Le Jour le plus Court, une manifestation organisée par l’Agence du court métrage en faveur de la diffusion du court qu’on aime bien à Format Court, reprend du service à la fin de l’année. Pour sa cinquième édition, ayant lieu du 18 au 20 décembre 2015, le Jour le plus Court, par la voix de sa directrice artistique Catherine Bizern (qui officiait avant au Festival de Belfort), propose cette année un programme thématique autour de l’insolence, après avoir travaillé autour de la guerre l’an passé.
Format Court, partenaire éditorial participant pour la première fois à la programmation de l’événement, vous en parle à l’occasion de l’ouverture aujourd’hui, jeudi 15 octobre, du site internet de l’événement (où les salles et associations participantes peuvent dès à présent s’inscrire et créer leurs propres séances, via des programmes complets ou des films à la carte).
En guise d’avant-goût, voici déjà les différents axes retenus par le Jour le plus Court :
– Une programmation thématique : Que c’est bon l’insolence ! : 50 œuvres, souvent insolites et décalées dans leur forme et leur propos
– Des focus consacré à 4 cinéastes : Alain Guiraudie, Gabriel Abrantes, Marie Losier et Pierre-Luc Granjon
– Desprogrammes scolaires et jeune public : 12 programmes conçus spécifiquement pour le jeune public des maternelles au lycée
– Des films en avant-séance : 10 films très courts choisis dans le catalogue du RADI
Pour télécharger le programme complet du Jour le plus court, vous êtes invités à cliquer sur le lien suivant !
Édité par la librairie parisienne Potemkine, en association avec agnès b., « Sita chante le blues » est un objet d’une richesse exceptionnelle qui entraîne le spectateur dans l’univers éclectique de la réalisatrice Nina Paley. Outre le long-métrage de 82 minutes qui donne son titre au DVD, cette édition propose en bonus une sélection de six courts métrages réalisés par la cinéaste entre 2000 et 2002. Des formats très courts, entre 3 et 5 minutes, qui suffisent à transporter le spectateur. Enfin, un entretien de 19 minutes avec la réalisatrice clôt la présente édition.
Le support physique du DVD, présenté en livret, propose également deux courts textes, l’un de l’animateur Barry Purves qui « chante Sita » faisant part de son exaltation vis-à-vis du long métrage. L’autre évoque la bataille juridique à laquelle la réalisatrice à été confrontée pour les droits des chansons d’Annette Hanshaw, qui compose la bande originale de « Sita chante le blues » ainsi que l’implication de la réalisatrice pour la « culture libre ». Cette bataille est illustrée par la réalisatrice à la suite du texte. Avec cet ouvrage, Potemkine prouve une fois de plus sa volonté d’offrir au spectateur des œuvres de qualité, intelligentes et subtiles.
Cristal du long-métrage au Festival d’Annecy 2008 et Ours de cristal « Mention spéciale » à la Berlinale 2008 « Sita chante le blues » est le premier long-métrage de Nina Paley. Le film s’inspire des amours du prince Râma et de Sita, contés dans l’un des mythes fondateurs de la mythologie hindoue : le Râmâyana. Par amour, Sita suit l’exil de Râma, banni du royaume par son père. Vivant dans la forêt, elle est enlevée par Ravana, le roi de Lanka puis secouru par Râma et le dieu-singe Hanumân. Pourtant, une fois les amants réunis, la pureté de Sita est mise en doute et malgré les épreuves auxquelles elle se soumet sans s’indigner, elle est répudiée.
Mettant en place différents points d’entrée dans le récit, la cinéaste réinterprète le mythe et multiplie les références. Chaque narration est soutenue par un style graphique propre. L’histoire de Sita est à la fois contée par trois personnages dont la représentation est librement inspirée du théâtre d’ombres oriental, illustrée par des dessins dont le style fait référence aux peintures traditionnelles indiennes, par d’autres rappelant l’univers des cartoons. Les transitions étant soutenues et magnifiées par le blues d’Annette Hanshaw, chanteuse des années 1920 dont les textes ironiques sont interprétées par Sita dans le film. Enfin, le récit est entrecoupé par l’histoire de Nina, avatar de Nina Paley dont le mari part travailler en Inde pour ne jamais revenir. Le style est ici simple, le trait léger et les couleurs assez neutres, ce qui s’oppose et contrebalance celle très vives du conte indou.
L’univers graphique extrêmement riche est parfaitement maîtrisé, chaque élément apporte quelque chose de fondamental à l’unité de l’œuvre. La réalisatrice passe avec une aisance magistrale d’une narration à l‘autre. Elle transcende les genres et les influences pour assigner à son propos un caractère universel. « Sita chante le blues » met le personnage féminin au centre du récit et magnifie avec humour et ironie le plus grand chagrin d’amour jamais conté.
Suite au long-métrage, l’édition DVD propose de faire découvrir ou redécouvrir six court métrages réalisés par la cinéaste, nous permettant ainsi de mieux comprendre le cheminement de son travail et les influences qui l’habite.
« The Wit and Wisdom of Cancer » établit un parallèle entre le corps malade, envahi de cellules cancéreuses qui se démultiplient et la Terre, peuplée d’êtres vivants dont le nombre, à l’instar des cellules, croit de manière exponentielle. Par le biais d’une conversation entre deux cellules cancéreuses, la réalisatrice aborde la notion d’espace avec beaucoup d’humour et une agilité incroyable. Le corps humain assiégé de métastase devient le reflet de l’espace terrestre que l’homme colonise et détruit pour s’y établir. Cette satire écologique donne à réfléchir sur la manière dont l’homme s’approprie l’espace qui l’entoure et l’accapare en dépit de ce qui lui préexistait.
On retrouve les mêmes thématiques dans « Fertco » par le biais de différentes techniques, la vidéo, le dessin, le collage, ce film de 3 minutes traitnt du désir d’enfanter, de se reproduire. Une femme se rend dans un centre de procréation et en ressort avec un caddy rempli d’ovules. Une vidéo montre des cellules qui se reproduisent de deux, à quatre puis huit. La femme enceinte met au monde son premier enfant, puis le deuxième, le troisième, le huitième. La poussette ne suffit plus à les contenir elle a désormais besoin d’un tank ! Elle est imitée par d’autres femmes lui ressemblant trait pour trait qui elles aussi mettent au monde des dizaines d’enfants. La encore, la démultiplication de l’être, montrée comme une invasion par la réalisatrice, est pointée du doigt.
Suivant le même fil conducteur, « The Stork » met en scène des cigognes qui volent dans le but d’apporter aux futurs parents l’enfant tant désiré. Le fond sonore est doux, les oiseaux volent en nombre au dessus des arbres. Mais à chaque baluchon tombant du bec des cigognes, ce ne sont pas simplement des enfants qui apparaissent mais des bombes qui explosent, laissant apparaître derrière la fumée un véritable package contenant l’enfant mais également la maison, la voiture ou encore la mère de famille. Une fois de plus, la réalisatrice procède à une démultiplication d’images similaires. Les photographies d’enfants, de maisons sont toutes identiques et s’agglutinent les une aux autres, finissant petit à petit par recouvrir la moindre trace de verdure. Un générique de fin apparaît : The stork … is a bird of war.
Dans ces trois premiers films, la réalisatrice traite, avec humour et non sans provocation, de l’impact de la présence humaine sur l’habitat naturel. Elle nous livre une vision chaotique des humains et de leur reproduction sur Terre, montrés comme des colonisateurs aux visages indifférenciés.
Avec « Fetch », Nina Parey change de registre et met en scène un homme promenant son chien. Dans ce film aux décors très simples et épurés, la réalisatrice explore le rapport de l’homme à son animal. Par un jeu d’échelles contant, les rapport de tailles et de distances entre l’homme et l’animal se distendent, une course de va et vient occupe tout le film, ce qui génère la confusion chez l’homme comme chez le spectateur. Par le biais de ce jeu, c’est le rapport de l’homme à la réalité qui est mis en exergue.
« Lexi » se détache des autres films présentés au sein de ce DVD. Dans ce film expérimental, la réalisatrice a filmé son chat, Lexi, et a ensuite traité l’image en post-production, faisant ainsi apparaître des couleurs, des effets d’ombre, de surbrillance sur l’animal au gré de ses mouvements. Le visuel, très esthétique, est accompagné d’une musique jouée par des instruments à corde épousant parfaitement les mouvements de l’animal. On retrouve d’ailleurs le chat au coté de Nina dans « Sita chante le blues ».
Enfin, « Pandorama » est une réinterprétation du mythe de Pandore. L’univers du film est assez psychédélique, des personnages, des formes, des couleurs apparaissent sur fond noir, d’abord de manière assez saccadée et espacée puis de plus en plus rapidement. Du point de vue sonore, on entend tout d’abord un dialogue entre deux personnages que l’on devine être Eve et le Serpent, la première voix encourageant l’autre à manger le fruit de la connaissance. Les mythes de Pandore et du Jardin d’Eden se confondent, le résultat qui s’ensuit est le même, la connaissance entraîne l’évolution vers quelque chose de plus brutal. Une musique rock très énergique prend le relais jusqu’à la fin du film. On voit des images de primates évoluer en homme puis en soldat, les images et le son s’accélèrent dans un crescendo constant jusqu’à la fin du film. Très expérimental, ce court métrage génère une sensation d’accélération assez oppressante qui ne peut aboutir qu’au chaos.
