toujours un canevas assez précis, tout en conservant la possibilité de s’ajuster et d’intégrer les accidents et les imprévus provenant du jeu des acteurs ou des aléas du tournage. Les acteurs découvraient le scénario au fur et à mesure et vers la fin du tournagen on avait trouvé une méthode assez efficace : je leur donnais à tous rendez-vous une heure avant l’équipe sur les décors et je leur faisais répéter les scènes que l’on présentait ensuite à l’équipe. Cela nous permettait de régler la technique et d’être très précis dans le découpage sans perdre pour autant la spontanéité de leur jeu. 17130

« Comme une grande » s’inscrit dans un genre très codifié, celui de la chronique adolescente dont le modèle canonique serait « À nos amours » de Maurice Pialat, avec ce dispositif qui consiste à révéler un acteur ou une actrice débutante et à raconter sa découverte d’un nouvel âge en même temps que sa découverte du jeu. Ce qui émeut dans ton film, c’est qu’on a la sensation d’assister véritablement à la naissance d’une actrice car Imane s’amuse avec le rôle et donne énormément de sa personne. Avais-tu des références conscientes, en amont du tournage ou pendant son déroulement ?

H.P. : Je pense que je suis pétrie de références, mais elles ne m’influencent pas lorsque je suis en tournage. Néanmoins, certaines de ces références nous ont été utiles lors de la préparation. Avec mon chef-opérateur, Augustin Barbaroux, on a par exemple visionné certaines scènes des films de Pialat, notamment la scène de repas en extérieur de «Loulou» pour comprendre comment on met en scène l’énergie d’un groupe, comment on chorégraphie ça. Je suis très sensible à l’énergie que dégagent les acteurs, et chez Pialat cette qualité de jeu est éclatante.

Je n’ai pas un goût spécialement prononcé pour le naturalisme, je ne réfléchis pas en terme de genre lorsque j’imagine un film. Là, je prépare un nouveau court-métrage qui ira plus franchement du côté de la fable, du romanesque et où l’on se concentrera sur un autre adolescent découvert dans la bande d’amis de « Comme une grande ». Je souhaite tout de même conserver ce type de jeu dit « naturaliste », car je travaille avec des acteurs non-professionnels et que je préfère m’ajuster à eux plutôt que de les manipuler.

Peux tu nous en dire un peu plus sur ce futur court-métrage ?

H.P. : Il sera à nouveau tourné à Noirmoutier. J’adore ce cadre et je pense qu’il y a encore beaucoup de choses à faire avec ses espaces. Je voudrais exploiter plus en profondeur l’aspect insulaire de ce décor en suivant un personnage principal qui sera campé par Mattis, l’un des enfants du groupe d’amis de « Comme une grande ». Imane sera aussi de la partie, elle jouera dans le film un rôle récurent. Comme je l’ai déjà dit, je souhaite aller plus loin dans la fable et assumer encore plus la fiction dans les parti-pris de mise en scène. Je commence également l’écriture du scénario d’un film plus long.

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Imane, on t’a découverte comme actrice dans le film, mais on a également remarqué ton envie de filmer, de te mettre en scène à travers toutes ces vidéos que tu réalises toi-même. Vas-tu continuer à jouer, et éventuellement chercher à réaliser tes propres films ?

I.L. : Se mettre en scène dans des vidéos, c’est quelque chose que l’on fait tout le temps avec mes amis, c’est dans l’ère du temps. Je le fais sans me poser de questions, je n’envisage pas particulièrement de réaliser des films de façon plus travaillée, j’ai très envie de continuer à jouer, et je vais prendre des cours de théâtre au lycée pour perfectionner mon jeu. J’aimerais beaucoup continuer à jouer pour le cinéma, avec Héloïse ou d’autres réalisateurs.

Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois

Article associé : la critique du film

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Héloïse Pelloquet, Prix Format Court au Festival de Brive

En avril dernier, le jury composé de Georges Coste, Nadia Le Bihen, Aziza Kaddour et Marc-Antoine Vaugeois a choisi de décerner le Prix Format Court au film « Comme une grande » de Héloïse Pelloquet lors de la dernière édition des Rencontres du moyen-métrage de Brive. L’ancienne étudiante de la Fémis diplômée de la section montage a également séduit les différents jurys du festival (le jury officiel qui lui a remis le Grand Prix France ainsi que le public qui lui a attribué son prix) avec cette chronique adolescente où fiction et documentaire se mélange avec brio, livrant un portrait de jeune fille saisissant porté de bout en bout par son actrice principale : Imane Laurence. Dans le cadre du Prix Format Court, le film a été projeté le jeudi 14 mai dernier au Studio des Ursulines (Paris, 5è) avec d’autres court-métrages lauréats de Prix Format Court.

