Tous les articles par Katia Bayer

M comme Motu Maeva

Fiche technique

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Synopsis : Un portrait de Sonja, aventurière du XXème siècle, habitante d’une île qu’elle a elle-même façonnée : Motu Maeva.

Genre : Documentaire expérimental

Durée : 42’10

Pays : France

Année : 2014

Réalisation : Maureen Fazendeiro

Avec : Sonja André, Michel André

Son : Jules Valeur, Miguel Martins

Image : Maureen Fazendeiro, Isabel Paglai

Montage : Catherine Libert

Production: Le G.R.E.C

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Carte blanche Format Court à Lille !

Vendredi 15 mai 2015, dès 20h30, Format Court s’exportera à Lille pour une carte blanche offerte par L’hybride, un super lieu alternatif fan de courts. Conçue par Katia Bayer et Nadia Le Bihen-Demmou, cette séance spéciale réunit des films singuliers, français et étrangers, animés et fictionnels, chroniqués sur le site, découverts et primés en festivals, issus de l’imaginaire des jeunes cinéastes de demain. En présence de Katia Bayer, Rédactrice en chef Format Court et de Martin Razy, réalisateur de « Sans les gants ».

Programmation

Quelqu’un d’extraordinaire de Monia Chokri / Canada / 2013 / Fiction / 29 min / Metafilms

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Sarah, 30 ans, belle et intelligente, a tout pour réussir. Mais son anxiété et sa peur de ne pas être exceptionnelle la poussent à l’inertie. Un matin de janvier, après un énorme blackout, elle se réveille dans une maison de banlieue inconnue. De cet incident naîtra l’envie de se reconstruire. Pour y arriver, elle devra détruire tout ce qui l’entoure, en commençant par ses copines.

Fuga de Juan Antonio Espigares / Espagne / 2012 / Animation / 15 min / Kike Mesa / Ándale Films / Prix Format Court au Festival Court Métrange 2013

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Sara vient d’arriver au conservatoire de Sainte-Cécile et découvre qu’il y a plusieurs façons d’interpréter le prisme à travers lequel elle perçoit sa réalité et son talent.

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Sans les gants de Martin Razy / France / 2014 / Fiction / 18 min 32 / Pharos Productions

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Dylan est un jeune boxeur prometteur. Il apprend coup sur coup que Samia, la fille dont il est amoureux, trouve qu’il « fait gamin », et qu’il ne peut pas participer au championnat dont il rêve car trop jeune… Dylan décide de grandir.

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A Living Soul de Henry Moore Selder / Suède / 2014 / Fiction / 30 min / B-Reel Feature Film / Prix Format Court au Festival Court Métrange 2014

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Un cerveau humain maintenu en vie artificiellement se réveille dans un laboratoire. Après un simple retour à la conscience, Ypsilon se met à forger une personnalité…

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En pratique

Projection vendredi 15 mai, 20h30

L’hybride, 18 rue Gosselet, Lille

Durée du programme : 1h33

Info en ligne : http://www.lhybride.org/programme/item/856-format-court-regards-pluriels-sur-un-format-singulier.html

Take what you can carry de Matt Porterfield

Les espaces, ceux que nous habitions, ceux que nous pensons habiter, comme les villes, les campagnes, les couloirs, les jardins, ces espaces multipliés ou morcelés, quotidiens ou exceptionnels, sont le centre et les fondations de « Take what you can carry », nouveau film de Matt Porterfield, qui vient d’être sélectionné dans cette nouvelle édition du festival international IndieLisboa. Avec déjà une belle carrière derrière lui, reconnu comme l’une des nouvelles têtes du cinéma indépendant américain, Porterfield fait un retour au court après trois longs-métrages applaudis par la critique : « Hamilton » (2006), « Putty Hill » (2008) et le plus récent « I used to be darker » (Sundance – Berlinale 2013).

« Take what you can carry », premier film du cinéaste à être tourné en dehors de Baltimore, sa ville natale, nous installe cette fois à Berlin pour suivre Lilly, jeune américaine qui parcourt des différents endroits d’une ville qui ne sera guère montrée, mais dont l’esprit restera toujours latent. Le film est principalement une composition de trois grandes parties : l’arrivée de Lilly chez son petit ami où elle va et vient à sa guise ; une performance de danse avec la troupe Gob Squad où les participants expriment différents et d’intimes états de leurs esprits à travers la danse et le mouvement de leurs corps, et son arrivée à un nouvel appartement qu’elle gardera pendant quelques jours. Dans chacun de ces lieux, des divers traits de sa personnalité vont apparaître et permettre de voir la complexité d’un personnage construit avec très peu de dialogues, mais qui pourtant parle énormément avec son corps.

Take what you can carry Matt Porterfield

Inspiré des magnifiques réflexions de Georges Perec dans Espèces d’espaces, Porterfield s’intéresse à certaines questions posées : « L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête ». Ces problèmes sont mis en scène à travers un binôme établi entre le jeu de Hannah Gross qui interprète Lilly et les longs plans fixes qui imposent un beau ton de lassitude au film. La comédienne aura donc la tâche, assez bien réussie d’ailleurs, de transmettre un état d’anesthésie constant, comme si elle vivait un dimanche éternel, toujours à l’extérieur d’elle-même, mais dans l’idée de démarquer son propre espace, de conquérir son territoire pour en trouver sa demeure. Comme contrepoint, le travail de Jenny-Lou Ziegel, chef-opératrice, nous enferme dans chaque séquence avec un plan fixe sans échappatoire qui permet de voir attentivement où se trouve le personnage, ce qu’il y a autour de lui, les couleurs des objets, la lumière qui rentre dans le cadre, et d’entendre la respiration, la musique, le bruit extérieur, la ville en permanence cachée. Le spectateur est obligé d’habiter le même espace que Lilly en tout moment, même s’il lui arrive de sortir du cadre et que l’on reste dans une pièce qui semble vide, inhabitable, qui n’appartient à personne. C’est uniquement durant la scène de danse avec le Gob Squad, filmée toujours dans un long et unique plan d’une énorme salle blanche que le personnage arrive à s’approprier l’espace, qu’il est capable de traduire ses émotions en mouvement pur quand ses mots deviennent actions. Quand Lilly bouge, elle se retrouve finalement à l’aise dans cette ville, libre de réagir ou non, et pour une seule fois, elle laisse tomber son regard paresseux et d’abandon qui nous accompagnera jusqu’à la fin. C’est là, dans cette seule pièce vide qu’elle parvient à conquérir un espace où elle n’est pas étrangère, qu’elle se retrouve uniquement là où il n’y a rien.

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Lilly ne parle presque pas. Ce qu’elle dit, et ce que les autres lui disent ne sont que des répliques banales, une simple ébauche de la fonction phatique du langage. L’intérêt du film va donc au-delà de tout aspect scénaristique, il est un essai muet sur la conquête de soi, d’un territoire, d’un milieu. Les relations interpersonnelles de la première et dernière partie sont uniquement accessoires, outils pour montrer un parcours qui reste inachevé, une envie qui ne se matérialise pas, que même Lilly n’arrive pas à saisir. Il faut donc de la patience, de la bonne patience qui implique de regarder un plan fixe de dix minutes et de rendre compte du parti pris du réalisateur. Il faut attendre, mais cette attente ne débouchera pas forcement sur la satisfaction d’un récit bien clos et formulé.

Cela peut s’entrevoir d’une certaine façon dès le début avec le titre. « Take what you can carry », que l’on peut traduire grossièrement par « Prends ce que tu peux prendre », implique un petit paradoxe. Pour prendre ce que l’on peut prendre, il faut nécessairement connaître ses limites, c’est-à-dire qu’il faut dans un premier temps prendre plus de ce que l’on peut prendre. Ce titre est une invitation à faire le contraire, à tester jusqu’où il est possible d’arriver. Ça deviendra plus clair dans la première partie quand Lilly essaie de mettre tous ses vêtements dans une toute petite valise. Il faut de la patience pour la voir fourrer son petit sac de toutes ses affaires d’été, et surtout pour se rendre compte qu’elle tentera toujours de prendre plus qu’elle ne peut.

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« Take what you can carry » est le constat d’une quête dépourvue de la parole. Des grimaces, des regards et occasionnellement des mots écrits dans une lettre devront suffire à faire comprendre la fragilité de l’espace et l’élan vital de ceux qui le cherchent.

Julián Medrano Hoyos

Consulter la fiche technique du film

T comme Take what you can carry

Fiche technique

Synopsis : Étude de personnages et méditation sur la communication, la création et l’espace physique, Take What You Can Carry est le portrait d’une jeune femme vue à travers les intérieurs qu’elle occupe et les gens qu’elle fréquente. Américaine installée à l’étranger, Lilly espère façonner un espace intime pour elle-même tout en étant en phase avec le monde autour d’elle. Lorsqu’elle reçoit une lettre de chez elle, cela lui permet de trouver ce qu’il faut pour fusionner son moi éphémère avec la personne qu’elle a toujours su qu’elle était.

