Tous les articles par Katia Bayer

Between Walls de Sara Jespersen Holm

Between Walls (Mellem Vaeggene) de Sara Jespersen Holm, Animation, 8’03’’, 2015, Danemark, The Animation Workshop

Synopsis : Un écrivain en panne d’inspiration essaie d’écrire un poème. L’énergie négative qu’il dégage se matérialise en corbeaux noirs, que seule sa fille Millie semble être capable de voir.

C’est l’histoire d’un père, d’une petite fille et d’un oiseau. Lui est en panne d’inspiration. Devant sa machine à écrire, il récite le poème qu’il tape, mais rien ne lui convient : ses pages finissent immanquablement à la poubelle. Elle, l’enfant, Millie, a un ami, un oiseau lumineux auquel elle est attachée. Elle essaye aussi d’attirer l’attention de son père, trop pris par son travail pour se rendre compte que sa fille a des déboires à l’école.

Le décor de ce film, réalisé à l’école danoise The Animation Workshop par Sara Jespersen Holm, se veut minimaliste et opte pour une tonalité grise. Tout y est sombre, des murs de la maison, aux personnages gris en passant par les corbeaux noirs. Seuls espaces blancs : les pages volantes et l’oiseau de papier de Millie, issue de son imaginaire et de son innocence.

À la fin de ce conte poétique et touchant vu au Festival Anima de Bruxelles, le père retrouve l’inspiration, découvre l’oiseau et prend sa petite fille dans ses bras. Les murs et la grisaille ambiante font place à la tendresse entre les deux personnages et au lien retrouvé.

Hélène Klein

À la rencontre de Clément Postec et Carole Grand

Le Cinéma L’Archipel (17, boulevard de Strasbourg, Paris 10ème) accueille ce mardi 7 mars à 20h, un nouveau rendez-vous « À la rencontre » initié en 2014. Deux réalisateurs, Clément Postec et Carole Grand, y présenteront leurs films. À l’issue de la projection, les cinéastes dialogueront avec Marc-Antoine Vaugeois (rédacteur à Format Court et A bras le corps).

Du documentaire à la fiction jusque dans leurs hybridations les plus surprenantes, la programmation bimestrielle « À la rencontre » entend mettre en avant et défendre un cinéma de recherche se jouant des formats, des genres et des durées de façon renouvelée, offrant à chaque fois aux spectateurs une séance aussi riche que stimulante.

• Mille autres raisons, un film de Clément Postec (9 mn, 2016)

Synopsis : Un homme explique les raisons de son asile. Un autre marche à la recherche d’une image.

• Les portes d’arcadie, un film de Carole Grand (58 mn, 2015)

Synopsis : Dans les petits bureaux prêtés par la mairie du Xème arrondissement de Paris à l’association ARDHIS, bénévoles et demandeurs d’asile se retrouvent pour faire émerger une parole balbutiante et personnelle. Le seul moyen de prouver que l’on est bien homosexuel et persécuté pour cette raison afin d’obtenir l’asile en France, c’est de convaincre par le récit de son expérience intime.

Mais réussir à mettre les bons mots sur ce que l’on a vécu et persuader de l’authenticité de son histoire n’est pas simple. Soir après soir, ces paroles sont accouchées pour reconstituer des histoires de vie et d’amour qui seront confrontées à l’administration française.

En pratique

Infos : Facebook
Durée : 1h08
Tarif normal : 8 euros. Cartes UGC acceptées

CIEL#9 Pour un flirt

Il y a quelques mois, nous avons attiré votre attention sur le projet CIEL, alias Cinéma indépendant en ligne, lancé il y a quelques temps par Ciclic. L’initiative cherche à favoriser la diffusion des œuvres soutenues et des formats peu visibles dans les salles de cinéma et/ou à la télévision.

Aujourd’hui, nous publions une nouvelle actu sur CIEL#9, toujours porté par Ciclic, avec une nouvelle proposition de films en lignes (et de contenus associés) consacrés à la drague. Bon nombre d’entre eux ont été chroniqués sur Format Court.

Du côté des comédies adolescentes, entre moquerie et romantisme, découvrez « La Boum de Julia Ferrari » de Géraldine de Margerie et « Guy Moquet » de Demis Herenger (critique et interview à lire sur notre site).

Pour les adeptes de l’amour vache, voici 3 films/situations de séduction liés à des générations différentes : « Aglaée » de Rudi Rosenberg (critique et interview à lire sur notre site), « Les Princesses de la piste » de Marie Hélia et « T’étais où quand Mickael Jackson est mort » de Jean-Baptiste Pouilloux.

Pour les mordus de chorégraphie, voici également plusieurs films : « Le Sens du toucher » de Jean-Charles Mbotti Malolo, une animation sensuelle, récompensée du Prix Format Court au Festival de Villeurbanne 2014 (voir notre dossier en ligne), « Merci Cupidon » d’Abel et Gordon, un film culte et burlesque (critique & interviews en ligne), « Je sens le beat qui monte en moi » de Yann Le Quellec, une comédie romantique décalée, et « Braise » d’Hugo Frassetto, une animation sensuelle.

Derniers films à être proposés par Ciel : « Corps inflammables » et « 75 centilitres de prière », deux moyens-métrages de Jacques Maillot, captant les amitiés et les désirs dans les années 1990, « Kiss me not » d’Inès Loizillon, un film choisi par le réalisateur Yann Gonzalez, mais aussi « Petit cœur » de Uriel Jaouen Zréhen, sélectionné par le festival Désir…Désirs !

Bonne nouvelle : ces films sont visibles en ligne, dans leur intégralité et gratuitement jusqu’au lundi 10 avril 2017 ! Profitez-en !

Festival Nouveaux Cinémas, dernier jour d’inscriptions

Organisée en juin 2017 à Paris et en Île-de-France, la 13ème édition du Festival des Nouveaux Cinémas propose de découvrir gratuitement un panorama de la création cinématographique numérique à travers une programmation de courts-métrages issus du monde entier.

L’objectif principal du Festival est de promouvoir et soutenir les cinémas numériques sous toutes leurs formes. Les films retenus qui osent proposer une approche novatrice dans l’utilisation du numérique seront projetés lors du Festival.

À l’issue de chacune des projections, seront organisées des rencontres entre le public, les réalisateurs, les producteurs, et des personnalités du cinéma numérique.

Le festival est à la recherche de films d’une durée de 20 minutes maximum (générique inclut) uniquement, sans contrainte de genre (fiction, animation documentaire, expérimental, clip, MashUp,etc.), de thème, de date de production, de nationalités, réalisés en numérique (DV, HDV, HD, Téléphone portable, Webcam, Appareil photo numérique…)

Inscription gratuite en ligne uniquement avant le 3 mars 2017 (date limite d’inscription).