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Retrouvez dans ce dossier :

La critique du film

L’interview de Héloïse Pelloquet et Imane Laurence

Festival CourtsCourts, appel à films

Pour la sixième année, le festival CourtsCourts lance son appel à films. Du 23 juillet au 25 juillet, ce festival atypique dans les collines du haut Var attire plus d’une centaine de spectateurs pour assister aux projections chaque soir, en plein air.

Pour sa prochaine édition, le festival lance son appel à films jusqu’au 24 mai. Tous les genres sont admis, fiction, animation, humour, documentaires,… d’une durée maximale de 20 minutes.

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Une compétition de courts métrages est organisée le samedi 25 juillet pour et avec les moins de 10 ans. Les films (5-10 minutes) destinés à ce jeune public peuvent également concourir au Prix des Pichoun.

Téléchargez le règlement et la fiche d’inscription sur le site du festival : www.festivalcourtscourts.fr

Comme une grande de Héloïse Pelloquet

Cette année, le jury du Prix Format Court à Brive a craqué pour une jeune adolescente dont l’enfance investit brillamment le moyen métrage, « Comme une grande », premier film d’Héloïse Pelloquet, sortie dernièrement de la Fémis, dont le dispositif renverse les codes habituellement associés aux films sur le passage à l’âge adulte. Petite tentative de décryptage après sa projection jeudi 14 mai au Studio des Ursulines (Paris, 5è) dans le cadre de son prix.

De Chaplin à Pialat en passant par Céline Sciamma, Peter Bogdanovich ou Richard Linklater, la vie à hauteur d’enfant est un thème inépuisable au cinéma. Pourquoi ? Il est difficile, voire impossible pour tout un chacun de se remémorer dans toute sa précision les premiers émois de l’enfance. Aussi, le cinéma agit comme un catalyseur de souvenirs. Au spectateur de se demander ce qui le concerne ou ce qu’il appréhende de sa propre enfance avec sa sensibilité d’adulte à travers l’identification à un personnage plus jeune que lui.

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Même dans cette définition de départ d’un sous-genre que pourrait être « le film d’enfance », le moyen-métrage « Comme une grande » d’Héloïse Pelloquet détonne. Sa durée surprend déjà car il nous propose de parcourir en un peu moins de trois quarts d’heure, quatre saisons dans la vie d’une petite fille qui bascule peu à peu dans l’âge adulte.

Le tour de force de rendre crédible ce long portrait détaillé est relevé haut la main par la réalisatrice mais également par la jeune actrice, Imane Laurence, 13 ans, dont c’est le tout premier rôle de cinéma…mais pas forcement devant une caméra.

En effet, à sa manière, « Comme une grande » fabrique un dispositif original pour filmer l’enfance. Ayant remarqué que sa jeune actrice aimait se filmer elle-même devant une webcam ou avec son téléphone portable, parfois même avec ses amies, Héloïse Pelloquet a récupéré, avec son accord, certaines de ces vidéos, sans même avoir à lui confier une caméra pour le projet du film. Au-delà du dispositif classique qui consiste à montrer l’enfant dans un environnement recrée, ici, il s’agit des propres outils d’image de l’enfant en question.

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À la faveur de l’éclosion des jouets numériques, il semble, pour Imane et pour nous spectateurs par la même occasion, que les distances entre l’histoire racontée et l’image saisie soient abolies. On se surprend à apprécier les imperfections de l’image, son grain, le flou, les images verticales (la marque des images tournées avec un téléphone portable), car elles nous amènent au plus près de la vie du personnage, et ce avec une grande pudeur, sans jamais tomber dans le voyeurisme morbide, mais au contraire, avec une grande vitalité, celle de la jeune actrice du film, jouant sa propre vie.

Ces petits moments purement authentiques sont enchâssés dans un récit d’une grande rigueur, enchainant les rites de passage à l’âge adulte. On trouve dans le film une scène de déjeuner de famille, un passage avec des garçons, une scène de dernier jour d’école, un séjour de la cousine montée à Paris où la jalousie d’Imane est bien palpable.

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Dans cette autre série de séquences, il y a un dispositif novateur dont on ne saisit que les contours mais qui crée une distance idéale par rapport au personnage. On sent bien que ces scènes ont été tournées par la réalisatrice avec ce surplus de réalisme que seule la proximité permet. Par exemple, quoi de plus évocateur que ces enfants et pré-adolescents noirmoutrins discutant de leur avenir une fois qu’ils auront quitté leur ile ? Et que dire de la présence des parents, manifestement bien connus de la réalisatrice ?

Héloïse Pelloquet réussit donc à nous replonger en enfance grâce à ce lien ténu entre fiction et documentaire, entre authenticité brute et refabrication précise. Un beau moment de cinéma et de vie aussi.

