Sarah Van Den Boom : « Entre le dessin, l’écriture et mes enfants, j’ai le sentiment d’accoucher à chaque fois »

La réalisatrice Sarah Van Den Boom a plus d’une corde à son arc. Elle est également productrice au sein de Papy3D, anime et crée des décors, illustre, travaille entre Paris, Bruxelles et Los Angeles. Pourtant, malgré ou grâce à ce foisonnement, son cinéma est entièrement orienté vers la description de l’intime.
Son troisième film, « Dans les eaux profondes », co-produit avec l’ONF (Office National du Film) canadien en 2015, conserve cette orientation. Le film, présélectionné aux César du Meilleur Court-métrage d’Animation, donne la parole à des adultes ayant eu, pour quelques temps seulement, un frère ou une sœur avant même leur naissance, pendant la grossesse. Partant de ce sujet médical, nous avons demandé à Sarah Van Den Boom comment et pourquoi elle avait élaboré ce film qui, un peu contre toutes attentes, s’intègre si bien à son univers.

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Pour « Dans les eaux profondes », as-tu créé des personnages en te documentant ou es-tu partie à la rencontre de tes sources d’inspiration ?

Cela s’est plutôt passé comme une enquête. Mon film porte sur la manière dont trois personnages conservent la trace d’un frère ou d’une sœur qu’ils auraient perdu in utero. Je suis partie de ma découverte de ce phénomène qui n’est ni une fausse couche ni une naissance. On appelle cela une lyse gémellaire : un des embryons disparaît et l’autre continue de se développer. J’ai trouvé l’idée très déroutante et intéressante.

J’avais découvert ce phénomène au détour d’une conversation. J’ai appris que ma mère avait fait une sorte de fausse couche pendant ma propre gestation. Et ça m’a beaucoup surprise. Il n’y avait pas d’échographie à l’époque et on l’a hospitalisée pour des saignements importants. Les médecins ont cru qu’elle avait essayé d’avorter. C’était assez dramatique.

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En décidant d’en faire un film, j’ai contacté des gens, je suis ensuite allée à leur rencontre pour recueillir leurs témoignages à Toulon et à Lyon.

J’ai volontairement voulu que ces personnages soient comme un puzzle de plein de vécus différents. L’idée était de faire rentrer le spectateur de manière naturelle dans les problématiques des personnages, un peu comme dans la vie, au détour d’un ressenti.

La lyse gémellaire pose en réalité un problème de génération. Pour les plus jeunes concernés par le phénomène, une échographie a permis de vérifier ce problème pendant la grossesse. Mais pour les plus âgés, on ne pouvait que présumer la présence d’un second embryon. Les personnes de la génération précédente n’ont donc pas le même rapport au phénomène. Elles n’osent pas trop en parler. C’est un peu honteux et ça résonne très fort en elles. C’était ce vécu là que j’avais envie de partager, de montrer. À la fin de leurs témoignages, à défaut de réponses, les personnes ressentent un apaisement.

Pourquoi as-tu choisi le mélange de techniques graphiques ?

Je pars toujours du texte. Les images viennent après. Je suis plus littéraire que visuelle curieusement et je ne choisis pas le style graphique du film avant de l’écrire. Ce qui m’intéressait, c’était le vécu des gens, pas forcement la réalité de ce qu’ils ont vécu, parce que c’est assez invérifiable. J’avais envie de créer une petite bulle assez dense, sans partir dans quelque chose de trop fou. C’est pour cette raison que j’ai choisi de faire des décors en maquettes, plus réalistes mais plus figés aussi, et de dessiner les personnages, afin de leur donner plus de liberté.

Quels autres arts as-tu explorés avant le cinéma d’animation et pourquoi t’être arrêté sur celui-ci ?

J’ai toujours été très intéressée par l’écriture, le théâtre. Plus jeune, j’étais fascinée par la danse. En fait, tous les arts du spectacle me tentaient. Il a bien fallu choisir des études. Je me suis décidée pour le dessin et l’animation car c’était un condensé de tout ce que j’aimais. L’animation rassemble une bonne partie de mes attentes artistiques, me permettant d’écrire mes histoires et de les mettre en scène comme au théâtre pour en faire de petits spectacles.

Y a-t-il un rapport au spectacle vivant dans tes films, notamment dans ton travail avec les acteurs ?

Je fabrique mes personnages à l’image pour leur donner un corps. Mais ils ont également besoin d’une voix, je travaille avec des acteurs ce qui m’amène, comme au théâtre à les diriger. La création du son avec des musiciens et des bruiteurs réunit aussi des métiers du spectacle vivant, même si ce n’est pas la performance brute que l’on garde.

Comment s’est organisée la coproduction entre Papy 3D et l’ONF au Canada ?

Cela s’est passée de façon très fluide. Avec Papy 3D, nous avions déjà travaillé avec l’ONF sur « Edmond était un âne » (court-métrage de Franck Dion sorti en 2012). Pour « Dans les eaux profondes », je suis partie un mois et demi au Canada pour le son et l’enregistrement des acteurs, ainsi que pour toutes les voix anglaises. Et puis, on a également enregistré la musique et les sons.

Où se situe « Dans les eaux profondes » par rapport à ton film précédent, « La Femme squelette » ?

Je pense que les deux films ont des problématiques très féminines. Mon précédent film portait sur la lassitude d’une mère de famille épuisée. Cette histoire de gémellité in utero touche à la grossesse et donc également, à la maternité.

En fait, j’ai eu mes enfants tout en continuant mes études et ces événements progressifs de ma vie sont imbriqués. Entre le dessin, l’écriture et mes enfants, j’ai le sentiment d’accoucher à chaque fois. Ce qui m’intéresse, c’est ce que font les gens dans la vie, avec le fait de vivre et de devoir avancer, jour après jour.

Pour ton prochain film, penses-tu partir sur un sujet moins réaliste ?

Mon prochain projet sera l’histoire d’une femme d’une cinquantaine d’années un peu mystique et autiste. Je sais déjà que je veux lui faire une tête de chouette et un corps de femme !

Propos recueillis par Georges Coste

Article associé : la critique du film

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