Genre : Fiction

Durée : 30’

Année : 2015

Pays : États-Unis, Allemagne

Réalisation : Matt Porterfield

Scénario : Matt Porterfield

Image : Jenny-Lou Ziegel

Montage : Amanda Larson

Son : Gene Park, Danny Meltzer

Interprétation: Hannah Gross, Jean-Christophe Folly, Angela Shanelec

Production : Zsuzsanna Kiràly

Article associé : la critique du film

Palmarès du festival IndieLisboa 2015

Le Festival IndieLisboa, l’une des plateformes incontournables du cinéma indépendant, s’est achevé ce weekend à Lisbonne. Voici les différents courts-métrages primés.

Palmarès

Grand Prix du court métrage : End of Summer, Jóhann Jóhansson (Islande, Danemark)

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Mention spéciale Animation : Of a Forest, Katarzyna Melnyk (Pologne)

Mention spéciale Documentaire, Mention spéciale Amnesty International : Shipwreck, Morgan Knibbe (Pays-Bas, Italie)

Mention spéciale Fiction : Guy MoquetDemis Herenger (France)

Prix du meilleur cour métrage portugais : Fora da vida/On the Side, Filipa Reis, João Miller Guerra (Portugal)

Prix Nouveau Talent FNAC, des Ecoles Culturgest : The Mesh and the Circle de Francisco Queimadela, Mariana Caló (Portugal)

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Prix du meilleur film (Brand New Section) : The Girl from Berlin, Bruno de Freitas Leal (Portugal)

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Prix Format Court (Silvestre Shorts) : The Mad Half Hour, Leonardo Brzezicki (Danemark, Argentine)

Prix Árvore da Vida du Meilleur film portugais, Mention spéciale : Beyond Marão, José Manuel Fernandes (Portugal)

Prix Árvore da Vida IndieJunior: Historia de un oso, Gabriel Osorio (Chili)

Prix du public : In Waking Hours de Katrien Vanagt, Sarah Vanagt (Belgique)

Prix du public IndieJunior : Lune et le loup, Patrick Delage, Toma Leroux (France)

Erik Schmitt, Prix Format Court au Festival de Brest

Il y a quelques mois, Erik Schmitt est apparu dans notre panier de découvertes avec son avant-dernier film, « Nashorn im Galopp », sélectionné dans bon nombre de festivals dont Berlin en premier (exclusivité oblige) et Brest où nous l’avons gratifié de notre Prix Format Court. Le film, repéré parmi 40 films européens sélectionnés, avait séduit notre équipe par sa créativité, sa poésie, son rythme, son émotion et son humour (rien que ça !).

En mars passé, lors de notre séance Spéciale Brest, le film avait été projeté aux Ursulines en présence de son auteur et en compagnie de plusieurs autres courts européens.

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Erik Schmitt travaille actuellement sur un projet de long-métrage mais ne perd pas le court de vue, un format dans lequel il a fait ses armes sans passer par la case école. Cela tombe bien, dans le cadre de notre prix, nous lui offrons un DCP pour un prochain court grâce à notre partenariat avec le laboratoire numérique Média Solution.

En attendant d’avoir des news de l’Allemagne, nous vous invitons à découvrir le focus consacré au réalisateur revenant sur son parcours, sa façon de travailler, ses envies et sa filmographie colorée, poétique et ludique. Bonne lecture !

Erik Schmitt : la créativité à portée de main, le street art et l’expérimentation par le court

Le reportage « Une plongée dans l’imaginaire d’Erik Schmitt »

La critique de « Nashorn im Galopp »

Erik Schmitt : la créativité à portée de main, le street art et l’expérimentation par le court

Erik Schmitt, le réalisateur de « Nashorn im Galopp », Prix Format Court à Brest cette année, était à Paris au mois de mars pour présenter son film au Studio des Ursulines lors de notre séance consacrée au festival. Il est revenu sur son parcours, ses difficultés (le passage au long-métrage, l’envie de brasser plusieurs genres, son décalage avec ses confrères allemands) et ses goûts (le visuel, le créatif, le sens de l’émotion). Pour en savoir plus sur cet auteur, ne cliquez pas et restez sur cette page.

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Tu as monté ta propre boîte de production, Kamerapferd, avec ton ami Stephan Müller. Comment avez-vous eu envie de travailler ensemble, de monter votre propre structure et de produire vos propres films ?

Erik Schmitt : Kamerapferd, c’est le cheval de la caméra. Ce n’est pas vraiment une boîte de production, c’est plus un nom qui nous lie et qui permet de reconnaître nos films. On a fait une série de courts métrages qui ont tous bien marchés et qu’on a associés à ce nom. En Allemagne, le nom il a bien pris. Il y a plus de gens qui connaissent Kamerapferd que mon propre nom ! Aujourd’hui, on se pose la question de laisser tomber ce nom-là, chacun étant sur son projet de long-métrage et en contact avec des productions plus importantes.

Quels ont été tes premiers pas dans le ciné ?

Je suis sorti de l’université, je n’ai pas étudié le cinéma. J’ai fait beaucoup de choses créatives et de la communication. Après j’ai travaillé pour une boîte de publicité et puis, j’ai fait des petites vidéos. J’ai appris à faire du montage, à comprendre la caméra. Je me suis retrouvé à faire un long-métrage documentaire (« Solartaxi: Around the World with the Sun  ») en suivant un type qui faisait un tour du monde pendant un mois en Inde. J’ai fait ce film sans vraiment avoir une idée précise de ce que je faisais, mais ça a marché et je l’ai vendu. Pendant ce voyage, le mécano m’a parlé de Stephan en me disant qu’il faisait des trucs comme moi, c’est comme ça que j’ai fait sa connaissance et qu’on a commencé à travailler sur des petites pubs pour les Télécoms allemands. Là, j’ai réalisé que c’était la première fois de ma vie que je rencontrais quelqu’un qui pensait comme moi. Quand je proposais des idées à mes copains, ils me disaient toujours que j’étais fou !

Dans tes films, tu joues sur plusieurs tableaux : le burlesque, la poésie, le sombre aussi. Dans les propositions allemandes en court comme en long, on a l’impression que les auteurs sont dans la retenue, l’austérité. D’une certaine manière, ton film aurait pu ne pas être réalisé en Allemagne. Tu en es conscient ?

Oui, j’aime bien mélanger les genres et c’est vrai que je ne me retrouve pas vraiment dans le court métrage allemand. En général, je ne me sens pas forcément connecté aux films allemands et j’ai du mal à trouver des modèles parmi mes pairs. En France, j’ai l’impression qu’on n’a pas peur de jouer avec ce que tu viens de décrire de mon travail. Je trouve ça très intéressant de pouvoir être drôle, léger mais aussi sombre et émotionnel. Pour le moment, en préparant mon long, cette idée de sombre m’intéresse d’ailleurs beaucoup, je me demande comment y accéder et comment l’exprimer. Dans le cinéma français, même les films commerciaux comme «  Monsieur Claude » ou « Intouchables » qui s’adressent au grand public peuvent être innovants et toucher les émotions des spectateurs. Dans le cinéma allemand, ça ne se fait pas. Je ne sais pas pourquoi on a peur de ça en Allemagne .

En même temps, certains films d’auteur synonymes de gros succès commerciaux, ont touché les gens, des films comme « Barbara » ou « La Vie des autres »…

Oui, mais ce sont des films qui datent et puis, ce sont toujours les mêmes sujets : les nazis, la Stasi, la guerre…

Comment es-tu considéré dans le milieu du cinéma dans ton pays ?

Dans le court métrage allemand, j’ai l’impression que je suis plutôt le mec qui fait des trucs un peu fous. J’ai l’impression d’être un peu le seul dans cette catégorie, peut-être avec Stephan qui est malgré tout un peu diffèrent de moi et je trouve ça un peu dommage.

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Est-ce que le mot fou, ça te discrédite ?

Non pas du tout, c’est juste un aspect de mon travail. Malgré tout, je suis content que tu remarques d’autres choses dans mon travail, notamment ce côté sombre. Ce qui était intéressant sur « Nashorn im Galopp », ce n’était pas juste de faire des images. Je voulais essayer de faire quelque chose qui marche sur plusieurs niveaux. Pour moi, c’était important que le film soit visuellement intéressant mais aussi émotionnel. Mon film suivant, « Forever Over » s’est fait rapidement. « Nashorn im Galopp » venait d’avoir sa première à la Berlinale et je voulais tenter des choses pour mon long-métrage, notamment en écrivant des dialogues un peu plus classiques. À la base, je ne voulais faire que deux scènes non connectées et puis, je me suis dit que je pouvais en faire un film. Après, en quelques jours, j’ai essayé de connecter le tout. Le film marche un peu mais je sens que je n’ai pas assez réfléchi à ce que je voulais vraiment exprimer du coté émotionnel. Le film a un aspect spontané mais quelques idées n’ont pas suffi à aboutir au film comme je le souhaite.