Madara Dišlere, cinéaste de l’intime

Madara Dišlere, jeune réalisatrice lettone, a marqué le jury Format Court lors du dernier festival du film court de Brest (en novembre 2016) avec son court-métrage, « Dārznieks » (Le Jardinier). Dans ce quatrième et dernier court-métrage, elle plonge le spectateur au cœur de la nature lettone, magnifiée à travers les yeux de son personnage principal. Ce qui séduit dans cette histoire, emplie à la fois de tendresse et de dureté, c’est surtout son rapport au temps. À celui, cyclique, des saisons qui reviennent et à celui, linéaire, de la vieillesse qui s’empare des hommes.

Dans « Dārznieks », comme dans ses trois premiers courts, Madara Dišlere, dresse le portrait d’un personnage solitaire, affrontant le monde hostile qui l’entoure. Ce jardinier est le premier personnage masculin qu’elle met en scène, après avoir porté à l’écran une secrétaire submergée par un patron envahissant dans « G-Spot », une poète harcelée par un policier bien trop entreprenant dans « A poem » et une mère célibataire engageant une froide histoire d’amour avec un photographe bien plus jeune qu’elle.

Madara Dišlere a étudié à l’Académie de la Culture de Lettonie où elle a réalisé ses deux premiers courts. Le premier, « G-Spot », entièrement tourné en caméra subjective, portée à l’épaule, suit les déambulations d’Elsy sur le chemin du retour du travail. Son visage n’apparaîtra qu’à la toute fin du film, en guise de prologue ; le reste du temps, le spectateur prend la place de ses yeux. En voix-off, il entend ses pensées, qui se mêlent les unes aux autres, ses interrogations, ses résolutions, ses propres conseils et impératifs.

Succession de plans séquences, le film s’ouvre sur le patron d’Elsy, lui ordonnant à la dernière minute, sur le chemin du départ, d’organiser son propre week-end. S’en est trop pour Elsy, ce n’est pas à elle de réserver un bus pour que son patron et ses amis puissent aller à leur soirée du week-end ! C’est alors que dans le deuxième plan-séquence, dans la rue, elle fulmine. Elle est perdue dans ses pensées et ne contrôle plus vraiment son corps. Celui-ci l’emmène mécaniquement dans une boutique de vêtements, mais non, elle n’a pas envie d’acheter ; devant une pâtisserie, mais non, ce ne serait pas raisonnable. Même si finalement, elle se laissera tenter par sa gourmandise qu’elle juge anormalement oppressante. Elsy rentre finalement chez elle, après un trajet plein de remises en question.

Le choix de la caméra subjective pour un film sur un personnage en pleine introspection correspond parfaitement au sujet. Celle-ci offre un champ de vision limité au regard d’Elsy à un moment où celle-ci n’a aucune vision globale du monde qui l’entoure. Sans plan d’ensemble, le spectateur non plus n’a pas de vision large du monde dans lequel prend place le film ; il ressent alors l’oppression d’Elsy et souhaite sortir de son corps autant qu’elle.

Le deuxième film d’école de Madara Dišlere, « A Poem », est également un exercice de style. Après un film entièrement en caméra portée, elle s’essaie, avec brio, au film tout en noir et blanc. Le spectateur y suit la poète Austra Skujiņa, personnage réel des années trente, célèbre en Lettonie pas seulement pour ses poèmes mais aussi pour sa vie tumultueuse achevée par son suicide.

Madara Dišlere raconte un épisode, parmi tant d’autres, de la vie de la poète, choisissant celui de ses trois derniers mois de vie. Alors qu’Austra Skujiņa sort d’un café où elle aime se rendre pour écrire des poèmes sur des serviettes en papier, un policier l’arrête pour échanger des banalités. Seulement, celui-ci veut la revoir et mettra tout en œuvre, jusqu’à la menace, pour arriver à ses fins. Le rythme du film est lent, à l’image d’Austra Skujina qui est une femme très calme. Le choix du noir et blanc et d’un piano soliste en bande-son renforce la quiétude du film et de son personnage. Ces fins choix esthétiques sont inspirés par la grâce et la féminité de la poète, ainsi que par la part de mystère que celle-ci dégage. L’obscurité du film, rendu par le noir et blanc et la faible lumière, représente la tristesse et la morosité des poèmes de Austra Skujiņa.

Sortie de l’école, Madara Dišlere réalise ensuite « Broken Pines », produit par Tasse Film. Elle signe alors un film plus conventionnel, tant sur la forme que sur le fond. En effet, rien d’original dans la construction de son personnage de femme perdue, qui trouve plus ou moins du réconfort dans les bras d’un jeune garçon d’une vingtaine d’années le temps d’un après-midi, alors que le père de son enfant continue de lui courir après. Rien d’original non plus dans le traitement cinématographique; montage alterné entre les différents personnages secondaires qui gravitent autour d’elle, plans fixes ou au lent mouvement maîtrisé de caméra. L’intérêt du film vient principalement du jeu des acteurs, qui, en ne parlant que très peu, savent se faire comprendre, des autres personnages et du spectateur. Les couleurs ternes, ces personnages mélancoliques et peu bavards et cette caméra nonchalante laissent ressentir tout au long du film une certaine morosité.

Avec « Dārznieks », Madara Dišlere revient à un cinéma intime, centré autour d’un seul personnage et de ses pensées. Le spectateur atteint l’intimité du personnage, non seulement par l’intermédiaire de la voix-off, mais aussi à l’aide des lents travellings que Madara Dišlere affectionne tout particulièrement. Ceux-ci permettent au spectateur de s’approcher des personnages afin de pouvoir les observer au plus près. Après trois films au décor citadin, elle se déplace en pleine nature, qu’elle filme avec autant de bienveillance, si ce n’est plus, que la ville. En effet, la ville était jusque là représentée comme un environnement hostile à ses personnages, c’était un lieu de danger et d’agressivité alors que la nature est ici, représentée comme un refuge pour son personnage. Comme dans son précédent film, Madara Dišlere n’a pas construit un personnage bavard. Puisqu’il ne cherche à communiquer qu’avec la nature, il n’emploie aucun mot, le langage passe par les gestes et les marques d’affection physique. Déjà dans ses précédents courts métrages, Madara Dišlere avait un sens du cadrage et de la lumière éblouissant et dans « Dārznieks », elle a su affirmer ses grandes qualités de cinéaste.

Aujourd’hui, Madara Dišlere a réalisé son premier long-métrage, « Paradise 89 ». On y retrouvera des personnages de petites filles confrontées à l’Histoire et au monde des adultes : le film se passe à la campagne où les fillettes et leurs mères se sont réfugiées au moment de la chute du régime communiste. Au vu des premières images, la nature semble être un élément important du film, qui devient ici littéralement un refuge, comme dans « Dārznieks ».

Zoé Libault

Articles associés : la critique de « Dārznieks »l’interview de la réalisatrice

​Better than friends de Tuan Nguyen

Après vous avoir proposé comme film de la semaine « The Mad Half Hour » du réalisateur argentin Leonardo Brzezicki, sélectionné il y a deux ans à la Berlinale et lauréat de notre Prix Format Court au Festival IndieLisboa, nous avons demandé à Maike Mia Höhne, la responsable des courts de la Berlinale de nous soumettre son film de la semaine. Le voici.