Georges Coste

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Article associé : l’interview de Héloïse Pelloquet et Imane Laurence

C comme Comme une grande

Fiche technique

comme une grande

Synopsis : Un an de la vie d’Imane, au bord de l’océan. Un jour Imane sera grande. En attendant, il y le collège, les copines, les garçons, l’été, les vacanciers de passage, l’hiver, les projets, les rêves.

Genre : Fiction

Durée : 44’

Pays : France

Année : 2014

Interprétation : Imane Laurence, Océane Catrevaux, Margot Québaud, Mattis Durand, Mahaut Thuillier, Margot Pelloquet

Scénario : Rémi Brachet, Héloïse Pelloquet

Image : Augustin Barbaroux

Son : Marion Papinot, Lucas Héberlé

Montage : Héloïse Pelloquet

Musique : Arthur Pelloquet

Production : La Fémis

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Joanna Lorho, Prix Format Court au Festival d’Angers 2015

L’animation n’est pas la spécificité du festival Premiers Plans d’Angers. C’est pourtant dans cette section moins connue du festival que nous remettons un Prix Format Court depuis deux ans. Début janvier, nous avons primé « Kijé », un premier film d’une jeune réalisatrice autodidacte, Joanna Lorho. Le film a été projeté le jeudi 14 mai au Studio des Ursulines pour une séance spéciale autour des Prix Format Court, en compagnie de 3 autres films radicaux et pertinents, réalisés par de nouveaux réalisateurs prometteurs etprimés par notre équipe aux festivals Go Short (Nijmegen/Pays-Bas), IndieLisboa (Portugal) et Brive (France).

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À Angers, le Jury Format Court (composé de Amaury Augé, Katia Bayer, Géraldine Pioud et Nicolas Thys) avait choisi de récompenser « Kijé », un film extrêmement maîtrisé, tout en nuances de noir et de gris, peuplé d’âmes errantes, de fantômes et de créatures hybrides. Un film étrange, un trait parfois proche de l’esquisse, un monde nocturne angoissant et paradoxalement empreint d’une grande douceur, un stylé épuré et personnel.

Après avoir projeté le film à Paris et en attendant un nouveau film de la jeune réalisatrice (dont le DCP sera doté par notre partenaire, le laboratoire numérique Média Solution), nous vous invitons à consulter son focus en ligne, entre esquisses, petits pas et apprentissage en solitaire.

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Retrouvez dans ce dossier :

Joanna Lorho : Contraintes & doutes, animation & maturation

La critique du film

« Kijé » de Joanna Lorho en DVD

Joanna Lorho : Contraintes & doutes, animation & maturation

Il s’agit d’un premier film très maîtrisé, tout en noir et gris, au trait épuré, porté par une musique magnifique. Son nom ? « Kijé », un curieux titre qui a révélé un nouveau talent au dernier Festival d’Angers : Joanna Lorho, lauréate de notre Prix Format Court. Dans le cadre du focus qui lui est consacré, la jeune réalisatrice bretonne installée à Bruxelles est revenue sur son parcours, son univers, ses difficultés et son lien à l’illustration et à l’animation. Jeudi passé, nous avons diffusé son film au Studio des Ursulines (Paris, 5è) et organisé une exposition autour de son travail. Aujourd’hui, nous vous proposons de faire la connaissance de son auteure.

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© Makan E-Rahmati

Comment es-tu arrivée à l’animation sans l’avoir étudiée au préalable ?

Je n’ai effectivement pas suivi de formation en animation. Je viens des Beaux-Arts de Rennes, une formation assez pluridisciplinaire mais dans laquelle je ne m’épanouissais pas entièrement. J’ai ensuite fait un an d’illustration à l’école Saint-Luc, à Bruxelles, mais ça n’a pas été le coup de foudre non plus. À coté de cela, j’ai toujours nourri une passion pour la musique classique que j’ai étudiée jusqu’à mes 19 ans. L’animation est finalement venue comme un médium qui pouvait réunir à la fois mes deux centres d’intérêt, le dessin et la musique.

Comment as-tu appris à animer ?

J’ai vraiment appris à le faire avec « Kijé ». Ce film s’apparente à un travail de fin d’études qui a mis beaucoup de temps à se faire. Il y a des bouts de ce film qui ont été réalisés alors que je savais à peine animer et d’autres qui sont beaucoup plus récents. J’ai voulu tout faire, l’animation, la musique, et c’est en partie pour cela que j’ai mis autant d’années à le terminer. Ça a été assez compliqué, j’ai eu du mal à le construire, à vivre avec pendant autant d’années. Il y a encore certaines scènes que j’aurais voulu refaire encore et encore, mais au bout d’un moment, il faut savoir mettre fin à un projet. Quand on est autodidacte, il y a des moments de doute et finalement personne à qui se référer.

