Simon Ellis : « Avec les courts, les producteurs ne s’attendent pas à récupérer leur argent. On peut donc prendre plus de risques, être plus créatif »

Présent au 30ème festival du film court de Brest pour une séance spéciale où il était invité à présenter certains de ses courts-métrages et à revenir sur sa carrière, le britannique Simon Ellis se prête volontiers au jeu des questions-réponses, en agrémentant le tout d’anecdotes de tournage, et répond aux questions de Format Court. Nous l’avions découvert en 2008 avec le multiprimé « Soft », un film qui concentre et met en scène avec brio tension et violence dans une banlieue de classe moyenne. Le film était présenté à Brest dans une carte blanche aux côtés d’œuvres plus anciennes comme « What About the Bodies » (2002) et d’autres plus expérimentales comme « A Storm and Some Snow » (2006), mais aussi son dernier court « Stew & Punch » (2013). Avec une carrière qui s’étend sur presque vingt ans et de nombreux films à son actif, Simon Ellis est l’une des figures importantes du court-métrage britannique.

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Tu as commencé à réaliser des courts-métrages il y a presque vingt ans. As-tu vu les choses changer de façon importante depuis tes débuts, notamment au sein de l’industrie cinématographique britannique, dans la façon de réaliser et produire des courts ?

Je crois que j’ai vu pas mal de changements à vrai dire. Mon premier film a dix-neuf ans et désormais, le processus n’est plus le même, en grande partie à cause des technologies numériques qui ont tout changé. Maintenant, tout le monde peut faire un film et les courts- métrages sont clairement en train de se rallonger. Ce qui avant était un film de dix minutes est désormais un film de vingt minutes. À vrai dire, je pense que ce n’est pas une bonne chose.

Avant, on attendait d’avoir des financements, et si on ne les obtenait pas, on ne faisait pas de films. Aujourd’hui, même sans financements, on peut au moins faire un film facile à tourner avec des caméras pas chères. Il y a donc beaucoup plus de films et il faut maintenant creuser plus profondément pour essayer de trouver les bons. Ça rend les choses plus difficiles pour les festivals, car ils doivent faire leur travail de sélection parmi beaucoup plus de films qu’avant.

En ce qui concerne l’industrie du film britannique, ce qui a réellement changé, c’est l’introduction des frais d’inscription, basée sur le modèle américain. Il y a des festivals qui font ça uniquement pour réduire le nombre d’inscriptions. Si tu dois payer, tu y réfléchis à deux fois avant de proposer ton film amateur, ce qui est, pour être honnête, une situation très bizarre parce que les réalisateurs n’ont généralement pas d’argent.

Comment tes courts-métrages sont-ils produits ? Est-ce que cela a changé depuis tes débuts ?

Les cinq premières années de ma carrière, j’étais seul, je n’avais pas de producteur, je suppose que cela signifie que j’étais mon propre producteur. J’ai commencé à travailler avec un producteur pendant les cinq ou six années suivantes, puis j’ai de nouveau travaillé seul. Lorsqu’il s’agit de gérer un budget, des assurances, toutes ces choses dont vous n’avez pas à vous préoccuper lorsque vous travaillez seul, j’ai besoin d’un producteur. Du coup, il y a trois producteurs avec lesquels je travaille en fonction du projet et de leurs disponibilités.

Par exemple, je suis actuellement en développement d’un long métrage avec un producteur, Samm Haillay (Third Films), que je connais depuis quinze ans, qui a produit des courts et des long métrages supers et on avait très envie de travailler ensemble, c’est la bonne personne pour ce projet. Je ne vis pas à Londres mais les publicités que j’y ai réalisées m’ont permis de faire beaucoup de rencontres. L’équipe que j’ai trouvé dans la publicité, le directeur de la photographie, le chef électricien, le producteur, a ensuite travaillé sur mes courts-métrages, et je travaille avec eux dès que c’est possible. Pour le dire simplement, s’il y a du budget, s’il s’agit d’une commande, il y aura un producteur. Si c’est un projet sur lequel je travaille seul, alors je l’auto-produis.

Après que votre « Soft » ait récolté plus de 30 récompenses en festival, est-ce que cela a rendu les choses plus faciles pour toi ? As-tu eu plus de propositions ?