Les différents films de Nina Paley présentés au sein de cette édition DVD permettent d’une part de voir l’immense variété et l’évolution des techniques employés par l’animatrice, de l’autre part de repérer ka place grandissante laissée à l’humour et à l’ironie dans le traitements de sujets dont les enjeux sont en réalité sérieux et parfois préoccupants.
En clôture de ce superbe ouvrage, se trouve un entretien de 19 minutes avec la réalisatrice. Nina Paley y évoque l’emprunt qu’elle à dû contracter pour pouvoir sortir « Sita chante le blues » en salle. Certaines compositions originales d’Annette Hanshaw, utilisées dans le film, n’étant pas libres de droit, elle s’est vue réclamer la somme de 220.000$. Depuis, Nina Paley mène un combat sans répit pour la culture libre et gratuite.
Pour appuyer son combat, la cinéaste à décider de mettre « Sita chante le blues » en libre accès sur internet, il est possible de télécharger ou regarder le film en ligne gratuitement, et si on le souhaite, de l’acheter par la suite. En activiste accomplie, Nina Paley lutte par le biais de ses films comme de ses actes pour faire évoluer les mentalités.
Artiste canadien surdoué que nous avions déjà eu l’occasion d’interviewer au sein de Format Court, Guy Maddin est revenu cette année à l’Étrange Festival pour présenter sa dernière œuvre « The Forbidden Room » (sortie décembre 2015), mais aussi pour la carte blanche qui lui a été consacrée. Nous lui avons posé quelques questions sur son nouveau long-métrage , recueil hybride de petits films-fantômes.
Nous nous sommes déjà vus il y a 3 ans à l’Espace Saint-Michel, vous étiez alors en train de tourner des courts métrages au Centre Pompidou pour le projet « Spiritismes ».
Oui, cela fait longtemps… Mais finalement nous avons réussi à en venir à bout et nous en avons tiré notamment un film qui s’appelle « The Forbidden Room » ! Il y a d’ailleurs d’autres images à voir prochainement sur le site web dédié au film (bientôt en ligne).
À l’époque, nous sommes venus voir le tournage au Centre Pompidou et nous avons reconnu certaines de ces images dans « The Forbidden Room ». Pouvez-vous nous expliquer les liens étroits entre ces courts-métrages et le long-métrage que vous présentiez cette année à l’Étrange Festival ?
Il s’agit d’un projet hors normes : « The Forbidden Room » a été tourné en public à Paris et à Montréal. Au départ, l’idée était de tourner des courts-métrages à partir de scripts de films perdus. Au fil du temps, nous avons eu l’envie d’en faire un long-métrage tout en désirant proposer au public via un site internet tous ces courts-métrages qui composent « The Forbidden Room ». Le projet était donc pour beaucoup de gens plutôt étrange et il a du être financé aussi de façon particulière. Mener de front ces deux projets pourtant complémentaires nous a obligés à faire face à certaines difficultés financières et plusieurs lourdeurs administratives.
« The Forbidden Room » est un projet ambitieux auquel nous avons consacré plus de trois ans et pour lequel nous avons tourné plusieurs centaines d’heures de rushes. Quand nous avons fini le montage, nous en étions encore à environ 80 heures. Cela a donc pris beaucoup de temps pour obtenir la version finale de 130 minutes. À plusieurs reprises, nous nous sommes retrouvés à cours de budget. J’ai du donc aller faire d’autres projets pour ramener un peu d’argent, ce qui nous éloignait toujours plus de « The Forbidden Room ». Après de nombreux déboires, nous avons finalement réussi à nous en sortir et le film existe maintenant.
Début 2016, le site internet qui va héberger tous ces films-fantômes, dont l’esprit errait jusqu’à présent, va enfin voir le jour. En se connectant au site, chaque personne pourra alors invoquer les différentes « âmes » de ces films perdus comme dans une véritable « séance de spiritisme « . Tous ceux que cela intéressera pourront voir tous ces courts-métrages (et bien d’autres), dont « The Forbidden Room » se retrouve composé.
Aviez-vous l’idée de faire un long-métrage au départ ou est-ce venu au cours de la réalisation des différents courts métrages ?
Après un tournage de 18 jours à Paris, au rythme d’un court-métrage par jour, nous sommes allés tourner trois semaines à Montréal. Evan Johnson (co-réalisateur) et moi-même avons alors commencé à rêver, parfois même en plein jour, à tous ces petits films et comment ils pourraient s’assembler l’un avec l’autre, à la manière des textes de Raymond Roussel – l’un de mes écrivains préférés – à la prose mystérieuse et impénétrable.
Dans les années 20-30, cet auteur français a écrit de la poésie, des nouvelles, des romans et des pièces de théâtre en prenant souvent le parti d’insérer une histoire à l’intérieur d’une autre histoire, elle-même à l’intérieur d’une autre histoire, etc.
Se replongeant dans l’univers de cet auteur, immergé toujours plus profondément dans cette succession d’histoires à perte de vue, je me suis senti à la fois sécurisé et exalté. Nous avons alors pris conscience qu’il s’agissait probablement de notre seule chance de faire un film comme celui-là et nous avons décidé d’en faire un long-métrage. Je suis heureux d’être parvenu à transformer cette obsession pour les films perdus et d’avoir pu donner le jour à cette œuvre hybride.
Comment s’est passée l’écriture à partir des scripts de ces films perdus ?
Beaucoup des titres de ces films perdus de Vigo, Lubitsch, Mizoguchi, Von Stroheim ou Naruse, nous ont intrigués. Il n’existait pas vraiment d’informations sur eux. Quelques fois, nous avions les synopsis en entier, d’autres fois juste quelques lignes retrouvées miraculeusement. À partir de là, nous avons réécrit, puis nous avons adapté au fur et à mesure les scripts afin qu’une certaine cohérence puisse émerger au sein du scénario.
Chaque réalisateur de ces films perdus a son tempérament, par exemple Ernst Lubitsch et Fritz Lang n’ont pas du tout le même style. Mais on ne va pas déterrer Lubitsch, lui donner un mégaphone et lui demander de réaliser une nouvelle fois son film ! J’ai donc joué le rôle de medium en invoquant l’esprit de tous ces films perdus, dans les limbes, et tous ont parlé à travers nos voix, nos caméras et nos images.
Comment s’est passé le travail entre les co-auteurs ?
J’adore travailler avec eux. Lorsque certains matins, j’étais fatigué, que je voulais rester au lit, ils ne me laissaient pas dormir et me motivaient pour que nous nous mettions au travail. C’était pareil quand c’était le tour d’un autre membre de l’équipe. Quand on se disputait, on ne le prenait jamais personnellement. Ce n’est d’ailleurs pas très canadien : les Canadiens ont souvent peur de ne pas être d’accord ou de heurter la sensibilité de leurs interlocuteurs.
Pour ce film, Evan Johnson, Robert Kotyk, Kim Morgan et moi travaillions main dans la main et nos confrontations de points de vue étaient plutôt enrichissantes. Chacun exprimait sa vision d’une scène ou d’un personnage jusqu’à ce que quelqu’un parvienne à convaincre les autres, mais la plupart du temps, les échanges aboutissaient à une nouvelle proposition qui satisfaisait tout le monde. Et cela a été très bénéfique pour le film !
Nous avons aussi bénéficié de la participation du poète John Ashbery qui a écrit le passage « How to take a bath » qui ouvre et ferme le long métrage. Il s’agit d’une adaptation du film du même nom réalisé par Dwain Esper, réalisé en 1937. À l’aide d’un split screen, le film « étudie » la manière dont une femme prend son bain lorsqu’elle est mariée ou non. Aucune copie du film n’a pu être retrouvée; mais apparemment selon ce que j’ai pu lire sur ce film, une femme mariée serait plus en phase avec son corps qu’une femme célibataire. À l’époque, sous couvert d’étude scientifique, le public américain pouvait entrevoir entre les bulles de savon quelques instants de nudité. Dwain Esper avait également réalisé « How to Undress in Front of Your Husband » qui, lui, n’est pas un film perdu et est disponible en ligne.
Notre film a d’ailleurs failli s’appeler « How to take a bath », mais John Ashbery me l’a déconseillé. Le film s’appelle donc « The Forbidden Room ». Il y a eu tellement de films qui ont porté le même titre, je crois même qu’il y a en un qui est sorti l’année dernière… Mais peu importe c’est notre propre « chambre interdite » : tout le monde à la sienne !
Un soin tout particulier est apporté aux passerelles entre les différentes histoires, permettant ainsi au spectateur de pouvoir se repérer dans le film. Comment avez-vous travaillé cet aspect ?
L’idée est apparue au fur et à mesure des sessions de tournage, notamment lorsque l’on a commencé à faire les castings des acteurs pour les personnages récurrents qui font le lien entre les différentes histoires. C’est là que j’ai commencé à attribuer un genre à chaque histoire en partant d’une histoire de sous-marins, pour aller vers un film de guerre pour enfants, puis vers un film de vampires qui se déroule dans la jungle, en passant par un film mettant en scène des Zeppelins, un film d’horreur, ou encore un film expressionniste allemand, ou même un mélodrame français. Chaque histoire met en valeur l’autre pour donner « The Forbidden Room ».