Pourquoi avoir fait ce film toute seule ?

Pour déléguer, il faut savoir où l’on va, ce que l’on veut. Ce projet était tellement expérimental que c’était compliqué de faire intervenir d’autres personnes. Je n’aurais pas su comment et à qui déléguer des tâches, finalement.

Quelles ont été les références de « Kijé » ?

« Kijé » fait référence à une musique de Prokofiev. Au départ, je voulais illustrer la suite du « Lieutenant Kijé », une musique qui a été écrite pour un film qui n’a jamais eu lieu, mais comme les droits de l’œuvre appartiennent à Universal, le projet était inaccessible pour moi. J’ai reconsidéré l’idée initiale et fait un film dont la structure et la musique étaient juste inspirées de Prokofiev. Progressivement, un univers fantastique s’est installé, il m’a été inspiré par la musique à la fois grotesque et inquiétante.

Même si tu as fait ce film en solitaire, tu as eu l’opportunité de travailler avec deux structures de production belges, Zorobabel et l’Atelier Graphoui. Quel a été leur rôle ?

Ce sont des structures qui aident beaucoup les films d’animation à se concrétiser. Je suis arrivée avec un projet très bizarre, très largement inspiré de la musique. La technique, je l’ai cherchée jusqu’au bout et leurs équipes m’ont laissée faire. Caroline Nugues m’a été très précieuse, elle m’a beaucoup aidée et épaulée. Vers la fin du projet, j’avais beaucoup de doutes. J’ai été conseillée quant aux éléments qui me paraissaient flous. On m’a beaucoup soutenue tout en me laissant aller à mon rythme. J’avais besoin de temps, de réaliser d’autres projets en parallèle. J’ai commencé celui-ci en 2008 et « Kijé » n’a été montré qu’en octobre 2014. C’est génial de pouvoir prendre son temps de cette manière, mais c’est à double tranchant car j’ai quand même souffert de porter ce projet aussi longtemps.

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Qu’est-ce que la forme du court métrage t’a apporté sur ce projet ?

Le court métrage est parfait pour l’animation. On peut expérimenter beaucoup plus de choses qu’en fiction et l’équipe est plus réduite. Le format du clip est idéal selon moi. Je trouve qu’une durée de 3 à 5 minutes est très intéressante pour pouvoir développer une histoire. Après une heure, ça devient un autre monde et je sens que ça ne me tente pas du tout.

Tu as envie de te relancer dans un autre projet ?

Pas pour le moment. J’ai mis tellement de temps pour réaliser « Kijé » que je ne me vois pas réaliser un deuxième court métrage dans l’immédiat. Par contre, un clip ou une collaboration me tente, parce que j’aimerais être plus entourée dans mon prochain projet. J’ai envie d’échanges qui faciliteraient et accélèreraient le processus.

Certains animateurs disent beaucoup en peu de traits. D’autres se réfugient derrière la technique et se détournent du message. Quels sont ceux qui t’intéressent ?

Je m’intéresse au travail de Carl Roosens et Noémie Marsily que je fréquente et qui se sont mis à l’animation à peu près au même moment que moi. J’aime aussi les films de Gianluigi Toccafondo.

L’animation, en tant que médium, doit être justifiée. Elle permet des choses innovantes, inédites qui ne peuvent être réalisées que par ce biais. Faire une animation dont le sujet peut être aussi bien développé et percutant qu’en fiction me semble pauvre d’intérêt.

Tu m’as dit vouloir te recentrer sur des illustrations autour de la jeunesse…

La BD et l’illustration m’ont toujours paru plus faciles. Les projets peuvent être faits sur des périodes beaucoup plus courtes et cela demande moins de travail.

As-tu une idée du nombre de dessins que tu as pu réaliser pour « Kijé » ?

J’ai fait un gros travail d’archivage : toutes ces années de travail sur le même projet m’ont donné envie de garder des traces. J’ai environ 8.000 dessins dont beaucoup de travaux de recherche et de dessins de foules également. J’anime les personnages par couche, par superpositions, il y a donc beaucoup de calques.

Au-delà de la question du temps, as-tu rencontré d’autres contraintes sur ce projet ?

J’ai le syndrome de l’autodidacte, j’ai toujours l’impression de recommencer à zéro. En animation, ma technique est marquée par la contrainte. Par exemple, pour le passage où Kijé commence à se faire enlever par la foule, j’ai commencé à travailler à l’huile et au crayon, j’étais dans la pratique pure. J’ai mis 6 mois pour faire cette scène, je commençais à devenir folle. Si on y prête attention, on peut voir au milieu de la scène un changement de technique : d’un coup, le dessin s’allège. Je n’avais pas le choix, il était nécessaire de faire des compromis. Ces concessions ont, au départ, été lourdes pour moi, mais nécessaires pour aller au bout de mon projet. Je suis contente d’y être arrivée !