Oui, j’ai eu plus de propositions, surtout pour la télévision. Certaines de ces offres étaient des longs-métrages avec des scénarios écrits par d’autres personnes, et on me demandait juste de les réaliser, mais j’ai tout refusé. Je traversais une période difficile à l’époque et je me suis un peu senti submergé par toute cette attention. « Soft » étant un film sur la jeunesse et l’émasculation, on m’a proposé beaucoup de travail qui allait dans ce sens, comme par exemple des projets autour des gangs. À l’époque, je voulais aller dans une autre direction. Je me suis un peu enfermé et je n’ai fait aucune de ces choses. Lorsque le film a gagné le prix du jury au festival Sundance en 2008, c’était un événement important. J’ai reçu beaucoup d’e-mails de personnes qui étaient là-bas et qui souhaitaient qu’on se rencontre. Mais je n’y étais pas, je n’y suis pas allé. S’il y avait une chose sur laquelle je pouvais revenir en arrière, une chose que je pouvais changer dans ma carrière, je serais allé à Sundance !

Tes courts-métrages abordent avec réalisme des thèmes comme la violence et la masculinité. Ces thèmes se retrouvent dans d’autres courts-métrages britanniques présentés cette année en compétition lors du festival de Brest comme « Coach » de Ben Adler ou « The Patriot » d’Eva Riley. Penses-tu que ce sont des thèmes particulièrement liés à la société britannique, une réaction à des problèmes qui lui sont propres ?

Je ne sais pas. Le thème de l’émasculation abordé dans « Soft » est pour moi incroyablement universel, et je ne le considère pas comme quelque chose de britannique. J’essaye justement de rester en dehors des clichés du court métrage britannique. Mais chaque pays a ses clichés. Par exemple, je vais peut-être voir un film français que je vais beaucoup aimer alors que des Français ne l’aimeraient pas du tout. Il y a une tradition au Royaume-Uni, un genre qu’on appelle « poverty porn », qui se passe dans des logements sociaux, avec beaucoup de violence, de l’alcoolisme, des avortements, des viols, du sinistre encore et encore. Ces films s’exportent plutôt bien en fait. Mais j’ai l’impression que chez nous, on commence à se lasser de ce genre de films. Quand j’ai fait « Soft », j’ai délibérément situé l’histoire dans un quartier résidentiel de classe moyenne et non dans des logements sociaux. J’essaye d’avoir une vision plus large, plus universelle, et pas seulement un sentiment de « britannicité ». Je ne sais même pas ce que ça signifie, à part que ces films se passent dans des logements sociaux ou des HLM.

Dans « Stew & Punch », ton dernier court-métrage de fiction dans lequel une pendaison de crémaillère arrosée dégénère lorsqu’un couple participe à un bras de fer, la performance des acteurs semble très naturelle, est-ce que le scénario était écrit de A à Z ou y a-t-il eu une part d’improvisation ?

C’est un mélange. C’est drôle car cette question revient souvent avec « Stew & Punch ». J’essaye tout le temps de revenir en arrière, de regarder le scénario et d’en tirer le pourcentage d’écriture et le pourcentage d’improvisation. Le film a été écrit de A à Z, mais l’idée était que les comédiens puissent dire les choses à leur façon. Mais ils ne pouvaient pas digresser car cela aurait eu un effet sur la durée alors qu’il s’agit de trois chapitres filmés en plans-séquences et qu’il n’y avait pas de montage. Si un passage est censé prendre une page et durer une minute et qu’au final, il en fait deux, cela peut poser problème à cause du style de film dont il s’agit. L’objectif était toujours d’arriver à un certain point, et le temps que nous avions pour y arriver était calculé, peu importe de quelle façon. Le rythme et tous les événements étaient prévus, mais pour les dialogues, les comédiens étaient libres de dire les choses à leur façon.

Le film est tourné en trois actes et trois plans-séquences, pourquoi as-tu choisi cette forme et comment as-tu procédé au moment du tournage ?