Je ne voulais pas perdre le spectateur. Chaque histoire devait être écrite et réécrite puis montée et remontée jusqu’à ce qu’elle devienne limpide, parce que je sais que le public peut être perdu même quand les choses paraissent pourtant claires. Au moment de l’étalonnage, je me suis également assuré que chaque histoire possédait sa propre palette de couleurs, histoire de faire instantanément comprendre au spectateur où il se trouve dans ce grand bric-à-brac. Je ne sais pas à quel point les gens peuvent s‘égarer dans ce film. Peut-être qu’ils ne se perdent pas, peut-être que si. Mais je sais qu’après la première demi-heure, même s’ils sont désorientés, ils retrouveront leur chemin à nouveau.
Dans notre précédent entretien, vous avez comparé les nouvelles aux courts-métrages et les longs-métrages aux romans. Pensez-vous qu’il faille comparer « The Forbidden Room » à un recueil de nouvelles ou à un roman ?
C’est peut-être les deux à la fois. Le film a été profondément marqué par l’influence de Raymond Roussel et ses folles aspirations. Quand on tente de voir les choses de son point de vue, ce n’est pas toujours facile à décrire et tout devient assez intense. Ses phrases sont denses et son style est perçant. Il me fallait parfois une heure pour lire 6 pages !
J’étais à la recherche de cette densité pour « The Forbidden Room » mais je ne voulais pas que le public puisse ressentir la complexité qui se dégage de la lecture des livres de Roussel. C’était un génie à l’esprit torturé et la lecture de ses livres est une véritable expérience. Il me semble qu’il a inventé une sorte d’étrange recueil hybride de nouvelles dont certaines ne faisaient qu’une seule phrase et qui nous amenait à des endroits totalement différents au fil du livre. Que cela soit une histoire de 6 ou de 200 pages, l’impression à la fin est identique : celle d’être plongé dans un univers à part entière.
Pour « The Forbidden Room », j’avais envie que le spectateur ait une impression d’abondance, voire de profusion. Il me semblait qu’en donner trop aux spectateurs serait justement la quantité qui conviendrait. J’ai d’ailleurs coupé 16 minutes depuis la première du film qui a eu lieu au Festival de Sundance. Je m’étais rendu compte qu’il était un peu trop compliqué de naviguer entre les différentes scènes. J’avais envie que les spectateurs sentent physiquement la densité de ce film et je voulais que l’on ressente cela de l’intérieur.
C’est la première fois que vous co-réalisez un film. Comment s’est passée cette collaboration ?
Je pense que chaque réalisateur peut facilement se considérer comme co-réalisateur de ses films étant donné le nombre de personnes qui apportent leur contribution tout au long du processus de création. Evan Johnson, mon co-réalisateur, n’a jamais crié sur le plateau “Action !” ou “Coupez !”, mais nous avons tous les deux créé le projet, avec l’aide de beaucoup d’autres personnes, évidemment.
Et puis c’est simplement que cette fois-ci, je ne pouvais pas recevoir tout seul les honneurs. Je trouverais cela plus juste que nous soyons tous les deux désignés comme réalisateurs de ce film. Evan a beau faire ses débuts, il a travaillé très dur sur ce film ! Il avait tout en tête du début à la fin. J’ai fait tellement de films d’une certaine manière et quelque fois, je peux être impatient. D’habitude un film me prend 1 an, celui-ci nous a pris 3 voire 4 ans ! Lorsque je ressentais le besoin de pouvoir dormir de temps en temps, il poursuivait le travail, faisait des propositions, persévérait à s’intéresser au projet, ce qui me donnait l’envie de continuer.
Rien que pour avoir été ma « pom-pom girl » personnelle, Evan Johnson mérite d’être appelé réalisateur ! D’ailleurs, nous travaillons ensemble sur un prochain projet, mais nous ne sommes pas mariés, nous préférons ne pas brûler les étapes et faire les choses petit à petit.
J’ai la chance aussi d’avoir reçu un soutien indéfectible de mon distributeur français, ED Distribution, qui travaille depuis plus de vingt ans à faire connaître mes films auprès d’un public toujours plus croissant. Je les soupçonne d’ailleurs qu’ils vont jusqu’à génétiquement modifier les bébés pour qu’il viennent voir mes films !
Nous avons remarqué que dans ce film vous avez recouru à des effets spéciaux que vous n’aviez jamais utilisés auparavant. Pourquoi ce choix ?
J’admire les photographies de séances de spiritisme qui avaient lieu dans les années 20 et 30, mais il ne s’agissait que de photos et j’avais envie de les voir reprendre vie, de trouver un équivalent cinématographique à cela.
J’ai aussi regardé beaucoup de vieux films dont les photogrammes étaient en grande partie détruits ou très abîmés mais qui ont pu être sauvés car ils ont été digitalisés à temps. Et je suis tombé sur l’un des magnifiques films ectoplasmiques de Bill Morrison, « Light Is Calling » (2004). En voyant cette œuvre, j’ai réalisé que ces vieux films qui datent parfois de plus de cent ans sont devenus au fil du temps des entités à la manière « d’esprits ». Ils bougent, disparaissent, réapparaissent. On devine quelques traits qui sont ensuite remplacés par d’autres.
Quand j’ai réussi à comprendre comment procéder avec cette technique utilisée par Bill Morrison, je suis devenu obsédé par le résultat que l’on pouvait obtenir avec. J’ai même quelques bobines chez moi que je regarde très souvent. Je n’ai même plus besoin de boire de café maintenant, j’ai juste besoin de regarder ces images jusqu’à ce que j’aille mieux !
C’est le genre d’addiction qui n’a pas vraiment d’effets secondaires donc je pense que je vais la conserver. Je n’ai pas de problème avec cela. Je suis simplement fasciné par ces images. Je peux passer des heures et des heures à regarder les images où le visage de Mathieu Amalric et de Charlotte Rampling disparaissent derrière un tourbillon de rayures ou lorsque Ariane Labed émerge de la chevelure d’Adèle Haenel ou encore lorsque le visage de Géraldine Chaplin se coupe en deux et que l’une des parties s’attache à Jacques Nolot et l’autre à Slimane Dazi. Je ne me ronge plus les ongles, je ne bois plus de sodas, ces images sont juste mon pêché mignon.
Après l’animation, place à la fiction. Aujourd’hui, le Comité Court Métrage de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma a sélectionné les 12 films qui vont concourir au César 2016 du Meilleur Film de Court Métrage.
Le premier tour de vote, qui se déroulera du 4 au 26 janvier 2016, désignera les cinq films nommés pour le César du Meilleur Film de Court Métrage. Ils seront révélés lors de la conférence de presse d’annonce des nominations qui aura lieu le 27 janvier 2016.
Prix Spécial du Jury : Ton cœur au hasard d’Aude-Léa Rapin (France)
Mention Spéciale : Père de Lotfi Achour (Tunisie/France)
Compétition Nationale-FWB courts métrages
Meilleur Court métrage : The Hidden Part de Monique Marnette et Caroline D’hondt (Belgique)
Prix Spécial du Jury : Dernière porte au sud de Sacha Feiner (Belgique/France)
Prix de la Meilleure photographie : Les Amoureuses de Catherine Cosme (Belgique/France)
Prix d’interprétation : Sophie Breyer, Judith Williquet, Lou Bohringer, Olivia Smets, Stéphane Caillard pour Le Sommeil des Amazones de Bérangère McNeese (Belgique)
Mention Spéciale : Zoufs de Tom Boccara, Noé Reutenauer, Émilien Vekemans (Belgique)
Prix du public court métrage : XYZ, The City Hunter de M. Tikal (Belgique)
« Viaduc » est un drame familial bouleversant qui convoque à la pelle des références cinématographiques communes passées à la postérité pour nourrir en profondeur sa propre histoire, que Patrice Laliberté arrive dans un tour de force final à rendre authentique et sincère. Une démarche risquée, il est facile de tomber dans le simple patchwork, mais ici heureusement réussie qui lui a valu le Prix du meilleur court métrage canadien au Festival du film de Toronto.
L’histoire est on ne peut plus simple : « La police poursuit Mathieu surpris à graffer un pont d’autoroute (le fameux Viaduc en titre), mais la maraude nocturne de l’adolescent a un but que lui seul comprend. À l’aube, il reprend le cours de sa vie en attendant de récupérer son frère à l’aéroport… » une histoire simple donc, dont le réalisateur accroît significativement l’épaisseur en y disséminent de très beaux portraits de personnages.
La première séquence est en ce sens exemplaire pour observer la dynamique du film, et la façon dont il demande à son spectateur de recoller les bribes d’informations pour composer un tout cohérent. Le film s’ouvre sur un plan vide qui ravive des souvenirs à tous les spectateurs, une banlieue pavillonnaire digne des plus belles heures de l’écurie Spielberg, de « E.T. » à « Polteirgeist » en passant par l’Outsider Tim Burton et son « Edward aux mains d’argent ». Un de ces quartiers réglés comme une horloge, habité par des familles nucléaires sans haine et sans reproches (du moins sur le papier), où la moindre exception à la norme est repérée et condamnée.