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Paola Casamarta

Articles associés : la critique du film, « Kijé » de Joanna Lorho en DVD

La bonne info : « Kijé » est disponible à la vente. Co-édition : Zorobabel, Graphoui et La Cinquième Couche. Prix : 9 € (+ frais d’envoi). Si vous souhaitez vous procurer le DVD & son livret, contactez-nous.

The Mad Half Hour de Leonardo Brzezicki

Hors passion

Rares sont les courts-métrages auxquels l’adjectif ludique s’appliquerait aussi bien qu’au nouvel opus de l’Argentin Leonardo Brzezicki, The Mad Half Hour. En compétition à la Berlinale ainsi qu’au dernier festival IndieLisboa (où il a obtenu le Prix Format Court), le film réunit le temps d’une nuit à Buenos Aires quelques gais éléments qui, tout en se déliant, se rapprochent dans le sentiment – que ce dernier soit amoureux ou fraternel. Les personnages sont autant de pions que Leonardo Brzezicki parvient à articuler dans une trajectoire photographique en noir et blanc, dont on retient davantage les variations de gris, les ombres, que l’opposition chromatique. Il faut dire que le jeu n’est pas seulement lié aux déplacements surprenants des personnages, à leurs changements d’humeur, à leurs abandons à répétition, à leur soif d’absolu, à leur tristesse mêlée à une joie insensée, à leurs visions extatiques; car ce qu’on retient de cette folle demi-heure est davantage l’espace béant qui régit indéniablement les rapports. Le jeu, c’est aussi ce qui provoque le frottement, voire la panne, c’est l’espace qu’il y a entre deux pièces, deux règles, au sein d’une mécanique a priori bien huilée. Inutile de dire que le contexte nocturne semble aider à la mise en place de ce chassé-croisé enlevé, où la joie s’allonge sans vergogne dans le désenchantement.

Jeu de société. Tout commence sur un terrain de tennis. Un rêve d’abord, raconté par un frère à sa sœur, qui ouvre le film à travers une image d’archives : on voit un homme tenter de maîtriser un cheval à terre, dans une forme d’étreinte peu banale. Raconter ce rêve au lieu de s’adonner à l’activité sportive, cela signifie tenter de faire quelque chose d’un imaginaire perturbant, qui a du mal à s’intégrer dans le fil de la perception. Et la mise en scène, fondée sur l’embarras des corps et l’inquiétude neutre des visages, vient appuyer une forme d’absurdité du contact. Dans l’air filmique, émerge déjà un embarras de communication, provoquant un rictus chez le spectateur. Le comique de situation est recherché, avec une pointe de systématisme forcé. La première règle du jeu est révélée : en vain, les corps contrôlent ce qu’ils sont. Cut.

Sur le terrain de tennis attenant, on assiste à une crise. Il s’appelle Juan et s’arrête de jouer. La tête dans ses jambes, les mains sur ses cuisses, Juan n’en peut plus. Aveu d’impuissance ? De faiblesse ? Pas si sûr : plutôt un aveu d’envie. Son petit ami lui demande pourquoi. Juan répond simplement : « Je n’ai plus la passion. » Il épilogue ensuite avec difficulté sur l’absurdité de faire ce qu’on fait. Mais le mot passion est ici à prendre à tous les niveaux, et cesser de jouer se réfère (évidemment, mais pas seulement) à l’essoufflement de la relation amoureuse. Juan sort du terrain, laissant son partenaire en plan. Fin de partie. Cut. Dans un bar-karaoké. Juan et son petit ami s’enivrent, un micro à la main, face à l’écran enchanté. Un rebond ? Non, plutôt une ivresse amère. Comme s’il fallait en finir mais qu’on ne savait pas comment.

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On saisit bientôt ce que The Mad Half Hour veut dire; plus qu’une folle balade, Leonardo Brzezicki montre une série de tableaux mouvants et drolatiques dans lesquels chacun est hanté par une force intérieure, par l’idée de perte peut-être, ou bien par l’insensé. Là, des éléments extérieurs entrent en jeu pour révéler ce qui est (a été ?) laissé sur le chemin; un poteau sur lequel se cogne Juan, une toile d’araignée musicale dans laquelle ce même Juan se faufile, une vidéo projetée sur un mur (ces mêmes images qui servaient de support au rêve du frère au début du film). Prosaïquement, il s’agit de la visite d’une galerie d’art contemporain. Filmiquement, on dirait que les personnages curieux sont littéralement avalés par cet étrange contexte et que cette exploration ne donne lieu à aucun saisissement de la raison; les hantises peuvent être dépassées par une obscure fantaisie. Telle était la formule que le réalisateur avait déjà développée dans Noche — un long-métrage courageux sur le deuil qu’on avait découvert au Festival des Nouveaux Horizons de Wrocław en 2013.

