Annecy 2015, les films à garder en mémoire

Malgré la pause et la passivité estivale, Format Court continue – à rythme réduit, certes – à vous proposer son regard critique sur le court-métrage. Si août rime avec foot et doute, si les festivals intéressants actuels et à venir n’ont pas lieu dans nos contrées (Locarno, Toronto, Venise), il ne nous est pas pour autant exclus de faire un bond en arrière, en juin par exemple, à l’occasion du dernier festival d’animation d’Annecy. Depuis un certain temps, nous convions les grands noms du secteur sur notre site (Michaela Pavlatova, Uri Kranot, Bill Plympton, Blu, Koji Yamamura, Jan Švankmajer), mais aussi les nouveaux talents à suivre (Rino Stefano Tagliafierro, Felix Massie, Roman Klochkov, Gerlando Infuso, Jean-Charles Mbotti Malolo, …). Ces auteurs, de pays, de techniques et de formations très différentes, ont tous à un moment été repérés par les sélectionneurs d’Annecy.

Longtemps dirigé par Serge Bromberg, repris depuis par Marcel Jean, le festival réussit le pari d’être toujours aussi sympathique et rassembleur et de réunir autant les réalisateurs, les étudiants, les autres festivals, la presse généraliste et spécialisée et l’industrie (chaînes de télévision, producteurs, régions, studios, …). De son côté, le MIFA, le marché du film, ne désemplit pas, malgré la grande tentation de flâner dans les rues pavées d’Annecy, de faire du bateau sur le lac et de se faire chatouiller les orteils par les cygnes environnants.

Malgré les contraintes rencontrées (difficulté de trouver un logement, d’obtenir une place en salle ou de gérer son emploi du temps), Annecy maintient une image de festival attractif grâce à la qualité de sa programmation, son ouverture à l’international (les professionnels viennent d’Inde, d’Israël, d’Italie, d’Australie, du Brésil, du Japon, du Canada, etc) et sa décontraction (les animateurs improvisent des pique-nique et les carnets de dessins passent de main en main).

ernie-biscuit-Adam-Elliot

Du côté des films, certains bons titres déjà vus réapparaissent notamment du côté du Canada (« Day 40 » de Sol Friedman, « You look like me » de Pierre Hébert, tous deux découverts au FNC de Montréal) tandis que plusieurs curiosités surgissent au détour d’une séance en salle ou à la vidéothèque. En premier lieu, « Ernie Biscuit », le nouveau film de Adam Elliot (Australie) passé au long en 2009 avec le magnifique « Mary and Max » après d’excellents débuts en courts (sa trilogie familiale et l’oscarisé « Harvie Krumpet »), nous a fort intéressés. Malheureusement, malgré un début emballant, le film déçoit par son scénario bancal, ses répétitions et ses longueurs de plans. Fort dommage tant l’univers d’Elliot, ses personnages en pâte à modeler, son traitement du handicap et de la maladie, son intérêt pour le judaïsme et les voix off le distinguent des autres animateurs. En dépit des faiblesses de son film, « Ernie Biscuit » est une transition pour l’auteur qui souhaitait arrêter le cinéma après les nombreuses difficultés rencontrées avec « Mary and Max ». Le court métrage, objet de réconciliation avec la réalisation, Adam Elliot en parle dans le long et passionnant entretien qu’il nous a accordé à Annecy et qui sera publié prochainement.

En février 2014, notre équipe avait primé un artiste autrichien, Paul Wenninger, au festival d’Angers pour son premier film professionnel « Trespass » (également lauréat d’une Mention spéciale à Annecy 2013). Nous étions donc bien évidemment curieux de le retrouver en sélection à Annecy avec son nouveau court-métrage « Uncanny Valley ». Le film, très étrange à nouveau, est une expérience sensorielle exigeante et percutante, extrêmement réaliste autant visuelle que sonore dans les tranchées de la première guerre mondiale. Sang, boue, peur, folie, mort : tout y passe sans chercher à ménager le spectateur. Le film, par moments légèrement décevant, se balade entre fiction et animation, joue avec les plans de caméra, et propose un final intéressant, entre acteurs et spectateurs de la grande guerre.