​Better than friends de Tuan Nguyen, Documentaire, 18′, Vietnam, 2003

Synopsis : « Better than friends » est un portrait intime et intime de l’histoire deThoa et de Lam, leur famille et l’entreprise spéciale dont ils ont hérité. Au milieu de l’agitation d’une ville comme Ho Chi Minh (Vietnam), cette jeune équipe de mari & femme exploite une modeste entreprise familiale : une boucherie de chiens. Thoa et Lam sont des vendeurs de viande de chien qui travaillent assidûment de leur cuisine aux allées ouvertes par la porte arrière de leur maison, préparant et distribuant de la viande de chien pour assurer les exigences quotidiennes des restaurants locaux. Mais l’affaire est plus compliquée que ce que vous pourriez penser. En fusionnant le dialogue candide du couple avec des scènes de leurs routines quotidiennes, le film crée un portrait honnête du mariage entrelacé avec l’histoire, la politique, l’humour et l’espoir pour nous emmener au-delà des préjugés créés par les différences culturelles.

Vietnam dans les années 2000. « Better than friends » est raconté par le biais d’une dualité : amour et vie. Famille et affaires. Tout ensemble. In and out.

Un couple au début de la trentaine parle de sa vie, qui pourrait être celle de beaucoup de gens, mais qui ne l’est pas. La simplicité de cette dualité est le cadre du film. Au sein de cette simplicité, la tragédie de la vie n’est pas cachée mais bien manifeste. 

Un jeune homme et une jeune femme sont assis sur un canapé devant un mur blanc. Aucune image ne s’y trouve. Il fait chaud, elle a une robe d’été. Ils sont assis près l’un de l’autre. Le canapé est fonctionnel mais pas extraordinaire. L’on devine que le couple n’est pas pauvre, mais pas très riche non plus. Mais au-delà des questions d’argent, ils ont l’air heureux. Le rêve de Hollywood au Vietnam du Sud.

Il raconte leur première rencontre. Il suffit de quelques mots pour comprendre qu’il s’agissait d’un coup de foudre. Elle raconte à son tour le moment de leur rencontre et ils se mettent d’accord sur ce moment.

Depuis, ils sont ensemble, cela fait au moins 10 ans. Ils rient, ils sont heureux. La chaleur et l’amour entre eux se transmettent dans l’image. « Dix ans, ce n’est pas rien, c’est une longue période ».

On voit un chien dans une cage bricolée, le couple en train de cuisiner, un homme en train de causer affaires. Quelqu’un lui explique qu’il sait bien ce qu’il fait. Qu’il travaille pour cette entreprise depuis longtemps. Il sait s’y prendre. Elle comprend, tout ce qu’elle veut c’est qu’il réussisse. Elle est assez directe. Elle sait bien ce qu’elle veut, ce qu’il lui faut.

La structure du film révèle à chaque instant de plus en plus la vie personnelle et professionnelle du couple. Ils n’ont pas peur. Ni lui ni elle.

Il est important de comprendre cela. L’on le comprend même avant qu’ils ne le disent. On le comprend par leur démarche, leurs gestuelles, leur façon de parler. Leur métier n’est pas facile.
Ils vendent de la viande de chien. La viande de chien est un mets au Vietnam du Sud.

C’est un travail physique dans tous les sens du terme. On voit ce que ça implique de cuire un chien, plusieurs chiens. C’est un travail cru et physique, dans la rue. Sans rideaux, juste un grand Bec Bunsen pour brûler les chiens. Les mauvais jours, ils s’occupent de plus de chiens que quand il fait beau. Les mauvais jours, ils s’occupent d’environ 30 chiens.

Le film alterne entre les plans de travail et le couple qui raconte ce qu’ils font, comment cela fonctionne. Plus ils approfondissent les aspects liés à la vente et à la distribution, les conditions de travail (presque 365 jours par an avec seulement quelques jours de congé avant la fin de l’année), plus la situation initiale nous paraît grande. Ils sont reliés par un amour fort. Et ils ont besoin de s’aimer car sinon ils ne supporteraient pas la situation. Le travail est très dur, très dangereux, avec des gens qui travaillent dans les champs à cause des morsures de chiens. Mais ils font ce travail malgré tout cela, car, même s’il y a beaucoup de concurrence venant notamment des immigrés issus du nord du pays, même si ce n’est pas facile, c’est un moyen de gagner de l’argent. L’argent nécessaire pour la survie. Pour gagner sa vie. Et ils en vivent bien, parce que les gens aiment manger des chiens. Ils ne l’avouent pas ouvertement, mais ils le font activement. C’est de la viande abordable destinée principalement aux ouvriers, dit-on. Lorsqu’il pleut, plus d’ouvriers viennent manger, car ils ne peuvent plus travailler sur les chantiers. Donc c’est mieux pour le couple, d’un côté. De l’autre côté, il est impossible pour lui de faire un autre métier. Parfois, il fait aussi chauffeur de taxi. Mais quand il pleut, il ne peut pas conduire, à cause de la grande demande pour des chiens… parce que parce que parce que…
Leur principale source de revenu, c’est les chiens, donc même s’ils voulaient faire autre chose, ce serait très difficile d’y arriver. Cercle vicieux.

Les gens du Vietnam du Sud ne les approchent pas, quand ils réalisent ce qu’ils font. Elle dit : « Dans ce métier, nous ne pouvons pas imprimer de cartes de visite ». Et révèle ainsi le nœud du problème : c’est un commerce parce qu’il y a une demande. S’il n’y avait pas de demande, il n’y aurait pas de commerce.

La zone grise de la dualité – ce dont ils ont besoin et ce dont ils ont envie (un changement) – est représentée par les petits gestes du couple lorsqu’il s’adressent à la caméra et à l’artiste lui-même. « Better than friends » combine et reflète dans sa simplicité la complexité de vivre au Vietnam aujourd’hui. Et le Vietnam représente à son tour d’autres pays, d’autres vies. Et puis il y a le pouvoir de ce couple qui résiste à cette vie. Si le gouvernement levait un impôt sur ce travail, il y aurait moins de gens dans ce métier. Et pourtant, le gouvernement ne le fait pas.

Maike Mia Höhne

Les courts récompensés aux Oscars

Après les Cesar, voici les résultats des Oscars, côté courts. Pour rappel, « Vaysha, l’aveugle » de Theodore Ushev et « Ennemis Intérieurs » de Sélim Azzazi, repérés par Format Court, étaient en lice, mais les votants ont élu d’autres films. Voici les trois courts-métrages (documentaire, animation & fiction) oscarisés cette nuit.