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Tu joues aux confins avec moi ? La trajectoire des deux hommes (re-)croise ainsi celle du frère et de sa petite sœur — oui, ceux-là même du début du film —, auxquels s’ajoutent une autre sœur, plus âgée celle-là, et une (son ?) amie. La ville semble n’appartenir qu’à cette troupe de badauds bien trop beaux pour contredire leurs impulsions. Et la narration s’embrouille, s’enfuit au loin. C’est là que la mise en scène sort le grand jeu et nous délivre la deuxième règle : besoin de (se) fuir. Aussi la ville devient-elle forêt. On voit Juan et son petit ami avancer lentement dans cette jungle inattendue, dans lequel ils sont venus faire l’amour — la référence au Chant d’amour de Jean Genet est évidente. Au loin, on voit et entend les femmes s’enlacer en déclamant de la poésie amoureuse (“J’achèterai plusieurs dragons pour que personne ne t’approche / Mais je permettrai à l’humanité de t’espionner et partager avec elle, mon extase”) et les chats se dotent d’un troisième œil. Tout se déréalise pendant que prennent place les rapports charnels, jusqu’au constat d’une perte finale. L’amant de Juan s’en va, la seconde partie de la paire disparaît. Juan reste seul, sans plus aucune possibilité d’avancer. Il ne sait plus, de son amant ou du chat à trois yeux, qui chercher. Leonardo Brzezicki termine par une adroite pirouette scénaristique, une irrésistible poussée destructrice et mystique vers les formes cylindriques dressées verticalement (en l’occurrence, des troncs d’arbres). On s’empêchera d’y voir une quelconque métaphore phallique. On en restera là. Malgré les tentatives de rendre comique la réalité filmée, on retiendra la face plus tragique du jeu; la présence d’une solitude fantasmatique qui échappe et qui s’impose. On laisse donc Juan dans cette forêt, inconscient, non pas face à lui-même, mais face à un monde qui le hante et qui le perd. Cut.

Mathieu Lericq

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Article associé : l’interview de Leonardo Brzezicki

M comme The Mad Half Hour

Fiche technique

Synopsis : “The Mad Half Hour” laisse émerger les doutes existentiels d’un jeune couple dans les rues de Buenos Aires.

Genre : Fiction

Durée : 22′

Pays : Argentine, Danemark

Année : 2015

Réalisation : Leonardo Brzezicki

Scénario : Leonardo Brzezicki

Image : Fernando Lockett

Son : Nahuel Palenque

Interprétation : Julian Larquier, Diego Echegoyen, Laila Maltz, Martina Juncadella, Abril Karas, Ian Wohlgemuth, Nadia Sandrone

Production : Rewind my future

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H comme Headlands Lookout

Fiche technique

Synopsis : Headlands Lookout est un documentaire expérimental centrée un tronçon spectaculaire de la côte du Pacifique à l’entrée de la baie de San Francisco. Le film traverse le paysage culturel et naturel de la région, en présentant un environnement «sauvage» traversé par l’activité humaine.

Genre : Documentaire expérimental

Durée : 23’55

Année : 2014

Pays : États-Unis

Réalisation Jacob Cartwright et Nick Jordan

Image, montage et son : Jacob Cartwright et Nick Jordan

Production : Headlands Center for the Arts

Article associé : la critique du film

Headlands Lookout de Jacob Cartwright et Nick Jordan

Présenté dernièrement en compétition Silvestre au festival IndieLisboa 2015, « Headlands Lookout » est un documentaire expérimental coréalisé par Jacob Cartwright et Nick Jordan. Ce court métrage, commandé par le Headlands Center of the Arts, présente, au milieu de la brume caractéristique de la région de San Francisco, les paysages désertés du comté de Marin, en Californie. Headlands- Lookout- Jacob- Cartwright- Nick- Jordan

Le documentaire raconte l’histoire de ce lieu, à travers ses collines, ses ruines modernes et sa base militaire laissée à l’abandon. Les images d’étendues vierges, où les visiteurs de passage s’attardent, sont accompagnées d’enregistrements d’archives, de lectures de textes et de poèmes de Gary Snyder, d’Elsa Gildow, de Michael McClure ou encore d’Alan Watts. Les réalisateurs ne les ont pas choisi au hasard : tous vécurent dans le comté, sur le mont Tamalpaìs, où ils créèrent une communauté appelée « Druide Heights ». Ces écrivains, poètes, philosophes de la contre-culture y vivaient dans ce qu’ils appelaient « la pauvreté bohème partagée ». Adeptes de la méditation, ils tentaient de trouver une manière de vivre en adéquation avec la nature et leur environnement. Témoignage de ce mode de vie particulier, les images nous mènent à la découverte de la maison d’Alan Watts, apôtre de la culture Zen.