Et le plan nous dévoile à droite Mathieu qui marche la tête cagoulée et une planche de bois sous le bras au-devant des méfaits qui lui valent 5 minutes plus tard d’être poursuivi par les forces de l’ordre. Voilà l’exception, la personne hors-norme de ce quartier de carte postal qui occupera, selon toute apparence, la place centrale du film. Mais sa fuite devant les forces de l’ordre et son échappée belle se traduit par une explosion musicale qui déborde de loin l’enjeu, introduisant par là un premier indice : il se joue des choses dans l’image dont nous ne comprenons pas encore la portée. Pas de quoi tressaillir de joie devant ce micro-exploit, si la musique part en trombe, c’est que les méfaits de Mathieu sont plus importants que nous ne le comprenons actuellement. C’est que l’histoire à commencé avant le film, et que ce « graff » dont la nature nous reste inconnue est la résolution, l’exploit du personnage pour résoudre une situation que nous ne connaissons pas encore.
Après les références visuelles attribuées aux classiques du cinéma mainstream des premières minutes, voilà que Patrice Laliberté projette son film dans une démarche très moderne, ne débutant pas son film au commencement de l’histoire mais en son cours, et posant d’emblée le spectateur dans une posture d’enquêteur qui devra s’attacher avec les éléments à venir à comprendre ce qui s’est déjà passé.
Cette ouverture menée tambour battant, le métrage continue de brouiller les pistes en lorgnant plus du côté de la chronique familiale et de la fable adolescente que de la frasque criminelle. À charge une scène de skateboard trop proche de « Mommy » pour que nous ne projetions pas expressément sur Mathieu les déboires et conflits que l’on avait découverts chez Steve dans le long de Xavier Dolan. Malheureusement pour nous qui pensions pouvoir attribuer facilement à Mathieu le profil du fameux personnage, isolement et incompréhension, la transition l’introduit en compagnie de deux amis occupés à parler consoles et drogues. On pense à « Paranoid Park » de Van Sant, et par collage, il devient plausible que notre adolescent taciturne ait commis un crime plus grave que le graff qui ouvre le film. La mort s’invite dans l’image, et l’attitude morose des autres membres de la famille rend plausible cette idée, le père de Mathieu dans un plan qui lui est réservé semble comme son fils refouler une douleur qui n’a pas de mots.
C’est au troisième acte que se résolvent toutes les questions sans que Laliberté ne donne pourtant aucune réponse. Il y a bien la mort dans l’image, le frère de Mathieu atterrit à la base militaire dans un cercueil. Nous comprenons le silence des personnages, l’absence de dialogues forts qui seraient déplacés pour expliquer la perte d’un être cher et le sentiment d’injustice et de grande tristesse qui hante ses proches. La caractérisation est terminée, nous sommes en présences d’êtres brisés, il n’y a pas de débouché possible, pas de happy end, le deuil était là avant l’incipit.
Mais lorsque la famille reprend le chemin du domicile familial et passe sous le graff de Mathieu, la boucle est bouclée, et le « Ciao Bro » adressé à son frère, aussi anodin que pertinent, ne manque pas de faire fondre en larmes le patriarche toujours muet. L’ouverture en trombe était bel et bien un exploit de l’adolescent contre le sort, l’expression simple de la seule chose à faire, laisser partir ceux qui ne sont plus, accepter malgré nous-mêmes. Ce « climax » plus émotionnel qu’impressionnant confère à « Viaduc » sa plus grande qualité. Il est de ces bobines que l’on peut voir dans les deux sens et sans magnétoscope.
Patrice Laliberté a semé des indices, des références communes tout au long de son film, des cadrages comme des accessoires, pour finir par les relier a posteriori à ses personnages et son histoire de façon unique et personnelle. Tout est comme si le film, à l’instar de ses personnages démunis et incapables d’exprimer leur douleur, s’était lui-même retrouver à devoir employer les expressions visuelles des Spielberg, Dolan, Van Sant, et consorts, pour trouver dans l’autre les meilleurs outils pour révéler sa propre singularité.
Avec « Viaduc », Patrice Laliberté nous offre un court métrage qui traite d’un long sujet de façon synthétique et épique, un acte de foi humble et honnête que l’on oubliera pas.
Le Jury Format Court, composé de Marie Bergeret, Juliette Borel et Adi Chesson, a décidé de remettre hier soir, lors du Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF), le prix du meilleur court métrage de la compétition internationale à « Renaître » de Jean-François Ravagnan, un film qui, bien que d’une facture classique, aborde la question du choix décisif d’un point de vue féminin. Un parti pris réussi, aussi bien dans sa narration laconique que dans sa manière d’être au plus près des personnages. Un instantané cinématographique où l’on ressent l’urgence du désir comme réponse ultime à la séparation inéluctable.
Le court-métrage primé fera l’objet d’un dossier spécial en ligne et sera programmé lors d’une prochaine séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur bénéficiera également d’un DCP pour un prochain court doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Renaître de Jean-François Ravagnan (Fiction, 23′, 2015, Belgique, Les films du fleuve)
Synopsis : Un coup de téléphone fait ressurgir le passé de Sarah. Seule, mentant à ses proches, elle n’a maintenant plus qu’une idée en tête: traverser la Méditerranée pour retourner en Tunisie. Guidée par la violence de ses sentiments, elle entreprend un voyage afin de rester fidèle à une ancienne promesse faite à l’homme qu’elle aimait.
En 2003, lors de l’élargissement de l’Union Européenne, Lars Von Trier a eu l’idée de développer « Visions of Europe », une suite de 25 courts métrages de cinq minutes, réalisés par 25 réalisateurs, chacun d’entre eux offrant sa vision du présent et du futur du continent. « Prologue », du maître hongrois Béla Tarr, nous montre une longue file de personnes attendant l’ouverture d’une soupe populaire. La représentation de ce qui impliquait pour le cinéaste l’adhésion de la Hongrie à l’UE : une longue attente pour se nourrir.
Constitué uniquement d’un lent traveling latéral dirigé par l’acclamé Robby Müller, le film est un point de condensation de tous les éléments que le réalisateur affectionne : l’absence de dialogues, la patience, la répétition, les visages désolés, les lents mouvements de caméra, le noir et blanc. La musique, composé par Mihály Víg, musicien crédité comme co-auteur des films de Tarr, est une mélodie lancinante qui anticipe le rythme du court métrage, de ce prologue à une nouvelle vie et à un nouveau pays.
À l’occasion d’une master class où la question de la durée parfois extrême de ses films était le sujet d’un long débat (il suffit de voir le monumental « Sátántangó » de 435 minutes), Béla Tarr disait volontiers que « Prologue » était plutôt un haïku.
Le Parc de la Butte du Chapeau-rouge a vu ses pelouses envahies par de nombreux festivaliers le mois dernier, venus pour découvrir la programmation éclectique de la quatorzième édition du Festival Silhouette. Une sélection internationale où se sont mélangés différents genres, de la fiction au documentaire en passant par l’animation et des formes plus expérimentales, offrant ainsi un panel de courts-métrages assez riche et varié aux spectateurs. Si chacun des programmes réunissaient des films très différents, l’on constate que certains des courts-métrages les plus stimulants découverts lors de cette nouvelle édition prenaient en charge les mêmes questions, en plaçant l’intime au cœur de leurs récits.
La mise en scène d’une intimité suppose avant tout la définition d’un cadre physique dont l’échelle peut varier d’un film à l’autre : de l’exiguïté d’une chambre de bonne parisienne (« Printemps » de Jérôme Clément-Wilz) en passant par les vestiaires d’une patinoire (« Kiss me not » d’Inès Loizillon) pour finalement s’ouvrir à une ville toute entière (Athènes dans « Archipels, granites dénudés » de Daphné Hérétakis), les auteurs de ces films investissent à chaque fois des espaces qu’ils transforment en théâtres de questionnements intimes, où la possibilité d’une utopie ou d’une révolte peut germer et partir du particulier pour résonner avec le collectif.
Anatomie d’un rapport
Disons-le d’emblée : « Printemps » de Jérôme Clément-Wilz agace autant qu’il séduit. Cette chronique d’une passion amoureuse racontée à la première personne par le réalisateur lui-même nous plonge dans un précipité de matière intime à l’intérieur duquel il est difficile pour le spectateur de trouver sa place tant la proximité qu’il fabrique avec ses protagonistes frise plus d’une fois l’impudeur. Confinés dans une chambre de bonne parisienne, le cinéaste et son amant d’alors, un jeune comédien noir fraîchement débarqué à la capitale, vivent au jour le jour leur passion naissante : ils discutent, plaisantent, se racontent leurs rêves à tour de rôle en se complaisant parfois dans une niaiserie propre à la jeunesse qui découvre ses premiers émois sentimentaux et sexuels. L’on se retrouve dans un premier temps un peu démuni face à ces images, car quand bien même les motifs de ce récit renverraient tout à chacun à ses propres aventures sentimentales, les attitudes de ces deux tourtereaux se révèlent bien irritantes et empêchent le spectateur de développer à leur égard une empathie véritable. Il est regrettable, d’ailleurs, que les afféteries du langage et du comportement des protagonistes résonnent jusque dans la mise en scène qui multiplie les séquences clippées pour restituer de manière un peu caricaturale les embellies de la vie de couple.