Meilleur court-métrage documentaire : The White Helmets d’Orlando von Einsiedel et Joanna Natasegara

Meilleur court-métrage d’animation : Piper d’Alan Barillaro et Marc Sondheimer

Meilleur court-métrage de fiction : Sing de Kristof Deák et Anna Udvardy

Les 3 courts primés aux Cesar

Vendredi soir, la salle Pleyel a remplacé le Théâtre du Châtelet pour la traditionnelle cérémonie des Cesar. Malgré la présentation toujours aussi navrante des prix du court, trois films (et non deux) ont été récompensés par les votants de l’Académie.

Concernant le Meilleur Film de Court Métrage, si 4 films sur 5 étaient réalisés par des femmes (fait suffisant rare pour le souligner), les résultats des votes ont distingué deux films ex aequo :  Maman(s) de Maïmouna Doucouré et Vers la tendresse d’Alice Diop.

Très émue, Maïmouna Doucouré a rappelé que la France avait besoin de se raconter dans pluralité. Elle a évoqué sa mère qui, quand elle lui parlait de son désir de faire du cinéma, lui disait : « Il n’y a pas de place pour les gens comme nous. Est-ce que tu vois des gens qui te ressemblent ? ».

Alice Diop, aussi très touchée, a parlé des voix de son film, souvent inaudibles, celles de son film comme celles qui « portent peu, pas assez, voire plus du tout : Théo Luhaka, Adama Traoré, Bouna Traoré, Zyed Benna, … ».

Bonne info : nous diffuserons Vers la tendresse le jeudi 9 mars prochain à 20h30 au Studio des Ursuline (Paris, 5ème), en présence de l’équipe (soyez au rendez-vous !).

Côté animation, Celui qui a deux âmes de Fabrice Luang-Vija (qui a eu la bonne idée de rappeler les lettres de noblesse du court et la motivation à continuer à en faire encore à 50 ans) décroche la timbale parmi les 4 films nommés.

 

Nouvelle Soirée Format Court, jeudi 9 mars 2017

Format Court a le plaisir de vous inviter le jeudi 9 mars 2017 à 20h30 à sa nouvelle soirée de courts-métrages au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Cette projection mettra en avant cinq films français, britanniques et croates (documentaires, fictions, animations) sélectionnés et primés en festivals, en présence de deux équipes, dont celle de « Vers la tendresse » d’Alice Diop, Cesar du Meilleur Court Métrage 2017 ex aequo.

Programmation

Vers la tendresse d’Alice Diop, Documentaire, 40′, 2016, Les Films du Worso, France. Cesar du Meilleur Court Métrage 2017 ex aequo, Grand Prix France au Festival de Brive 2016. En présence de l’équipe

Synopsis : Une exploration intime du territoire masculin d’une cité de banlieue. En suivant l’errance d’une bande de jeunes hommes, nous arpentons un univers où les corps féminins ne sont plus que des silhouettes fantomatiques et virtuelles. Les déambulations des personnages nous mènent à l’intérieur de lieux quotidiens où nous traquons la mise en scène de leur virilité. En off, des récits intimes dévoilent sans fard la part insoupçonnée de leurs histoires et de leurs personnalités.

The New York Times « Modern Love – A Kiss, Deferred » de Moth Collective. Animation, 3’46’, 2015, Royaume-Uni, Moth Collective. Cristal pour un film de commande au Festival d’Annecy 2016

Synopsis : « Modern Love » est une rubrique du journal New York Times dans laquelle Nikolina Kulidzan écrit un récit basé sur des faits réels : la vie et l’histoire d’amour d’une fille de 12 ans, brisées par la guerre en Bosnie-Herzégovine. Le collectif Moth en a fait une adaptation

The Beast de Miroslav Sikavica. Fiction, 14′, 2016, Croatie, Propeler Film. Mention spéciale Format Court au Festival de Villeurbanne 2016, Mention spéciale à la Quinzaine des Réalisateurs 2016

Synopsis : Un ouvrier de l’arrière-pays croate se dirige vers la côte pour démolir des habitations dans une station balnéaire. En chemin, il réalise que pour mener à bien sa contestable mission et conserver son autorité paternelle, il va devoir se débarrasser d’un « témoin » indésirable.

Au loin Baltimore de Lola Quivoron. Fiction, 25′, 2016, France, La fémis. En sélection aux festivals d’Angers et de Clermont-Ferrand 2017. En présence de l’équipe

Synopsis : La liberté ne signifie qu’une seule et unique chose pour Akro : rouler en moto-cross dans la cité, comme un prince, la roue avant braquée vers le ciel. Mais ce soir-là, le moteur lâche.

Wednesday with Goddard de Nicolas Ménard. Animation, 4’30 », 2016, Royaume-Uni, Nexus Studios. Prix Spécial du Jury aux Sommets du cinéma d’animation 2016

Synopsis : Une quête pour le développement spirituel mène à la romance et au désespoir.

En pratique

– Projection : 20h30, accueil : 20h
– Durée de la séance : 87′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
Evenement Facebook
Entrée : 6,50 €
Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com

Divines d’Houda Benyamina

Depuis le 3 janvier dernier, Diaphana propose une édition de « Divines » d’Houda Benyamina, avec de nombreux bonus. Le DVD donne accès à des entretiens avec l’équipe, aux scènes coupées et au dessous du tournages jusqu’à la consécration cannoise avec le prix de la Caméra d’or.

« Divines », récompensé aux Cesar dans les catégories Meilleur premier film, Meilleur espoir féminin (Oulaya Amamra) et Meilleure actrice dans un second rôle (Déborah Lukumuena), met en avant l’histoire de Dounia, une jeune femme à la recherche de pouvoir et de réussite. Dans un ghetto où se côtoient trafics et religions, elle décide, avec sa meilleure amie Manouna, de suivre les traces de Rebecca, une dealeuse respectée. Toutefois, sa rencontre avec Djigui, un jeune danseur, va bouleverser son quotidien.

Pour son premier long-métrage, Houda Benyamina livre une vision neuve et singulière de la cité en se débarrassant de tous les clichés que l’on retrouve dans certains films plus récents. Elle n’hésite pas a utiliser certaines originalités filmiques qui sont propres à la jeunesse d’aujourd’hui, comme des vidéos tournées à partir d’un téléphone, pour illustrer l’amitié entre les deux adolescentes, qui est la force du film. Cette fresque sociale met en avant la misère collective et cette envie de réussite qui ne passe qu’à travers l’argent et la reconnaissance, propre à une partie de la jeunesse actuelle.

Le DVD propose différents entretiens avec les membres de l’équipe technique et la réalisatrice, qui permet au spectateur de comprendre plus en détails la construction du film. 
Par exemple, Romain Compingt le scénariste, explique sa rencontre avec Houda Benyamina. Ils avaient tous les deux ce désir d’universalité dans l’écriture, avec une volonté de mettre en avant des enjeux thématiques comme le sens du sacré, la politique et la notion de beauté. Le personnage de Dounia est en quête de sa dignité et de la beauté à l’état brut. Cette beauté, elle la retrouve dans le corps du danseur qu’elle rencontre, qui est parfait dans ses gestes et incarne d’une certaine manière le sacré.