Sur un plateau, comment travailles-tu avec tes comédiens ? Leur permets-tu d’être spontanés ?

J’ai une relation particulière avec mes comédiens. C’est en utilisant ce lien que j’essaye de trouver le moyen le plus intéressant de travailler avec eux. La plupart d’entre eux reviennent dans mes films. Marleen Lohse, par exemple, aime bien avoir un texte de base qu’elle change un peu et sur lequel on travaille ensemble. Folke Renken a joué dans plusieurs de mes films. Je ne lui donne qu’un cadre et il improvise. Si je lui propose une scène, il ne pourra pas la jouer parce que ce n’est pas vraiment un acteur, c’est quelqu’un d’intuitif.

Dans tes films, on sent effectivement que vous vous connaissez tous bien…

C’est ce qui me manque un peu justement dans le travail qu’on faisait avec Stephan. On se voyait le matin, on essayait des trucs, on avait toujours des publicités à faire pour gagner notre vie, mais il restait toujours un peu de temps pour expérimenter.  Un de mes courts, « Telekommando », a commencé comme ça. Cela fait un an que j’ai commencé à écrire mon long-métrage et c’est difficile. À un moment, j’étais frustré parce que ça n’avançait pas. On est sorti, on a décidé de faire un film et sur une idée de base, on a fait ce petit court en une journée. Ça m’a fait du bien, j’ai décompressé.

Pourquoi est-ce difficile, le long ?

Parce que c’est nouveau et que je n’ai jamais fait ça. J’ai besoin de comprendre la structure d’un long-métrage, je n’ai pas juste envie de me plonger dans l’aspect visuel, je veux vraiment raconter quelque chose d’émotionnel. L’idée, ce n’est pas de prendre 2-3 semaines et peu d’argent pour tourner. J’ai besoin de savoir où je vais, ce que je fais, pour un projet plus grand. C’est pour cela que ça dure longtemps, mais ça avance donc c’est intéressant.

À travers tes films, on peut penser à Gondry tant tu accordes un soin particulier aux effets visuels. Sauf que sans beaucoup de moyens, tu joues avec les échelles de plan, réalises des petites animations et restes dans la simplicité, l’artisanat.

Ces dernière années, ça m’a beaucoup intéressé de trouver des moyens à notre portée. Avec les effets spéciaux, on peut vraiment tout faire. Si tu lis Harry Potter et que tu y découvres un dragon, ce n’est pas un problème de le transposer au cinéma, c’est juste une question d’argent. Ce qui m’intéresse, c’est de créer des illusions que tout le monde peut faire de ses mains et de trouver le chemin pour exprimer ce que je ressens. Pour moi, la créativité vient du cœur, elle est devant nous et ne se créée pas de toute pièces avec la technologie moderne.

Dans ton dernier film, tu as quand même créé une lune. Pas si simple…

Oui, on l’a imprimée mais tout le monde peut en fabriquer une. La créativité démocratique, c’est possible…

Excuse-moi, mais un type déguisé en lapin rose vient de passer…

C’est marrant, j’ai justement un lapin rose dans mon long métrage !

Nashorn im Galopp

Dans « Nashorn im Galopp », tu t’intéresses de près au street art. Qu’est-ce qui te plaît dans l’expression urbaine ?

Le principe de raconter des choses en peu de temps et de s’adapter aux aspérités et à la taille du réceptacle où le graffiti s’affichera. L’espace n’est pas une page blanche. Le street art est l’art de communication en ville. Des messages permanents apparaissent, ça permet de lutter un peu contre la solitude et l’animosité de la ville. Le street art est un nouveau langage et les pages d’un livre qu’on écrit tous ensemble. Devant un bon graffiti, notre façon de voir le monde se met à changer. La ville est triste et grise mais grâce aux graffitis, l’œil est toujours à l’affut de la petite touche d’émotion imprévisible.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Arnbjörn Rustov

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The Mad Half Hour de Leonardo Brzezicki, Prix Format Court au Festival IndieLisboa !

La 12ème édition du festival de cinéma indépendant IndieLisboa s’est achevée hier soir à Lisbonne. La cérémonie de clôture a consacré plusieurs films internationaux. Pour la première fois, notre équipe a attribué un Prix Format Court au sein de la toute nouvelle section « Silvestre », regroupant des films à part et inattendus réalisés par de jeunes auteurs comme des cinéastes établis.

Le jury Format Court (Katia Bayer, Marie Bergeret, Paola Casamarta, Adi Chesson, Lola L’Hermite, Zoé Libault) a choisi de récompenser, parmi les 33 films sélectionnés,  « The Mad Half Hour » de Leonardo Brzezicki, un film à la croisée des genres, marqué par son sens de l’absurde, l’invitation à la mélancolie et l’interrogation sur l’amour et le sens de la vie.

« The Mad Half Hour » de Leonardo Brzezicki (Fiction, 22’, Danemark, Argentine, 2015, Rewind My Future Films).

Syn. : « The Mad Half Hour » raconte l’histoire d’un tourment intérieur : les doutes existentiels d’un jeune couple à Buenos Aires.

Le court-métrage primé bénéficiera d’un dossier spécial en ligne, sera programmé lors de la prochaine séance Format Court organisée jeudi 14 mai à 20h30 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur bénéficiera également d’un DCP pour un prochain court doté par le laboratoire numérique Média Solution.

Brive 2015, compte­-rendu

Les douzième Rencontres du moyen-­métrage de Brive se sont achevées le 19 avril dernier, après cinq jours de festival placés sous le signe du renouveau. Une transition s’est effectuée avec le changement de main au poste de Délégué général du festival, dévolu par le passé à Sébastien Bailly et assumé aujourd’hui par Elsa Charbit. Les fondamentaux n’ont pas bougé et la diversité de la programmation reposant sur la cohabitation des films de la compétition européenne avec différents programmes parallèles (rétrospectives, séances pour enfants…) est toujours d’actualité. Le passage de relais révèle cependant une ambition certaine d’ouverture de la part de la nouvelle équipe, un souci de conserver l’éclectisme de la ligne éditoriale tout en élargissant son champ d’exploration. Il suffit de constater la place importante accordée aux films documentaires dans la compétition européenne de cette année et la singularité de leurs propositions formelles déterminante pour leur sélection. Il en va de même pour les moyens­-métrages de fiction où sont représentés pêle­mêle la plupart des tendances de la jeune production française. Autant de propositions qui ont fait que cette année à Brive, la terre a penché de plusieurs côtés.

Mon beauf

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Pour commencer avec la compétition européenne, évoquons d’abord quelques films qui glissaient sur une mauvaise pente. « Ton cœur au hasard » de Aude-­Léa Rapin (lauréat du Prix Ciné +) et « Nocturnes » de Matthieu Bareyre donnent tous deux la sensation désagréable de privilégier la singularité de leurs dispositifs narratifs et formels à la construction d’un rapport bienveillant avec leurs protagonistes respectifs. Le premier est une fiction, dont le principe narratif repose sur la mise bout à bout de trois blocs de séquences centrées autour d’un jeune homme confronté à différentes figures féminines. Trois scènes étirées chacune en longueur où ce rustre bégayant s’échine à créer un contact avec celles qui croisent son chemin. L’ambition de nous faire partager le calvaire de ce personnage pour communiquer ses intentions et ses sentiments contamine la mise en scène dont chacun des aspects enfoncent le clou d’un volontarisme forcené. La caméra portée en permanence qui resserre son cadre sur les visages des interprètes, l’image numérique rugueuse et agressive (notamment dans la première scène filmée de nuit) et le montage qui étire chaque séquence en ne nous épargnant aucun bégaiements sont autant de partis pris qui contribuent à créer un sentiment d’épuisement. Épuisement de tout, du langage, des corps, qui s’agitent tristement et ne se rejoignent que pour des étreintes brèves et désenchantées (le pilonnage de la caissière dans la camionnette constituant sans doute le pinacle de l’horreur). Le misérabilisme dans lequel s’enfonce le personnage principal, rendu inapte à tout (il galère durant toute une séquence pour enfiler un costume) finit de nous décourager face à l’entreprise du film, et nous fait regretter cette boutade des frères Dardenne que nombre de cinéastes semblent avoir pris au pied de la lettre : «Nous ce qu’on fait, c’est mettre la caméra dans le trou du cul du réel.» Cette fois, rien de très bon n’en est sorti.