Le film émeut moins dans ce qu’il montre des moments de joie et de communion vécu par les amants que lorsque le revers de la passion affleure et que la chambre de bonne exiguë, offrant dans un premier temps un cadre propice à l’expression sans gêne des sentiments prend des allures de cellule. Le cinéaste amoureux ne filme la ville qu’à travers les fenêtres de la chambre, dans l’attente du retour de l’être aimé. C’est finalement dans ce rapport à l’espace que la puissance de la passion devient palpable, le cinéaste préférant s’assigner à domicile qu’affronter le monde extérieur, donnant ainsi l’exclusivité à son histoire d’amour. Cette dépendance à l’autre fait alors poindre une forme de toxicité des rapports amoureux qui s’accentue lorsque les tensions commencent à apparaître au sein du couple, tensions exacerbées aussi bien par la présence de la caméra que part le cadre étouffant que constitue cette petite chambre bas de plafond. Le rapport de chacun des membres du couple au dehors dessine également une piste intéressante, entre celui qui reste confiné à l’intérieur de la chambre (le cinéaste) et celui qui s’en absente (l’amant qui se rend à ses cours de théâtre). Un renversement bienvenu des rapports de force s’opère alors, celui censé détenir les codes se retrouvant en situation de dépendance par rapport au nouveau venu qui s’en va explorer le monde extérieur.
Au fond, c’est bien dans sa périphérie que le récit de « Printemps » trouve sa matière la plus riche, dans l’espace qu’il ménage pour son hors-champ, à la fois physique et politique. Les origines africaines de l’amant sont évoquées à plusieurs reprises, sous un versant folklorique d’abord puis sous l’angle plus problématique d’un attachement à la famille et aux traditions qui finiront par faire obstacle à la poursuite de son histoire d’amour avec le cinéaste. L’insistance avec laquelle ce dernier évoque dans leurs conversations la question du mariage gay émeut parce qu’elle fait alors office de mise à l’épreuve des sentiments tout en convoquant l’air de rien le hors-champ politique et social des événements récents de l’histoire de France. Cet élément singulier donnant plus de corps au récit ne s’en trouve que plus dévoyé lorsque le cinéaste décide, au moyen d’une ultime séquence clippée et à grand renfort de musique et d’une voix-off au lyrisme pompier, de raccorder directement leur histoire d’amour impossible aux événements politiques contemporains (des images des manifestations en faveur du Mariage pour Tous sont insérées dans le montage). Le film donne ainsi l’impression de se transformer en tract militant à la dernière minute, réduisant paradoxalement la portée de son récit en en faisant l’étendard d’une cause particulière. Ironie du sort voulant que, après s’être constitué prisonnier à l’intérieur de son film, le cinéaste l’enferme à son tour dans le carcan du film queer militant quand il aurait pu se contenter de n’être qu’un film d’amour.
L’Ordre
« Archipels, granites dénudés » se présente comme un objet très plaisant, aussi bien de par l’hétérogénéité des corps qu’il accueille dans ses cadres (lieux, objets, humains, animaux…) que dans la texture de l’image qui harmonise l’ensemble (un 16 mm très doux). Dès l’ouverture du film, la réalisatrice Daphné Hérétakis s’emploie à mélanger différents régimes d’images en composant un montage frénétique à partir d’extraits de vieux films de science-fiction et de péplums. Des images de la destruction d’un palais, d’humains quittant la terre pour rejoindre un vaisseau spatial ou encore d’éboulements de roches sont agencées pour rendre compte du chaos, de l’avènement d’une catastrophe. Ces images de fiction semblent prendre en charge la représentation d’un désastre tout en la sublimant par les moyens du montage et de la bande son, plaçant d’emblée le geste de la cinéaste du côté de l’essai poétique. En effet, la valeur des séquences documentaires qui constituent la suite du métrage repose moins sur leur qualité de documents que sur leur force évocatrice. C’est leur organisation les unes par rapport aux autres qui produira du sens et, par extension, un constat : celui de la fuite en avant d’une jeunesse qui trouve les racines de son désenchantement dans la crise qu’a récemment traversé la société grecque.
Le film de Daphné Hérétakis restitue l’image de la société à qui elle tend un miroir, imposant de ce fait une fragmentation et donc une multiplication des signes de la crise qu’elle traverse : il s’agit de ne pas donner un visage à cette jeunesse désorientée, mais plusieurs ; ne pas faire entendre une seule voix, mais un chœur tout entier. Ainsi, à des séquences de micro-trottoirs où s’expriment face à la caméra de jeunes Grecs sur leur quotidien et leurs aspirations, répondent des stases plus contemplatives où une voix-off déroule le rapport journalier d’une blogueuse détaillant les angoisses qui l’assaillent au quotidien face à l’absence de perspectives que la société lui présente. Sur ces paroles, une succession de courtes séquences défilent, où la caméra prend aussi bien le temps de circuler à travers les rues d’Athènes que de s’arrêter sur les visages de jeunes gens attablés à une terrasse de café, renvoyant l’image d’une jeunesse occidentale en apparence sereine mais que le désarroi exprimé par la voix-off vient contredire. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de la dialectique sur laquelle est construite chaque moment du film, sur ce souci de prendre acte d’une crise étendue à toutes les strates d’une société et que l’écriture filmique se doit d’intégrer et de contredire dans un même mouvement.
C’est par la mise en relief de la sensualité des corps que Daphné Hérétakis répond au terrible constat énoncé par les différentes voix tout au long du film. Le corps social dont le film restitue l’image n’est pas seulement constitué d’humains : les lieux, les objets et les animaux ont également leur place à part entière à l’intérieur du récit. La beauté de « Archipels, granites dénudés » réside dans cette ambition de donner à sentir littéralement la matière du monde, les textures dont sont faites les différentes peaux qui le compose. Il peut s’agir des poils et des moustaches d’un chat, de la pierre des murs de la ville qui se désagrège ou encore d’une guirlande de jeans séchant sur une corde à linge. Autant d’éléments disparates que le montage fait coexister au sein d’un même film, créant des raccords par moment bouleversants comme lorsque les plans de visages de jeunes Grecs sont montés en alternance avec ceux parcourant les corps de statues antiques rongées par l’érosion. En enregistrant la transformation d’une société au travers de la mutation des corps qui la constitue, Daphné Hérétakis accomplit un acte poétique puissant et replace le politique à son plus fort endroit de résonance : celui de l’écriture filmique.
Les rois du patin
Si le court-métrage « Kiss me not » d’Inès Loizillon s’éloigne d’une démarche documentaire pour embrasser les codes de la fiction, il rejoint néanmoins les films précédemment évoqués sur cette interrogation : comment représenter ce glissement de l’intime vers le collectif, et quel peut en être le lieu ? La réalisatrice choisit ici une patinoire comme espace pouvant libérer les gestes et les paroles de ses protagonistes, donnant la possibilité à ces derniers de l’agiter à leur tour par leur présence. Le film s’ouvre sur une séquence d’entraînement où nous est présenté un premier personnage : Blanche, une adolescente longiligne et gracieuse filant sur la glace sous les conseils avisés de sa coach. Elle n’est à cet instant qu’un corps glissant au milieu d’autres corps, à peine distingué par sa combinaison noire et quelques plans rapprochés que le montage met en perspective avec des plans plus larges révélant l’immensité du décor. Sa position de personnage principal est encore incertaine et la construction du récit à venir interrogera perpétuellement ce statut, révélant un enjeu commun à tous récit d’apprentissage : le rapport de l’individu au groupe et la nécessité de s’en extraire pour avancer.
Une séquence post-générique nous plonge au milieu d’une bande d’adolescents, tous fébriles à l’idée de se rendre à la patinoire pour s’amuser. Le filmage en caméra à l’épaule saisit l’effervescence du groupe en mouvement, dans un geste naturaliste auquel le format carré de l’image et le noir et blanc apporte un contraste bienvenu, une esthétisation affirmant d’emblée l’ambition de la cinéaste de créer des greffes impertinentes. Alors que le groupe chemine vers la patinoire, deux figures s’en détachent : Blanche, la jeune fille découverte dans la séquence d’introduction, et Werner, jeune skateur aux traits fins et doux. L’esquisse d’une attirance mutuelle se dessine alors, lançant un fil narratif que le récit déroulera par intermittence sans le dénouer complètement. Une fois rendu à la patinoire, Blanche se détache radicalement du groupe et décide de se cloîtrer dans les vestiaires. Elle occupe alors son temps à résoudre des mots croisés ou à se vernir nonchalamment les ongles de pieds sans tenir compte des remontrances de sa camarade, la frondeuse Dakota. C’est la manière de Blanche d’investir son espace, en ramenant sa chambre d’ado à l’intérieur des vestiaires pour retrouver une intimité et préserver ainsi un instant à elle, transformant un cadre trivial et impersonnel en écrin pour son amour débutant.