De plus, le making-of du DVD, « Du tournage à la consécration cannoise » permet de plonger le spectateur dans les dessous du film. On y observe toute la direction d’acteur d’Houda Benyamina dirigeant sa soeur, Oulaya Amamra (nommée aux Cesar en tant que Meilleur espoir feminin), qui incarne Dounia, dans une envie d’obtenir le meilleur dans chaque prise.

Par ailleurs, la sortie DVD de ce premier long-métrage, nous permet de revenir sur le travail d’Houda Benyamina, en s’intéressant à ses deux précédents courts-métrages : « Ma poubelle géante » et « Sur la route du paradis » (projeté en novembre 2012 dans le cadre de nos séances mensuelles, en présence de la réalisatrice).

« Ma poubelle géante » réalisé en 2008, raconte l’histoire de Yazid Belkacem qui rentre chez sa mère, à son retour du Japon, sûr de décrocher une bonne place. Mais de désillusion en désillusion, Yazid s’englue dans la cité de son enfance, sa « poubelle géante », happé par une famille déjantée et des jobs bidons.

On retrouve l’univers de la cité et cette idée de dénoncer l’impuissance aux jeunes pour s’en sortir socialement. Houda Benyamina arrive à sortir le meilleur de ses acteurs : Mounir Margoum qui interprète Yazid, montre bien la désillusion de la jeunesse française. Comment trouver un emploi lorsque la société ne donne pas les moyens d’en avoir un ?

« Sur la route du paradis », réalisé en 2011 et présélectionné aux César 2013, raconte l’histoire de Leila et ses deux enfants, Sarah et Bilal, qui ont quitté leur terre natale afin de s’installer en France. Sans papiers, et à la recherche de son mari réfugié en Angleterre, Leila, qui souhaite offrir à ses enfants une vie meilleure, tente de survivre et d’élever ses enfants dans la clandestinité. Alors qu’elle retrouve enfin la trace de son époux et dispose de l’argent nécessaire pour le rejoindre, leur vie se complique : la police est à leur recherche et le père ne répond plus à leurs appels.

Le personnage de la mère (Majdouline Idrissi) et de l’oncle travesti (Mounir Margoum), les deux personnages forts du court-métrage, sont présents dans le long-métrage « Divines ». Ils représentent le monde des adultes, un monde violent et sans pitié.

Contraints de vivre dans un bidonville entre le périphérique et les tours, ils peinent à s’en sortir entre le travail et les enfants. Houda Benyamina livre sa vision politique et sociale des conditions de vie dans l’agglomération parisienne. La jeunesse est invisible aux yeux de la société : il y a un manque de travail, un manque de logements et d’aides dans les cités. Ces jeunes malmenés par la vie, cherchent une reconnaissance individuelle, mais aussi dans la communauté. Ils visent un idéal de vie qui tourne autour de l’argent et de la popularité : par exemple, Dounia se met à travailler pour une dealeuse. La force des personnages vient de leurs familles et de leurs cercles d’amis qui les soutiennent et essayent de s’en sortir aussi. Une vision de la réalité sociale actuelle, qui se concrétisera avec la réalisation de « Divines ». De plus, on retrouve dans les trois films d’Houda Benyamina, un univers personnel, notamment cette justesse dans l’écriture. Elle recherche un réalisme dans la fiction et connaît le milieu où elle fait évoluer ses personnages. La volonté d’aller au bout de toutes les possibilités narratives de la mise en scène, fait de Houda Benyamina, une cinéaste à part entière, qui apporte un renouveau intéressant au cinéma français.

Lila Toupart

Divines d’Houda Benyamina. Edition Diaphana. Films, entretiens & bonus

Eugène Boitsov : « L’art cinématographique relève de la chorégraphie et de la musique »

Lors de la dernière édition du festival Premiers Plans, le jury Format Court a décerné un prix au très drôle et inventif film d’animation « La Table » du jeune réalisateur ukrainien Eugène Boitsov, ancien élève de la prestigieuse École de la Poudrière. Petit précipité cartoonesque construit autour de la maniaquerie d’un menuisier essayant de parfaire sa réalisation (une table) alors qu’une multitude de personnages secondaires défilent pour s’approprier l’objet, ce film de quelques minutes au rythme implacable et au graphisme surprenant a rapidement remporté tous les suffrages de notre jury ! Quelques heures avant la projection de son film le 9 février 2017 au Studio des Ursulines dans le cadre de notre projection mensuelle, nous l’avons retrouvé pour un entretien à propos de son parcours et du processus de réalisation de son film.

Comment es-tu arrivé au cinéma d’animation ? Quel a été ton parcours ?

J’ai été intéressé par l’animation très tôt, déjà lorsque j’étais petit je dessinais plein de croquis. Lorsque j’ai fait des études, je n’ai pas du tout commencé par l’animation, mais par la linguistique ! Je n’ai pas terminé ces études car j’ai vite compris que je devais travailler dans le cinéma, alors je suis rentré à l’Académie de Culture en Ukraine où j’ai étudié la réalisation de télévision pendant cinq ans. En parallèle de ces études, je gagnais de l’argent en travaillant comme motion designer. C’est à cette époque que j’ai appris seul à utiliser les logiciels, à travailler sur ordinateur. À un moment donné, j’ai eu envie de mettre en scène un personnage animé, et j’ai compris que je devais passer du motion design à l’animation. J’ai vraiment commencé à faire de l’animation lorsque je suis arrivé en France, pour étudier à l’École de la Poudrière. J’ai choisi cette école car c’est la seule en Europe qui apprend la réalisation de films d’animation, et non la technique de l’animation. On apprend à réfléchir à l’écriture, à la manière de raconter des histoires à travers ce support. La formation dure deux ans, les élèves réalisent plein d’exercices et travaillent avec des intervenants de la profession, jusqu’à la réalisation du film de fin d’études. C’est très formateur, car les élèves doivent s’occuper seuls de tous les aspects de leur film de diplôme (synopsis, story-board, pitching, réalisation…).

La Table from Eugene Boitsov on Vimeo.

Peux-tu revenir sur la genèse de « La Table », qui est justement ton film de fin d’études ? Est-ce que c’est l’envie de réaliser un court-métrage comique, burlesque, qui a guidé l’écriture ou bien est-ce que ce sont des idées visuelles, graphiques, qui te sont venues en premier ?

Ni l’un ni l’autre. Je suis parti du personnage, et de l’idée d’un individu qui est perdu et qui cherche comment s’en sortir avec le monde. L’idée de départ à beaucoup changé, car je ne savais pas concrètement ce qu’il allait faire à ce moment-là. Je suis parti de ce principe de rationalisation à outrance, cette envie que « tout soit carré » pour trouver les première pistes graphiques. J’ai donc imaginé un personnage qui serait lui-même « carré », contrairement aux autres personnages qui ont des traits plus anguleux. J’avais ce personnage que j’aimais bien, ce jeu qu’il instaurait avec une table, et une fois que j’ai trouvé la résolution du film, j’ai pu imaginer toutes sortes d’actions burlesques qui auraient lieu entre le début et la fin du film. Je suis vraiment parti du personnage.