De chair triste et d’épuisement, il est aussi question dans le documentaire de Matthieu Bareyre qui a choisi de poser sa caméra dans l’hippodrome de Vincennes durant les courses nocturnes. À l’intérieur de ce lieu désertique, une poignée de parieurs se réunissent pour suivre les courses sur les écrans, galvanisés par ces jeux d’argent aussi bien que par le spectacle monté en direct par la régie vidéo. Cette fois encore, l’altérité que constitue la présence de ces bourrins alcoolisés ne semble envisagée que comme élément composite d’un discours pré­existant, réduisant de ce fait la démarche documentaire à de la prospection zoologique. En disséquant la mécanique de ces événements par la multiplication des angles d’observation (le champ de course, la régie vidéo, les salles occupées par les parieurs), Bareyre livre une observation froide et morne d’un spectacle qui tourne à vide où la question principale qui est posée est littéralement : “qui monte qui ?” On constate que les parieurs font monter les enchères, que les régisseurs qui montent le spectacle en direct font monter la pression et excitent les parieurs, etc. Encore une fois, la tautologie de la mise en scène surligne les intentions de l’auteur et condamne les protagonistes à faire tourner la machine sans avoir leur mot à dire. À noter que ces deux films s’achèvent sur la même faute de goût qui trahit l’ambition des cinéastes de transformer in fine leurs personnages infréquentables en héros : «Ton cœur au hasard» voit son protagoniste rouler vers l’horizon accompagné de cœurs féminins grandiloquents, tandis que le générique de «Nocturnes» défile et fait apparaître en larges lettres seulement les prénoms des parieurs. Tentatives douteuses et maladroites de leur rendre gloire, a posteriori. Mais de quelle gloire s’agit­-il, on ne le sait pas.

Le monde caressant

De l’autre côté du spectre, il était possible pour certains films non seulement de laisser vivre leurs personnages, mais également d’accueillir des fantômes en les laissant rejoindre le monde vivant. C’est le cas notamment de deux films réalisés par des habitués du festival de Brive : Christelle Lheureux (« La Maladie blanche », « Madeleine et les deux apaches ») venue présenter son nouvel opus « La terre penche », de même que le couple de cinéastes portugais Joao Pedro Rodrigues et Joao Gerra Da Mata (dont nous avions découvert le sublime « Mahjong » en compétition l’année dernière) de retour avec leur documentaire « IEC Long ». Là encore, une fiction d’un côté et un documentaire de l’autre qui affichent le même souci de rendre poreux les genres et les régimes d’images pour élargir leur cadre et permettre à leurs récits de se déployer avec plus de liberté et de fantaisie.

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Lheureux reconduit les motifs usités de ses précédentes réalisations pour définir le point de départ de son dernier opus. À nouveau, la vacance de personnages pris dans une parenthèse estivale devient le prétexte à l’exploration de champs inconnus où les jeux d’apparitions et de disparitions dessinent les contours d’une réalité mouvante, prête à pencher dans plusieurs directions. Ici, l’on suit le retour de Thomas dans sa ville natale, au gré de ses retrouvailles avec les lieux et les figures de son passé. Sa rencontre avec Lætitia, agente immobilière, va aiguiller son chemin vers une remise en perspective tranquille de ses aspirations. Ce postulat de départ pourrait ne faire de « La terre penche » qu’une énième bluette de bord de mer sympathique (la tendance « Un monde sans femme ») si Lheureux ne mettait un point d’honneur à faire glisser régulièrement son récit vers l’onirisme, en créant des trouées desquelles surgissent des éléments dissonants. Il peut s’agir d’interventions d’éléments très prosaïques de la réalité (un gigantesque troupeau de moutons bloquant la circulation) ou bien de ruptures franches avec la continuité du récit qui voient Lætitia rencontrer les fantômes de soldats chinois et dialoguer avec eux lors de ses décrochages narcoleptiques. Le film déploie ainsi langoureusement son récit et offre un écrin lumineux à ses personnages de doux rêveurs sans exclure pour autant la dimension inquiétante de ses digressions narratives, par exemple lorsque l’obsession de Thomas pour retrouver un ancien ami croisé lors de son arrivée l’éloigne de Lætitia et le conduit à traverser de nuit un immense et inquiétant chantier. Les contours de ce monde caressant gagnent alors en aspérité et un vertige nous saisit face au sentiment rendu finalement palpable par le récit : celui que, dans un monde en perpétuel mouvement, les instants de flottements sont en même temps précieux et dangereux, car dans leur béance peuvent aussi bien se perdre que se rencontrer ceux que la marche du progrès laisse sur le bord du chemin.

IECLONG

De leur côté, Rodrigues et Da Mata investissent dans « IEC Long » les ruines d’une fabrique de feux d’artifices de Macao et transforment les sifflements et les explosions des pétards utilisés lors de rituels contemporains en écho des voix des enfants employés par le passé dans cette fabrique, et dont les accidents répétés coûtèrent la vie à nombre d’entre eux. Comme dans leur précédent opus « Mahjong », les cinéastes portugais déploient un arsenal de motifs minimaux pour cartographier le territoire qu’ils explorent et construisent progressivement leur mise en scène sur d’ingénieux glissements formels. D’un prologue prenant pour cadre une fête contemporaine où une foule en liesse fait exploser des feux d’artifices dans la nuit, l’on bascule au détour d’un fondu enchaîné dans un autre régime d’images et par la­-même dans une autre temporalité. Des gros plans d’enfants anonymes enregistrés sur une pellicule Super 8 se mêlent ainsi aux images documentaires de ces colliers de pétards scintillants dans la nuit, dont le bruit et la fumée finissent par agresser les estivants et permettent aux fantômes de prendre place dans le flux des images. Un récit se déplie ensuite minutieusement via le témoignage du dernier employé survivant de cette époque et présenté, selon ses propres mots, comme le «gardien» des ruines de cette ancienne fabrique condamnée à être transformée en attraction touristique. La mise en relation des images documentaires de ces ruines avec celles d’une maquette reconstituant la fabrique telle qu’elle s’est dressée par le passé permet aux cinéastes de jouer habilement avec les dimensions et de replacer notre regard à hauteur d’enfant. En assumant l’aspect ludique de leur mise en scène, Rodrigues et Da Mata rendent un bel hommage aux fantômes et leur offre dans les images qu’ils fabriquent un ultime refuge.

Too young

Comme-une-grande-Héloïse-Pelloquet-2

Après s’être arrêté sur les plus belles propositions des «abonnés du festival», il est temps de tourner notre regard vers celles faites par de nouveaux arrivants et qui ont remporté la plupart des suffrages lors de cette nouvelle édition. Bien sûr, le film d’Héloïse Pelloquet « Comme une grande » qui a fait le grand schelem en repartant avec pas moins de trois prix (Grand Prix France, Prix du public et Prix Format Court) et qui fera l’objet d’un focus à part ainsi que d’une projection le 14/5 au Studio des Ursulines, se fait l’étendard d’un palmarès dominé par des récits dont les adolescents étaient les héros. L’autre vainqueur fut le très prisé « Lupino », documentaire de François Farellacci lauréat du Prix spécial Ciné + ainsi que du Prix du Jury Jeunes de la Corrèze.

En suivant un groupe d’adolescents corses cherchant à tromper leur ennui alors que commencent les vacances d’été, Farellacci dresse moins le portrait d’une génération saisie sur le vif qu’il ne s’approprie les signes d’un imaginaire usité, trouvant dans le désœuvrement de ces «kids» corses une matière inépuisable à l’intérieur de laquelle il n’a plus qu’à piocher pour construire son film. La narration de « Lupino » fonctionne par agencement de blocs, et sa manière d’aligner ses longues séquences livrées la plupart du temps dans leur pleine durée fait surgir à plusieurs reprises des fulgurances, des moments de grâce brillants justement par leur autonomie à l’intérieur du magma naturaliste dont ils émergent : lorsqu’un jeune homme se détache du groupe pendant une virée nocturne et se met à danser et chanter sur la chanson « Envole­-moi » de Goldman ou que l’un des adolescents raconte un épisode de la vie de sa bande en faisant défiler ses photos sur son écran d’Iphone.

Le film trouve sa force en même temps que sa limite dans cette façon de glisser allègrement d’une scène à une autre, d’un personnage au suivant sans souci d’articuler véritablement un récit à partir de cette matière forte et trop facilement aimable et malléable. Le prologue qui ouvre le film sur des images d’archives tournées en VHS semble corroborer ce sentiment d’éternel renouvellement d’un imaginaire adolescent, dont les principaux motifs ne changent pas d’une décennie sur l’autre (ennui, fêtes, alcool, violence dirigée contre personne…) mais qui trouveront toujours de jeunes corps pour les porter et offrir du «prêt à filmer».