À la faveur d’un montage parallèle, la réalisatrice s’emploie à montrer les autres rituels auxquels se livrent le groupe d’amis sur la glace. Il s’agit pour eux de faire corps, de passer un bon moment ensemble même si des rapports de pouvoir et de jalousie finissent par s’installer et dicter les comportements de chacun. Il en va du personnage de Dakota, qui semble profiter de son statut momentané de seule fille du groupe pour s’imposer face aux garçons, quitte à détourner au passage l’attention du beau Werner en lui donnant une leçon de drague. Les ados de la bande n’en finissent pas de glisser sur leurs émotions, allant et venant les uns vers les autres sans jamais se rencontrer. Werner devra d’ailleurs attendre le départ du groupe pour pouvoir regarder enfin, et de loin, le ballet de Blanche sur la glace. La belle idée développée tout au long du film s’incarne alors pleinement : les premiers élans amoureux sont des instants figés, prisonniers des neiges éternelles que symbolisent ces plans de montagnes intervenant comme des ponctuations au sein du récit. L’intuition d’Inès Loizillon est bonne, car en donnant une paire de moufles et de patins à son teen-movie, elle en propose une variation surprenante, que le jury de Silhouette a su distingué d’un Prix Spécial amplement mérité.
Le Comité Animation de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma a sélectionné hier, lundi 5 octobre 2015, les 12 films de court métrage qui vont concourir au César 2016 du Meilleur Film d’Animation (Court Métrage). De ces 12 films, se dégageront les 4 finalistes pour les Césars 2016.
Le premier tour de vote, qui se déroulera du 4 au 26 janvier 2016, désignera les films nommés pour le César du Meilleur Film d’Animation (Court Métrage). Ils seront révélés lors de la conférence de presse d’annonce des nominations qui aura lieu le mercredi 27 janvier 2016.
Films en lice
– Chulyen, histoire de corbeau, réalisé par Cerise Lopez et Agnès Patron
– Carapace, réalisé par Flora Molinié
– La chair de ma chère, réalisé par Calvin Antoine Blandin
– Chez moi, réalisé par Phuong Mai Nguyen
– Chulyen, histoire de corbeau, réalisé par Cerise Lopez & Agnès Patron
– Dans les eaux profondes, réalisé par Sarah Van den Boom
– Leftovert, réalisé par Tibor Banoczki et Sarolta Szabo
– La Nuit américaine d’Angélique, réalisé par Joris Clerté et Pierre-Emmanuel Lyet
– Le Repas dominical, réalisé par Céline Devaux
– Smart Monkey, réalisé par Winshluss et Nicolas Pawlowski
– Sous tes doigts, réalisé par Marie-Christine Courtès
– Tigres à la queue leu leu, réalisé par Benoît Chieux
La 17e édition du Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris présente à partir du mercredi 7 octobre (et jusqu’au dimanche 18 octobre) huit programmes compétitifs ainsi qu’une série de séances focus sur le thème intitulé « Fiction/Déviation », dans différentes salles (Centre Pompidou, Le Grand Action, Maison de la culture du Japon, Le Luminor Hôtel de Ville, Le Studio des Ursulines, Les voûtes, Le Shakirail).
À cette formule, le festival adjoint une compétition consacrée aux cinéastes de moins de quinze ans, destinée à ouvrir un espace d’expression alternatif aux jeunes créateurs et valoriser les imaginations qui sortent des cadres.
Le public retrouvera dans la compétition internationale une production cinématographique couvrant une large palette d’esthétiques tout en devinant à travers les films quelques tendances caractérisant le cinéma expérimental contemporain. La thématique du festival ambitionne cette année de bousculer l’habitude consistant à opposer cinéma de fiction et cinéma expérimental.
Dans son nouveau court métrage présenté au festival d’Annecy et de Toronto cette année, Theodore Ushev met en scène un kaléidoscope d’images animées sur la chanson Opa Hey de son compatriote bulgare Kottarashky. Un poème audiovisuel au rythme palpitant qui respire l’âme des Balkans.
Des formes organiques, tantôt abstraites tantôt anthropomorphiques, s’animent sur une musique syncopée composée entre autres de captations de terrain de diverses régions de la Bulgarie. Des sombreros et des robes dansent dans le vent, entraînant ainsi le spectateur dans leur chorégraphie allègre et ensoleillée. Le résultat est une vidéo hypnotique et accrocheuse bien que très courte, qui nous fixe dans une sorte de transe et nous laisse en vouloir plus.
L’animateur multi-primé avait déjà eu l’occasion de collaborer avec le musicien considéré comme un maestro du psychédélisme balkan. Le clip qu’il a réalisé pour la chanson « Demoni » en 2013 avait déjà figuré en compétition officielle à Annecy, en plus de gagner de nombreuses récompenses dans le monde. Réalisée à partir de dessins sur des vinyles tournants, cette petite animation s’inspirait de la même esthétique de formes dansantes qu’on retrouve dans « Sonámbulo ».
Contrairement à la narration chargée des « Journaux de Lipsett » ou au discours hautement énigmatique des « Rossignol en décembre », nous assistons ici à une autre facette d’Ushev : celle du formalisme pur, évocateur des grands maîtres du cinéma expérimental tel Len Lye. Cependant, loin d’être gratuite, l’animation abonde de références dont la plus évidente est la citation de la Romance Sonámbulo de Federico García Lorca, qui ouvre le film et lui prête son titre :
« Dessus la lune gitane,
toutes les choses la regardent
mais elle ne peut pas les voir ».
Comme dans le poème de García Lorca, un certain surréalisme s’infiltre dans l’image, comme si tout était permis sous cette lune ignorante et dans cet état de semi-conscience. Le dessin par ailleurs est clairement inspiré de l’univers de Joan Miro, rappelant la fraîcheur et la simplicité enfantine du coup de pinceau de ce dernier.
Autre référence aussi frappante qu’improbable : l’usage de la police de caractères fétiche de Woody Allen, à savoir le Windsor. S’agirait-il d’un clin d’œil au roi de la comédie ou alors le jeune réalisateur autodidacte affirme-t-il ainsi sa volonté de se démarquer du courant dominant et de célébrer sa spontanéité et son originalité à travers son art ? La réponse est sans doute soufflée dans le vent qui caresse la robe de la bien aimée, titillant l’imaginaire avec ses couleurs et son sentiment de liberté et de folie.
Last minute ! La séance Format Court de ce mois-ci, prévue le jeudi 8 octobre est exceptionnellement annulée, Format Court étant invité au festival Ile Courts ayant lieu la semaine prochaine… à l’île Maurice !
La prochaine séance aura lieu le jeudi 12 novembre prochain, toujours à 20h30, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), avec des films, des Prix Format Court, des équipes et des Carambar !
La religion pour fond et l’adolescence 2.0 pour forme
Rim, 18 ans, et Yasmina, 17 ans se gaussent, s’aiment et se détestent dans ce film tendre et vierge de toute superficialité. Ce moyen-métrage, Prix du public au festival Côté Court, actuellement visible dans quelques salles, nous dévoile – à juste titre – le cul et le sexe sous les différents aspects et questions dont se posent deux jeunes adolescentes musulmanes. Question d’actualité pour questions taboues, ce film met en perspective une nouvelle génération et ses complexes sociétaux, à travers le prisme de la religion, le choc des cultures et de ses contraintes potentielles (virginité avant le mariage).
On pourrait y voir un film d’époque corrélant avec l’actualité, néanmoins, en suivant le fil de l’histoire on se rend compte que le réalisateur représente cette jeunesse dans son essence pure. Des filles qui se posent les mêmes questions que n’importe quelle autre fille de France. Malgré tout, l’actualité est le thème sociologique. Il a pour fond une religion qui les soumets à de nombreuses questions : Qu’est-ce qui est Haram (interdit / illicite en arabe) ? Le godemiché ? Le tampon ? La méfiance des garçons : « Frères mus (cf : musulman) frères j’m’amuse ».
Cités, bétons, bâtiments, et jeunes qui discutent en bas des immeubles. Le décor est posé, dès les premières secondes, le contexte social est bien connu. Le plan est fixe, l’atmosphère y est froide. Nous sommes en hiver. Les deux jeunes filles donnent le ton. La mise en scène y est dénotée de toute chaleur et la joute verbale de mots crus et trash amène la petite touche de radiateur qui nous manque.
La froideur de la rue fait place à l’ambiance chaleureuse de la chambre, l’internet 2.0 prend le relais et c’est l’univers des réseaux de rencontre du plus trash au plus sage et sa magie du lien social qui viens porter une tentation liés à toutes ces interrogations. L’une va défendre les principes moraux pour éviter que l’autre ne passe pour une « pute » mais c’est dans un comique de situation – qui restera le passage phare de ce film – qu’elle associe les mots aux gestes pour décrire, avec précision, comment faire une fellation. Tout est dans le paradoxe de ces deux sœurs. Bien ou pas bien, la raison ou le cœur, la virginité ou l’amour. Haram ou pas Haram.
Jusqu’au bout on se demande si le désir va être plus fort que les principes moraux et religieux, si le ressort final va ajouter une touche de tentation ou une touche de politiquement correct peut-être un peu trop présent sur le sujet ces derniers temps.