L’idée est d’explorer des choses nouvelles à chaque nouveau film. Avec « Stew & Punch », je voulais travailler sur quelque chose proche du théâtre, et je l’ai écrit essentiellement comme une pièce en trois actes. Le concept était trois actes, trois pièces, trois plans. Cela ressemble à un artifice, mais l’idée était de regarder, en temps réel, cet homme se dégrader dans un processus d’auto-destruction. Lorsque vous travaillez en temps réel, en fonction du sujet, il y a instantanément une sorte de tension étrange qui se crée, liée au fait de ne pas savoir ce qui va se passer ensuite. Pour moi, tout ça était nouveau et j’ai trouvé que, parce que tout le monde a tant de choses à se rappeler, et que tant de choses doivent être chorégraphiées, la concentration de chacun est tout le temps à son maximum. On ne peut pas se permettre de tout rater. Si vous arrivez à la fin d’un plan de quatre minutes et que quelqu’un fait quelque chose qui ne va pas, vous devez tout recommencer, et le temps de chacun est gâché. Du coup, tout le monde est ensemble. C’est toujours le cas, mais encore bien plus sur un film tourné en temps réel. Le principal challenge était d’être sûr de pouvoir tourner ces scènes sans avoir à recommencer encore et encore. Le second challenge était de travailler avec une distribution de huit personnes, dans une maison sans meubles aux murs complètement vides où le son rebondissait de tous les côtés et où il était très difficile d’enregistrer un son de qualité dans ces conditions. C’est quelque chose sur lequel je travaille davantage avec le long-métrage que je suis en train de développer.

Est-ce que ce sera ton premier long-métrage ?

J’ai réalisé un long-métrage mais que je n’ai pas écrit, donc en terme de paternité et d’écriture, je n’en ai pas encore fait. Il s’agissait d’une comédie romantique qui est un genre qui ne m’intéresse pas vraiment. J’essayais du coup d’en faire ma propre version. C’était une expérience difficile et ce n’est que maintenant, neuf ans plus tard, que je travaille sur un nouveau projet de long. À vrai dire, quand tu fais des courts depuis très longtemps, que tu bénéficies d’un certain succès et que tu refuses des propositions de longs, tu espères que quand tu en feras un, tu choisiras le bon et ce sera bien. Cela était très naïf de ma part. Au final, les producteurs ont besoin de faire de l’argent et d’amortir leur investissement. C’est très différent du court métrage car avec les courts, les producteurs ne s’attendent pas à récupérer leur argent. On peut donc prendre plus de risques, être plus créatif je suppose. Il y a plusieurs de mes courts que j’ai d’abord écrit comme des longs mais j’ai finalement trouvé que ça fonctionnait mieux comme des courts-métrages, c’est le cas de « Soft » par exemple. Je co-écris, parce que si je devais écrire seul je pense que je n’arriverais nulle part. Je jetterais constamment les choses à la poubelle, je ne les terminerais jamais. C’est bon de pouvoir trouver un équilibre avec une autre personne. On se critique, et on se complimente aussi. Mais ce qui est important pour moi c’est de garder le rythme, car quand je perds un peu d’aplomb, les co-auteurs m’aident à en retrouver, et vice-versa.

Est-ce qu’il y a un réalisateur ou un film en particulier qui est important pour toi ?

J’ai récemment fait une conférence au European Film College au Danemark, et on m’a demandé de projeter un film de mon choix pour les étudiants. J’ai choisi « Nuts in May » de Mike Leigh (1975), qui a été réalisé, à l’origine, pour la télévision. C’est un film très étrange et excentrique et après la projection, des étudiants m’ont demandé pourquoi j’avais choisi ce film. Il est différent des miens et je pense qu’ils s’attendaient à un film sur la masculinité ou quelque chose dans le genre, mais je pense que c’est un chef-d’œuvre. Le principe est très simple, c’est une étude de personnages et c’est une des similarités qu’on peut, j’espère, trouver avec mes films. Il y a très peu de personnages, mais on passe beaucoup de temps avec eux. Au lieu d’essayer de raconter trop d’histoires à la fois, on apprécie les moments passés en compagnie de ces personnages excentriques, très anglais, uniques. C’est une histoire simple mais très bien racontée. Je l’ai vu plein de fois et je ne m’en lasse jamais, c’est un film important pour moi. Mais j’aime « Star Wars » aussi !

Propos recueillis par Agathe Demanneville

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