Pourquoi as-tu choisi de faire un film en noir et blanc ?

Pour moi, c’était clair dès le départ que le film serait en noir et blanc. J’avais imaginé dans le scénario une boîte à outils dans lequel le personnage allait chercher ce dont il avait besoin pour travailler sa table. J’avais cette idée d’une profusion d’instruments excessivement bien rangés, d’une façon très maniaque. Lorsque j’ai commencé à dessiner tous ces outils, je me suis rendu compte que cela faisait déjà trop d’informations à suivre pour le spectateur, et que si je rajoutais du volume ou de la couleur, il serait perdu. J’ai fait quelques recherches en couleurs à un moment, mais j’ai vite compris que cela n’apportait rien. C’est un choix très logique.

Le film développe une belle métaphore à travers ce jeu de tous les personnages secondaires qui s’approprient la table à tour de rôle et empêchent à chaque fois le menuisier de parfaire son ouvrage, ce qui le conduit à la folie. Il y a cette idée que la richesse d’un objet ne réside pas dans la perfection inamovible de sa forme, mais dans sa capacité à se transformer au gré de la volonté de ceux qui se l’approprient. Comment as-tu imaginé chacune de ces péripéties ?

C’était un peu difficile au début, car j’ai compris que la table devait changer de forme après le passage de chaque personnage, mais je ne savais pas comment. J’ai commencé par réaliser une marionnette en papier à l’effigie du personnage principal et à faire une série de photos en mettant en scène toutes les interactions possibles entre lui et la table. J’ai compris à ce moment-là que le personnage ainsi que la table devaient rester plats, ce qui a limité le champ de recherches car je devais trouver des manières de transformer la table tout en la gardant « plate ». Certains spectateurs ne perçoivent d’ailleurs pas les petites transformations de la table tant ils sont concentrés sur le mouvement du menuisier et sur l’action qui va très vite.

Tu pousses la logique de transformation très loin, puisqu’à un moment donné c’est le cadre de l’image elle-même qui « découpe » la table, ce sont en quelque sorte le réalisateur et le spectateur qui s’approprient la table et changent sa forme.

Je suis content que ce moment du découpage de la table par le cadre de l’image soit resté clair ! J’avais un peu peur que cela échappe au spectateur.

Du coup, est-ce que le fait de mettre en scène ce personnage de menuisier très maniaque était aussi pour toi une manière de raconter la position du réalisateur de film d’animation, qui peut pousser ses obsessions et son envie de perfection très loin puisqu’il n’y a pas de limites avec ce médium ?

Oui, mais cela ne concerne pas seulement les animateurs. Il peut aussi s’agir de toi, qui va retranscrire le texte de cet entretien aujourd’hui ou demain, tu peux avoir envie de le travailler jusqu’à la fin de tes jours ou bien décider qu’à un moment donné il sera terminé et le délivrer. Je crois que l’on a tous la même manière de penser le travail, de se répéter sans cesse que ce n’est pas fini et de revenir sur l’ouvrage encore et encore. Je me souviens que durant le dernier trimestre à l’École de la Poudrière, mes camarades et moi étions tous dans le même état que le menuisier de mon film ! C’est vrai que les animateurs ont souvent le souci du détail poussé à l’extrême, ils peuvent passer des journées, des semaines entières à travailler sur un seul élément qui ne sera peut-être même pas perçu par le spectateur.

Est-ce que c’est une spécificité du cinéma d’animation à laquelle tu tiens, cette possibilité de travailler dans le détail chaque élément qui compose une image ?

Pas spécialement, car pour moi l’art cinématographique en général relève plus de quelque chose de l’ordre de la chorégraphie et de la musique. Je ne peux pas imaginer un film à partir simplement d’une image, ça ne m’évoque rien. Je dois penser d’abord à la structure générale, puis je dispose progressivement chaque chose à sa place, même si tout bouge en permanence durant le processus créatif. Le travail est vraiment une performance pour moi. Pour certains plans et certains cadres du film, comme celui de la boîte à outils par exemple, dès que j’avais trouvé l’idée elle n’a plus bougé jusqu’à la fin. Mais pour d’autres scènes, j’ai travaillé et changé des choses jusqu’à la dernière minute de la réalisation.

Il y a deux moments dans ton film où la musique intervient, par exemple dans cette séquence avec les Géorgiens qui chantent et qui jouent une musique festive en dansant sur la table, et les « plongées » du menuisier dans sa boîte à outil qui se font sur une musique de Mozart. Qu’est-ce qui a déterminé ces choix ?

Pour moi, c’était clair très tôt que la musique associée au menuisier serait une musique classique, allemande, la plus maîtrisée qui soit pour que cela colle à son caractère. Soit Bach soit Mozart. Peut-être que la musique de Bach aurait encore mieux collé au film, car elle est parfaitement maîtrisée, sans le côté divertissant que peut avoir la musique de Mozart. Mais ce côté divertissant, beaucoup plus dansant de la musique de Mozart me plaisait, car cela raccordait mieux au mouvement du personnage lorsqu’il plonge dans sa boîte à outils qui représente son monde intérieur, où il se sent bien car tout est ordonné, à sa place. Pour la séquence des Géorgiens, ce n’était pas aussi clair, je ne savais pas lors de l’élaboration de la séquence s’ils allaient danser, chanter. Lorsque j’ai commencé à développer cette séquence, j’ai compris qu’ils devaient danser. J’ai donc fait des recherches musicales, et j’ai mélangé des musiques issus de différents folklores des balkans pour construire la séquence. Encore une fois, je suis vraiment parti des personnages, et la musique est devenue surtout un moyen d’accentuer le contraste entre le personnage principal et ceux qu’ils rencontrent.

Quels sont tes projets pour la suite ?

Je participe actuellement à la quatrième saison de la série « En sortant de l’école », je réalise un film d’animation pour enfant à partir d’un poème de Paul Eluard. Nous sommes treize réalisateurs sortis des écoles d’animation qui travaillons chacun à la réalisation d’un épisode de la nouvelle saison. Le projet devrait sortir courent mars. Comme j’ai enchaîné sur ce projet juste après ma sortie de l’école et la réalisation de mon film de fin d’études, je voudrais rester un petit moment sans travailler. Je vais me reposer un peu avant de réfléchir à de nouveaux films.

Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois

Article associé : la critique du film

Soirée Format Court, les photos !

Avec un peu de retard, voici les photos de notre dernière Soirée Format Court organisée le jeudi 9 février 2017, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), prises par Stenny Sigere.

Pour rappel, nos invités, ce soir-là, étaient Chabname Zariab et Judith Lou Lévy, réalisatrice et productrice (Les Films du Bal) de « Au bruit des clochettes », nommé aux Cesar 2017, Eugène Boitsov, réalisateur de « La Table », Prix Format Court au Festival d’Angers 2017 & Léopold Legrand, réalisateur de « Angelika », Prix Spécial du Jury au Festival de Namur 2016.