Dans cette mise en scène, peu importe au final, ces longs plans fixes qui ne bougent que lorsque les deux sœurs montent le ton. Le réalisateur associe à la « dynamique » du film des enchaînements qui auraient pu parfois paraître monotones. Un cadrage frontal, un décor simpliste relatif à ces banlieues que la « majorité traditionnelle » ne voudrait pas voir, et c’est toute la réalisation d’Antoine Desrosières qui met en valeur une sociologie des dialogues.
Les deux jeunes actrices sont novices dans le jeu du cinéma et démontrent une innocence qui « pue le vécu », des situations farfelues qui nous amusent. Dirigées parfois, lâchées beaucoup, on remarque une improvisation qui nous amène une grande bouffée d’air frais à travers cette pollution morose des villes et des banlieues. La bande sonore n’est pas en reste puisqu’elle représente la jeunesse rêvée des années yé-yé. Ces jeunes qui, déjà, souhaitaient vivre leur sexualité plus librement et s’exclamaient « Jouir sans entraves » ou « Prenez vos désirs pour des réalités ». Parfois la ferveur de la jeunesse est là où beaucoup trop de gens ne l’attendent pas.
Cette petite aiguille dans la botte de foin du non-dit sur la communauté musulmane fais plus que du bien et l’on ne peut qu’encourager ces histoires « banales » du quotidien qui font rire, sourire, s’esclaffer devant la générosité des actrices et devant la logique subtile est nécessaire de parler de ces situations trop peu vues au cinéma.
Synopsis : On ne badine pas avec l’amour. Rim, dix-huit ans, rappelle à sa soeur Yasmina, dix-sept ans, qu’elle ne doit pas parler au garçon qui lui plaît. Mais à force de parler de tout ce qui est interdit, cela donne des envies. De rappels en conseils, Haramiste raconte l’histoire de ces deux soeurs au dress code voile – doudoune – basket, qui s’adorent, s’affrontent, se mentent, se marrent, se font peur, découvrent le frisson de la transgression et du désir amoureux.
Genre : Fiction
Durée : 40′
Pays : France
Année : 2014
Réalisation : Antoine Desrosières
Scénario : Antoine Desrosières, Anne-Sophie Nanki, Souad Arsane, Inas Chanti
Image : George Lechaptois
Son : Jules Pottier
Montage : Simon Thoral
Interprétation : Inas Chanti, Souad Arsane, Jean-Marie Villeneuve, Samira Kahlaoui
Production : Les Films de l’autre cougar, Hybrid Films
Fort d’une édition anniversaire mémorable l’année dernière, l’Étrange Festival a continué sur sa lancée avec une 21ème édition (3-13 septembre, Forum des Images) sous le signe du passage très remarqué des Residents, ces illustres inconnus adeptes de versatilité et d’explorations artistiques totales.
Carte blanches de réalisateurs (Guy Maddin, Benoît Delépine, Ben Wheatley), nuit « apocalyptique », programmations spéciales de courts métrages (« 20 ans d’Étranges Courts »), séance Retour de Flamme (le magnifique « L’Inhumaine » de Marcel L’Herbier), sans oublier les diverses sélections de Pépites de l’Étrange, les avant-premières attendues et la programmation documentaire particulièrement soignée : l’Étrange Festival a de nouveau fait le plein cette année en films différents attisant la curiosité et flattant la rétine.
Pour la cinquième année consécutive (un anniversaire en soi !), l’entité insolite formée par les deux Julien a couvert la manifestation, au nom de Format Court, et vous ramène deux interviews de Guy Maddin et Alain Burosse, ainsi qu’un compte-rendu global sur le court métrage qui fêtait ses vingt années de programmation en fanfare, avec pas moins de six programmes de courts et deux séances spéciales 20 ans (à venir).
Défricheur de grand talent qui fit de la télévision un terrain de jeu pour tous les allumés de formes courtes sortant de l’ordinaire, Alain Burosse est le créateur d’émissions cultes (Haute Tension, L’œil du Cyclone, Avance sur Images) qui ont façonné l’imaginaire collectif de plusieurs générations, mais également le « Mr court métrage » de Canal + pendant deux décennies, fonction qu’il occupe depuis à l’Étrange Festival. Rencontre avec un homme passionné d’images, passeur invétéré et cinéphile insatiable.
Quel est votre parcours et comment en êtes-vous venu à créer les Programmes Courts de Canal + ?
Je me suis retrouvé un peu « bombardé » responsable des Programmes Courts, c’était un nouveau titre à Canal + en 1984, et notre mission était de remplir des cases qui s’appelaient les « Surprises », avec des durées variées, diffusées entre deux films ou alors entre du sport et des films. Un peu comme, je déteste cette appellation et ce qu’elle sous-entend, des programmes de complément, faisant office de bouche-trou.
Je n’y connaissais franchement rien quand je suis arrivé. Il se trouve que je faisais avant une émission sur la 2, dans Les Enfants du Rock, quelque chose de plutôt néo-punk qui s’appelait Haute Tension et qui diffusait essentiellement de l’art vidéo. Mais tout de suite, j’ai plongé dans le bain en achetant des courts métrages un petit peu partout, et j’ai eu un déclic, en février 1985, la première fois que je suis allé au Festival de Clermont-Ferrand, beaucoup plus petit et modeste à l’époque. C’est vraiment là où j’ai découvert le court métrage.
Après ce festival, je suis allé au Festival d’Annecy, ainsi qu’au Festival de vidéo de Montbelliard. Au bout d’un an, j’avais une idée assez précise de tout ce qui pouvait se faire en court métrage. Nous avions les moyens pour acheter des films, et puis, petit à petit, Canal + a commencé à gagner de l’argent, donc nous avons eu aussi les moyens de produire et de pré-acheter. C’était un peu l’âge d’or de Canal + par rapport au court métrage, nous sommes devenus partenaires de Clermont-Ferrand et d’Annecy, et nous avons créé des émissions spécifiques de courts métrages. Nous pré-achetions un nombre considérable de courts métrages de tous genres, il pouvait y avoir de la fiction, de l’expérimental, de l’animation. Cela pouvait être des petits films de cinq minutes comme d’autres plus longs, par exemple « Carne » de Gaspar Noé, qui débordait considérablement de notre case, censée durer une vingtaine de minutes au départ. Mais de temps à autre, nous débordions quand le film nous semblait important.
Je suis parti en 2001, et Pascale Faure, qui travaillait déjà avec moi, a pris le relais. Depuis, elle s’occupe des courts métrages à travers Mickrociné notamment, ainsi que les pré-achats de courts métrages et les partenariats comme Clermont.
Pouvez-nous parler de la création de L’œil du Cyclone ?
Avant L’œil du Cyclone, il y a eu une émission qui a duré au moins deux ans, mais qui est beaucoup moins connue et qui s’appelle Avance sur Images. C’était un magazine centré sur l’art vidéo. Au bout de deux ans, nous avons pris conscience que nous manquions de matière. Nous nous sommes dits que nous allions créer un nouveau projet, une émission qui ne ressemblerait à rien de connu et qui montrerait un foisonnement d’images provenant du monde entier, mais aussi en fabriquant nos propres images, ce fut L’œil du Cyclone.
Nous voulions qu’il n’y ait aucun présentateur, ou du moins qu’il y ait une présentation, mais qui soit différente à chaque fois. Nous avions seulement la contrainte de la durée, qui était de 26 minutes, et l’horaire de programmation, en règle générale, le samedi en début d’après-midi. Nous avions cette chance de posséder les moyens financiers de faire ce que l’on voulait ainsi qu’une grande liberté artistique. Évidemment, il y avait des choses un peu pointues et tout ce qui relevait de la pornographie ou de l’humour trop potache, nous ne devions pas y toucher. Nous nous sommes quand même rattrapés dans La Nuit du Cyclone en faisant passer les images qu’on adorait et qui nous étaient interdites de diffusion.
Puis, l’émission s’est terminée, mais sans que l’on nous demande d’arrêter. Nous nous sommes plutôt sabordés nous-mêmes en nous disant que ce n’était pas plus mal de s’arrêter sur une bonne note. Je me suis rendu compte, au bout de quelques années, que le système que l’on avait mis en place pouvait être interminable, sans fin, donc nous avons préféré arrêter avant de nous lasser. Ce qui m’intéressait, c’était avant tout de créer une émission culte, un ovni de la télévision.
Comment avec Canal +, ainsi que personnellement plus tard, en êtes-vous venu à collaborer avec l’Étrange Festival ?
Cela remonte à l’époque où l’Étrange Festival se déroulait au Passage du Nord-Ouest, c’est-à-dire au « millénaire dernier ». Au sein des programmes courts, nous avons tout de suite vu que Frédéric Temps assurait une programmation plus originale par rapport à ce qui faisait alors. Donc, nous avons naturellement commencé à le soutenir et, assez rapidement, à devenir partenaire de l’Étrange, notamment en remettant un Prix Canal du meilleur court métrage.
Je ne participais pas encore à la programmation, j’ai commencé à m’y investir une fois parti de Canal +. À l’époque, j’étais président d’une autre manifestation, le Festival du Film Gay et Lesbien de Paris, et au moment de mon départ de ce festival, Frédéric Temps m’a proposé d’intégrer l’Étrange, j’ai dit oui assez facilement.