Outre ces enregistrements, de brefs messages provenant de la centrale d’appel du shérif du comté ponctuent tout le film. Une voix féminine énonce les plaintes, les accidents, les altercations qui se sont produits dans le comté. Les faits évoqués tour à tour illustrent ou s’opposent aux images montrées. Le jeu de va-et-vient entre image et son, passé et présent, est permanent.

Au milieu de cet univers, un homme, le seul personnage récurent du film, s’introduit dans la maison abandonnée, encore décorée de statuettes bouddhistes, d’Alan Watts. Il tente, comme le philosophe en son temps, de communier avec la nature grâce à la méditation. La récitation de textes révélant les préceptes du penseur accompagne son cheminement spirituel. L’homme porte un uniforme de l’US Army, ce qui fait écho à un autre morceau de l’histoire de Marin, sa base militaire. Ainsi apparaît le lien entre les différentes thématiques évoquées tout au long du film.

Des images d’archive montrant le lancement d’un missile américain se superposent à celles du même lieu, aujourd’hui désaffecté. Le bruit sourd des moteurs contraste avec la quiétude actuelle. Le bruit de même que le silence est l’un des fils conducteurs du film. Le clapotis des vagues, le vent qui souffle entre les arbres, le chant des grillons ou le bourdonnement des abeilles s’opposent au bruit provoqué par la présence humaine et énoncé dans les différents enregistrements. L’origine des sons, sa perception par l’oreille humaine est d’ailleurs questionnée par l’un des philosophes alors que les images dévoile l’océan.

Dans ce documentaire expérimental, les réalisateurs ne se contentent pas de nous faire découvrir un lieu, ils nous en révèlent l’âme. Présenté comme un havre de paix et de spiritualité, cet espace rendu à la nature apparaît comme une parenthèse dans le monde où l’on vient s’échapper, se ressourcer, se couper du quotidien des hommes.

Paola Casamarta

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Nouveau Prix Format Court au Festival Le Court en dit long !

La 23ème édition du festival de courts métrages belges Le Court en dit long se tiendra du 1er au 6 juin prochain au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris. Format Court y attribuera pour la première fois un prix au sein de la compétition. Le Jury Format Court (composé de Sylvain Angiboust, Katia Bayer, Juliàn Medrano Hoyos et Paola Casamarta) élira le meilleur court en compétition parmi les 44 films sélectionnés, à l’issue du festival.

Le court-métrage primé bénéficiera d’un focus spécial en ligne, sera programmé lors d’une prochaine séance Format Court organisée au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) et bénéficiera d’un DCP doté par le laboratoire numérique Média Solution.

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Films en compétition

– The opening de l’Atelier Collectif  
La Demi-saison de Damien Collet
– Une brume, un matin de Joachim Weissmann & Nicolas Buysse 
– Les sœurs Floris de David Verlant 
– Chaos de Sébastien Petit 
– Mémoires sélectives de Pauline Etienne-Offret, Rafaella Houlstan-Hasaerts
– Mise à jour de Tom Boccara & Noé Reutenauer
– Jennah de Meryem Ben M’Barek
– Paul et Virginie de Paul Cartron 
– Au moins le sais-tu d’Arthur Lecouturier
– Elena de Marie Le Floc’h & Gabriel Pinto Monteiro 
– Grouillons-nous de Margot Reumont 
– Point d’orgue de Boris Brenot & Lucas de Thier 
– Timo, timoris d’Alexia Cooper 
– Sœur Oyo de Monique Phoba 
– Le mur de Samuel Lampaert 
– Kanun de Sandra Fassio 
– Untitled – figuration libre de Damien Collet 
– Le guide de François Hien 
– Vertiges de Arnaud Dufays 
– Monkey de Cédric Bourgeois 
– Le zombie au vélo de Christophe Bourdon 
– Pas plus con qu’un steack de Guérin Van de Vorst 
– L’ours noir de Xavier Séron & Méryl Fortunat-Rossi
– Deep space de Bruno Tondeur 
– Dans la joie et la bonne humeur de Jeanne Boukraa
– Monstre de Delphine Girard 
– Plein soleil de Fred Castadot 
– Août 1914 de Fedrik de Beul
– Laura de Robin Andelfinger 
– Jay parmi les hommes de Zeno Graton 
– Papillons de nuit de Kaspar Vogler 
– Qui j’ose aimer de Laurence Deydier, Hugo Brassetto 
– Contre-courant de Gaétan d’Agostino
– Mon ange de André Goldberg 
– Yew feat Arno « between up and down de Frédéric Hainaut & Simon Médard 
– Sirtaki sur la bande d’arrêt d’urgence de Simon Médard 
– Jung forever de Jean-Sébastien Lopez 
– Les pécheresses de Gerlando Infuso 
– Ineffacable de Grégory Lecocq 
– The sapiniere of love de Daniel Daniel 
– La valse mécanique de Julien Dykmans 
La légende dorée de Olivier Smolders 
– Une toile d’araignée de Hüseyin Aydin