À noter : notre prochaine Soirée Format Court aura lieu le jeudi 9 mars 2017 (la programmation sera bientôt annoncée ) !

Berlin, les 5 courts-métrages primés

Le 67ème Festival de Berlin qui s’est achevé ce weekend a récompensé plusieurs courts, parmi les 23 films en compétition.  Voici lesquels.

Ours d’or : Cidade Pequena de Diogo Costa Amarante (Portugal)

Ours d’argent : Ensueño en la Pradera de Esteban Arrangoiz Julien (Mexique)

Prix Audi : Street of Death de Karam Ghossein (Liban, Allemagne)

Mention spéciale : Centauro de Nicolás Suárez (Argentine)

Nomination pour les European Film Awards 2017 : Os Humores Artificiais de Gabriel Abrantes (Portugal)

Short Screens #69: « Girls on Top »

Pour sa 69ème projection, Short Screens met les filles à l’honneur. Préfigurant la journée internationale des droits des femmes, six films venus d’ici et d’ailleurs mettent en scène des personnages de femmes fortes qui portent leur destin pour vivre libre.

Rendez-vous le jeudi 23 février à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€

Visitez la page Facebook de l’événement ici!

PROGRAMMATION

Why I Never Became a Dancer de Tracey Emin, docu-fiction, Royaume-Uni, 1995, 6’34’’ (Tracey Emin Studio)

Utilisant sa vie privée comme source de son art, Emin raconte dans ce court métrage les années de son adolescence en bord de mer où elle a grandi.

Article associé : la critique du film

The Women’s Kingdom de Xiaoli Zhou et Brent E. Huffman, documentaire, Allemagne, 2006, 22’ (German Camera Productions)

La Mu vit à contre-courant de la société chinoise. Elle fait partie des Mosuo, une minorité ethnique basée sur un système matriarcal, l’un des derniers de ce monde.

Mama Superfreak de Béa de Visser, expérimental, Pays-Bas, 2009, 14’(Another Film)

Dans un long plan séquence adapté de « La Mamma Fricchettona », célèbre monologue du Prix Nobel Dario Fo, la comédienne Viviane De Muynck nous raconte d’une façon grinçante l’odyssée d’une femme, de la maternité jusqu’à son indépendance.

Sahar de Alexander Farah, fiction, Canada, 2014, 14’ (Alireza Taale)

Les parents de Nadim ont du mal à comprendre le mode de vie insouciant et occidental de leur fille Sahar. Baigné de tensions et de peu de tolérance, le foyer attend son retour à la maison.

Les Pécheresses de Gerlando Infuso, animation, Belgique, 2014, 17’ (Eklektik Productions) – en présence du réalisateur

Trois histoires à propos de trois femmes à trois époques différentes qui subissent, suite à un geste malheureux, les colères d’une figure masculine.

Article associé : Les Contes cruels de Gerlando Infuso

Die Jacke de Patrick Vollrath, fiction, Autriche, 2014, 9’13’’ (Patrick Vollrath)

Un garçon rencontre une fille. Ça pourrait être de l’amour. Mais, il y a également cette veste. Et cette veste va tout changer.

The Mad Half Hour de Leonardo Brzezicki

Il y a deux ans, notre tout premier Prix Format Court remis au Festival IndieLisboa au sein de la section « Silvestre », distinguait « The Mad Half Hour » du réalisateur argentin Leonardo Brzezicki.

Cette curieuse pépite, ce film à part, à la croisée des genres, drôle et mélancolique à la fois, traitant de l’amour, de la vie, de l’absurde, des rêves mais aussi des ruptures, nous avait profondément plu. Un film dans lequel on chante, on dit des choses insensées, on se cogne contre les poteaux, on aime (ou pas) l’art contemporain, on continue (ou pas) à jouer au tennis et à se lever le matin et où les chats ont (ou pas) trois yeux dans la nuit noire. Un film de ressenti, en noir et blanc, entre fantaisie, fantastique, absurde et existentialiste.

Depuis quelques jours, le film, ayant fait ses débuts à Berlin, est en ligne, et nous ne pouvons que vous inciter à le voir et à (re)lire notre dossier consacré à son auteur pour en savoir plus sur notre coup de coeur de la semaine, récompensé d’un Prix Format Court il y a 2 ans.

Katia Bayer

The Mad Half Hour de Leonardo Brzezicki, Fiction, 22′, Argentine, Danemark, 2015, Rewind my future

Synopsis : “The Mad Half Hour” laisse émerger les doutes existentiels d’un jeune couple dans les rues de Buenos Aires.

Les courts primés aux Bafta

Après les Goya, les Magritte et Clermont-Ferrand, et avant Berlin, voici le dernier palmarès des Bafta au Royaume-Uni. Si nous n’avons pas vu « A Love Story  » le film d’animation primé qui a l’air chouette (à en juger le très bref making-of), il en va autrement pour « Home » de Daniel Mulloy.

Le film, récompensé du Bafta du Meilleur court de fiction & Prix Spécial du Jury à Clermont, se veut un appel à la tolérance autour d’un sujet bien pensant : la crise des migrants (ou comment une famille ordinaire et européenne vit dans sa chair la peur, la fuite, l’humiliation, la perte de repères, la débrouille et la faim, que connaissent des milliers de migrants). Si le début de « Home » fonctionne, son trop plein de bonnes intentions (identification/compassion/film choc à la Amnesty) ne nous emmène pas bien loin. Voilà.

Meilleur court métrage d’animation : A Love Story de Anushka Kishani Naanayakkara

Meilleur court-métrage de fiction : Home de Daniel Mulloy

 

Clermont-Ferrand, le palmarès 2017

Le 39ème Festival International du Court Métrage à Clermont-Ferrand s’est achevé ce samedi 11 février 2017. En voici le palmarès, côté international, national et labo, photos à l’appui.