A very extraordinary sort of girl

La plus belle découverte du festival s’est cependant faite à l’occasion d’un des programmes parallèles à la compétition européenne. Si la programmation des rétrospectives a proposé son lot de trouvailles et de raretés (en présentant des courts-­métrages de Paul Verhoeven, Koji Wakamatsu ou encore plusieurs échantillons issus du Free Cinéma anglais), la vraie révélation fut celle d’une séance spéciale consacrée à la première réalisation de l’actrice Françoise Lebrun (membre cette année du jury officiel). Le film est un moyen­-métrage documentaire d’une cinquantaine de minutes intitulé « Crazy Quilt », en référence à un courant du milieu du textile reposant sur la confection de toiles sous forme de patchworks mélangeants différents tissus et motifs. Titre bien choisi, tant le film brille par sa manière d’agencer librement chaque pan de son récit au gré de l’inspiration et des voyages de son auteur sur les traces de son passé.

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Au travers de cet auto­portrait, Françoise Lebrun nous invite à remonter avec elle le fil de sa mémoire pour se rapprocher d’un moment précis de son adolescence où elle vécut durant plusieurs années en Angleterre, chez une correspondante avec qui elle n’a jamais cessé ses échanges épistolaires. L’organisation de leurs retrouvailles au début du film constitue le prétexte pour la réalisatrice à l’évocation de sa passion pour la culture britannique qu’elle découvrait alors, notamment pour ses plus grandes romancières et poétesses (Virginia Woolf, Emily Brontë, Jane Austen…). Cette passion pour ces illustres femmes de lettres s’accompagne d’une autre pour l’architecture anglaise et pour ses jardins, que Lebrun nous invite à arpenter avec elle à l’occasion de ses visites en Angleterre. Ainsi, le récit bourgeonne en permanence, chaque nouveau plan pouvant être l’occasion d’une greffe impertinente à même l’image (l’usage savant et ludique d’incrustations de photos à l’intérieur des plans), témoignant de l’imagination sans limites de la réalisatrice, prête à faire feu de tout bois pour tisser une magnifique toile sur le canevas des souvenirs. L’on ressort de « Crazy Quilt » ravi, comblé par ce sentiment d’avoir, le temps d’un film, habité les plus belles images que son auteur avait à offrir.

Marc-Antoine Vaugeois

Soirée Format Court, spéciale Prix Format Court : jeudi 14 mai !

À l’occasion de notre avant-dernière séance de l’année, jeudi 14 mai, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), notre programmation est consacrée à 4 Prix Format Court, attribués récemment mais aussi en début d’année.

Venez découvrir le temps d’une séance très européenne des premiers films et des films d’écoles primés par la rédaction aux festivals d’Angers, de Brive, de Nijmegen (Go Short) et de Lisbonne (IndieLisboa), en présence de nos invités, les réalisateurs Héloïse Pelloquet (« Comme une grande ») et Guido Hendrikx (« Onder ons »). La soirée fera également l’objet d’une exposition de dessins et croquis préparatoires autour du film « Kijé » de Joanna Lorho, primé à Angers.

Avec le soutien de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas

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Programmation

Comme une grande d’Héloïse Pelloquet (Fiction, 43’, France, 2014, La Fémis). Prix Format Court, Prix du Public, Grand Prix France au Festival du moyen-­métrage de Brive 2015. En présence de la réalisatrice

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Synopsis : Un an de la vie d’Imane, au bord de l’océan. Un jour Imane sera grande. En attendant, il y le collège, les copines, les garçons, l’été, les vacanciers de passage, l’hiver, les projets, les rêves.

Onder ons de Guido Hendrikx (Documentaire, expérimental, 24′, 2015, Pays­‐Bas, Nederlandse Filmacademie). Prix Format Court et Prix du meilleur film néerlandais au Festival Go Short 2015 (Pays-Bas), sélectionné au festival de Clermont-Ferrand 2015. En présence du réalisateur

Synopsis : Trois pédophiles complexés et instruits nous livrent un récit impitoyable de leurs expériences. Comment assumer une orientation sexuelle jugée morbide par toute la société, y compris par soi-­même ?

Article associé : la critique du film

Kijé de Joanna Lorho (Animation, 10′, Belgique, 2014, Graphoui, Zorobabel). Prix Format Court au Festival d’Angers 2015 (France).

Synopsis : Au crépuscule, alors que la ville se fige et sombre dans le silence, un homme se retrouve malgré lui pris dans une célébration étrange. Il passe la nuit au coeur d’une foule faite de personnages aussi curieux qu’énigmatiques qui disparaîtra avant l’aurore.

Article associé : la critique du film

The Mad Half Hour de Leonardo Brzezicki (Fiction, 22’, Danemark, Argentine, 2015, Rewind My Future Films). Prix Format Court au Festival IndieLisboa 2015, sélectionné à la Berlinale 2015

Syn. : « The Mad Half Hour » raconte l’histoire d’un tourment intérieur : les doutes existentiels d’un jeune couple à Buenos Aires.

Article associé : la critique du film

En pratique

– Jeudi 14 mai 2015, à 20h30. Accueil : 20h
– Durée : 99′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
Entrée : 6,50 €
Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com

No Wolf has a house de Hana Jušić

La compétition Sylvestre du festival IndieLisboa, actuellement en cours à Lisbonne, est destinée aux films libres qui ne suivent pas les chemins tracés et relèvent d’une forme originale. Le court-métrage croate « No wolf has a house » trouve bel et bien sa place dans cette compétition alternative.

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En une journée ensoleillée, le jeune trentenaire Tihomir fête son anniversaire chez ses parents. Ces derniers, bouchers, lui prépare un grand barbecue qui dure jusqu’au soir, bien que les invités ne soient pas bien nombreux. Seuls sa femme Sandra, ses parents, sa sœur, son beau-frère et leurs deux enfants sont de la fête. Sandra, rêveuse et mollassonne, dont l’extrême timidité pourrait s’apparenter à un léger handicap social, essaie de s’intégrer tant bien que mal dans cette famille peu ouverte qui fait preuve d’un grand manque de compréhension à son égard. Elle voudrait bien aider à la préparation du repas mais sa belle-mère ne lui accorde pas plus de confiance qu’à un jeune enfant. Elle aimerait prendre part aux discussions pendant le repas mais ses réflexions, certes étranges, ne sont que peu écoutées et certainement pas prises au sérieux par les membres de sa belle-famille.

Plus la journée avance dans cette ambiance peu clémente, plus Sandra se sent mal à l’aise. Son angoisse grandissant lui fait perdre la tête, elle n’arrive plus vraiment à distinguer le vrai du faux et commence à avoir des hallucinations effrayantes. Elle essaie pourtant de se concentrer pour faire disparaître ces images absurdes comme celle du mari de sa belle-sœur la contemplant en petit maillot de bain rose par exemple.

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La sensation de mal-être de Sandra est appuyée par de nombreux gros plans subjectifs insistant sur les comportements peu distingués de sa famille : la belle-sœur remet en place le bas de son maillot de bain sans aucune grâce, le beau-père ronge goulument les os de la viande, la belle-mère arrange les gâteaux qu’elle servira au dessert avec ses gros doigts sales… Cette manière de filmer très près des personnages renforce l’enfermement de Sandra dans sa bulle, ne lui laissant aucun échappatoire. Les scènes surréalistes du film et la froideur des images participent au malaise ambiant. Les images de « No wolf has a house » rappellent ainsi les films du réalisateur grec Yorgos Lanthimos, « Canine » et « Alps » qui présentent également des personnages en marge des conventions sociales dans une ambiance toute aussi froide et cinglante.

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Dans ce court-métrage glaçant, Hana Jušić ne prend aucunement le parti de ménager son spectateur. Elle l’invite dans un monde amer où la tolérance envers autrui ne fait visiblement pas partie. La réalisatrice a commencé sa carrière en 2010 et a signé plusieurs courts depuis, avec comme point commun celui de filmer des relations humaines complexes.

Zoé Libault

Consultez la fiche technique du film

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Fiche technique

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Synopsis : Au cours de la fête d’anniversaire de son mari, Sandra, jeune femme souffrant d’une sensibilité extrême, doit s’intégrer au sein de sa belle-famille. L’inhospitalité glaçante de cette famille ne l’aidera pas à s’y sentir à l’aise.

Genre : Fiction

Durée : 24’

Pays : Croatie

Année : 2015

Réalisation : Hana Jušić

Scénario : Hana Jušić

Interprétation : Sanja Drakulic, Tibor Knezevic, …

Images : Jana Plećaš

Son : Martin Semencic

Production : Academy of Dramatic Arts Zagreb

Article associé : la critique du film

2ème After Short, jeudi 7 mai !

Après le succès du lancement, fin février, des After Short, des soirées de networking réunissant la profession et les cinéphiles, Format Court vous propose un deuxième rendez-vous du même genre, le jeudi 7 mai, une semaine avant Cannes.

Retrouvez-nous pour notre 2ème After Short, un apéro sympa ouvert aux amoureux du court et à ceux qui aiment tout simplement le cinéma, au coeur du 11ème (quartier Oberkampf, St-Maur).