Du côté des bonnes surprises, 5 titres en compétition sortent clairement du lot. Commençons par les femmes (le festival a eu la curieuse d’idée de les mettre à l’honneur cette année avec des programmes dédiés). Rosana Urbes, première femme brésilienne à être sélectionnée et primée à Annecy avec son court-métrage « Guida » (Mention du jury Fipresci, Prix « Jean-Luc Xiberras » de la première œuvre), nous livre un charmant projet autour de l’acceptation de soi, de son corps et du regard d’autrui (une femme entre deux âges décide de poser nue pour des séances de modèle vivant et se révèle à elle-même et aux autres), le tout accompagné d’une superbe musique (signée Gustavo Kurlat et Ruben Feffer) et de croquis non achevés.

Sarah Van Den Boom, propose de son côté « Dans les eaux profondes », Prix Festivals Connexion – Région Rhône-Alpes, un film tout en finesse et en émotion sur les témoignages de plusieurs adultes découvrant sur le tard un secret particulier lié à leur naissance. Le film, co-produit par la France et le Canada (Papy 3D, connu pour les films de Franck Dion, Gilles Cuvelier, Jérémy Clapin), se dote d’une palette de couleurs intéressante et d’une musique fabuleuse signée Pierre Caillet et signe une impossible quête, celle des survivants en recherche toute leur vie de leurs disparus. Bonnes nouvelles pour nos lecteurs et spectateurs : « Guida » et « Dans les eaux profondes » seront projetés dans le cadre de nos séances mensuelles, au Studio des Ursulines (Paris), respectivement en septembre et octobre, et les interviews de ces deux réalisatrices, animatrices et dessinatrices extrêmement douées, sortiront bientôt sur notre site.

Du côté des réalisateurs, trois films nous ont particulièrement séduits. En premier lieu, « Sonámbulo » de Theodore Ushev, un cinéaste canadien qu’on aime bien à Format Court. Introduit par un vers de Federico Garcia Lorca, ce petit film de moins de 4 minutes, est un poème visuel et musical, superbement rythmé, jouant avec les formes, les couleurs, les silhouettes, les mouvements, les apparitions et les disparitions, l’abstrait et le surréalisme. Sublimée par le tango enjoué du musicien bulgare Kottarashky, cette œuvre hypnotique, digne héritière de Miro et McLaren, est un joyeux foutoir traversé par une multitude de détails et de plans les plus incroyables les uns que les autres.

Du côté de l’Estonie, « Island » (The Master) de Riho Unt, Prix du jury, propose un sujet étonnant, très original dans son traitement. En l’absence prolongée de leur Maître, un chien en liberté et un singe en cage apprennent à vivre ensemble malgré leurs différences. Soumission, mimétisme, folie, étrangeté : le film se distingue réellement des autres propositions animées et prend le temps (18 minutes) de raconter une histoire étrange, poignante, cruelle, où l’homme et l’animal se confondent à jamais.

Dernier film de ce crû annécien : « Mi ne mozhem zhit bez kosmosa » (We Can’t Live Without Cosmos), proposition russe, lauréate du Prix du jury junior pour un court métrage et surtout du sésame absolu, le Cristal du court métrage 2015. Réalisé par l’animateur expérimenté Konstantin Bronzit, ce film s’intéresse à l’amitié et la solidarité de deux cosmonautes rêvant d’atteindre un jour le cosmos et se surpassant pour atteindre les étoiles.

Sans la moindre parole, cette farce géniale s’inscrit dans la lignée d’un court précédent de Bronzit, « Lavatory Lovestory », film doublement hilarant et touchant sur une dame pipi se mettant à rêver du grand amour, repéré sur la scène festivalière et en lice pour les Oscars en 2009. Tout comme Adam Elliot, Rosana Urbes et Sarah Van Den Boom, nous avons rencontré Konstantin Bronzit. Son entretien sera également publié dans les prochaines semaines. Australie, Brésil, France, Canada, Russie : le cinéma d’animation se veut bel et bien international sur Format Court.

Katia Bayer

2 thoughts on “Annecy 2015, les films à garder en mémoire”

  1. un festival où j’ai de plus en plus envie d’aller ….c’est quand la séance aux Ursuline de septembre? j’ai bien peur de la rater une fois de plus !

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