Palmarès international

Grand Prix : Dekalb Elementary (École primaire Dekalb), de Reed Van Dyk, États-Unis

Prix Spécial du Jury : Home (Chez nous), de Daniel Mulloy, Kosovo, Royaume-Uni

Prix du Public, Prix du Rire « Fernand Raynaud » : Como Yo Te Amo (Comme je t’aime), de Fernando García-Ruiz Rubio, Espagne

Prix du meilleur film d’animation : Cipka (Minou), de Renata Gasiorowska, Pologne

Prix Étudiant : The World in Your Window (Le monde dans votre fenêtre), de Zoe McIntosh, Nouvelle-Zélande

Prix CANAL + : Battalion to My Beat (Bataillon à mon rythme), de Eimi Imanishi, Etats-Unis, Algérie, Sahara Occidental

Prix du meilleur film documentaire : Estilhaços (Fragments), de José Miguel Ribeiro, Portugal

Palmarès Labo

Grand Prix : Green Screen Gringo (Gringo l’incruste), de Douwe Dijkstra, Pays-Bas

Prix Spécial du Jury, Prix du Public : Hopptornet (Le grand plongeoir), de Maximilien van Aertryck et Axel Danielson, Suède

Prix CANAL+ : Play Boys, de Vincent Lynen, Belgique

Prix Festivals Connexion – Région Auvergne-Rhône-Alpes : Time Rodent (Le rongeur du temps), de Ondrej Svadlena, France, République Tchèque

Palmarès National

Grand Prix : Le film de l’été, d’Emmanuel Marre, France, Belgique

Prix Spécial du Jury : Féfé Limbé, de Julien Silloray, France, Guadeloupe

Prix du Public, Prix Étudiant : Panthéon Discount, de Stéphan Castang

Prix Égalité et Diversité :  Koropa de Laura Henno

Prix de la meilleure musique originale (SACEM) : Matthieu Vigneau pour En cordée

Prix de la meilleure photographie (Nikon) : Robin Fresson pour Le petit de Lorenzo Bianchi

Prix du meilleur film d’animation francophone (S.A.C.D.) : Totems, de Paul Jadoul, France, Belgique

Prix de la meilleure première œuvre de fiction (S.A.C.D.) : Dirty South, d’Olivier Strauss

Prix ADAMI d’interprétation, Meilleure comédienne : Angélique Gernez, dans Chasse royale de Lise Akoka et Romane Gueret

Prix ADAMI d’interprétation, Meilleur comédien : Pierre Valcy, dans Féfé Limbé de Julien Silloray, France, Guadeloupe

Prix CANAL+ : La république des enchanteurs, de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh et Les misérables, de Ladj Ly

Prix de la Presse Télérama : Herculanum, de Arthur Cahn

Prix Procirep du producteur de court métrage : La Luna Productions

Lauréat Bourse des festivals Auvergne-Rhône-Alpes : Permission de Martin Razy / Sacrebleu Productions

Mentions spéciales

Mentions spéciales du Jury International : Disco Obu, de Anand Kishore, Inde, États-Unis, Singapour et And So We Put Goldfish in the Pool (Et nous avons donc mis des poisons rouges dans la piscine), de Makoto Nagahisa, Japon

Nomination European Film Awards : Wannabe, de Jannis Lenz, Autriche, Allemagne

Mention spéciale du Jury Labo : For Real Tho (Pour de vrai), de Baptist Penetticobra, France

Mention spéciale du Jury National : Garden Party, de Florian Babikian, Vincent Bayoux, Victor Caire, Théophile Dufresne, Gabriel Grapperon et Lucas Navarro

Mention spéciale du jury S.A.C.D. (première œuvre de fiction) : L’enfance d’un chef, de Antoine de Bary

Mention spéciale du jury Presse Télérama : Goût bacon, de Emma Benestan

Mention spéciale du jury Documentaire sur grand écran : Kaltes Tal (La vallée froide), de Florian Fischer et Johannes Krell

Coup de cœur CANAL + FAMILY : Big Booom, de Marat Narimanov, Russie

Prix Orange : Relaxatron 5000, de Andrew Brand, Royaume-Uni

Magritte du Cinéma, les 2 courts primés

Après les Goya, Format Court poursuit son tour d’Europe des palmarès de courts. En Belgique, la 7ème édition des Magritte du cinéma, récompensant les films belges, a élu le weekend passé deux courts-métrages centrés sur le sexe, soutenus par Arte, dont l’un est encore visible en ligne grâce à Court-Circuit.

Elu Meilleur court métrage de fiction, « Le plombier » de Méryl Fortunat-Rossi et Xavier Seron est une « comédie érotico-acoustique » sur le doublage d’un film porno, portée par une chouette photo, une musique cool, des plans serrés plus que significatifs, et la fine fleur du court-métrage belge : Tom Audenaert, Catherine Salée, Jean-Benoît Ugeux, Philippe Grand’Henry. Les deux réalisateurs, déjà auteurs de « L’Ours noir », Magritte du court l’an passé, n’arrivent toutefois pas à finir leur film, et « Le plombier » s’embourbe dans ses dernières minutes. Dommage 1.

« Pornography » d’Éric Ledune, récompensé comme Meilleur court métrage d’animation, est un film sur la perception de la pornographie et l’obscénité. Construit à partir d’un faux micro-trottoir, ce film pour adules jouit (si on peut dire) de quelques plans/témoignages sympas, mais sa durée trop longue, son aspect pédagogique et sa flopée d’informations ne convainquent pas. Dommage 2.

Hopptornet d’Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck

Sélectionnés au 39ème Festival de Clermont-Ferrand dans la section Labo, les deux réalisateurs suédois, Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck, proposent avec « Hopptornet » un documentaire sur le choix de sauter ou non d’un plongeoir haut de 10 mètres.

Les deux cinéastes présentent un court-métrage pour le moins original : le spectateur voit l’hésitation des personnes sur le point de sauter ou non. Les réalisateurs ont choisi pour leur film un panel de personnalités : des hommes, des femmes, des personnes âgées, des jeunes, ceux qui sautent en duo ou seuls, permettant au spectateur de s’identifier facilement aux personnes filmées. Les réactions sont diverses, une enfant d’une dizaine d’années prend par exemple moins de temps de réflexion qu’un homme mûr qui décide de redescendre par l’échelle, ce qui ajoute une touche d’humour à ce documentaire expérimental.

Cette peur de sauter est décryptée par les deux cinéastes qui observent patiemment les réactions et les corps hésitants. On retrouve ce regard au montage lors de l’utilisation des ralentis lorsque les personnes filmées s’élancent dans le vide : l’acte de sauter déforme les visages et crispe les corps.

Le dispositif filmique fait durer cette hésitation et cette peur en utilisant des plans longs. Les réalisateurs ont utilisé plusieurs caméras : la première en face des personnes filmées, la deuxième de côté qui nous permet d’observer la distance entre le plongeoir et l’eau, et la dernière dans le bassin pour capter la pénétration des corps dans l’eau.

De plus, la visibilité du dispositif de mise en scène permet au spectateur de se frotter à la « réalité brute » du documentaire, comme par exemple, en voyant les micros servant à la prise de son, situés sur le rebord du plongeoir.

Le documentaire plonge le spectateur dans un lieu public, la piscine, qui est peu filmé par les cinéastes contemporains. Le court-métrage propose une idée originale et drôle, qui confronte chaque personne à sa peur du vide. Le film secoue, impressionne et surtout fait rire le public, par sa mise en scène frontale et le naturel des personnalités filmées. Cette expérience anthropologique pousse à se questionner sur les nouvelles formes du documentaire expérimental. Le corps humain reste un élément très important dans le cinéma actuel, ici il est accentué par la musique de Beethoven à la fin du court-métrage, dans une volonté de le sublimer et souligner l’absurdité de la situation filmée.

Lila Toupart

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