Venez échanger autour d’un verre avec nous (punch offert !) , rencontrer d’autres « courtivores » et discuter avec les professionnels présents (réalisateurs, producteurs, comédiens, techniciens, organisateurs de festivals, …).

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Quand ? Jeudi 7 mai 2015, à partir de 20h
Où ? Bar Les Pieds sous la Table
130 rue Saint-Maur, 75011 Paris
Comment ? Métros proches : Goncourt, Couronnes, Parmentier
Possibilité de manger sur place !

Participez à l’événement sur Facebook

Le Rêve de Bailu de Nicolas Boone

« Le Rêve de Bailu », court-métrage en compétition Silvestre au festival IndieLisboa 2015, est une commande du gouvernement chinois à Nicolas Boone. Cet artiste vidéaste est également le réalisateur de « Hillbrow », primé au Festival du Nouveau Cinéma de Montréal et présenté en compétition Fictions Internationales à Lisbonne ces jours-ci.

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« Le Rêve de Bailu » se situe après le terrible tremblement de terre qui ravagea la province de Sichuan en 2008. À cette époque, les autorités chinoises avaient fait reconstruire entièrement de nombreux villages. Celui de Bailu a la particularité d’avoir été repensé selon une architecture dite à la française. Nicolas Boone répond à la commande qui lui a été faite en réalisant un unique plan-séquence d’une douzaine de minutes déambulant dans le village. Fervent utilisateur de ce procédé, « Hillbrow » est lui, une succession de dix plans-séquences, suivant plusieurs jeunes délinquants d’un quartier de Johannesburg.

Les couleurs vives, le beau ciel bleu, les personnages souriants et la joyeuse musique ambiante du « Rêve de Bailu » l’emplissent de la gaité qui, à première vue, correspondrait au cahier des charges du film de propagande. Mais une deuxième lecture du film, beaucoup plus grinçante, est aussi possible. La technique du plan-séquence, nécessitant une construction chronométrée et millimétrée en amont du tournage, est une parfaite métaphore de l’artificialité du village. Le parti pris architectural où tous les types d’architectures françaises d’antan sont représentés ne paraît que peu réaliste pour un regard français.

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Ce village donne plus l’impression d’un décor construit en carton pâte pour un parc à thème que d’un réel village. Heureusement, celui-ci est justement destiné au tourisme. Les habitants supposés de Bailu se transforment le temps du film en des marionnettes contrôlées par Nicolas Boone. Ils se déplacent et agissent selon ses instructions qu’il a par ailleurs décidé de laisser dans la bande sonore. Ce choix permet également de témoigner de l’artificialité de la vie de ces gens, qui, déplacés après le séisme, n’ont plus aucun repère.

Le réalisateur aime jouer avec les frontières entre le documentaire et la fiction et, comme Magritte avec sa pipe, se plait à perdre le spectateur dans une réalité qui, une fois reconstruite, n’en est en fait plus qu’une représentation. A l’instar d’un journaliste, il suit ses sujets avec une caméra épaule fluide pour être au plus proche de la vérité, essayant avec un procédé simple et léger de se faire oublier. Mais en tant que cinéaste au regard critique, il remet totalement en scène la vie quotidienne des villageois, ne dévoilant finalement aucune réelle vérité. Ainsi, ce film est autant un documentaire que le village est un authentique village français.

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Avec ce court-métrage, Nicolas Boone a réalisé en quelque sorte le film attendu par le gouvernement chinois si celui-ci s’en arrête à la première lecture, mais a su détourner la commande pour, en arrière-fond, critiquer le non-sens évident de la construction de ce type de village. Toute l’ironie du film prend son sens dans le titre, « Le Rêve de Bailu », celui-ci représentant alors la double lecture du film.

Zoé Libault

Consultez la fiche technique du film

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Fiche technique

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Synopsis : En 2008, un tremblement de terre a détruit Bailu, province du Sichuan. Le gouvernement chinois a décidé de reconstruire un village français. Le film est une traversée du village. Il croise ses habitants dans leurs activités.

Genre : Documentaire

Durée : 12’

Année : 2013

Pays : France

Réalisation : Nicolas Boone

Scénario : Nicolas Boone

Photographie : Long Qiao

Production : Tournage 3000

Article associé : la critique du film

Les couleurs majestueuses de l’étrange

Après six courts métrages et un long métrage (« Amer », 2010), le duo de réalisateurs français (et belges d’adoption) Hélène Cattet et Bruno Forzani a tourné en 2013 un deuxième film « L’Etrange couleur des larmes de ton corps ». Le film raconte le parcours sinueux d’un homme, Dan Kristensen, à la recherche de sa femme, mystérieusement disparue. Au retour d’un voyage d’affaires, il se lance désespérément à sa trace et finit peu à peu par perdre pied avec le monde qui l’entoure…

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Sortie l’année dernière, la belle édition DVD/Blu-Ray du film assurée par Shellac est l’occasion de revenir sur l’univers foisonnant de ces deux réalisateurs que l’on pourrait situer quelque part entre le cinéma expérimental et le « giallio » (ou thriller horrifique à l’italienne), un genre de films très populaire dans les années 70 qui a préfiguré la vague des films slashers américains comme notamment « Halloween » de John Carpenter. Cattet et Forzani nous proposent donc un vaste champs des possibles.

Toutefois, au fil des films, les deux réalisateurs sont parvenus à tracer leur propre voie, revisitant au passage les codes bien établis des genres cinématographiques qu’ils côtoient (polar, films d’horreurs, giallio, film expérimental…), les tordant jusqu’à en extraire la substantifique moelle. Ralentis, kaléidoscopes, stop-motion, ruptures de rythme : chaque plan est cadré au millimètre près, la lumière, les décors et les couleurs rappellent les grandes heures du cinéma de Dario Argento ou de Mario Bava, et leurs deux auteurs nous proposent ici un véritable travail d’orfèvre, une ode fétichiste au cinéma de genre.

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Tandis que l’œil est captivé par la beauté des formes qui impriment la pellicule, l’entreprise de désorientation du spectateur bat son plein. Les deux réalisateurs brouillent les pistes et semblent prendre un malin plaisir à perdre celui-ci comme pour mieux l’attirer dans la peau du héros Dan Kristensen et ainsi le plonger dans le malaise qui habite cet homme perdu dans une sorte de labyrinthe mental où se confondent pêle-mêle ses fantasmes et ses phobies. Ce mélange d’influences, de poésie et d’abstraction aboutit à un film-bijou baroque et monstrueux, à un coup de poing chimérique et majestueux que nous vous invitons à (re)découvrir.

La première larme

Pour accompagner le film, Shellac propose dans cet élégant digipack quatre bonus dont trois entretiens avec plusieurs critiques (Manlio Gomarasca, Louis Danvers et Fausto Fasulo) mais aussi le premier court métrage d’Hélène Cattet et Bruno Forzani, « Catharsis ». Véritable grand écart dans la filmographie des réalisateurs, ce film est, comme l’indique le carton inséré avant le début du film, la première collaboration d’Hélène Cattet et Bruno Forzani. Il a été « tourné sur un coup de tête en 2000 pour 75 euros et finalisé en une semaine à peine ». L’urgence du tournage est perceptible à l’image et tranche avec la lumière travaillée du long métrage qu’il accompagne.

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Sa présence sur ce DVD/Blu-Ray permet de mesurer l’écart des douze ans qui séparent « Catharsis » de « L’Etrange couleur des larmes de ton corps ». Mais au-delà des évidentes différences techniques, ce court métrage d’à peine 3 minutes a le mérite de nous donner à voir les premières intuitions de réalisation, les obsessions récurrentes des deux réalisateurs et la cohérence de leur univers visuel qui se déploieront par la suite dans leurs deux longs-métrages. Catharsis « pose les bases de leur univers commun » fait d’angoisse et de sensualité, d’horreur et de beauté. Ce premier court est une sorte d’esquisse du film qu’ils avaient probablement déjà en tête et qui deviendra par la suite leur deuxième long-métrage.

« Catharsis » a également comme autre point commun avec « L’Etrange couleur » celui de faire jouer l’acteur Jean-Michel Vovk qui interprétera plus tard le rôle de l’inspecteur Vincentelli dans le long-métrage. L’une des scènes du film est d’ailleurs directement inspirée par le court métrage « Catharsis »; il s’agit de la séquence de cauchemar où le héros se dédouble indéfiniment. Cette séquence est le leitmotiv du court métrage et fait également écho au premier plan du long métrage où l’on voit en gros plan le personnage principal dans l’avion qui le ramène chez lui, les paupières closes, probablement en train de rêver.

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Au-delà des faux-semblants et des ambiguïtés latentes qui émanent de ces deux films, il faut tenter de voir ces deux films comme des « films de cauchemar sans scène de réveil » dixit Bruno Forzani. Si « Catharsis » détient déjà les premiers symptômes de ce mal étrange, « L’Etrange couleur des larmes de ton corps » en est atteint au dernier degré.

