Ophelia d’Annarita Zambrano

Deux garçons de 10 et 12 ans dévalent à toute allure à vélo la forêt des Landes. Il fait beau, chaud et malgré le comportement d’urgence de ces enfants, l’ambiance semble paisible, hors du temps. Voilà comment Annarita Zambrano décide d’ouvrir son film Ophelia, sélectionné en compétition officielle des courts métrages lors du 66e Festival de Cannes.

Beaucoup de suspense ou plus exactement d’attente, dans cette scène d’ouverture, où l’on avance au même rythme que les deux héros, dans ce décor à la fois céleste et angoissant. Annarita Zambrano aime nous surprendre tout au long de ses films  : être là où on ne l’attend pas, en traitant certes toujours des thèmes qui lui sont chers – l’adolescence, les relations humaines, l’identité, la sexualité – mais avec un ton résolument différent à chaque film, une proposition nouvelle et un sens très développé du détail.

On notera à cet égard que son tout dernier film, L’Heure bleue, se situe également dans les Landes et met en scène des comédiens avec qui elle a déjà travaillé. Sur le ton de la comédie, elle évoque les questions de relations amoureuses et d’infidélité et propose un film à la croisée de ses courts métrages précédents mais avec un regard nouveau et des résolutions différentes.

Dans Ophelia, lorsque les deux garçons arrivent à destination, autrement dit, sur une plage éloignée, tout aussi déserte que la forêt, on apprend enfin le motif de leur course : observer, tels deux voyeurs, une jeune femme nue qui a pour habitude de venir bronzer là. Un instant tout de même, ils retombent en enfance en jouant à se bousculer dans le sable, profitant de ce moment de liberté.

Néanmoins, le suspense reprend : où est la fille en question ? La réalisatrice réussit à nous tenir en haleine puisque ni les deux héros ni le spectateur ne connaissent la réponse. Jusqu’au moment où les garçons retrouvent le corps sans vie de la jeune femme dont la poitrine, à moitié dénudée, est caressée par les vagues qui vont et viennent. Elle est d’un blanc quasi transparent qui appelle à la peur et la fascination, de sorte que les enfants en perdent la parole. Et eux qui ont traversé la forêt pour la voir nue, se mettent à la rhabiller avec précaution comme si le jeu était fini. Le culte a finalement dépassé le voyeurisme.

Sans presque se concerter, ils vont prendre la décision d’amener la jeune femme dans un lieu où elle ne pourra pas se faire emporter par la mer. S’en suivent de longues scènes où ils traînent ce corps inerte à travers le sable et les branches. Le moment paraît même infini tant on a l’impression que les garçons ne lâcheront le corps qu’une fois arrivés à l’épuisement extrême. Une fois perdus dans la forêt, ils laissent enfin tomber la jeune fille et se mettent à lui construire avec soin, une cabane, sorte de sépulture. Un trouble entre les deux enfant vient interrompre leur tâche : le plus âgé, au blond électrique qui lui donne des allures d’ange moderne, effleure la jeune fille et tente de l’embrasser. Son geste provoque l’emportement de son camarade, comparable à de la jalousie, mais l’altération est brève. Puis, ils repartent une fois leur mission accomplie.

Annarita Zambrano dépeint ici un récit à la fois intemporel et universel. D’où viennent les héros de cette histoire ? Où vont-ils ensuite ? Qui sont-ils réellement ? Là n’est pas la question finalement. La réalisatrice préfère proposer une peinture impressionniste reprenant les codes propres à ce courant artistique, dont l’utilisation de la nature est un élément essentiel. L’intérêt porte donc plus volontiers sur le caractère emblématique de cette histoire. Et le cinéma a cela de plus que la peinture : il offre la possibilité d’intégrer du son et du mouvement, détails dont la réalisatrice ne se prive pas, exerçant un travail méticuleux sur les bruits et remous du cadre naturel (la mer, la forêt, etc).

Métaphoriquement, Annarita Zambrano nous donne sa version personnelle du mythe d’Ophélie, personnage de la tragédie d’Hamlet de Shakespeare qui appelle au symbole du souvenir, de la femme victime et de la mort. De la même manière, les deux enfants qui partent à la recherche d’Ophelia rappellent les personnages de Rosencratz et Guildenstern, des voyeurs qui espionnaient Hamlet. Ceci étant, la réalisatrice reprend plus volontiers le poème que Rimbaud avait créé autour du même mythe d’Ophélie plutôt que la vision de Shakespeare, même si sa proposition est moins lugubre que celle du poète. En effet, on retrouve dans ce court métrage les mêmes allégories liées à l’eau, la pâleur, de nudité, la liberté, etc.

Avec cette « œuvre d’art » cinématographique, Annarita Zambrano n’a pas remporté la Palme d’or du court métrage, mais son film devrait passer outre les frontières et les époques. Le parcours de la réalisatrice démontre qu’elle n’a finalement plus grand-chose à prouver si ce n’est de revenir prochainement au cinéma avec son premier longmétrage.

Camille Monin

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