La compétition de courts métrages existe depuis de nombreuses années, mais au départ, il n’y avait pas autant de séances. Il y en a eu quatre pendant longtemps, puis l’année dernière, nous sommes passés à cinq, et maintenant six pour marquer le coup. Il y a également les programmes spéciaux « 20 ans d’Étranges courts » préparés par Canal + qui montrent un panel de films importants qui ont marqué toutes ces années, avec des auteurs que l’on a suivis au fil des ans et qui sont devenus des réalisateurs confirmés, comme Bill Plympton (« Santa : The Fascist Year »), Guy Maddin (« Sissy Boy Slap Party »), Bill Morrison (« Light Is Calling »), Patar et Aubier (« Les Baltus au Cirque »), David Lodge (« La Comtesse de Castiglione »), etc.
Comment définiriez-vous la ligne directrice de l’Étrange Festival ?
Si l’on entend par là la ligne artistique ou esthétique, les films doivent posséder quelque chose relevant de « l’étrange », mais la définition étant plutôt large, cela permet de faire entrer dans la compétition de nombreux courts différents allant de l’expérimental pur et dur jusqu’à de la comédie plus classique, avec juste un petit côté bizarre.
Ce que nous avons essayé de faire en plus cette année, c’est de thématiser les différentes séances. Nous avions eu des retours de spectateurs qui se plaignaient que ce soit un peu bric-à-brac au niveau de l’agencement de la programmation, que l’on passait d’un genre à l’autre, ce qui personnellement ne me gêne pas vraiment et fait la richesse des propositions. Pour la première fois, nous avons regroupé les films sous des thèmes particuliers. Mais, j’ai l’impression qu’au final, malgré tout, les spectateurs viennent surtout voir les courts de l’Étrange parce qu’ils savent qu’ils vont voir des choses différentes qu’ils ne verront pas ailleurs.
Avez-vous eu envie de passer à la réalisation pendant toutes ces années de défrichage et de programmation ? Et si oui, pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos films ?
J’ai surtout réalisé des films documentaires, mais jamais de fiction, c’est quelque chose qui me fait peur. J’aurais du mal à travailler avec des comédiens, par exemple, je ne saurais pas comment les gérer. Je me sens beaucoup plus à l’aise dans la forme documentaire ou expérimentale.
En documentaire, j’ai fait deux épisodes de L’œil du Cyclone, un qui portait sur les personnes hermaphrodites, et qui s’appelle « L’hypothèse Hermaphrodite », l’autre, « Glozel », en rapport avec un mystère archéologique, sujet qui m’intéresse par dessus tout, puisque j’ai fait des études d’archéologie à la base. Je me suis retrouvé un peu par hasard dans le monde merveilleux des médias, mais ce que je voulais faire, c’était égyptologue.
J’ai également réalisé un film pour Arte, un voyage dans une oasis égyptienne, « Siwa », endroit très particulier, à trente kilomètres de la Lybie, ainsi qu’un autre film, co-réalisé avec une amie, sur la deuxième île de Cuba qui est moins connue et qui s’appelle « l’Île de la jeunesse ». Je travaille actuellement sur un nouveau projet, expérimental, mais je ne peux pas en dire plus, car c’est tellement à l’état d’embryon que j’ai peur de faire une fausse couche…
Je n’ai cependant jamais officié dans la fiction, c’est quelque chose qui me fait peur. Les comédiens, par exemple, je ne saurais pas comment les gérer. Je me sens beaucoup plus à l’aise dans le documentaire que dans une forme fictionnelle. Je travaille actuellement sur un nouveau projet, expérimental, mais je ne peux pas en dire plus, car c’est tellement à l’état d’embryon que j’ai peur de faire une fausse couche…
La prochaine édition du festival Henri Langlois (27 novembre-4 décembre) rebaptisé il y a 1 an Poitiers Film Festival se prépare. Sur 1412 films reçus d’un peu partout, le comité de sélection en a retenu 47, issus de 34 écoles. Voici la liste des films en compétition. Bonne info : deux réalisateurs ont été lauréats de nos Prix Format Court, Simon Gillard et Guido Hendrikx !
Le Park, Randa Maroufi, fiction, Le Fresnoy, France
My Milk Cup Cow, Yantong Zhu, animation, Tokyo University of the Arts, Japon
Ob sich die Sehnsucht vererbt (Si la nostalgie est héréditaire), Gitte Hellwig, documentaire-animation, Filmuniversität Babelsberg KONRAD WOLF, Allemagne
Edmond, Nina Gantz, animation, NFTS, Royaume-Uni
Stillstand, Bela Lukac, fiction, Filmakademie Wien, Autriche
Yaar, Simon Gillard, documentaire, INSAS, Belgique
Estela, Joacenith Vargas, fiction, EICTV, Cuba
Fulfilament, Rhiannon Evans, animation, NFTS, Royaume-Uni
Matka Ziemia, Piotr Zlotorowicz, fiction, PWSFTviT, Pologne
Goodnight Birdy, Zara Zerny, fiction, Super 16, Danemark
Volando Voy, Isabel Lamberti, documentaire, Netherlands Film Academy, Pays-Bas
Deux amis, Natalia Chernysheva, animation, La Poudrière, France
Le Vol des cigognes, Iris Kaltenbäck, fiction, La fémis, France
Knife in the Wife, Vita Drygas, documentaire, Krzysztof Kieslowski Faculty of Radio and Television at the University of Silesia, Pologne
Ten Buildings Away, Miki Polonski, fiction, Minshar for Art, Israël
Brume, cailloux et métaphysique, Lisa Matuszak, animation, EMCA, France
Porn Punk Poetry, Maurice Hübner, fiction, Filmakademie Baden-Württemberg, Allemagne
Dinosaurios, Amanda Gomez, fiction-documentaire, Facultat de Comunicació Blanquerna, Espagne
Bloody Sour Grapes, Indeed, Deveroe Aurel Langston, animation, HfG Offenbach, Allemagne
Approaching the Puddle, Sebastian Gimmel, fiction, KHM – Academy Of Media Arts Cologne, Allemagne
Elle pis son char, Loïc Darses, documentaire, UQAM, Canada
Offside, Jimmy Dean, fiction, University of Westminster, Royaume-Uni
Persefone, Grazia Tricarico, fiction, Centro Sperimentale di Cinematografia, Italie
Wellington Jr., Céline Paysant, animation, La fémis, France
La nube, Marcel Beltrán, fiction, EICTV, Cuba
That Day of the Month, Jirassaya Wongsutin, fiction, Chulalongkorn University, Thaïlande,
Herman the German, Michael Binz, Fiction, KHM – Academy Of Media Arts Cologne, Allemagne Among Us, Guido Hendrikx, documentaire, Netherlands Film Academy, Pays-Bas
La Légende du Crabe Phare, Gaetan Borde, Benjamin Lebourgeois, Claire Vandermeersch, Alexandre Veaux, Mengjing Yang, animation, Rubika, France
Komm ich fackel deine Eigentumswohnung ab! (Let’s Burn Something on My Way Out!), Dennis Stormer, fiction-expérimental, Filmakademie Baden-Württemberg, Allemagne
Esel, Rafael Haider, fiction, Filmakademie Wien, Autriche
MANoMAN, Simon Cartwright, animation, NFTS, Royaume-Uni
Foal, Vanessa Gazy, fiction, AFTRS, Australie
The Guardian, Pan Yiran, fiction, Beijing Film Academy, Chine
In God We Trash, Thijs De Block, fiction, RITS School of Arts, Belgique
The Satanic Thicket – 1, Willy Hans, fiction, HfbK Hamburg, Allemagne
Automne, Kun Yu, animation, La Poudrière, France, 4 min
Alles Wird Gut (Everything Will Be Okay), Patrick Vollrath, fiction, Filmakademie Wien, Autriche, 30 min
Janus, Sung Hwan Kim, fiction, KAFA, Corée du Sud, 15 min
I’m Twenty Something, Marija Kavtaradzè, fiction, LMTA, Lituanie, 20 min
Chhaya, Debanjan Nandy, animation, NFTS, Royaume-Uni, 10 min
Chaque fois qu’on se dit au revoir, Chao Liang, fiction, Le Fresnoy, France, 37 min
The Living of the Pigeons, Baha’ AbuShanab, documentaire, Dar Al-Kalima University College of Arts & Culture, Palestine, 16 min
El pasado roto, Sebastián Schjaer, Martín Morgenfeld, fiction, Universidad del Cine, Argentine, 16 min
In the Garden, Ondrej Dolejsi, animation, FAMU, République tchèque
Hotaru, William Laboury, fiction, La fémis, France
Roadtrip, Xaver Xylophon, animation, Kunsthochschule Berlin Weißensee, Allemagne
Synopsis : L’ombre autour de la ceinture / elle rêve à son balcon (…) Dessous la lune gitane / toutes les choses la regardent / mais elle ne peut pas les voir. Sonámbulo est un voyage surréaliste à travers les formes et les couleurs, inspiré du poème « Romance Somnambule » de Federico García Lorca; une poésie visuelle qui se déploie au rythme d’étranges rêves et de nuits passionnantes.
Genre : Animation
Année : 2015
Pays : Canada
Durée : 4’20 »
Scénario, réalisation et animation : Theodore Ushev