Julien Beaunay

« L’Etrange couleur des larmes de ton corps » : DVD/Blu-Ray édité par Shellac

Aubagne, paroles de jurés

Lors du dernier Festival d’Aubagne, « quatre garçons plein d’avenir » ont œuvré en tant que jurés pour remettre les prix des meilleurs courts-métrages : le réalisateur Christian Volckman, le compositeur Franck Lebon, le scénariste Scribe et le comédien-réalisateur Nicolas Cazalé. Nous avons rencontré trois membres du jury à l’exception de Franck Lebon. Une évidence nous a sauté aux yeux : un réel esprit d’équipe s’était instauré entre eux malgré la tâche difficile de juger 72 films. Interview-discussion pleine de cohésion et d’humour.

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Sachant qu’il y a beaucoup de courts-métrages en compétition à Aubagne, comment vous organisez-vous ? Chacun d’entre vous se concentre-t-il sur sa spécialité (la musique, le scénario, le jeu d’acteurs, …)?

Nicolas : Non, c’est une décision collective. Nos prix sont le fruit d’une discussion commune. Aucun de nous ne dira : « Je choisis ce film-là parce que je suis compositeur et parce que la musique est belle ».

Scribe : Chacun propose ses idées avec sa propre sensibilité bien sûr. On ne regardera peut-être pas les mêmes choses, mais chaque soir, nous nous parlons et avançons petit à petit. Ce ne sont pas des réunions de travail à proprement parler, mais on échange sur nos sentiments liés à chaque film. Pour moi, c’est vraiment compliqué de juger sur le même plan une comédie extrêmement bien ficelée et un documentaire très onirique.

Nicolas : En même temps, il y a trois prix à décerner chacun dans un secteur différent (documentaire, fiction et animation).

Christian : Ça divise en effet la sélection en plusieurs groupes, néanmoins, c’est vrai que le choix est très grand. Rien qu’en fiction, il y a une quinzaine de films qu’on trouve fantastiques et il ne faut pourtant délivrer qu’un seul prix.

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Vous êtes-vous imposés des critères avant même de commencer à voir les films ?

Nicolas : Non. Ceci étant, les critères sont en quelques sortes imposés puisque le premier prix doit être attribué à un film à la musique originale.

Scribe : En effet, il doit y avoir une balance entre les qualités du film et les celles de la musique originale.

Christian : Ce qui est intéressant en tout cas dans ce petit groupe que forme le jury, c’est que nous ne nous connaissions pas pour la plupart. Le processus a donc d’abord été une rencontre humaine. C’est à travers les films et nos avis qu’on se découvre et qu’on apprend à sentir ce qui plaît aux autres. Finalement, on s’aperçoit qu’on a à peu près les mêmes goûts et la même culture aussi. C’est une bonne chose.

D’une manière générale, que pensez-vous de la sélection de courts-métrages de cette année?

Nicolas : Je pense qu’il y a trop de films. Très honnêtement et malheureusement, lorsqu’on arrive en fin de festival, il n’est pas évident de se rappeler des films vus en début de semaine. Un film peut en effacer un autre, sauf en cas d’énorme coup de cœur. Ceci dit, il y a de très belles choses.

Christian : Il est vrai qu’il y a beaucoup de films, mais le festival est vraiment fantastique. C’est un lieu de rencontres très ouvert, sans être en représentation. L’équipe est formidable et les personnes qui se déplacent ici sont passionnées.. Autre élément vraiment intéressant : il y a beaucoup de compositeurs, ce qui assez rare ailleurs.

Scribe : Personnellement, je suis assez impressionné. Aubagne montre des premiers et deuxièmes courts-métrages. La qualité est absolument incroyable et le talent concentré ici est assez touchant.

Christian : Ceux qui sont ici sont ceux qui résistent ! Par exemple, il y a des Ukrainiens qui ne doivent pas avoir les moyens de faire des films, mais qui en font coûte que coûte. Ils tentent des choses et ils les montrent. En revanche, avouons que beaucoup de réalisateurs sont déprimés (rires) !

Scribe : C’est vrai, les films sont très noirs.

Christian : Ça reflète aussi l’état du monde. C’est intéressant de le sentir, de le digérer, de l’écouter à travers des films.

Y a-t-il des thèmes récurrents selon vous, d’un film à l’autre ?

Scribe : Absolument J’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de nature et de retour à la nature sous une forme positive et en même temps, on retrouve aussi beaucoup le suicide, la mort, les violences familiales et les familles chamboulées. C’est très noir. Après, les comédies en sélection ont toutes un niveau incroyable.

Christian : Mais il y en a peu, c’est dommage !

Scribe : Comme les documentaires. Il n’y en a pas beaucoup et ça donne envie d’en découvrir plus. Il y a en effet des choses absolument formidables et beaucoup d’audace dans le traitement. On n’est jamais face à des documentaires classiques. Je crois que c’est un genre qui se redécouvre et qui est en pleine redéfinition.

Les films dans ce festival pourraient-is vous inspirer pour vos créations personnelles ?

Christian : Je ne crois pas car à voir autant de films, il y a un phénomène de saturation qui fait qu’on mélange pas mal de choses. Ça ne permet pas de réfléchir à ses propres travaux et de faire ressortir quelque chose de cohérent.

Nicolas : On ne peut pas se définir comme ça. Après, ça peut révéler des choses en soi.

Christian : Ce qui est très intéressant, c’est la technique, la façon dont les réalisateurs filment, dont ils abordent un sujet. On peut, à partir de là, commencer à avoir une relation avec l’objet cinématographique et se poser des questions sur son propre travail d’un point de vue de l’approche artistique. Sur un même thème, on peut effectivement avoir un traitement qui varie à l’infini. Finalement, ça renvoie à soi-même, on se dit que l’on va rester au plus proche de soi et s’assumer. Mais en réalité, cette réflexion a lieu constamment lors de la phase de création, et pas seulement en festivals.

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Scribe : Il y a deux processus en fait. D’un côté, il y a le syndrome de « ça peut faire un film », c’est-à-dire que depuis qu’on est ici, on voit une nouvelle idée toutes les demi-heures qui pourraient faire des films géniaux. Et de l’autre côté, on a tous bien appris et compris qu’un bon sujet ne suffit pas à faire un bon film. Ceci étant, comme dit Nicolas, en voyant tous ces films, on a plein d’images, plein d’idées sur le son. L’écriture du son est quelque chose de magnifique qui est encore très peu travaillé. C’est d’ailleurs quelque chose qui nous attire beaucoup tous les quatre.

Christian : Ce qui est assez étonnant, c’est que lorsqu’on regarde un film, on absorbe l’histoire et l’image mais il faut faire un effort pour réellement écouter la bande sonore ou la musique. Dès que c’est médiocre, l’effort est tout d’un coup visible tandis que lorsqu’on est pris dans un film, tout disparaît. C’est une sorte de magie.

Nicolas : Et c’est cette sorte de magie qu’on va essayer de mettre en avant à travers notre prix. L’émotion générale est un des critères importants. En tant que jury, on se doit d’être attentifs à l’image, au son, au jeu et il est parfois difficile de se laisser porter naturellement par les films, alors que lorsque l’émotion est présente, on ne se pose plus de questions car ce sont ces films qui marquent le plus puisque tous les éléments (image, son, histoire) sont en symbiose.

Avez-vous discuté avec certains des réalisateurs présents de leurs films ?

Christian : On a envie d’aller les voir pour savoir ce qui les motive parce qu’on voit des films très forts et qu’on se demande toujours s’il y a un lien avec leur discours intime et personnel. On en a rencontré certains car ils sont accessibles et présents au festival pour les rencontres. En général, ce sont eux qui viennent nous voir. Comme c’est un petit festival, les rencontres se font très facilement.

Scribe : Pour moi, un des critères, c’est de sentir qu’il y a une personne humaine et unique derrière un film.

Christian : Oui, c’est important de sentir qu’il y a une âme. Ça revient à ce que je disais tout à l’heure sur le fait d’accepter sa personnalité et de l’assumer pour traiter tel ou tel sujet et =d’en faire ainsi un film unique. Malheureusement, la tendance actuelle veut qu’on fasse tous un peu la même chose. La société nous tape dessus pour qu’on s’uniformise et qu’on se ressemble tous, si bien que le cinéma doit continuer à essayer de nous sortir la tête de l’eau en proposant son propre point de vue sur le monde. L’art sert en général à la lutte.

Scribe : Mais même l’art est devenu un archétype, donc c’est compliqué !

Nicolas : C’est en ça que l’âme est vraiment importante derrière chaque film ou chaque œuvre d’art. Personnellement, je préfère un film moins maîtrisé, moins parfait, mais plus authentique.