Kijé de Joanna Lorho en DVD

Les éditions DVD de courts métrages d’animation à l’unité sont assez rares. Une édition aussi belle que celle de « Kijé » de Joanna Lorho, Prix Format Court à Angers projeté ce jeudi aux Ursulines, est certainement une première. Au point qu’on aura du mal à qualifier le livret qui entoure le disque de « supplément » puisqu’il fait partie intégrante du processus filmique. Il existe différentes façons de découvrir puis de parler d’une œuvre. L’habituelle reste celle de se retrouver face à elle, la laissant défiler sur un écran et ensuite de se mettre à réfléchir avec le matériau final, brut. Avec ce DVD co-édité par Zorobabel, Graphoui et La Cinquième Couche, on peut découvrir le film de manière « génétique ». En effet, on a droit à toute la genèse du projet artistique avant, à la toute dernière page, de trouver le disque avec le court. L’avoir placé tout au bout n’est pas un hasard, et prouve bien que (re)voir l’œuvre à l’aune de tout le chemin parcouru, des presque dix années de maturation qu’il a fallu à la réalisatrice pour enfin voir le bout du tunnel, est important. Qu’on aime ou non le film n’est alors même plus la question : nous avons droit à une nouvelle manière de le voir, de l’expérimenter, de se l’approprier. Et c’est un phénomène assez peu courant pour en profiter pleinement.

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De quoi se compose le livret ? Déjà d’une couverture qui donne le point de départ : tout ici est fait main. L’écriture, le titre, le personnage mis en mouvement par les traits qui vont et viennent de tous les côtés comme s’il nous rappelait que l’ordinateur n’aurait jamais pu lui donner vie, tout rappelle la création artisanale. Puis, on a la chronologie du processus de fabrication en images et en mots. On commence, comme dans une exposition sur la fabrique d’une œuvre, par des extraits du premier story-board puis par des recherches plus précises, plus fines : le film est déjà en marche et l’intérêt réside aussi dans les dates apposées en dessous des choix graphiques afin de montrer l’évolution de la matière filmique, du mouvement, ses arrêts de temps en temps avec des coupures qui semblent s’éterniser avant la reprise.

Puis, on a les mots, à la manière d’un journal entremêlé d’entrées thématiques. Si les images bafouillent, les paroles aussi. On sent le désir de créer quelque chose, un univers, un monde, des personnages mais sans trop savoir comment les exprimer. C’est aussi complexe par l’image, qui change, qui tâtonne, qui évolue. On a droit aux espoirs et aux agitations et crispations de l’auteur qui nous parle à la première personne. À ce qu’elle écoute, voit, entend, aux réactions des gens autour d’elle qui ne la comprennent pas toujours bien. Et puis, on a ces plans qui commencent à prendre forme, à s’animer avec des planches où quelques dessins se suivent et au milieu desquels on peut imaginer les intervalles manquants, ce qui va mener au mouvement. On vit avec elle, le temps d’un livre, dans ses souvenirs, sa mémoire, ses fantasmes et ses envies. Lire le livret, c’est un peu partager un moment de vie et surtout la vie d’une œuvre en train d’être créée, comme une future maman qui parlerait de ce qu’elle vit au quotidien sauf que dans le cas de « Kijé », c’est vraiment plus intéressant.

Au final, plus on avance et plus on les découvre, plus elles prennent forme, l’œuvre et sa créatrice. Jusqu’au moment où enfin, on peut prendre le disque, très simple. Un menu avec le titre et une image, on clique et le film commence, et on peut se mettre à le regarder. Un seul bémol : une qualité d’image peut-être pas optimale mais suffisante sur les écrans pas trop grands.

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« Kijé », un film de Joanna Lorho. Co-édition : Zorobabel, Graphoui et La Cinquième Couche. Prix : 9 € (+ frais d’envoi). Si vous souhaitez vous procurer le DVD & son livret, contactez-nous.

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