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Christian : Pour rejoindre ce que dit Nicolas, on touche là aux fondamentaux. Cela revient à poser la question de ce qui motive un individu à devenir cinéaste et à vouloir faire des films. Il y a d’un côté celui qui souhaite rentrer dans un marché et sa démarche ne sera que mécanique et de l’autre, celui qui souhaite prendre des risques en exprimant ce qu’il ressent.

Nicolas : C’est ce deuxième type de cinéaste qu’on a envie de primer en lui disant : « Certes, ton film n’est pas parfait, mais il te ressemble ». Bien évidemment, les cinéastes restent tributaires du système, des chaînes de télévision et des autres financements. Malheureusement, ce sont souvent ces structures qui ne prennent pas assez de risques, qui refusent les tentatives des réalisateurs. C’est un vrai problème car ça ne laisse la place qu’à des films standardisés.

Scribe : Oui, c’est dommage car les premiers courts-métrages sont censés être un lieu d’apprentissage, où on donne tout et où il y a aussi des défauts. Seulement, à cause de la question des financements, le premier film n’a plus forcément la valeur d’étape qu’il devrait avoir.

Nicolas : Effectivement, si tout est parfait dans un premier film, comment fait le réalisateur pour se renouveler, s’améliorer ?

Scribe : Tous les courts-métrages qu’on voit ici ne sont pas tous maîtrisés à 100%, fort heureusement mais malgré tout, on y voit vraiment de belles choses et de vrais talents. C’est rassurant.

Propos recueillis par Camille Monin

Article associé : Retour sur les courts présentés au Festival d’Aubagne

Quinzaine des Réalisateurs 2015, les 11 courts-métrages sélectionnés

La Quinzaine des Réalisateurs révélait ce matin, lors de sa conférence de presse, les films en sélection pour sa 47ème édition. Découvrez les 11 courts-métrages qui seront présentés du 14 au 24 mai prochain dans la sélection parallèle du Festival de Cannes.

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Courts-métrages sélectionnés

Bleu Tonnerre de Jean-Marc E. Roy & Philippe David Gagné (Canada)

Calme ta joie d’Emmanuel Laskar (France)

El pasado roto de Martín Morgenfeld & Sebastián Schjaer (Argentine)

Kung Fury de David Sandberg (Suède)

Pitchoune de Reda Kateb (France)

Provas, Exorcismos de Susana Nobre (Portugal)

Pueblo de Elena Lopez Riera (Espagne/Suisse)

Quelques secondes de Nora El Hourch (France)

Quintal de André Novais Oliveira (Brésil)

Rate Me de Fyzal Boulifa (Royaume-Uni)

The Exquisite Corpus de Peter Tscherkassky (Autriche)

Semaine de la Critique 2015, les 10 courts et moyens sélectionnés

Avant de découvrir la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs aujourd’hui (la conférence de presse a lieu ce matin), voici les 10 courts et moyens-métrages sélectionnés à la 54e Semaine de la Critique qui aura lieu du 14 au 22 mai prochain lors du Festival de Cannes.

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Courts et moyens métrages en compétition

Varicella de Fulvio Risuleo (Italie)
Command Action de Joao Paulo Miranda (Brésil)
Everything Will Be Ok de Patrick Vollrath (Allemagne)
Ramona d’Andrei Cretulescu (Roumanie)
Too Cool For School de Kevin Phillips (États-Unis)
Love Comes Later de Sonejuhi Sinha (États-Unis)
Boys d’Isabella Carbonell (Suède)
The Fox Exploits The Tiger’s Might de Lucky Kuswandi (Indonésie)
Jeunesse des loups-garous de Yann Delattre (France)
La fin du dragon de Marina Diaby (France)

Les Fleuves m’ont laissée descendre où je voulais de Laurie Lassalle

Les amoureux qui passent, le soleil amer, la nuit verte, des arbres tordus, la barque de Charon, une fête surréaliste, deux adolescents accroupis qui disparaissent dans la nuit… Il s’agit juste d’une partie des éléments qui confluent dans « Les Fleuves m’ont laissée descendre où je voulais », premier film de Laurie Lassalle, en compétition cette année à la 12ème édition des Rencontres Européennes du Moyen Métrage de Brive. Déjà sélectionné en 2014 à la Semaine de la Critique et au Festival international du film d’Amiens, « Les Fleuves… » nous plonge dans la traversée de Flore et Arthur, deux bateaux qui ne sont plus guidés par les haleurs.

Librement inspirée du Bateau Ivre de Rimbaud, la cinéaste nous met devant un road- movie de 38 minutes qui suit le cours de deux personnages à la dérive, deux petits flâneurs de campagne qui partent sur la route pour aller « se battre » avec la mort, le sexe, l’amour et le malheur. Le film démarre avec une visite de Flore au cimetière où elle reçoit un texto d’Arthur : « Envie de faire la fête, ma trompe d’éléphant traîne par terre, ma tête est un champ de bataille, viens te battre avec moi ce soir ! » Elle prend son vélo et roule jusqu’à la nuit pour le rejoindre à l’hôpital où il s’est fait interner après avoir volé au supermarché du village. Enfoncés dans la nuit, avec les rues désertes et sous la lumière incandescente des poteaux de couleurs, Arthur propose de trouver un bateau. Et c’est là, coincés au milieu de « nulle part » qu’ils tombent sur le camion de Charon, un routier auquel Arthur demande de les déposer près du fleuve, fleuve qui pourtant n’existe pas. Comme le Charon de la mythologie grecque qui faisait passer sur sa barque les âmes des morts à travers l’Achéron et le Styx pour les amener aux Enfers, le routier, aussi énigmatique que sa contrepartie mythologique, conduit les enfants par les Fleuves de la route.

Deux images se superposent ensuite : un travelling de l’autoroute qui semble infinie et la tête géante d’un lièvre qui danse dans une fête onirique et fantasmagorique. Des visages, des mains, des épaules, mélangés et couverts par les fils de lumière rouge- violette sont filmés de près, en gros plans. La caméra se fixe sur les corps des personnages, bouge avec eux, les suit de dos, en plongée et contre-plongée. Flore est contente, mais soudainement ça coupe. Comme si l’on sortait du terrier du lapin blanc, le rêve de cette soirée psychédélique qui avait l’air de s’étaler jusqu’à l’aube arrive à la fin. Avec le lever du soleil, la frontière entre le jour et la nuit va disparaître. Les longs travellings de la route et de la campagne qui mêlent le bleu cobalt du crépuscule et l’orange brûlé de l’aurore troublent notre perception du temps et nous font témoins des hallucinations et des délires des personnages.

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C’est là où le film nous fait sortir du champ du réel pour nous installer dans la rêverie des personnages, exemplifiée et accentuée par l’éclairage. La lumière est utilisée ici comme l’élément technique qui rend réelle ou irréelle leur réalité. Notamment, la couleur violemment artificielle de la palette choisie par la réalisatrice, mise en scène par son chef-opérateur et étalonneur Brice Pancot, nous permet de trouver une distance avec les visions et phantasmes des protagonistes. Elle contribue à créer un effet brechtien de distanciation qui nous empêche de nous impliquer directement avec la fiction à l’écran, rompt avec l’illusion cathartique et permet un détachement critique par rapport à l’histoire.

Par ailleurs, de la même façon que la puissance des couleurs domine l’aspect plastique et narratif du film, elle est aussi présente sur les visages des comédiens. Ce sont ces couleurs présentes à chaque plan qui moulent et nimbent les figures de Solène Rigot et de Théo Cholbi. Bien que Rigot apparaisse toujours avec ses yeux grands ouverts, c’est la forte présence des tons rose vif de ses lèvres et du roux corail de ses cheveux qui accorde du magnétisme à sa performance. Pareil avec Cholbi dont les tons pâles de la peau et le vert sauge des yeux sautent à l’œil du spectateur.

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Pourtant, même si l’articulation entre ce traitement de l’image, les mouvements souples de caméra et les travellings de nuit très réussis construisent un film visuellement fascinant, il reste un goût un peu amer au niveau du scénario. Nous sommes obligés de faire des concessions à cause de la gratuité d’une ou deux séquences où les délires vont au-delà du pacte établi entre le public et le parti pris de la réalisatrice, et avec certains dialogues qu’il faut avaler sans justification dans le bon intérêt du film et pour le plaisir des images. En conséquence, il est facile de lâcher le fil narratif de l’histoire pour se mettre à admirer le cadrage artistique de la forêt, l’usage antinaturel de la couleur, et oublier le récit proposé.

Ce qui résulte est un film viscéral, d’initiation, de découverte et rempli de références, qu’il faut savoir saluer. Une incarnation moderne et sauvage du poète maudit avec Arthur et du deuil et du malaise avec Flore, synecdoque de la vie adolescente. Un univers qui appartient uniquement à deux jeunes gens qui voguent pour se rendre à une fête et qui finissent obscurs dans la nuit solitaire.

Julián Medrano Hoyos

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